1.Les grandes évolutions du climat passé

Du dernier cycle glaciaire à notre cycle interglaciaire (Holocène)

Il existe en région Provence-Alpes-Côte d’Azur un très beau témoin de la variation du climat passé. Il s’agit de la grotte Cosquer, du nom de son découvreur (voir photo ci-dessus). Cette grotte se trouve à proximité de la calanque de Morgiou, au sud de Marseille. Sa valeur exceptionnelle réside dans l’ornementation de ses parois, recouvertes de peintures pariétales préhistoriques, datées d’environ 27 000 ans BP (Before Present) pour les « mains négatives » et de 19 000 ans BP pour le « bestiaire » (représentations d’animaux). Ces illustrations témoignent de la présence humaine dans cette grotte en ces temps reculés, autour de la dernière période glaciaire. Aujourd’hui, la grotte est inaccessible à pied, car son unique entrée est immergée à 37 mètres de profondeur. L’accès était possible à la dernière période glaciaire puisque le niveau marin était environ 120 mètres plus bas qu’aujourd’hui, découvrant falaises et plaines aujourd’hui submergées.

Nous savons aujourd’hui que le climat à l’échelle de la planète, appelé « climat global », lors de la dernière période glaciaire (environ 20 000 ans BP), était caractérisé par des températures moyennes globales de 4 à 5°C plus froides, des calottes polaires massives sur le nord de l’Europe et du Canada, une végétation adaptée aux conditions environnementales de l’époque… Le sud de la France abritait une végétation steppique parsemée d’îlots forestiers de pins, genévriers, bouleaux, avec des températures moyennes annuelles de 10 à 12°C plus basses que maintenant. Les paysages devaient ressembler aux pelouses alpines actuelles de haute montagne.

Ces variations climatiques majeures s’inscrivent dans une alternance connue sous le nom de cycles climatiques, oscillant depuis plus de deux millions d’années entre conditions glaciaires (« froides ») et interglaciaires (« chaudes »). La raison de ces variations est purement naturelle et principalement liée aux paramètres orbitaux de la Terre : sa position et surtout son inclinaison par rapport au soleil modifient l’insolation reçue, notamment au niveau des pôles et des hautes latitudes. Ces variations d’insolation aux hautes latitudes permettent ou préviennent la formation des calottes polaires. A cela s’ajoutent les effets de la dynamique interne imposée par l’atmosphère et l’océan qui régulent les flux de chaleur, tandis que l’océan et la biosphère interfèrent sur le cycle du carbone. Dans cette histoire du climat, le dioxyde carbone (CO2), par son action de gaz à effet de serre, est un amplificateur des changements.

Le réchauffement qui a suivi le dernier cycle glaciaire a démarré sous nos latitudes il y a 15 000 ans et a été brutal à l’échelle géologique. Il s’est opéré en deux phases de près de mille ans chacune. Si l’amplitude du réchauffement global était de 4 à 5°C, cela s’est traduit dans le sud de la France par un réchauffement de 10 à 12°C. Ces deux phases ont été séparées par un renversement brutal. C’était vers 13 000 ans BP. En effet, la fonte de la calotte de glace qui s’étendait sur une grande partie du Canada a provoqué un flux d’eau douce et froide suffisant pour bloquer la circulation océanique de l’Atlantique Nord (en particulier le Gulfstream et la dérive Nord-Atlantique bien connus en Europe) et engendrer un refroidissement sur une majeure partie de l’hémisphère Nord. Cette période, appelée « Dryas récent », a été marquée par le retour d’une végétation glaciaire en moins d’un siècle. Elle a duré un peu moins de 1000 ans. Le réchauffement qui a suivi, vers 12 000 ans BP, est le point de départ de la période interglaciaire actuelle appelée « Holocène », dont les conditions climatiques ont été relativement stables pendant dix millénaires.

De notre cycle interglaciaire à la fin du 21e siècle

Dans notre région, comme partout ailleurs, les changements du climat, avant l’établissement des stations météorologiques, sont connus grâce à des indicateurs indirects. Pour l’Holocène, il s’agit principalement de fossiles liés à la flore, comme les grains de pollen émis chaque année par les plantes. Chaque espèce a une morphologie pollinique typique qu’il est possible de reconnaître au microscope. Le palynologue, le spécialiste du pollen, distingue par exemple les grains de pollen de pin ou de chêne, constitutifs d’une végétation forestière tempérée, des grains de pollen de graminées qui dominent dans les végétations steppiques froides. On peut finalement reconstruire, à partir de ces indicateurs, l’évolution des températures et des précipitations avec une résolution temporelle allant jusqu’au siècle (Figure 4). Durant le dernier millénaire, on accède à la variabilité interannuelle du climat grâce aux cernes d’arbres et aux archives historiques écrites. L’arbre produit un cerne annuel dont l’épaisseur est liée à la biomasse produite, elle-même dépendante des conditions climatiques. Les documents historiques dépouillés par les historiens contiennent une masse d’informations sur les climats depuis le Moyen Âge à travers des livres de comptes, d’annales, d’éphémérides… Toutes ces informations sont décodées grâce à des méthodes statistiques donnant des courbes d’évolution de la température ou d’autres indices climatiques.

La Figure 4 montre que la gamme de variation des températures estivales n’a pas dépassé 1°C en valeur absolue sur tout l’Holocène avec une longue période plus chaude de 0,5°C entre 7000 et 4000 ans BP : c’est l’optimum climatique de l’Holocène moyen. La courbe des précipitations annuelles montre un relatif assèchement de l’ordre de 20% à partir de 6000 ans BP. A partir de 4000 ans BP, on observe un premier refroidissement suivi d’un second vers 3200 ans BP. Cette période est connue comme la fin de l’Âge du bronze en Méditerranée. Elle a été le témoin de nombreux troubles politiques principalement dans l’est de la Méditerranée avec la fin des civilisations mycénienne et hittite, et l’invasion des Peuples de la mer. Dans cette région, le changement climatique était surtout dû à l’aridité importante qui a duré près de trois siècles. Ensuite, le centre de gravité des civilisations méditerranéennes s’est déplacé vers la Grèce, puis l’Italie. Plus tard, le déclin de l’empire romain à la fin du 4e siècle est concomitant avec une période froide et humide. Le climat redevient chaud entre 700 et 1250 ans de notre ère : l’optimum médiéval est atteint.

A partir des années 1250, des éruptions volcaniques (dont celle du Salamas en Indonésie en 1257) sont vraisemblablement responsables de l’entrée dans le petit âge glaciaire (PAG), période froide et humide qui s’est prolongée jusqu’à la fin du 19e siècle, avec une accentuation liée à une baisse de l’activité solaire entre 1645 et 1715 (minimum de Maunder). Ce PAG est très probablement à l’origine de la grande famine qui a sévi de 1315 à 1317, de la propagation de la peste noire et de l’effondrement de la population. Il a aussi accentué l’effet de la Guerre de 30 ans (1618-1648). Les révolutions ont principalement des raisons sociopolitiques, mais le climat a souvent pu jouer un rôle déclencheur (par exemple, les mauvaises récoltes de 1787 à 1789 causées par un climat défavorable) ou amplificateur.

Si on compare les projections climatiques (Figure 4) basées sur le scénario socio-économique (Cf. partie 3.1) le moins émetteur en gaz à effet de serre (RCP 2.6) et le scénario le plus émetteur (RCP 8.5), on constate que l’évolution future des températures estivales dépassera largement ce que les hommes ont connu depuis 10 000 ans. Les projections concernant les précipitations sont plus incertaines, mais la question de la ressource en eau est bien plus complexe que le simple cumul de précipitations et tient compte notamment de la fréquence des précipitations et de leur intensité, mais aussi des ressources distantes : par exemple, les précipitations neigeuses dans les Alpes pour alimenter les fleuves et rivières qui drainent la région PACA.

Une perspective historique des températures (°C) et précipitations (mm) dans la zone couvrant la région PACA depuis 10 000 ans est donnée dans la Figure 4, le zéro étant la moyenne de la période 1961-1990 (normale de 30 ans) et les surfaces colorées représentant les incertitudes (dispersion autour de la moyenne).

Les observations CRU sont les interpolations sur une grille de 5° de longitude et 2,5° de latitude du Climate Research Unit à East Anglia, à partir de laquelle la sous-grille englobant la région PACA a été extraite.

La première ligne de graphiques indique les anomalies des températures moyennes de la période d’avril à septembre :

  • les courbes noires/grises sont reconstruites à partir de données polliniques par intervalle de 100 ans, allant de 10 000 à 2000 ans BP ;
  • les courbes bleues sont reconstruites à partir d’une compilation de données issues de cernes d’arbres (dendrochronologie), de données polliniques et de données historiques (AD signifie Anno Domini : années après Jésus-Christ) ;
  • la courbe magenta représente les observations du Climate Research Unit ; la courbe verte représente le scénario socioéconomique RCP 2.6 et la courbe rouge, le scénario RCP 8.5.

La seconde ligne du graphique indique soit l’écart aux précipitations annuelles (en pourcentage des valeurs de référence), soit les indices estivaux de sécheresse (PDSI pour Palmer Drought Severity Index), les valeurs négatives indiquant des conditions plus sèches que la normale :

  • les courbes noires/grises représentent les précipitations reconstruites à partir de données polliniques par intervalle de 100 ans, allant de 10 000 ans BP à 0 ;
  • les courbes bleues représentent le PDSI estival reconstruit à partir de données de cernes d’arbres (dendrochronologie) ;
  • la courbe magenta représente les précipitations annuelles observées par Climate Research Unit ; la courbe verte, le scénario RCP 2.6 et la courbe rouge, le scénario RCP 8.5.

Figure 4. Evolution du climat en région PACA depuis 10 000 ans (source : Joël Guiot, CNRS)

La Figure 5 montre que le petit âge glaciaire a connu au moins un mois d’embâcle et des hauteurs d’eau nettement supérieures à la normale. Ceci signifie que le PAG était à la fois froid et pluvieux. Le maximum du PAG se situe entre 1650 et 1900, ce qui est confirmé par un indice PDSI supérieur à zéro mettant en évidence des conditions humides (Figure 4).

Le climat passé a donc connu des fluctuations importantes dues à des variations naturelles. Le climat terrestre n’est donc pas une composante figée, mais il oscille en permanence.

Figure 5 . Nombre de mois avec événements extrêmes pour le Rhône : en rouge, inondation avec un niveau d’eau de plus de 4 mètres par rapport au niveau normal ; en bleu, gel partiel ou total du fleuve (données collectées par George Pichard, historien)
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