3.Résultats de données spatialisées à l’échelle locale et régionale

La température de l’air est une variable physique qui se répartit de manière non homogène dans l’espace et parfois des modifications de plusieurs degrés sont constatées sur de très courtes distances (quelques mètres). De multiples facteurs influencent localement l’évolution des températures comme, entre autres, la couleur de la surface du sol, la nature des matériaux, la présence de végétation ou encore l’exposition au rayonnement solaire. Ainsi, la température donnée par la « météo » à la télévision ou sur internet pour une ville ne reflète absolument pas les disparités spatiales locales. Il s’agit uniquement de la température mesurée ou attendue dans la station météorologique la plus proche de la ville en question, et donc d’une donnée ponctuelle dans l’espace. Cette notion de variabilité spatiale des températures aux échelles régionales et locales à travers la mesure, la cartographie et la modélisation (géostatistique et déterministe) est importante à comprendre.

La meilleure manière de vérifier les variations de températures dans l’espace est de se déplacer avec un thermomètre et d’enregistrer les localisations successives ainsi que les valeurs de températures correspondantes. Ces mesures, qualifiées d’itinérantes, ont été, par exemple, réalisées au cours de 54 journées de mai à septembre 2015 à Nice sur le même parcours de 50 km en milieu d’après-midi (Figure 15). Elles ont permis de constater des variations moyennes de plus de 2 à 3°C en fonction du lieu de mesure. La proximité de la mer, de la végétation, mais aussi du bâti influence fortement la température. L’espace le plus urbanisé ressort légèrement plus chaud que le reste du parcours : ce phénomène est appelé « îlot de chaleur urbain (ICU) » (Zoom 5) et il s’observe très fréquemment à travers le monde dans de très nombreuses villes.

Les températures sont plus élevées en milieu urbanisé car, pendant la journée, les concentrations denses de bâtiments et de matériaux, comme l’asphalte, absorbent plus de chaleur et la libèrent plus lentement la nuit que la couverture naturelle du sol, telle que la végétation.

Figure 15. Cartographie des températures moyennes en milieu d’après-midi à Nice au cours de 54 jours de mesures entre mai et septembre 2015 (source : Nicolas Martin, UMR ESPACE)

ZOOM 5. Qu’est-ce que l’îlot de chaleur urbain ?

On appelle « îlot de chaleur urbain » (ICU) la différence des températures observées entre un site urbain et un site rural environnant. Ces différences de températures, davantage marquées la nuit, sont fortement corrélées à la variation de la densité urbaine (conception urbaine, matériaux des bâtiments, etc.).

Les ICU sont principalement observés la nuit (Figure 16) où le refroidissement nocturne est moindre en ville que dans les zones rurales plus végétalisées. C’est un phénomène local qui peut varier d’une rue à l’autre avec une durée limitée dans le temps. Les principaux facteurs météorologiques qui favorisent l’îlot de chaleur urbain sont : un ciel peu nuageux, des vents faibles et une forte stabilité atmosphérique.

Dans les villes des latitudes moyennes, l’îlot de chaleur urbain peut être plus important lors des nuits estivales, quand la chaleur emmagasinée par les bâtiments pendant le jour est dissipée. Les impacts de ces « bulles
de chaleur » peuvent être importants sur le confort thermique, la santé, la mortalité et les risques de pollution. Dans un contexte de changement climatique, les canicules estivales pourraient être plus fréquentes d’où l’importance de mieux comprendre la variabilité spatiale et temporelle de ce phénomène dans les villes méditerranéennes, et de tenter de le réduire. De nouveaux défis face au changement climatique supposent de nouveaux modes de gestion pour la ville et appellent à s’appuyer :

  • d’une part, sur des données fiables à échelle fine, aussi bien pour le suivi du climat que celui des impacts, indispensables pour disposer d’un outil adapté à la complexité urbaine et à ses spécificités ;
  • d’autre part, sur le diagnostic des usages contemporains des villes méditerranéennes, afin de concevoir des espaces urbains dont la rationalité énergétique et fonctionnelle sera basée sur les pratiques et les besoins des citadins, mais aussi sur une approche interdisciplinaire capable de prendre en compte la complexité des villes contemporaines à travers une coaction entre les scientifiques et les politiques.
Figure 16. Températures de surface de l’atmosphère variant en fonction des types d’occupation du sol (source : illustration adaptée de Environnemental Protection Agency)

En complément de la mesure, la géostatistique permet, à l’aide de méthodes rigoureuses, de calculer les températures sur un territoire donné en prenant en compte ses spécificités. A partir de données ponctuelles (mesures) ou surfaciques à basse résolution spatiale (modélisation), et de variables géographiques (altitude, distance à la mer, rugosité topographique…), la régression environnementale offre la possibilité d’étendre l’information à l’ensemble d’un département ou d’une région à une résolution spatiale suffisamment fine pour apprécier la différenciation des températures sur de courtes distances. Cette étape de spatialisation se nourrit soit de l’observation directe du climat réalisée par un réseau de stations météorologiques, soit de résultats de simulations climatiques calculés par des logiciels informatiques modélisant le système climatique terrestre.

Pour illustrer ces propos, trois exemples de spatialisation des normales de températures maximales de juillet et des normales de températures minimales de janvier, pour les périodes 1961-1990 ou 1988-2013, sont présentés (Figure 17, Figure 18, Figure 19). Le premier exemple s’appuie sur l’observation du climat dans les Alpes-Maritimes et les deux suivants sur sa modélisation déterministe à diverses résolutions spatiales.

Figure 17. Cartographie des températures minimales de janvier pour la période 1988-2013 mesurées par le réseau de stations de Météo-France dans la moitié sud des Alpes-Maritimes (à gauche : en fond, altitude en niveaux de gris) et spatialisation à 25 m de résolution spatiale de ces mêmes températures par régression environnementale (à droite). Source : Nicolas Martin, UMR ESPACE

Le réseau météorologique de stations de Météo-France des Alpes-Maritimes enregistre quotidiennement les températures de l’air. Ces données sont ensuite vérifiées et agglomérées pour aboutir à des moyennes mensuelles établies sur 20 ou 30 ans. On parle alors de normales climatiques. La représentation cartographique de ces valeurs ponctuelles sur la période 1988-2013 n’est pas très informative (Figure 17) puisque chaque mesure locale représente un point et non un espace ou une surface. Cependant, chaque station météorologique est caractérisable par un ensemble de propriétés géographiques et environnementales permettant d’établir une équation de régression multiple liant les normales de températures relevées aux différents critères « physiques ». L’équation, une fois validée, est alors étendue à l’ensemble des « vides spatiaux » pour produire une cartographie à 25 m de résolution spatiale.

La logique suivie pour l’amélioration de la résolution spatiale des sorties de modèles climatiques est la même. Comme pour une station météorologique, il est possible de déterminer, pour chaque maille ou pixel de 50 km de côté du modèle ARPEGE-Climat, une moyenne pour chacune des propriétés géographiques et environnementales. Puis une équation de régression multiple établit le lien entre la température modélisée et les critères physiques de chaque pixel. Ces équations statistiques sont alors appliquées à une grille de 1 km de résolution spatiale. Ainsi, à partir d’une température moyenne recouvrant 2500 km2 (pixels de 50 x 50 km), ce sont 2500 nouvelles températures (Figure 18) qui ont été calculées (nouveaux pixels de 1 x 1 km).

A l’échelle départementale, l’amélioration de la résolution spatiale des modèles climatiques est encore plus poussée avec un saut de 12 km à 90 m, ce qui signifie que près de 17 800 nouvelles températures ont été simulées à partir d’une unique valeur disponible sur les pixels initiaux de 144 km2 du modèle ALADIN-Climat (Figure 19).

Figure 18. Cartographie des températures maximales de juillet pour la période 1961-1990 simulées par le modèle ARPEGEClimat en région PACA (pixels de 50 km de côté, à gauche) et spatialisation à 1 km de résolution spatiale de ces mêmes températures par régression environnementale (à droite). Source : Nicolas Martin, UMR ESPACE
Figure 19. Cartographie des températures maximales de juillet pour la période 1961-1990 simulées par le modèle ALADINClimat dans les Alpes-Maritimes (pixels de 12 km de côté, à gauche) et spatialisation à 90 m de résolution spatiale de ces mêmes températures par régression environnementale (à droite). Source : Nicolas Martin, UMR ESPACE

Enfin, en plus de la cartographie dite « géostatistique » présentée précédemment, il existe également des modèles météorologiques ou climatiques régionaux « déterministes » ou « mécanistes » qui ont été développés pour simuler à fine échelle spatiale les phénomènes à méso-échelle, comme les écoulements locaux, la convection, l’effet topographique ou les ondes de gravité. Ces phénomènes se produisent sur des étendues inférieures à 50 km dans la couche limite atmosphérique (zone comprise entre la surface et environ 1500 m d’altitude, hors relief) et sont résolus par un ensemble de schémas physiques et une paramétrisation qui assure les interactions entre chaque module utilisé.

Pour simuler la température de surface, plusieurs aspects doivent être pris en compte : l’impact du sol et de l’occupation du sol, soit le transfert de chaleur entre le sol et l’atmosphère. Ce compartiment est pris en compte par un modèle sol qui calcule les transferts de chaleur et d’humidité entre le sol, la végétation et l’atmosphère. Cela repose donc sur les flux moléculaires et les effets de turbulence dans les premiers mètres de l’atmosphère. Cette turbulence atmosphérique n’est pas résolue directement par les équations, car elle se manifeste à une résolution inférieure à la grille du modèle. Une méthode de paramétrisation qui consiste à relier certaines quantités (température, humidité) avec des paramètres connus est mise en oeuvre. Pour cela, on applique la méthode de « fermeture » dans les équations. La fermeture locale consiste, en un point de grille, à remplacer les quantités inconnues par des valeurs ou des gradients de valeurs connues. Dans le cas de la fermeture non locale, cette technique est appliquée à plusieurs points de grille. Il est alors possible de calculer les flux d’humidité et de chaleur dans la couche limite et leur diffusion verticale. Ce schéma interagit ensuite avec le rayonnement atmosphérique qui calcule l’apport énergétique au sol.

A titre d’exemple, les températures à 2 m (au-dessus du sol), modélisées sur une partie du département des Bouches-du-Rhône le jeudi 12 décembre 2015 à 7h TU, sont illustrées dans la Figure 20. Cette sortie de modèle montre la répartition des températures à 2 m par une approche déterministe. Le modèle représente l’effet urbain de la ville de Marseille représenté par une couleur verte, puis un refroidissement plus net sur les premiers reliefs marseillais. Sur les 5,7 km de l’axe rouge, séparant le littoral des premiers reliefs, le gradient est de 5°C. Ce dernier devient plus fort sur l’est de la ville dans le secteur des calanques, avec une zone froide sur le mont Puget.

Les techniques géostatistiques et la modélisation à mésoéchelle répondent donc à des logiques et des approches différentes, mais permettent d’estimer une valeur en tout de point de l’espace. Leur utilisation dépend des problématiques des études menées à l’échelle locale et régionale. Ces méthodes ne s’opposent pas et sont au contraire complémentaires pour affiner la connaissance du climat passé, présent et futur.

Figure 20. Températures à 2 m au-dessus du sol le 12 décembre 2015 à 7h TU : carte issue d’un modèle à méso-échelle. L’axe rouge représente un transect entre la frange littorale et les premiers reliefs marseillais (distance : 5,7 km). Source : Christophe Yohia, OSU Institut Pytheas
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