6.Les écosystèmes aquatiques sont-ils menacés par le changement climatique ?

Les écosystèmes aquatiques continentaux de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur englobent différents types d’étendues d’eau existant à l’état naturel (rivières, fleuves, lacs, marécages, etc.) mais aussi créées par l’homme (retenues, rizières, canaux d’irrigation, etc). Ces écosystèmes abritent de très nombreuses espèces aquatiques, ou inféodées à ces milieux, aussi bien animales que végétales qui jouent un rôle primordial dans leur fonctionnement.

Dans ces écosystèmes aquatiques continentaux, les cycles de production sont étroitement liés aux variations saisonnières de la température et des précipitations et, dans notre région, plus particulièrement aux périodes d’étiage estival. Ces écosystèmes vivent au rythme des perturbations qui les façonnent et sont nécessaires à leur évolution. Mais lorsque les perturbations sont trop importantes, l’écosystème peut perdre son aptitude à retrouver un état d’équilibre, on dit alors qu’il perd sa capacité de résilience. Ces écosystèmes, fragiles pour la plupart, sont déjà soumis à une forte pression anthropique (artificialisation, prélèvements, pollution etc.) et devraient dans les années qui viennent être soumis à des conditions estivales de plus en plus sévères. Dans quelle mesure ces milieux et les espèces s’y trouvant, au moins pour une partie de leur cycle de vie, sont-ils menacés par le changement climatique ? Ces écosystèmes seront-ils susceptibles d’atteindre des seuils d’irréversibilités liés à la combinaison changement climatique/perturbation anthropique ? Répondre à des questions aussi complexes en quelques lignes impose des choix arbitraires focalisant la réflexion sur des éléments essentiels. Une première partie dessine les causes de la vulnérabilité de ces écosystèmes, une deuxième aborde la phase critique de l’étiage estival et une troisième aborde les questions relatives aux zones humides de Camargue.

6.50. Changement climatique, pression anthropique et manque de connaissances scientifiques participent à la vulnérabilité des écosystèmes aquatiques

Les écosystèmes aquatiques sont vulnérables face aux changements climatiques

Les changements climatiques induisent deux répercussions principales sur les écosystèmes aquatiques via l’échauffement de l’air et la modification de la pluviométrie :

  • une augmentation de la température de l’eau, entrainant une augmentation globale du métabolisme de la matière organique, y compris sa dégradation, conduit à une eutrophisation du milieu (raréfaction de l’oxygène disponible pour la respiration des organismes aquatiques) ainsi qu’une évaporation accrue ;
  • une dynamique de la pluviométrie plus contrastée, avec (i) de longues périodes sans pluie conduisant à augmenter significativement les linéaires asséchés ou diminuant la quantité d’eau et l’écoulement au niveau des cours d’eau en générant une moindre solubilité de l’oxygène dissous, et (ii) des périodes de pluies perçues comme intenses pouvant provoquer des crues rapides et dévastatrices, dont les caractéristiques restent sous-étudiées.

Les organismes aquatiques n’ont pas tous la même capacité de réaction, immédiate ou évolutive, pour faire face à ces répercussions et il est raisonnable de supposer que des populations entières pourront être décimées en l’espace de quelques heures, quelques jours ou quelques mois. Les perturbations de la température et de la pluviométrie n’auront pas les mêmes conséquences sur les espèces, selon leurs capacités de refuge, de tolérance ou de fuite. Alors qu’un oiseau inféodé au milieu aquatique (le martin pêcheur par exemple) pourra passer d’une rivière à une autre sous l’effet d’un stress thermique ou d’une crue, tant qu’un autre cours d’eau est disponible, une plante ne le pourra qu’à la faveur d’une dispersion de graines, et donc, sur un temps plus long.

L’effet indissociable de la pression anthropique

La grande diversité des écosystèmes aquatiques continentaux de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, des petits fleuves côtiers jusqu’aux lacs de haute altitude, impose une étude au cas par cas des effets potentiels des changements climatiques. La vulnérabilité de ces écosystèmes au changement climatique est d’autant plus grande que ces écosystèmes sont déjà soumis à une forte pression anthropique, avec notamment la canalisation des cours d’eaux au détriment des fonctionnalités du milieu, et donc de la biodiversité aquatique. En effet, l’utilisation du béton pour canaliser les cours d’eau lors des pluies torrentielles destructrices empêche la vie de se fixer (biofilm, micro- et macro-invertébrés, etc.). Toute la chaîne trophique est ainsi inhibée, des macro-invertébrés jusqu’aux poissons. L’artificialisation des cours d’eau n’est pas le seul résultat de la pression humaine, prélèvements (irrigation, eau potable) et rejets participent aussi à la forte pression exercée sur les cours d’eau. Moins soumis à la pression anthropique, les lacs de haute altitude constituent également des écosystèmes sensibles, vulnérables, qui sont utilisés comme des sentinelles des changements environnementaux.

Les variations environnementales sont certes le moteur de l’évolution biologique et conduisent les organismes à s’adapter en permanence à ces variations. Mais aujourd’hui, la particularité est que le rythme et l’amplitude des variations imposées par l’homme sur la nature sont bien plus marqués que ce à quoi étaient habituellement soumises les espèces. Certaines auront la capacité de suivre, d’autres moins.

L’évaluation de ces effets passe par une démarche scientifique

Photo 6. Ephémère adulte

La mise en évidence d’effets de différentes contraintes sur l’environnement doit s’appuyer sur des faits et des résultats d’échantillonnages et d’expériences objectifs. Ainsi la démonstration du rôle du changement climatique dans les variations de la biodiversité des milieux aquatiques doit reposer sur une démarche scientifique rigoureuse et validée par des experts. Il faut que les études soient fondées sur une question clairement définie et qu’elles s’attachent à établir un protocole comparatif diachronique et synchronique, multipliant les unités d’échantillonnage afin d’éviter les biais locaux et afin de coller aux temporalités des cycles biologiques des espèces. Il s’agit également de s’inscrire dans une démarche au long cours la plus exhaustive possible et intégrant la fonctionnalité des écosystèmes, mais aussi indépendante de besoins immédiats (voir les initiatives type ATBI16 du Parc national du Mercantour).

S’ajoute à cela la nécessité évidente de pouvoir croiser les données issues de différentes études. La création et l’animation pérenne de bases de données compilant les résultats d’études mandatées par des organismes publics et privés constitueraient une base opérationnelle indispensable pour fournir des réponses claires sur les effets du réchauffement climatique à l’échelle régionale, mais aussi sur d’autres pressions à d’autres échelles. Des données biologiques sur les milieux aquatiques de la région existent aujourd’hui, mais elles sont malheureusement trop fragmentaires, ce qui affaiblit la capacité d’analyse.

La mise en évidence de l’effet de quelque contrainte que ce soit sur un milieu passe par une comparaison avec ce milieu, ou un autre similaire, exempt de cette contrainte. L’établissement d’un état dit « de référence » est donc indispensable mais néanmoins complexe, car il devrait mobiliser les compartiments taxonomiques et fonctionnels des milieux dans leur globalité. Cet état de référence n’étant qu’un instantané à une échelle écologique, il conviendra ensuite de l’inscrire dans une dynamique temporelle donnant accès à une trajectoire de référence. Il devient ainsi possible de disposer d’outils plus réalistes d’analyses des états écologiques passés, sans qu’ils soient pour autant mobilisables à des fins prédictives vue l’étendue des changements globaux actuels et futurs. Il faut donc se donner les moyens d’acquérir des données sans autre justification que l’établissement d’un état de référence du milieu, démarche pas encore assez soutenue par les pouvoirs publics.

Photo 7. Larve de Perlidae (plécoptère)

La biodiversité aquatique, qu’elle soit quantitative ou fonctionnelle, est nécessaire en soi et ne doit en aucun cas être justifiée par des besoins anthropiques. Envisager une menace, un risque, un impact ou un effet sur la biodiversité aquatique uniquement s’il existe un lien direct avec les usages que l’homme pourrait en faire n’est pas suffisant.

Lorsque des espèces règlementées n’ont pas été inventoriées dans certains milieux, cela ne veut pas dire qu’elles en sont absentes - l’effort de prospection n’a peut-être pas été suffisant. De plus, si éventuellement elles en étaient absentes, ce milieu pourrait tout de même leur être favorable et elles pourraient potentiellement le coloniser si on leur laissait leur chance. Ainsi, il est nécessaire, quelques soient les résultats d’inventaires, de limiter, voire de proscrire, toute dégradation de ces écosystèmes aquatiques.

La biodiversité se retrouve trop souvent « à la remorque des usages » des milieux aquatiques et peine à être suffisamment prise en compte. Il en faudrait pourtant peu pour que les ruisseaux, rivières, étangs ou lacs voient leurs connaissances améliorées afin qu’ils soient mieux préservés face aux changements climatiques. Seule une prise de conscience politique soutenue par la société pourra y conduire.

6.97. L’étiage estival : une phase critique des milieux aquatiques face au changement climatique

Les extrêmes climatiques, sécheresse et crue, marquent profondément le fonctionnement des cours d’eaux. Le déficit pluviométrique en été se traduit par une période de basses-eaux, l’étiage estival. C’est lui qui détermine le point bas du développement des peuplements d’un cours d’eau. L’incertitude, voire les contradictions des prévisions d’évolution de la pluviométrie en PACA avec les changements climatiques, rendent extrêmement difficile l’évaluation de l’impact de ces changements sur les milieux aquatiques. La seule certitude qui semble faire l’unanimité des prévisions est que la sécheresse estivale va être plus sévère en intensité et en durée. Avec une autre certitude d’évolution climatique qui est une température plus élevée en été sur toute la région, nous avons deux phénomènes (sécheresse et forte chaleur) qui vont impacter fortement les milieux aquatiques de notre région.

La réduction de débit entraîne des modifications majeures dans le fonctionnement des cours d’eau. Il est évident que le plus impactant est lorsque la réduction de débit entraîne l’assec des cours d’eau. Si les espèces ne sont pas adaptées à ces conditions, et si elles n’ont pas la possibilité d’émigrer vers une zone refuge, on assiste à la disparition du peuplement aquatique.

Photo 8. Le secteur de Montaux sur le haut Argens le 14 janvier 2008

Les possibilités de recolonisation, lors du retour de l’eau, dépendront des réservoirs biologiques et des conditions de circulation pour les espèces (continuité biologique).

On rappellera que les cours d’eau sont confinés à l’intérieur de bassins versants isolés les uns des autres et, à part les oiseaux qui ont la possibilité de se déplacer d’un bassin à l’autre pour recoloniser les milieux lors du retour de l’eau, il faudra trouver à l’intérieur même de ces bassins versants les réservoirs biologiques permettant la reconstruction partielle ou totale de l’ensemble des êtres vivants de l’écosystème. A cette intensité de l’assec s’ajoute, comme facteur aggravant, sa durée. L’année 2007, à cet effet, a été fort instructive. Faisant suite à 4 années déficitaires, un secteur de 7 km a séché du 13 août au 14 janvier 2008 (Photo 8) sur la haute partie du fleuve côtier Argens. Si cette portion de l’Argens avait déjà connu des assecs sur cette zone (1991, 2005), jamais la durée n’avait été aussi longue, les pluies d’automne permettant habituellement le retour de l’écoulement vers la fin septembre au plus tard. Cette durée exceptionnelle sans eau aura causé la disparition du plécoptère Leuctra occitana (Despax 1930) (perles, photo 7), dont la présence était connue, dans le sud de la France, uniquement dans ce secteur du haut Argens.

Le deuxième impact majeur est le résultat de la réduction du débit sur le courant. Moins de débit, c’est des eaux moins rapides donc :

  • moins de brassage avec, comme effet, une oxygénation des eaux qui diminue. Si la teneur en oxygène diminue, les espèces les plus exigeantes pourraient ne pas trouver des conditions leur permettant de vivre. Si la baisse de la teneur en oxygène n’est pas assez forte pour provoquer leur mortalité, elle peut provoquer un affaiblissement des individus, les rendant plus vulnérables à des maladies et/ou à des pollutions ;
  • une capacité de transport qui diminue au profit des dépôts. En particulier pour les rejets de matières organiques, cela a comme conséquence une augmentation de la sédimentation au détriment d’une répartition sur une plus longue distance. Cette accumulation se traduira par une consommation de l’oxygène pour la dégradation de cette matière organique, consommation qui, selon son importance, pourra aller jusqu’à créer des conditions anoxiques ;
  • une dilution des polluants qui se réduit et, par conséquent, une toxicité sur les organismes vivants qui augmente ;
  • des risques importants d’eutrophisation du milieu (Photo 9).
Photo 9. Eutrophisation de la rivière Eau salée lors de la sécheresse de 2007. ©MRE - Georges Olivari

Si l‘abaissement du débit ne conduit pas à l’assec du cours d’eau, une plus faible quantité d’eau se traduit par une capacité d’habitat réduite et une diminution de la hauteur d’eau pouvant limiter et/ou empêcher la circulation des espèces. Mais l’impact majeur se trouve dans l’augmentation de la température, en été, lorsque le débit devient plus faible. La température de l’eau est un facteur majeur dans le fonctionnement des milieux aquatiques. La grande majorité des animaux aquatiques sont des poïkilothermes , animaux « à sang froid », dont les caractéristiques sont les suivantes :

  • leur vie est bornée par une température inférieure et une température supérieure. Si la température baisse en deçà de la borne inférieure ou s’élève au-dessus de la borne supérieure, l’espèce disparaît ;
  • depuis la borne inférieure de vie de l’espèce, la croissance augmente avec la température jusqu’à une valeur maximale que l’on appelle optimum thermique, avant de diminuer à l’approche de la borne supérieure ;
  • les conditions de la reproduction de chaque espèce dépendent de la température. Ces conditions sont, dans la grande majorité des cas, strictes et présentent peu de possibilités d’évolution. Il en est de même pour des stades très fragiles comme l’embryogénèse, les jeunes stades etc. ;
  • la sensibilité des espèces aux maladies est dépendante de la température, la plupart du temps elle augmente avec l’élévation de la température.

Enfin, plus une eau est chaude, moins elle contient d’oxygène. Si l’on synthétise tout cela, l’augmentation de la température de l’eau va favoriser les espèces les moins exigeantes en oxygène, celles préférant les eaux chaudes. Les peuplements d’eaux froides verront leur aire de répartition se réduire et pour certains risquent de disparaître. L’adaptation à ces changements peut se révéler brutale pour les espèces à spectre de température étroit et qui présentent peu de capacité d’acclimatation. En revanche, les effets peuvent être favorables si cette augmentation reste dans les limites de vie de l’espèce, en favorisant la croissance des individus et en limitant certaines maladies.

Les conséquences des changements climatiques sur les conditions d’étiage estival des milieux aquatiques apparaissent donc comme très impactantes. Les très fortes chaleurs estivales ne vont qu’accroître le retentissement de la réduction des débits sur la température de l’eau. Les effets sont d’autant plus importants que les différents facteurs agissent en synergie. Par exemple, la réduction du débit agit doublement sur la réduction de la teneur en oxygène (moins de brassage, réchauffement de l’eau), mais en même temps accroît les besoins physiologiques des animaux et donc leur besoin en oxygène.

À l’exception des cours d’eau alpins alimentés par les glaciers, les cours d’eau de PACA et les biocénoses qui les composent, semblent naturellement très sensibles aux changements climatiques à l’étiage. Cela d’autant plus que les sécheresses sévères et les canicules seront de plus en plus fréquentes, la succession de ces phénomènes ayant plus d’impacts que les phénomènes eux-mêmes. À cela s’ajoutent les effets souvent dévastateurs des remises en eau brutales avec les crues automnales. La quantité d’eau nécessaire au fonctionnement minimum du milieu apparait comme une part importante de la ressource en été. Cette part sera d’autant plus facile à obtenir qu’on aura maîtrisé à la fois les principaux prélèvements (pour l’agriculture et les besoins domestiques) et les rejets polluants. Mais il faudra aussi assurer le maintien d’un certain nombre de fonctionnalités du milieu, comme la variabilité des conditions de milieu, la connectivité écologique. Dans les zones fortement urbanisées, les aménagements des berges et du lit pour la protection contre les inondations ont provoqué une perte de l’hétérogénéité des milieux. Si la restauration morphologique, en cours sur les cours d’eau de la région, fait partie des objectifs qui permet une meilleure résistance des hydrosystèmes face aux changements climatiques, cette reconquête est pour le moins difficile, voire impossible sur les masses d’eau dites « fortement modifiées ». Une gestion optimale des conditions écologiques du lit d’étiage dans ces zones aménagées devient alors une priorité. C’est cette volonté de réduire l’impact des changements climatiques qui est engagée dans le programme de l’Agence de l’eau Rhône- Méditerranée « Sauvons l’eau ». En cela, il répond à l’obligation d’atteindre le bon état écologique des milieux aquatiques, objectif de la directive européenne cadre sur l’eau (DCE) traduite dans le droit français dès 2004.

On pourra donc utiliser la quantité d’eau que l’on laissera en été pour le fonctionnement des milieux naturels comme un des indicateurs de la bonne, moyenne ou mauvaise gestion de l’eau face aux changements climatiques.

6.143. Les zones humides et le changement climatique

La préservation des milieux aquatiques et zones humides de Camargue au bénéfice de la lutte contre la variabilité climatique et les extrêmes​

Dans le contexte du changement climatique, les zones humides littorales rendent de nombreux services aux sociétés (services écosystémiques). Ce sont des services d’approvisionnement, de régulation et d’atténuation des risques mais aussi des services culturels.

Les services rendus directement par les fonctions écologiques des zones humides littorales camarguaises sont diversifiés, mais la régulation de l’érosion et la réduction des risques naturels sont d’une grande importance. Les zones humides littorales sur les secteurs peu anthropisés permettent d’atténuer les effets de l’élévation du niveau de la mer en favorisant un stockage temporaire des eaux et en fournissant du sédiment contribuant à réduire la pression de l’érosion sur les secteurs voisins du littoral. Moins flagrant, mais également important, les zones humides littorales stockent du carbone organique, amortissant ainsi dans une certaine mesure l’augmentation du dioxyde de carbone présent dans l’atmosphère, et contribuent à la régulation du climat local avec des températures plus tamponnées dans les zones humides que dans les écosystèmes non-humides voisins. La capacité des zones humides littorales à stocker le carbone sous forme organique (le « carbone bleu ») a été jusqu’à présent sous-évaluée et des travaux de recherche sont en cours actuellement sur ce sujet. Les zones humides salées sont particulièrement intéressantes sous cet aspect puisqu’elles ne produisent pas ou peu de méthane, un très puissant gaz à effet de serre, contrairement aux zones humides d’eau douce. Ces lagunes contribuent également à une amélioration de la qualité de l’eau continentale arrivant en mer par une très forte utilisation des sels nutritifs par les organismes vivants. Grâce à ces nutriments, les lagunes côtières sont des écosystèmes très importants pour les populations de poissons marins dont les juvéniles viennent profiter de cette manne pour grossir rapidement. Ainsi, dans le Golfe de Beauduc, les populations de poissons amphihalins (qui passent alternativement des eaux marines aux eaux continentales, par exemple les daurades, loups) bénéficient de la forte production dans les lagunes. Plus généralement, les services indirectement liés aux fonctions écologiques sont surtout ceux liés à la production primaire (végétale) et secondaire (production animale) et à l’alimentation. Dans le delta, la chasse, la pêche pour la faune sauvage et le pâturage pour les herbivores domestiques sont dépendants de ces fonctions.

La gestion des marais : une contribution au changement climatique ?

La gestion de l’eau en Camargue est caractérisée par des quantités importantes d’eau importée du Rhône, une partie étant ensuite rejetée par pompage dans le Rhône ou par drainage dans la lagune centrale, le Vaccarès. Depuis le Plan Marshall et la relance de la riziculture, cette gestion s’est beaucoup développée, accompagnée par une augmentation des réseaux d’irrigation et de drainage. La disponibilité de l’eau (Rhône) et la valeur économique de la chasse justifient un usage intense de l’eau dans de nombreux marais de Camargue, notamment pour y attirer les canards. Les volumes utilisés et les conséquences sur l’écologie des milieux sont très importants. La gestion de l’eau peut être relativement diversifiée selon les propriétés et les marais concernés, mais une pratique commune est l’augmentation de la durée d’inondation, souvent permanente. Lorsqu’un assèchement est pratiqué, il est généralement à contre-saison (en fin d’hiver) pour une remise en eau printanière ou estivale avec un strict contrôle des profondeurs. Ainsi les superficies inondées en été sont plus importantes qu’en hiver. Cette gestion qui stimule la production de plantes, si elle permet l’accumulation de matières organiques dans les sédiments des zones humides, accélère la production de méthane contribuant ainsi à l’aggravation du changement climatique.

Cette gestion conduit également à une banalisation des écosystèmes et à la colonisation par des espèces exotiques envahissantes, notamment les jussies (Luwigia peploides et L. grandiflora). Un retour à l’assèchement estival des zones humides en Camargue contribuerait probablement à réduire la production de gaz à effet de serre et une restauration de la biodiversité camarguaise.

Photos 10-11. Inondation des marais littoraux salés en Camargue. ©Tour du Valat - Patrick grillas
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