2.Vers une perte de la biodiversité alpine ?

Dans les Alpes, le changement climatique peut se résumer à deux principaux facteurs : le printemps et l’été sont plus chauds et secs ; la période d’enneigement hivernal tend à se raccourcir. De nombreuses conséquences sont déjà observables dans les territoires alpins. L’activité biologique des plantes s’est par exemple accrue ces 30 dernières années provoquant un « verdissement » des montagnes. La végétation a gagné du terrain sur les surfaces minérales telles que les éboulis, parois, alluvions, espaces libérés par la fonte des névés et glaciers. Les espèces végétales sont donc actuellement en phase d’extension, et non de retrait ou de perte. Ce mécanisme est toutefois à considérer à l’échelle d’une période courte, soit à peine quelques décennies. Sur le plus long terme, les espèces alpines adaptées à des conditions écologiques spécifiques sont clairement menacées. Le changement climatique, en bouleversant les équilibres écologiques alpins, favorise la colonisation d’espèces qui fuyaient jusqu’ici le climat montagnard. Ainsi, une nouvelle compétition pour accéder aux ressources émerge.

La banalisation des différentes espèces d’altitude qui présentent une biodiversité singulière est un risque majeur : la faune et la flore des écosystèmes alpins disparaissent au profit d’espèces plus « communes », issues de tranches altitudinales inférieures, qui gagnent

du terrain et renforcent la concurrence au sein de la biodiversité alpine.

Le lièvre commun supplante désormais par exemple le lièvre variable (photo 11) et les plantes spécifiques des combes à neige disparaissent au profit d’une végétation qui se développait à basse altitude. Après une phase d’extension, les espèces d’altitude risquent donc de connaître une très forte régression, dont l’ampleur est encore mal évaluée.

Les espèces alpines se caractérisent par des adaptations à des conditions écologiques drastiques. Elles ont la capacité d’absorber les effets du changement climatique sur leurs habitats ou de résister jusqu’à un certain seuil. Ce dernier est une question centrale, mais il est encore méconnu, voire inconnu. Des effets de seuil ont toutefois déjà ponctué l’histoire du vivant : passé un stade de pertes de biodiversité, c’est l’effondrement en chaîne des communautés du vivant interagissant les unes avec les autres. Pour éviter une rupture irréversible, il est essentiel de collecter des données, de les interpréter, de parfaire et partager les connaissances techniques et scientifiques, de croiser les regards et mobiliser l’ensemble des acteurs publics et privés qui œuvrent pour préserver la montagne et sa biodiversité.

Photo 11. Lièvre variable

Zoom 4. Les marmottes vont-elles s’adapter au changement climatique ?

Le climat des Alpes a évolué à un rythme sans précédent depuis la fin du XIXéme siècle : augmentation de la température de plus 2°C, diminution des précipitations en été et augmentation au printemps et en hiver. Ces modifications impactent fortement les chutes de neige et le manteau neigeux. La marmotte alpine (Photo 12), espèce emblématique des Alpes, subit ces changements climatiques.

Les marmottes hibernent dans leur terrier de mi-octobre à début d’avril, puis passent la saison active à accumuler suffisamment de graisse pour survivre à l’hibernation. Elles vivent en groupes familiaux, composés d’un couple de dominants qui se reproduit une fois par an, d’un ou plusieurs subordonnés et de marmottons. Ce mode d’élevage coopératif est caractérisé par la présence d’auxiliaires, qui bien que sexuellement matures, acceptent de ne pas se reproduire. Chez les marmottes, ce sont les mâles subordonnés qui jouent ce rôle d’auxiliaire. Pendant l’hibernation, ils contribuent à augmenter la survie des marmottons en participant activement à la thermorégulation sociale. Durant l’hibernation, les marmottes sortent de leur torpeur une quinzaine de fois. Ces réveils sont extrêmement coûteux en énergie. Les auxiliaires, en se réveillant avant les marmottons, réchauffent certainement le terrier et permettent aux marmottons de limiter leur consommation d’énergie.

Grâce à un suivi initié en 1990 sur la population de la réserve de la Grande Sassière (Savoie), il a été mis en évidence que la taille des portées décline constamment et ce à cause de l’amincissement de la couverture neigeuse hivernale qui accentue le froid dans les terriers. Les femelles sortent désormais d’hibernation amaigries. Trop maigres, elles produisent un marmotton de moins par portée par rapport aux années 90. La survie de ces marmottons a également diminué. Cette baisse du nombre de marmottons et de leur survie a pour conséquence immédiate une réduction du nombre d’auxiliaires présents dans les familles les années suivantes, diminuant d’autant les chances de survivre à l’hiver des marmottons nés récemment. Cette boucle de rétroaction entre contexte écologique et social peut avoir un fort impact sur le système social si particulier de la marmotte. Depuis 1990, la baisse de la survie moyenne des marmottons est observée essentiellement dans les groupes familiaux avec auxiliaires, ce qui suggère que les bénéfices de ce mode d’élevage diminuent avec le changement climatique. La croissance de la population ralentit. Si cet impact négatif est partiellement contrebalancé par un accès plus important à la reproduction pour les subordonnées de nos jours, le changement climatique pourrait perturber les pressions de sélection qui ont jusqu’à présent favorisé l’élevage coopératif chez la marmotte alpine. Cet exemple montre qu’au delà des conséquences désormais reconnues sur la survie et la reproduction des animaux, les changements climatiques auraient également des répercussions importantes sur les organisations sociales et sur la propension des individus à coopérer.

Photo 12. Marmottes à l’entrée de leur terrier
Rechercher
Newsletter