Une catastrophe hors norme d'origine météorologique le 2 octobre 2020 dans les montagnes des Alpes-Maritimes
Une synthèse proposée par le GREC-SUD à partir de l’article suivant :
Pierre Carrega et Nicolas Michelot. Mai 2021, « Une catastrophe hors norme d’origine météorologique le 2 octobre 2020 dans les montagnes des Alpes-Maritimes ». Physio-Géo [en ligne], volume 16 | 2021.
Synthèse disponible au format PDF Article complet
Résumé : à partir des pluies exceptionnelles du 2 octobre 2020 dans les montagnes des Alpes-Maritimes, cet article met en évidence les composantes du risque naturel et leurs articulations permettant de comprendre le processus aboutissant à cette catastrophe.
Cet article paru en mai 2021 dans Physio-Géo Géographie physique et environnement revient sur les pluies exceptionnelles du 2 octobre 2020 dans les Alpes-Maritimes. Celles-ci ont marqué les esprits des habitants de la vallée de la Vésubie et de la vallée de la Roya en raison de leurs conséquences catastrophiques : près de 20 morts, des dizaines de bâtiments et d’habitations détruites ou inhabitables, des paysages métamorphosés, des dizaines de ponts balayés et des routes détruites. Les épisodes méditerranéens automnaux sont connus dans la région, mais celui-ci fut exceptionnel en raison de l’ampleur du phénomène météorologique et de ses conséquences sur le territoire. À noter également que les épisodes « sévères » augmentent significativement depuis le début des années 2000 dans le sud de la France.
Le risque est ici décrit par la combinaison de trois composantes : l’aléa (les précipitations et les mécanismes qui les ont engendrées), la susceptibilité (le potentiel de production de crues et de mouvements de terrain en raison des précipitations) et la vulnérabilité (les fonds de vallées regroupant les populations et les axes de communication souvent le long des rivières). Cette étude essaye d’évaluer le poids de chaque composante du risque afin de définir le rôle des relations intra et inter-composantes.
L'aléa
Cette situation météorologique a été rendu possible par une combinaison inédite de facteurs. Ces derniers sont d'une part, une forte capacité de soulèvement de l'air liée à :
- un puissant cyclonisme d'intensité inhabituelle en cette saison ;
- une forte instabilité thermique verticale. Cette instabilité thermique est attestée par une activité orageuse particulièrement élevée ce jour-là (la densité de foudroiement atteint localement 50 éclairs au km²) ;
- un effet de barrage orographique particulièrement efficace face au très rapide flux de sud à sud-ouest ;
et, d’autre part, une forte alimentation en vapeur d’eau générée par la température de la surface de la mer Méditerranée, qui était encore de 22 à 23 °C le 2 octobre, et attestée par :
- la température du point de rosée (la température de saturation en vapeur d'eau) qui s'établissait à plus de 12 C° dans les vallées ;
- l'eau précipitable (somme de toute l'eau contenue dans une colonne d'air) dépassant les 48 mm dans les inclusions les plus humides.
Concrètement, ces différents indicateurs se sont traduits par des lames d’eau inédites dont l’estimation sur la période de retour (cumul en 24 heures) est de plusieurs milliers d’années pour Saint-Martin-Vésubie (méthodes de Gumbel ou GEV), à partir de 71 années de données.
Entre 85 et 95 % de la superficie du bassin versant de la Vésubie a reçu plus de 200 mm de précipitations. On note également des cumuls exceptionnels au lac des Mesches dans la vallée de la Roya avec 663 mm de précipitations dont 574 mm tombées en 12 heures.
L’autre particularité de ces précipitations concerne l’étendue géographique. On estime qu’environ 80 % du département des Alpes-Maritimes, soit 3500 km2, a reçu plus de 100 mm de pluie et environ 40 % du département a enregistré des cumuls supérieurs à 200 mm.
La susceptibilité du territoire
Les quantités d’eau reçues ont généré des phénomènes d’ampleur variable selon l’emplacement, le relief, le comportement des sols ou encore la couverture végétale.
Ainsi, en raison de leurs superficies réduites, les bassins versants de la Vésubie (393 km2) et de la Roya (394 km2) étaient propices à une réaction rapide du système hydrologique. Au contraire, les fortes pluies dans les Préalpes de Grasse se sont réparties sur plusieurs bassins versants entraînant des réactions plus limitées.
Les hauts reliefs et l’inclinaison importante des pentes ont également joué un rôle significatif dans l’apparition des crues et des glissements de terrain.
De même, la géologie et la géomorphologie de cette région ont offert un terrain plutôt favorable à l’apparition de ruissellements violents, notamment dans la partie haute des vallées où la plupart des roches présentes sont imperméables (gneiss, granites, anatexites ou encore embréchites).
Les pluies les plus fortes ont probablement été enregistrées au niveau des hauts sommets. Or, au-dessus de 1800-2000 mètres, la végétation est bien moins efficace pour lutter contre le ruissellement. Ainsi, la couverture végétale, et notamment forestière, n’a pas permis d’atténuer assez efficacement ce dernier.
Cette combinaison de facteurs rend le territoire susceptible à la production de glissements de terrain et de crues. Les données enregistrées par Vigicrues le confirment, la réaction des rivières a été très rapide. Les hauteurs maximales retenues sont de 6,28 mètres pour la Tinée à Tournefort et de 6,71 mètres pour la Vésubie à Utelle.
La vulnérabilité
Depuis la seconde moitié du XIXe siècle et l’abandon progressif des voies empruntant les hauteurs au profit des routes en fond de vallées, les installations humaines se sont multipliées au bord des rivières, souvent même dans le lit majeur. Comme le montre la carte ci-contre, la plupart des habitations détruites se trouve dans ce lit majeur, malgré les nombreux aménagements (enrochements bétonnés, gabions, murs de protection, etc.).
En plus de leur vulnérabilité géographique, ces installations sont construites sur des terrains meubles particulièrement vulnérables lors des crues. Si la culture du risque est bien présente dans les esprits des populations locales, elle n’est peut-être pas à la hauteur des évènements extraordinaires comme celui du 2 octobre 2020.
Il semble pourtant que les moyens de prévention à court terme aient plutôt bien fonctionné. Les fortes pluies étaient annoncées depuis plusieurs jours et une vigilance météorologique rouge « pluie et inondation » a été publiée le 2 octobre en début de matinée permettant aux pouvoirs publics de se préparer.
En conclusion
La période de retour hors norme de cet épisode montre bien le caractère extraordinaire des pluies du 2 octobre 2020. L’aléa pluviométrique est indépendant de toute action humaine, en revanche, afin de limiter la vulnérabilité du territoire face ces épisodes particulièrement intenses, il est possible d’agir sur la localisation des habitations et infrastructures, et de façon générale sur dégradation ou artificialisation des cours d’eau et bassins versants, en vue d’empêcher qu’un aléa d’une ampleur similaire ne conduise à nouveau à une telle catastrophe.
Le complément du GREC-SUD
Jusqu'à très récemment, l’augmentation des épisodes méditerranéens en fréquence et intensité, ainsi que l’attribution de cette augmentation au changement climatique, faisaient débat. En région Sud Provence-Alpes-Côtes d’Azur, l’analyse depuis 1958 de la fréquence des épisodes de pluies fortes ne met pas en évidence de tendance d’évolution à la hausse du nombre d’épisodes. En revanche, aujourd’hui, plusieurs études récentes[1] confirment, à l’échelle de l’arc méditerranéen français, une tendance à la hausse de l’intensité de ces phénomènes depuis les années 60 (+22 % avec une fourchette d’incertitude importante comprise entre 7 et 39 %), avec un doublement de la fréquence des épisodes intenses, dépassant le seuil de 200 mm de pluie par jour, associé à une augmentation des surfaces touchées. Ces études confirment également l’attribution de ces tendances au changement climatique et plus particulièrement à la hausse des températures et donc implicitement une tendance à la hausse dans les années à venir.
[1]Ribes A., Thao S., Vautard R., Dubuisson B., Somot S., Colin J., Planton S., Soubeyroux J.M. (2018), Observed increase in extreme daily rainfall in the french Mediterranean, Climate Dynamics, vol. 52, n° 1-2, pp. 1095-1114, DOI : 10.1007/s00382-018-4179-2
Luu L.N., Vautard R., Yiou P., van Oldenborgh G. J., Lenderink G. (2018), Attribution of Extreme Rainfall Events in the South of France Using EURO‐CORDEX Simulations, Geophysical Research Letters, vol. 45, n° 12, pp. 6242-6250, DOI : 10.1029/2018GL077807