Faire face aux défis futurs liés à l’eau et aux évolutions climatiques requiert des adaptations aussi bien techniques qu’institutionnelles. Selon l’OCDE, les solutions institutionnelles passent par la mise en place de « systèmes de gouvernance permettant l’élaboration et la mise en oeuvre de politiques publiques robustes, à l’échelle appropriée, sur la base d’une répartition claire des responsabilités entre les différents niveaux de gouvernement, la société civile, le secteur privé et un éventail de partie-prenantes ».
En Europe, l’action publique dans le domaine de l’eau est principalement guidée par des concepts et des méthodes découlant de l’application de la Directive Cadre Européenne sur l’Eau (DCE) adoptée en décembre 2000. La DCE promeut la gestion intégrée des ressources en eau à l’échelle du bassin versant. Sa traduction locale, en termes de processus, de décisions, de règles et d’actions opérationnelles, et donc de gouvernance, est facilitée, ou contrainte, par les conditions locales que connaissent les territoires de l’eau. Ceci est particulièrement avéré sur le pourtour méditerranéen, où les ressources en eau ont été façonnées de longue date par les interventions humaines. La gouvernance de ces territoires résulte d’une construction issue d’interactions entre différents niveaux de décisions et d’action (du local à l’international), qui permettent des adaptations et des évolutions.
À partir de l’étude de la Durance, ce chapitre retrace les évolutions passées de la gouvernance territoriale de l’eau et présente les solutions institutionnelles envisagées aujourd’hui par les acteurs locaux pour s’adapter aux enjeux de demain.
L’analyse est conduite à partir des rapports disponibles, complétés par des interviews auprès des principaux acteurs. Elle combine des éléments historiques et théoriques, propose une représentation multi-niveaux de la gouvernance actuelle. Elle s’attache plus précisément à identifier les enjeux du territoire de l’eau, les échelles de l’action publique et les articulations entre niveaux de gouvernance. Une attention particulière est portée aux arrangements institutionnels, aux modalités de gestion et aux usages.
Géographiquement et démographiquement, le territoire de l’eau associé au bassin de la Durance comprend deux grandes zones caractérisées par une forte variabilité de la ressource (Figure 22) :
Ce contraste spatial entre la disponibilité de la ressource et ses usages est accentué par une alternance de périodes d’excès d’eau et de sécheresses. Ces conditions ont conduit à réaliser de nombreuses infrastructures de transfert de la ressource en eau hors du bassin, au gré des différents projets contingents au développement économique et démographique de la région. Ainsi, malgré les spécificités géographiques de la région, un accès à l’eau plus adapté aux besoins a pu se dessiner. Les aménagements et les usages de l’eau associés sont historiquement organisés autour d’échelles variables depuis le niveau très local jusqu’au niveau national, par exemple dans le cas de la production hydro-électrique.
Ils sont également sectoriels. Le territoire de l’eau de la Durance s’est donc d’abord structuré autour des transferts et des aménagements, sans suivre la logique du bassin versant. Il est typique de bassins du pourtour méditerranéen subissant de fortes pressions anthropiques, équipés de nombreuses infrastructures hydrauliques et alimentés par des cours d’eau aux régimes hydrologiques irréguliers.
Les ressources en eau sont, et ont toujours été, un facteur essentiel de développement économique. Depuis l’antiquité l’accès à l’eau est un enjeu majeur et à l’origine de nombreux ouvrages hydrauliques. Le territoire de la Durance ne déroge pas à la règle. Ses habitants l’ont façonné au fil du temps pour satisfaire leurs besoins en eau essentiels (alimentation en eau potable, assainissement, débits écologiques...) et leurs besoins économiques (énergie, irrigation, tourisme, industrie...) (Figure 23). Le développement des infrastructures permettant de mobiliser, de transporter et de distribuer l’eau, s’accompagne de négociations, de règles et de modalités de gestion qui confèrent à la ressource en eau une place de premier plan dans la gouvernance des territoires. Les transferts ont conduit à délimiter et à négocier un territoire de l’eau cohérent débordant le bassin versant hydrographique et comprenant les territoires d’usage de l’eau. Nous le nommons «bassin déversant ».
L’histoire de la rivière Durance et de son territoire est ainsi caractérisée par une succession de phases de développement correspondant à la mise en place des infrastructures et de la gouvernance associée.
Durant ces deux premières périodes, les transferts se sont multipliés et ont sensiblement élargi le territoire de l’eau de la Durance bien au-delà de son bassin hydrographique. Les formes d’intervention publique mises en oeuvre ont conduit à des territoires de l’eau où se juxtaposent des infrastructures, des accords bilatéraux, des valeurs et des savoirs sectoriels. Cette seconde phase est marquée par l’avènement d’une nouvelle gouvernance, à l’échelle du bassin, avec un corpus d’accords qui constitue aujourd’hui encore le socle du cadre de gestion en vigueur. Néanmoins, cette phase fondatrice de l’ère « contemporaine » de la gestion de l’eau en PACA, n’a pas tout résolu sur ce bassin. Malgré les transferts très importants qui ont pu être opérés, il subsiste un nombre important de sousbassins déficitaires non sécurisés par cette ressource.
Au cours de cette troisième période, le champ de l’intervention publique s’élargit au travers d’approches plus intégrées et faisant timidement participer le public. Néanmoins, les accords sectoriels conclus lors de la période précédente et les institutions qui en découlent sont toujours actifs et constituent la base de la gestion de l’eau. Les transferts d’eau ont abouti à l’interconnexion des territoires et à la prise en considération du bassin déversant comme l’échelle appropriée pour gouverner le territoire de l’eau de la Durance.
Aujourd’hui, le territoire de l’eau de la Durance est l’aboutissement d’une longue histoire durant laquelle chaque phase de développement est organisée autour de la mise en place d’infrastructures, de transferts interbassins, d’arrangements et de règles de gestion, et d’institutions (Electricité de France, Société du Canal de Provence…). Le bassin hydrologique est reconnu comme l’échelle pertinente de gestion des crues, de la qualité des rivières, de production hydro-électrique et de l’environnement. Il est cependant tout aussi nécessaire de considérer les enjeux liés aux usages essentiels et économiques, présents dans le bassin hydrologique comme dans le bassin déversant.
En termes de gouvernance, le système s’est complexifié : combinant des approches de bassin versant et de bassin déversant, il est profondément fragmenté entre des institutions héritées et celles issues des évolutions de la période récente. À titre d’illustration, les autorités publiques se diversifient et leurs compétences évoluent. Aux côtés de l’Etat et de ses établissements publics (Agence de l’Eau ; Agence française pour la biodiversité, ex-Onema…), les collectivités, assurent la mise en oeuvre de la gestion de l’eau à différentes échelles. Ce sont principalement :
Même en l’absence de conflits d’usage, les sécheresses de 2003 à 2007 ont montré la fragilité des règles d’allocation de l’eau et des modalités de gestion actuelles. Plus encore, les institutions de bassin et les approches de gestion intégrée des ressources en eau sont concernées, voire remises en cause, par les réformes territoriales en cours (Loi NOTRe, GEMAPI). Dans ce contexte, l’efficacité et la résilience de la gouvernance de l’eau sont remises en causes par les incertitudes liées au changement climatique et aux évolutions de la demande en eau (R2D2 2050). Améliorer la gouvernance pour relever les défis futurs, notamment ceux liés au climat signifie adapter les institutions de gestion de l’eau, formelles ou informelles, à chaque échelle et en assurant une meilleure coordination des politiques de l’eau entre niveaux et entre usages. À l’échelle de la Région PACA, l’Assemblée pour une Gouvernance Opérationnelle de la Ressource en eau et des Aquifères (AGORA) met en place un dispositif facilitant l’accompagnement des acteurs du territoire de l’eau de la Durance et la structuration d’une réponse adaptée aux enjeux du territoire. Ce dispositif de gouvernance original et innovant résulte d’une volonté des acteurs locaux de favoriser à la fois une culture de l’eau, des pratiques partagées entre acteurs et des outils adaptés pour l’action, au croisement d’échelles pertinentes de gestion. Plus largement, ce type d’innovation institutionnelle, semble particulièrement adapté pour répondre aux défis liés à l’eau et au climat de territoires de l’eau du pourtour méditerranéen.
ZOOM 4. L’AGORA s’adapte aux nouvelles contraintes territoriales
L’ AGORA met en place un dispositif adapté aux nouveaux enjeux du territoire :
En s’appuyant sur les principes de l’OCDE pour la gouvernance de l’eau, ce dispositif pourrait être complété par :
Sommaire du cahier