9.La gestion de l’eau face au changement climatique : un pas vers l’adaptation

Après avoir fait un tour d’horizon des connaissances concernant l’influence du changement climatique sur les ressources en eau et ses conséquences probables sur les milieux et les usages, ce chapitre met en lumière, succinctement, quelques pistes d’adaptations (non exhaustives) issues de nouveaux concepts et de projets de recherche en cours. En région Provence-Alpes-Côte d’Azur, la notion d’adaptation au changement climatique est déjà intégrée dans les politiques régionales liées à la ressource en eau (notamment dans le cadre de l’AGORA, Cf. Zoom 3), avec la mise en place, entre autre, du Plan Régional d’Adaptation au Changement Climatique. Nous n’en parlerons pas dans ce cahier mais en revanche nous ne manquerons pas de relayer, sur le site web du GREC-PACA, les initiatives concrètes issues de ces politiques et mises en oeuvre sur le territoire.

9.47. Caractérisation des bénéfices économiques liés à la préservation des eaux souterraines

Pour anticiper le changement climatique, il est nécessaire de préserver des ressources en eau qui pourront s’avérer stratégiques à l’avenir car elles permettront à la société de disposer d’alternatives pour l’alimentation en eau potable (AEP) lorsque les ressources actuelles se réduiront. C’est notamment le cas des zones de sauvegarde pour l’alimentation en eau potable future, qui regroupent les territoires recelant des ressources de bonne qualité dont l’usage pour l’alimentation en eau potable est faible ou inexistant, et dont la préservation consiste à maintenir en l’état une occupation du sol ou des activités qui soient compatibles avec le bon état des eaux souterraines. Il est cependant difficile de mobiliser les élus, équipes techniques et collectivités autour des enjeux liés à la préservation de ces ressources, notamment lorsque cela s’oppose à des projets d’aménagement concurrents. C’est dans ce contexte que le BRGM et l’Agence de l’Eau Rhône-Méditerranée Corse ont mené le projet de recherche CARAC’O qui visait à développer un argumentaire économique mettant en avant l’intérêt de préserver les territoires sur lesquels sont localisées les ressources en eaux souterraines de bonne qualité.

Une série d’entretiens menés en 2013 auprès d’acteurs impliqués dans la préservation des eaux souterraines a permis d’identifier les leviers favorisant la mise en oeuvre d’actions de préservation. Il est ainsi apparu nécessaire de démontrer que ces actions génèrent toute une diversité de bénéfices économiques pour les territoires. Ces bénéfices de la préservation ne portent pas uniquement sur les futurs usages potentiels de la ressource, ils s’étendent à l’ensemble des services délivrés par les écosystèmes présents sur la zone à préserver, et sont compatibles avec un bon état de la ressource en eau souterraine.

Une étude de cas a été développée en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, sur la zone de sauvegarde des contreforts Nord de la Sainte-Baume. Cette zone de sauvegarde, peu exploitée actuellement pour l’eau potable, s’étend sur environ 7 400 ha constitués essentiellement de forêts et milieux semi-naturels. Elle recèle environ 4 millions de m3 d’eau souterraine de bonne qualité et constitue une ressource stratégique pour les zones de forte consommation du littoral varois. La démarche proposée a consisté à identifier puis évaluer les services écosystémiques associés à la préservation des écosystèmes présents sur ce territoire.

Neuf services écosystémiques ont été identifiés par les acteurs locaux. Ils correspondent à trois grandes familles :

  • les services d’approvisionnement qui conduisent à des biens « appropriables » (aliments, matériaux, etc.) ;
  • les services de régulation qui correspondent à la capacité des écosystèmes à moduler dans un sens favorable à l’homme des phénomènes comme le climat ou le cycle de l’eau ;
  • et les services culturels, c’est-à-dire l’utilisation des écosystèmes à des fins récréatives, esthétiques et spirituelles, ou éducatives.
Figure 24. Valeur économique des bénéfices associés aux services écosystémiques liés à la préservation de la zone de sauvegarde des contreforts Nord de la Sainte-Baume

Les bénéfices associés à la préservation de l’ensemble de ces services écosystémiques sont estimés entre 2,9 et 5,4 millions d’€/an, soit entre 390 et 730 €/ha/an pour la zone de sauvegarde de la Sainte-Baume, selon les méthodes d’évaluation économique et les hypothèses utilisées (Figure 24). Les plus gros contributeurs sont les services culturels et récréatifs qui représentent en moyenne environ 69 % de la valeur économique des services écosystémiques fournis par la zone, suivis des services de régulation (23 %) dont le seul service de fixation et de stockage du carbone par les forêts contribue à hauteur de 16 %, puis des services d’approvisionnement (8 %). Il convient de noter qu’un argumentaire basé sur les seuls bénéfices associés à la préservation des ressources en eau pour l’alimentation en eau potable aurait amené à estimer les bénéfices de la préservation à hauteur de 130 à 410 k€/an, soit seulement 7 % des bénéfices totaux mis en évidence par une démarche globale basée sur les services écosystémiques à l’échelle d’un territoire.

En conclusion, alors que la préservation des eaux souterraines non utilisées actuellement pour la production d’eau potable peut être difficile à justifier auprès des acteurs économiques, puisqu’elle implique des coûts immédiats pour des bénéfices futurs souvent incertains, ces résultats illustrent que le maintien d’écosystèmes compatibles avec une bonne qualité de l’eau permet de délivrer, dès aujourd’hui, des bénéfices non négligeables à l’échelle d’un territoire, pour toute une diversité de bénéficiaires.

ZOOM 5. L’effet de la gestion forestière sur la préservation de la ressource en eau

Dans les climats arides ou semi-arides, le développement de forêts denses, par plantation ou par un contrôle renforcé des feux par l’homme, peut conduire à une diminution des ressources locales en eau : la forte demande en eau des arbres contribue à une baisse accentuée des nappes phréatiques en saison sèche, et à des étiages ou assèchements prolongés pour les rivières. Même si la forêt dense contribue à limiter le ruissellement et accroît l’infiltration de l’eau dans le sol, elle n’est pas plus performante sur ces points qu’une végétation de type forêt claire, savane arborée ou garrigue dense.

L’effet de la densité forestière sur la ressource en eau pourrait donc émerger localement comme un enjeu d’importance dans certains bassins versants méditerranéens. D’autant que dans un contexte de forêt plus sensible au feu et à la sécheresse, le contrôle de la compétition entre arbres et de la quantité de biomasse combustible peut constituer un élément clé de la gestion adaptative. Certains pays ont déjà lancé pour cela des campagnes de retour à des végétations arbustives naturelles en éliminant progressivement des reboisements denses réalisés dans le passé.

9.94. Les ressources non conventionnelles peuvent-elles constituer une piste d’adaptation ?

Toutes les activités humaines sont liées à un usage de l’eau qu’elles soient agricoles, industrielles, énergétiques ou domestiques. Les développements économiques et démographiques entrainent de fait une croissance continue des besoins en eaux (croissance particulièrement marquée dans les pays émergents). De plus, quelque soit l’endroit où l’on se trouve, les ressources conventionnelles (lacs, rivières, nappes phréatiques) sont limitées, d’un point de vue quantitatif, à des niveaux extrêmement différents et ce même dans une région de la taille de la région PACA. Il est important donc, à différentes échelles et selon les endroits, de pouvoir mettre en place des stratégies de gestion optimisées des ressources en eau. L’utilisation de ressources non conventionnelles et de cycles courts d’utilisation de l’eau, telle que décrite sur la figure 25, permettrait de limiter ou réduire la pression sur les ressources conventionnelles. Sont appelées ressources non conventionnelles les eaux pluviales, les eaux provenant du dessalement d’eaux de mer ou saumâtres et la réutilisation d’eaux usées traitées. Elles présentent chacune des avantages et des inconvénients quant à leur gestion et leurs usages.

Figure 25. Représentation simplifiée d’un cycle court d’usages de l’eau (source : N. Roche)

Avec les technologies actuelles de traitement et de gestion des eaux, il est possible de mettre en place un tel cycle où les prélèvements directs de ressources conventionnelles ne représenteraient que 10 à 20 % de la somme de tous les besoins. Néanmoins, de tels cycles sont des solutions spécifiques à chaque endroit et à chaque territoire étudié. Cela nécessite donc de faire à l’échelle d’un territoire donné :

  • un état des lieux spatio-temporel précis des besoins en eaux, aussi bien en termes de qualité qu’en termes de quantité, afin de classer les différents usages,
  • un état des lieux spatio-temporel précis des ressources, en termes de qualité et de quantité, mais aussi de fragilité ou robustesse du milieu et des aménagements existants,
  • une prospective et une projection réalistes de l’évolution des différents besoins dans le temps.

Les quantités d’eaux présentes dans les mers et les océans peuvent laisser à penser que leur ressource est inépuisable et qu’il suffit de dessaler les quantités nécessaires pour répondre à nos besoins. Néanmoins, même si les procédés de dessalement, par osmose inverse notamment, ont beaucoup évolué ces dernières années, il ne faut pas négliger les risques environnementaux qu’ils représentent en termes de consommation énergétique, de rejets salés et de rejets de produits chimiques. De ce fait cette ressource ne peut être envisagée, d’un point de vue durable, que comme une ressource d’appoint de moins de 10 % des besoins.

Le stockage des eaux pluviales présente de réels intérêts quant à la répartition temporelle et saisonnière de la ressource et ce, sur différentes échelles. À une grande échelle, avec la mise en place de grands réservoirs de stockage associés à des canaux de distribution, comme cela a déjà été réalisé avec succès dans la région, en permettant notamment d’éviter le manque d’eau en Provence. Cette solution présente néanmoins des inconvénients liés notamment à l’impact de la mise en place de telles infrastructures sur les écosystèmes et sur le fait que les territoires situés en amont des réservoirs ne bénéficient pas ou peu de cette ressource. Il est aussi tout à fait pertinent de réaliser une gestion temporelle des eaux pluviales à des plus petites échelles (villes, quartiers, villages, maisons individuelles) avec néanmoins la limitation importante de ne récupérer, pour des questions de qualité, que des eaux de toitures. C’est un mode de gestion ancestral de la région qui a été peu à peu abandonné et qu’il conviendrait de réhabiliter dans tous les cas de constructions neuves (limitation des coûts d’investissement) afin de contribuer à des apports saisonniers, sans traitement, sur des usages locaux tels que l’arrosage des jardins et des espaces verts et le nettoyage des voiries.

La réutilisation des eaux usées traitées est une pratique qui est déjà étudiée et appliquée depuis plusieurs décennies en agriculture et avec succès dans de nombreux pays. Il ne faut pas limiter néanmoins son usage à l’irrigation car selon le niveau de traitement atteint et les besoins spécifiques d’un territoire, cette ressource peut être valorisée pour de nombreux usages avec, cependant, de vraies contraintes quant à leur qualité. Enfin, il ne faut pas sous-estimer la problématique de l’acceptabilité sociétale de la réutilisation de ces eaux et des efforts de communication seront nécessaires pour dissiper les craintes. La réutilisation des eaux usées traitées permettrait aussi de participer, au même titre que les eaux pluviales, à la recharge des aquifères côtiers très touchés par les prélèvements croissants et une imperméabilisation des sols provoquée par une urbanisation galopante qui provoque par endroit des remontées importantes du biseau salé. À une échelle plus petite, maison ou immeuble, le traitement et la réutilisation des eaux grises a déjà montré, par exemple au Japon, des potentialités très intéressantes permettant de réduire de 50 % le prélèvement d’eau pour un usage domestique.

Dans le cadre d’une gestion durable du cycle de l’eau, il convient donc de considérer, au même titre, toutes les ressources conventionnelles et non conventionnelles avec pour chacune, des spécificités, des qualités, des quantités à considérer. De ce point de vue, il faut aussi que le cadre législatif français sur la réutilisation des eaux usées traitées évolue rapidement de façon à permettre de sortir du cadre dérogatoire restrictif de son usage qui n’encourage pas la mise en place de projets d’envergure à l’instar de ce qui est fait dans de nombreux pays, notamment en Europe (Espagne, Italie, Portugal).

Enfin, il est important de considérer le lien entre tous ces cycles anthropiques de l’eau et l’énergie pour faire en sorte que les solutions choisies soient les plus neutres possible en énergie. Il convient également aussi d’optimiser le potentiel énergétique de ces eaux ; il est, en effet, tout à fait possible de produire de l’énergie à partir notamment de la chaleur des eaux usées.

9.140. L’eau virtuelle, un moyen d’évaluer l’impact des activités humaines sur la ressource en eau

La notion d’eau virtuelle est un nouveau concept qui établit un lien entre la production agricole et industrielle et l’utilisation des ressources en eau, directe et indirecte. Découlant directement de cette notion, la définition de l’empreinte eau permet de comptabiliser l’utilisation de la ressource en eau, directe et indirecte, associée aux activités humaines, de l’échelle individuelle à l’échelle globale. C’est une notion très concrète, qui offre un cadre rigoureux d’évaluation de l’impact des activités humaines sur la ressource en eau.

Ainsi, par exemple, on montre qu’il faut en moyenne 8000 litres d’eau pour fabriquer un jean. Ce chiffre comptabilise la consommation d’eau totale, incluant la production du coton, son transport sur le site de production et le processus industriel de fabrication. Dans le domaine agroalimentaire, l’empreinte eau la plus élevée est celle de la viande de boeuf, avec une moyenne de 3000 litres nécessaires pour produire un steak de 200 g. Néanmoins, il est évident que les impacts environnementaux de l’utilisation de la ressource en eau sont très dépendants de modes de production, qui vont de l’agriculture locale basée sur des cultures pluviales, à la production industrielle qui repose sur une agriculture intensive et irriguée. Pour permettre une analyse de ces impacts environnementaux potentiels, plusieurs catégories d’eau virtuelle sont définies. L’eau verte comptabilise l’eau de pluie consommée localement par la production agricole, et l’eau bleue celle qui est prélevée dans l’environnement (eau de surface ou souterraine) pour être acheminée sur le lieu de production. Une troisième catégorie, l’eau grise, vise à estimer l’impact des activités humaines en termes de pollution. Elle est définie comme la quantité d’eau nécessaire pour diluer une pollution jusqu’à revenir à des concentrations acceptables. Cette dernière, qui repose sur la caractérisation d’une pollution, est moins facile à utiliser.

À l’échelle globale, l’empreinte eau a été estimée à 9 087 109 m3/an (1996-2005), dont 92 % sont liés au secteur agricole. Cela représente une moyenne d’environ 1400 m3/habitant/an, avec évidemment de grandes disparités en fonction des régions du globe. Est-ce que l’empreinte eau est plus importante dans les régions où la ressource est la plus abondante ? Pas forcément malheureusement, et il arrive même que les choix économiques de certains pays les conduisent à exporter de l’eau virtuelle alors même que les productions concernées reposent sur une ressource insuffisante, ce qui conduit à l’appauvrissement progressif des aquifères. Encore insuffisamment utilisée, la notion d’empreinte eau est un outil particulièrement intéressant pour contribuer à évaluer la durabilité environnementale et économique des activités humaines.

Pour en savoir plus et calculer votre empreinte eau : http://waterfootprint.org/

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