Face au changement climatique, et plus largement au changement global, nos systèmes alimentaires et agricoles, complexes et inégalitaires, sont fragiles. Leur robustesse est conditionnée par le type d’agriculture, la consommation et les régimes alimentaires associés, le transport, la transformation et la commercialisation des produits, les pollutions eau-sol-plante-atmosphère, la météorologie, le climat, le portage politique, l’organisation socio-économique... Aujourd’hui, le système « agriculture-alimentation » n’est ni satisfaisant, ni durable, aussi bien à l’échelle mondiale que locale. Nos modèles alimentaires et agricoles, encore dominés par l’agriculture intensive, les spécialisations, les mécanismes et procédés industriels, la mondialisation, sont en danger.
Ces dernières décennies, en France, la surconsommation de produits transformés, viandes, produits laitiers et œufs, émettrice de gaz à effet de serre (GES), défavorable à la santé humaine et aux équilibres des écosystèmes, a augmenté ou reste élevée, tandis que celle des produits bruts a diminué. Par personne et par an, le régime alimentaire moyen actuel génère entre 1400 à 1800 kg eqCO2 d’émissions de GES, nécessite 4000 à 4500 m2 de surface agricole et une consommation d’énergie de 6000 mégajoules, loin de toute soutenabilité. Par ailleurs, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur exporte 61 % de sa valeur agricole produite, alors que la consommation de produits agricoles et agroalimentaires est principalement issue d’importations.
Pour éviter des crises majeures et une déstabilisation des chaînes de production ces prochaines années, il est nécessaire de transformer nos systèmes alimentaires et agricoles, aux échelles régionale et territoriale, avec la volonté de répondre aux besoins des habitants, préserver leur santé, valoriser des pratiques agricoles et alimentaires à faible empreinte carbone, protéger les agrosystèmes, stopper l’érosion et la dégradation des sols et de la biodiversité, privilégier la qualité et le goût, réduire les inégalités sociales, contribuer aux efforts des acteurs régionaux publics et privés engagés dans l’amélioration des pratiques au quotidien… Le but est de basculer d’un système destructif de l’humanité et de l’environnement à un système agroécologique et plus juste. Ce dernier passe notamment par :
Cette liste non exhaustive montre combien le chemin à parcourir est encore long, mais des signes encourageants se manifestent. Les critères de choix en faveur de la santé et l’environnement prennent de plus en plus d’importance dans la société, comme en témoignent l’augmentation de la production et de la consommation de produits biologiques, et l’attrait croissant des consommateurs pour les produits locaux et les circuits courts.
Les ruptures vis-à-vis des systèmes alimentaires et agricoles impliquent une approche territoriale multi-échelles et collective. Rien ne sera possible sans l’adhésion de tous les acteurs des filières alimentaires et agricoles (du paysan à l’industriel, de l’épicerie de quartier aux centres commerciaux), des restaurateurs, des acheteurs… Les décideurs à l’échelle territoriale ont aussi un rôle majeur à jouer pour orienter les politiques locales, tout en s’appuyant sur la réglementation (loi Égalim, projets alimentaires territoriaux, restauration collective…) et les recommandations nutritionnelles françaises et internationales. Rendre les systèmes alimentaires et agricoles régionaux plus attractifs, durables et résilients nécessite une réflexion globale sur les processus qui lient production, distribution, consommation et alimentation, et une adhésion croissante de la société.
Pour réussir les transitions alimentaires et agricoles, garantir la sécurité alimentaire et lutter contre le changement climatique, il est primordial de réinventer nos systèmes aujourd’hui souvent dépassés. L’alimentation a une dimension sociale, culturelle, symbolique et politique. Son accessibilité dépend de notions complexes qui dépassent la proximité géographique ou le prix. Il faut prendre en compte les contraintes pratiques (absence de cuisine fonctionnelle, mobilité difficile) et les besoins (adéquation des denrées avec les préférences, habitudes et croyances). En ce sens, il est important de soigner les diagnostics territoriaux, en restant à l’écoute des bénéficiaires et participants, en vue d’adapter les initiatives en fonction des perceptions et des attentes. Les démarches de concertation, l’inscription des publics ciblés dans les processus décisionnels et l’implication des usagers bénévoles sur les lieux de vente soutiennent l’implication citoyenne dans les systèmes agri-alimentaires…
Des mesures fortes sont également à explorer comme la mise en place d’une sécurité sociale de l’alimentation, encouragée par des scientifiques et des politiques, qui, comme la sécurité sociale de la santé, serait financée par la cotisation sociale. Le renforcement des projets alimentaires territoriaux (PAT), qui entrent dans une dynamique collective, a pour ambition de faciliter les interconnexions, les complémentarités et les échanges d’expériences, afin d’améliorer la résilience alimentaire régionale, et doit s’accompagner d’ambitions écologiques qui sont à ce jour limitées.
Il est temps de mobiliser les acteurs des filières alimentaires et agricoles et de passer à l’action. L’urgence climatique est un obstacle supplémentaire au bon fonctionnement des systèmes, mais il est surmontable, au moins partiellement, si les émissions de gaz à effet de serre sont massivement réduites à court terme, si l’agriculture se tourne vers l’agroécologie, si l’alimentation se végétalise… Les changements d’habitudes alimentaires requièrent l’apprentissage de nouveaux savoirs et de nouvelles pratiques. Les situations collectives offrent des contextes idéaux pour agir sur les leviers disponibles tout en créant des situations conviviales facilitant l’interaction et l’apprentissage entre pairs.
La région Provence-Alpes-Côte d’Azur est appelée à renforcer ses pratiques agricoles durables. Elle atteindra difficilement l’autosuffisance alimentaire sur l’ensemble des filières d’ici 2050, mais, en prenant des décisions courageuses, elle pourrait davantage couvrir les besoins de la population en valorisant notamment la « modification de l’assiette » et en relocalisant ses débouchés.
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