2.Introduction générale

La notion de « santé publique » a évolué au cours du XXe siècle, en lien avec l’évolution des rapports au progrès scientifique et la montée des considérations environnementales. Elle fut portée par une demande citoyenne forte : principe de précaution, justice environnementale et droit à la santé. À l’échelle internationale, les enjeux de santé se sont invités dans les négociations environnementales dès les années 1990 lors du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992. Cette nouvelle vision de la santé, plus complexe, intègre les interactions entre la santé des écosystèmes et la santé humaine.

Selon la définition de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), l’état de santé d’un individu ou d’une population dépend d’un ensemble varié de facteurs appelés déterminants de la santé. Ainsi, le contexte global (politique, économique, environnemental, culturel, etc.), les systèmes (de santé, des services sociaux, de sécurité sociale, d’aménagement du territoire, etc.), les milieux de vie (famille, école, travail, etc.) et les caractéristiques individuelles constituent autant de déterminants de la santé. De plus, selon le type d’aléa et/ou sa localisation, les expositions et les vulnérabilités se révéleront très différentes. Depuis maintenant quelques dizaines d’années, le climat, et plus précisément son évolution rapide et ses conséquences de plus en plus nombreuses sur les systèmes naturels et anthropisés, s’invite dans le champ de la santé publique. Au-delà de leurs impacts généraux, les changements environnementaux (changement climatique, pollutions, érosion de la biodiversité, etc.) en cours ou qui s’annoncent risquent aussi de créer ou renforcer les inégalités de santé ; inégalités que les politiques publiques devront prendre en considération dans la façon de construire nos territoires de vie et de faire face aux enjeux sanitaires et climatiques.

Un changement climatique global et des impacts sanitaires déjà présents

En 2015, à l’initiative de l’hebdomadaire médical britannique The Lancet, des chercheurs pressent les gouvernements d’agir sans délai pour la santé publique. Selon le rapport de la Commission du journal, cette même année, agir contre le changement climatique est à la fois une urgence et l’opportunité d’accomplir les plus grands progrès pour la santé publique au cours du XXIe siècle. Il rapporte alors que « les effets du changement climatique sont déjà perceptibles aujourd’hui et les projections pour l’avenir représentent un risque potentiellement catastrophique d’une ampleur inacceptable pour la santé humaine ».

Le rapport 2017 Countdown on health and climate change de la même revue renforce l’alerte déjà donnée par l’OMS et les rapports successifs du GIEC. Ce rapport fait état de 40 indicateurs clés en santé et changement climatique, indicateurs que la revue médicale suivra et rapportera dans ses publications chaque année jusqu’à 2030. Si la plupart des indicateurs sont au rouge, le rapport mentionne toutefois une attention croissante des sociétés pour ces questions : entre 2007 et 2017, la couverture du sujet santé et changement climatique dans la presse mondiale a augmenté de 78 % et le nombre d’articles scientifiques a plus que triplé.

Enfin, le rapport 2018 met en évidence les principales menaces concernant les vagues de chaleur et canicules, les maladies infectieuses, et la sécurité alimentaire. On peut craindre des vagues de chaleur plus fréquentes et plus durables, avec une multiplication des hyperthermies et des maladies cardio-vasculaires ou respiratoires, entraînant des pics de mortalité. Il faut aussi s’attendre à une recrudescence de certaines maladies infectieuses ou parasitaires, en raison de la « remontée » progressive de vecteurs, insectes ou acariens hématophages, jusque-là cantonnés aux latitudes tropicales et subtropicales. L’OMS chiffre ainsi à 250 000 le nombre annuel de décès supplémentaires que le changement climatique pourrait entraîner à compter de 2030. Le changement climatique continue son évolution a un rythme soutenu et, selon le rapport, 51 % des infrastructures de santé des villes dans le monde pourraient être submergées par des risques nouveaux ou climatiques. Le rapport encourage donc à multiplier les efforts d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. La nature et l’ampleur de notre réponse au changement climatique seront déterminantes pour la santé mondiale au cours des décennies et siècles à venir.

À ce jour, l’augmentation de la température moyenne à la surface du globe est de 1,1°C par rapport à l’ère préindustrielle (1880-1899). Au rythme actuel, les +1,5°C d’augmentation seront atteints entre 2030 et 2052. Or l’augmentation de la température dans le bassin méditerranéen a déjà atteint ces 1,5°C, soit 0,4°C de plus que le reste du globe, laissant suggérer des élévations de températures de 2,5 voire 3°C pour notre région autour de 2040 par rapport à l’ère préindustrielle. Si l’ensemble des scénarios convergent plus ou moins jusqu’en 2050, après 2050 l’augmentation de la température globale dépendra fortement de nos politiques actuelles de réduction des émissions de GES. Si nous ne parvenons pas à réduire nos émissions (scénario RCP 8.5), nous devrions faire face à un réchauffement global de +5°C en 2100 (figure 1). Lors de la COP 21, les promesses de réduction des émissions de GES faites par les gouvernements, à ce jour non tenues, conduisent à une augmentation globale de la température entre 3 et 4°C (scénario intermédiaire, RCP 6.0). Avec des changements d’une telle ampleur, les impacts pour la santé deviendraient difficiles à anticiper avec des effets d’emballement. Pour limiter la température à 1,5°C, et ainsi minimiser les conséquences du réchauffement sur les écosystèmes et nos sociétés, il faudra réduire d’ici 2030 nos émissions globales de GES de 40 % et atteindre la neutralité carbone en 2050 (GIEC Rapport Spécial 1.5).

Figure 1. Deux scénarios de l'évolution de la température moyenne (a) et des précipitations moyennes (b) d'ici la fin du XXIe siècle (source : AR5, GIEC 2014)

Le changement climatique comme multiplicateur de risques sanitaires

Les impacts du changement climatique sur la santé humaine sont à ce jour sans équivoque et potentiellement irréversibles, touchant les populations du bassin méditerranéen comme celles de l’ensemble du globe, et tout particulièrement les plus vulnérables.

Aujourd’hui, deux constats à l’échelle du globe :

- les canicules sont de plus en plus fréquentes et intenses : de 2000 à 2016, 125 millions de personnes supplémentaires ont été exposées aux vagues de chaleur ;
- les catastrophes liées aux conditions météorologiques extrêmes augmentent et s’intensifient : entre 2000 et 2016, le nombre de catastrophes climatiques a augmenté de 46 %.

En région Provence-Alpes-Côte d’Azur, le nombre de journées chaudes (température supérieure à 25°C) pourrait augmenter de 52 jours à l’horizon 2100 selon le scénario RCP 8.5.

Ces évolutions se traduisent par des impacts directs ou immédiats sur la vie humaine, mais également sur la productivité, les ressources naturelles, l’économie ou la santé psychologique. Les effets indirects interviennent quant à eux par modification de la qualité des milieux et des écosystèmes : les changements dans la distribution géographique de certaines espèces, la prolifération de vecteurs de maladies, l’émergence de pathogènes, la pollution de l’air ou encore la raréfaction des ressources (eau et productions agricoles) sont autant d’impacts indirects qui ont d’ores et déjà des conséquences sanitaires et que le changement climatique tend à accentuer.

Ainsi, le changement climatique agit comme un facteur aggravant ou multiplicateur de risques, exacerbant de nombreux problèmes auxquels les populations sont déjà confrontées et renforçant la synergie entre plusieurs risques sanitaires, augmentant par là-même les pressions existantes sur le logement, la pauvreté, les déterminants de la santé, l’eau et la sécurité alimentaire. Que les effets soient directs ou indirects, les impacts dépendront dès lors des dynamiques sociales concernées. Aux côtés de quelques effets positifs, comme la réduction de la morbi-mortalité hivernale du fait d’une moindre rigueur de la saison froide – cela restant toutefois à démontrer –, les répercussions sanitaires négatives ont une forte probabilité de l’emporter au sein de notre région.

Certes, il faut se garder de tout catastrophisme car les possibilités d’adaptation restent nombreuses, mais l’adaptation passe par l’anticipation. La vigilance s’impose et, dès à présent, il est indispensable de réfléchir collectivement, pour minimiser les impacts, à tout l’éventail des futurs possibles.

« Chaque degré compte, chaque année compte et chaque décision compte : ne pas agir aujourd’hui, c’est ajouter au fardeau des générations futures. Limiter le réchauffement à 1,5°C n’est pas impossible mais nécessite une politique forte et immédiate. »

Citation de Valérie Masson-Delmotte, co-présidente du groupe de travail I du GIEC,
Le 8 octobre 2018 – intervention au Sénat

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