5.Les influences du changement climatique sur les eaux souterraines

Les eaux souterraines constituent une réserve hydrique souvent très importante pour l’approvisionnement en eau des territoires et ainsi faire face aux différents usages (eau potable, irrigation, industrie …). En effet, les aquifères jouent un rôle de tampon en lissant la variabilité annuelle et interannuelle des précipitations et des écoulements de surface. Ils soutiennent les débits des cours d’eau en été et maintiennent les zones humides dépendantes. Les aquifères ont également un rôle important dans la dynamique des crues en interceptant et en stockant une partie de l’eau. Toutefois, lorsque les capacités de stockage sont saturées, les refus d’infiltration peuvent s’additionner au ruissellement et ainsi accentuer les risques de crue. C’est particulièrement vrai dans le cas des aquifères karstiques se développant dans des formations géologiques calcaires où la dissolution du calcaire engendre la formation de cavités favorisant le stockage de l’eau mais aussi la rapidité des transferts. En cas de saturation du karst, les écoulements souterrains ont rapidement une influence sur le débit de crue engendrant des crues karstiques.

5.51. Les aquifères en PACA

En région PACA, les prélèvements d’eau souterraine sont trois fois moins importants (14 % des besoins) que la moyenne Française. Ceci est le résultat d’une situation particulière marquée par les transferts amont - aval du système Durance - Verdon. Les aquifères restent néanmoins une source importante pour l’approvisionnement en eau potable et constituent localement une source importante dans les territoires non irrigués par des écoulements de surface et pourraient constituer un levier d’adaptation essentiel aux changements climatiques.
Les aquifères en PACA sont relativement morcelés avec des dimensions variables (Figure 15) et en moyenne inférieures à la moyenne nationale. Leurs conditions structurelles engendrent une diversité de comportements aux regards des aléas climatiques et des pressions anthropiques. Dans la région, on distingue quatre types d’aquifères.

  • Les aquifères alluviaux superficiels qui sont les plus exploités du fait de la proximité de la ressource et d’une activité humaine forte dans ces zones. La dynamique temporelle de ces aquifères est en général fortement liée à la situation hydrologique en surface (débit des cours d’eau, prélèvement, irrigation gravitaire). Par ailleurs, ces aquifères sont souvent associés à des zones humides et constituent ainsi un enjeu environnemental. A proximité de la mer, ces aquifères sont soumis aux intrusions salines.
  • Les aquifères sédimentaires molassiques (formations sédimentaires détritiques de forte épaisseur et grande porosité) permettent de stocker de grands volumes d’eau. Les principaux d’entre eux font partie des ressources stratégiques.
  • Les aquifères karstiques constituent une ressource en eau pour une grande partie du territoire. Le débit des sources est cependant fluctuant et en étroite interaction avec la pluviosité. Ces aquifères représentent un fort potentiel globalement sous-exploité.
  • Les aquifères fissurés au sein des massifs cristallins, sont peu représentés au sein de la région, mais ils peuvent jouer localement un rôle important.
Figure 15. Les grands types d’aquifères régionaux LES INFLUENCES DU CHANGEMENT CLIMATIQUE SUR LES EAUX SOUTERRAINES (SOURSE 2010)

5.98. Impact du changement climatique sur les aquifères

Le changement climatique aura une incidence sur les régimes hydrologiques et hydrogéologiques, du fait de la modification du régime des précipitations et de l’augmentation de l’évapotranspiration liée à celle des températures. Les projections actuelles tablent sur une diminution des précipitations, principalement en été et une plus grande variabilité en termes d’intensité. Cette évolution aura probablement un impact sur la recharge, qui est malgré tout assortie de grandes incertitudes, du fait de la complexité des mécanismes en jeu. Par exemple, l’impact négatif sur la recharge d’une baisse des précipitations, peut très bien être compensé par des pluies moins intenses favorisant l’infiltration par rapport au ruissellement. L’augmentation de l’évapotranspiration aura un impact plus prévisible, qui se traduira probablement par une augmentation des besoins en eau de la végétation (naturelle et cultivée). Cette dernière joue aussi contre la recharge en augmentant la part de l’eau consommée par la végétation, dans le flux potentiellement disponible pour l’infiltration. Toutefois, l’occupation du sol sera aussi amenée à évoluer dans le futur et en particulier les superficies occupées par la végétation et les cultures, ce qui rajoute de l’incertitude à celle liée à l’évolution future des précipitations.

5.144. L’analyse du passé

L’analyse du niveau des aquifères et du débit des sources au cours des dernières décennies ne permet pas de révéler de tendances. On observe plutôt une alternance de périodes sèches et humides qui ont un impact sur le niveau des aquifères. On constate une bonne capacité de résilience des aquifères, avec un retour à un niveau normal après des périodes d’étiage sévère. Ceci invite donc à considérer des périodes de temps long pour dresser un diagnostic sur la vulnérabilité quantitative des aquifères. L’analyse de la chronique de débit de la Fontaine-de-Vaucluse en est une bonne illustration. Les traitements statistiques effectués sur la série de débit montrent qu’après une phase de baisse tendancielle jusqu’au début du XXe siècle (1910 – 1920), le début des années 20 étant reconnu comme une période de sécheresse majeure en France, la Fontaine a traversé une

phase tendancielle de hausse de son débit jusqu’au milieu des années 60. Ensuite les débits ont tendanciellement recommencé à décroître jusqu’à un minimum (2,3 m3/s) atteint lors du cycle 2006 – 2007. Depuis, il semblerait que s’amorce une légère remontée en tendance des débits. Des traits similaires ont été observés sur d’autres aquifères. Ainsi, sur l’aquifère molassique de Carpentras, les baisses observées au cours des années 2000 (avec parfois des pertes d’artésianisme), à un moment imputées à une surexploitation, ont ainsi été compensées lors des dernières années pluvieuses. Sur la plaine de la Crau, le niveau de la nappe a baissé pendant la période sèche de 2004 à 2007 avant de remonter au cours des années plus pluvieuses qui ont suivi (Figure 16).

Figure 16. Evolution de la piézométrie (niveau libre de l’eau observé dans un puits ou forage rapporté à un niveau de référence (Nivellement Général de la France : NGF)) de la plaine de la Crau située dans la zone non cultivée (coussouls) (Projet Agadapt - INRA)

5.174. Les projections climatiques sur la recharge naturelle

Une étude menée par le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) en collaboration avec l’Agence de l’Eau Rhône-Méditerranée Corse (AERMC) a permis d’effectuer des évaluations de la recharge pour des contextes d’aquifères variés et représentatifs du bassin Rhône Méditerranée Corse (RM&C), dont celui de la Fontaine-de-Vaucluse. Il a été possible d’explorer quelles pourraient être les incidences du changement climatique sur l’évolution future de la recharge à l’échelle du bassin RM&C incluant la région PACA. Ce travail a été réalisé en utilisant les projections climatiques du GIEC. La recharge a été calculée pour la période 2045-2065 en considérant les simulations du scénario A1B qui est le scénario médian en termes d’émission de gaz à effet de serre (Figure 17). En région PACA, la recharge future serait ainsi globalement affectée par une baisse comprise entre 10 % et 25 %, ce qui est inférieur à ce qu’on trouve dans le Languedoc et le Roussillon.

Figure 17. Carte de l’évolution de la recharge moyenne multi-modèle annuelle future (2045-2065) en proportion de la recharge moyenne annuelle pour la période présente (1970-2000). Les projections futures ont été réalisées avec le scénario médian d’émission des gaz à effet de serre (scénario A1B) (Caballero et al., 2016)

Un travail similaire a été réalisé sur la plaine de la Crau à l’horizon 2050. L’aquifère de la Crau est un aquifère superficiel dont le niveau est très dépendant de l’irrigation gravitaire, alimentée par les eaux de la Durance, qui assure près de 80 % de la recharge. Comme dans le cas précédent, le scénario A1B a été exploité. L’étude montre un accroissement de la demande évaporatoire de 2 à 12 % selon les types de couverts végétaux. Si elle est compensée par l’irrigation sans restriction (débit de la Durance suffisant), cette augmentation n’aura pas d’impact sur l’aquifère. Par contre, à prélèvement équivalent, toute modification d’allocation en eau se répercutera de manière très significative sur le niveau de la nappe. Par exemple, en 2030, une réduction de 30 % de l’eau prélevée sur la Durance aura un impact majeur avec un rabattement du niveau de la nappe de plusieurs mètres dans certains secteurs (Figure 18).

Figure 18. Baisse du niveau de la nappe de la Crau en 2030 avec scenario de -30 % sur les apports d’eau venant de la Durance (Trolard et al. 2016)

Ces résultats de projection doivent être manipulés avec précaution dans la mesure où la démarche adoptée pour les obtenir intègre beaucoup d’incertitudes. Ils présentent cependant l’avantage de fournir une première vision de l’évolution de la recharge future des aquifères et de leur vulnérabilité au changement climatique (probablement plus importante pour les aquifères dont la recharge dépend essentiellement des précipitations que pour ceux qui sont en relation hydraulique avec des aquifères voisins). La connaissance de ce type d’information revêt une grande importance pour les gestionnaires de la ressource en eau du territoire, car elle leur permettrait d’anticiper d’éventuelles situations de déficit futur.

5.194. L’intrusion saline, pollution des eaux continentales

La Région Provence-Alpes-Côte d’Azur dispose de près de 700 km de côtes et de ce fait de nombreuses nappes aquifères sont en contact avec les eaux salées d’origine marine qui envahissent plus ou moins les formations géologiques côtières (Figure 19). En effet, l’eau salée, d’une densité supérieure (environ 1,025 kg/l) à l’eau douce, pénètre dans les terres essentiellement sous l’action du gradient de densité. Des variations de charge piézométrique de l’eau douce vont dépendre les variations de profondeur du «biseau» salé ou de celles de la zone de transition entre les deux types d’eau. La sensibilité des aquifères à l’intrusion saline dépend donc de leurs propriétés physiques (type d’aquifère : karstique ou alluvial par exemple, perméabilité, homogénéité) mais aussi de facteurs externes tels que les volumes d’eau prélevés et les usages qui en sont faits (eau potable, irrigation, industrie..) qui ont un impact sur la charge piézométrique de l’eau douce. La recharge de l’aquifère liée aux précipitations constitue également un facteur déterminant de l’intensité du phénomène d’intrusion saline.

Avec les conséquences du changement climatique, telles que l’augmentation du niveau marin et la modification des conditions de recharge, l’altération de la qualité des eaux douces par l’intrusion saline en milieu côtier est donc un problème susceptible de s’amplifier.

Figure 19. Intrusion saline (source BRGM)

Dans le cadre d’un projet national cofinancé par l’ONEMA (depuis le 1er janvier 2017, l’ONEMA est devenu l’Agence Française pour la Biodiversité) et le BRGM, des recommandations pour le suivi et la gestion des aquifères susceptibles d’être impactés par des intrusions salines, en lien avec le changement climatique mais aussi avec l’usage et la consommation des eaux souterraines, ont été formulées. Pour les aquifères les plus sensibles, mais non encore impactés, il est recommandé de réaliser des études détaillées comprenant un suivi piézométrique accompagné de profils de conductivité de l’eau et de prélèvements ciblés pour analyser les chlorures ou de suivis en continu en forage dans un réseau de piézomètres. Il faut également déterminer des niveaux d’alerte à partir desquels des mesures devront être mises en oeuvre.

Pour les secteurs déjà impactés par les intrusions salines, des mesures de gestion doivent être mises en oeuvre. Elles peuvent porter sur l’optimisation des prélèvements et le cas échéant sur une recharge artificielle pour maintenir une barrière hydraulique empêchant la progression de l’intrusion saline.

L’utilisation d’un modèle numérique pour simuler des scénarios de gestion active couplée à un réseau de piézomètres avec seuils d’alerte de la salinité à différentes profondeurs d’un aquifère constitue un bon outil de gestion et d’aide à la décision.

Pour aller plus loin, la Région, en partenariat avec le BRGM a lancé début 2017 une étude de cartographie régionale des zones d’intrusion saline potentielle.

Photo 5. Digue gonflable amovible en période de crues sur le Gapeau. Elle maintient la nappe en charge et empêche la remontée du biseau salé ©BRGM - J. Casanova
Rechercher
Newsletter