Traiter de l’eau en Provence, c’est inexorablement se confronter à des paradoxes : eau cachée des sources ou cascade débordante quand elle s’abat en orages, eau discrète et frêle des fontaines ou majestueuse et tonitruante dans ses torrents, ou encore région au paysage sec mais qui ne manque pas d’eau.

Si cette région ne manque pas d’eau, c’est bien parce qu’elle a souffert historiquement de la sécheresse. Des glaciers des Alpes aux villes des franges côtières l’eau circule, non pas dans un continuum naturel mais grâce à de nombreux aménagements, dont certains peuvent être datés de l’époque romaine. Dériver l’eau, la conduire là où elle faisait défaut, a été l’oeuvre des différentes sociétés locales qui nous ont précédées. Les procédés utilisés ont été aussi ingénieux que nécessaires, captage de sources, creusement de puits, de galeries souterraines, construction de restanques, et surtout édification de canaux utilisés d’abord pour les moulins puis pour l’agriculture et l’énergie électrique.

Les derniers grands aménagements hydrauliques de la Durance et du Verdon dans les années 1960-70 (barrages de Serre-Ponçon et de Sainte Croix ; canal usinier EDF et canal de Provence), ont sécurisé l’accès à la ressource pour une grande partie de la région. C’est donc grâce à un long et laborieux affranchissement des conditions naturelles du territoire par les sociétés locales que l’on peut aujourd’hui se féliciter d’une disponibilité largement suffisante de la ressource en eau pour les différents usages régionaux.

Ces aménagements ont fortement réduit les inégalités territoriales d’accès à la ressource en eau et ont permis, grâce aux stockages, de s’affranchir d’une partie des contraintes saisonnières. Certaines années, les tensions restent toutefois perceptibles durant la période estivale la plus consommatrice en eau.

Pour certains territoires de la région hors des périmètres desservis par ces transferts, en particulier sur le littoral, les ressources souterraines jouent un rôle essentiel dans l’approvisionnement en eau potable des usagers.

Nappes alluviales des rivières ou aquifères karstiques sont des ressources diversement sollicitées sur la région, certaines pouvant déjà être en limite d’exploitation, d’autres l’étant faiblement du fait de la méconnaissance de leur potentiel. Certains aquifères constituent ainsi de potentiels gisements, importants pour la diversification et la sécurisation des territoires. Cependant, le fait que la majorité des aquifères productifs karstiques se situe sur le littoral et les bassins vauclusiens, territoires les plus peuplés, les rend d’autant plus vulnérables aux pressions et aux pollutions. Les risques liés à la remontée du biseau salé dans certains aquifères littoraux ont déjà pu conduire à privilégier des aménagements de transfert d’eaux superficielles coûteux pour soulager ces ressources locales.

L’ensemble des aménagements hydrauliques, principalement à partir de l’axe Durance-Verdon, a permis un transfert d’eau de l’arrière-pays, historiquement rural, vers des espaces littoraux fortement urbanisés, ce qui pose la question des capacités d’approvisionnement pour les usages domestiques, le développement économique et industriel et le maintien des activités touristiques et agricoles dans les territoires situés en amont.

Depuis la loi sur l’eau de 1992, un nouvel « usager » est apparu : le milieu. En effet, cette loi dans son préambule, précise : « la répartition de la ressource doit être équilibrée entre les usagers et le respect du fonctionnement des milieux aquatiques ». Cette déclaration concrétise le passage de la gestion de l’eau à la gestion des milieux. En région PACA plus qu’ailleurs, la détermination des débits biologiques a fait l’objet de discussions longues et âpres, où souvent le besoin du milieu apparait comme un frein au développement économique. Dans certains cas, les compromis trouvés sont difficilement acceptés par toutes les parties, et de ce fait sont souvent fragiles et susceptibles d’être remis en cause lors de sécheresses exceptionnelles. Les changements climatiques qui s’annoncent, seront potentiellement source de nouvelles tensions sur la répartition de la ressource.

Comment penser aujourd’hui le partage de la ressource au regard de ces nouveaux enjeux économiques et écologiques ? La culture provençale du partage n’est jamais allée de soi et les conflits qui jalonnent son histoire sont là pour rappeler que la gestion de la ressource ne peut se faire que de manière collective avec compromis sur les besoins de chaque usage. L’affranchissement progressif de conditions climatiques rudes (sécheresse et pluviométrie violente) soulève aujourd’hui un nouveau problème, celui de l’amnésie. Puisque je ne manque pas d’eau pourquoi me soucierais-je de son partage ou de risques potentiels de pénurie ? L’eau arrive jusqu’à mon robinet, alors pourquoi me questionnerais-je sur l’impact des transferts sur les milieux ? Et puis, l’eau consommée est finalement infime puisque je rejette celle-ci dans le milieu après usage. Voici le type de raisonnement que beaucoup d’entre nous partagent et qui nécessite, sans doute plus que par les siècles passés, de questionner la qualité et l’impact des différents usages sur les milieux naturels.

De même, si les transferts d’eau ont permis jusqu’à présent de pallier les inégalités de disponibilité locale, n’y-a-t-il pas aussi des limites à leur développement ? Le Rhône n’est pas loin, les solutions techniques de dessalement et de réutilisation des eaux usées traitées sont des réponses locales possibles, mais faut-il sans cesse raisonner en termes de ressource mobilisable en fonction des besoins, ou bien repenser les besoins en fonction de la ressource disponible ? Comment raisonner sur le long terme, en tenant compte à la fois de l’histoire culturelle spécifique à notre territoire régional, des transformations économiques et démographiques potentielles mais aussi du contexte climatique à venir ? C’est à cet ensemble de questions que ce cahier tente de répondre.

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