7.Les mesures sociales et collectives pour accélérer les transitions alimentaires et agricoles régionales

La mutation des systèmes alimentaires et agricoles, indispensable pour limiter le changement climatique, passera par davantage de justice sociale, tant d’un point de vue économique, environnemental que climatique. La transition écologique est un appel à changer nos pratiques pour réduire les impacts du changement climatique, mais aussi une opportunité pour rendre nos sociétés plus solidaires et résilientes. Les régions et les pays ne doivent plus accepter les grandes inégalités sociales qui séparent les populations en détresse des plus riches. Cette évolution passe par nos comportements individuels, mais surtout collectifs pour transformer en profondeur nos modèles de développement. Ce chapitre traite des mesures sociales et collectives susceptibles d’accélérer les transitions.

7.1. Vers des systèmes alimentaires et agricoles plus justes

Pour s’engager durablement dans les transitions, rien ne sera possible si la justice sociale est marginalisée dans les politiques et stratégies d’adaptation et d’atténuation. Lutter contre les inégalités sociales et de genre, rendre accessible l’alimentation de qualité aux plus démunis, préserver la santé de chacun, contribuer à sa mesure aux efforts en faveur des transitions, etc. ne représentent pas un simple espoir ou une aspiration, mais une nécessité. Ce sous-chapitre donne des premières pistes.

7.1.1. Comment mettre en place des systèmes alimentaires et agricoles durables en luttant contre les inégalités sociales ?

Les systèmes alimentaires et agricoles sont soumis à des pressions et des chocs découlant de l’augmentation de la demande (accroissement des populations, progression de la faim), des effets du changement climatique, de la surexploitation des ressources, de la survenue de différents types de crises (politiques, économiques ou sanitaires). La crise due à la COVID-19 a rendu visibles et a accentué les situations de précarité alimentaire en France. En 2020, des estimations chiffraient le nombre de personnes en situation de vulnérabilité économique ou sociale, ne pouvant accéder à une alimentation sûre, diversifiée, de bonne qualité et en quantité suffisante, à 7 millions. Le nombre d’usagers de l’aide alimentaire a doublé en dix ans et aurait augmenté de plus de 10 % entre 2019 et 2020. De surcroît, la guerre en Ukraine a engendré une augmentation rapide de l’inflation des prix de l’alimentation qui risque de se poursuivre. Dans un tel contexte, les systèmes alimentaires doivent se transformer pour devenir plus durables en luttant contre les inégalités sociales.

En France, de nouvelles formes de systèmes alimentaires plus durables se développent, portées par la hausse de la consommation, la multiplication et la diversification des circuits de proximité, avec l’appui des politiques alimentaires (loi Égalim, PAT, etc.). Pour autant, l’accessibilité à ces circuits (groupement d’achats ou d’épiceries participatives, vente en ligne de produits bio ou locaux…) reste un obstacle pour la majeure partie de la population. Heureusement, certaines initiatives parviennent à réduire le prix des produits, grâce au bénévolat et aux financements publics et privés (fondations), ou lèvent des barrières culturelles et sociales en faisant des utilisateurs les porteurs des projets.

Pour autant, la fragilité et la diversité des modèles économiques et sociaux des initiatives, mais aussi le manque d’évaluation de la durabilité des systèmes agricoles soutenus et la non-représentativité de leurs utilisateurs, demeurent des faiblesses.

Du côté de l’aide alimentaire et des épiceries sociales, alors que la distribution d’une alimentation plus durable devient un enjeu plus prégnant ces dernières années et que des expérimentations ont émergé sur certains territoires, la généralisation de la distribution de produits de qualité n’est pas advenue. Face à ces limites, des ONG, des scientifiques et des politiques proposent la mise en place d’une sécurité sociale de l’alimentation (SSA). Comme la sécurité sociale de la santé, la SSA serait financée par la cotisation sociale. Elle se fonde sur le droit à l’alimentation durable et sur la démocratie alimentaire. Le principe est d’allouer à chacun une allocation universelle pour une alimentation durable dont le montant serait adapté au niveau socio-économique des foyers, et qui donnerait accès à des produits et/ou des lieux conventionnés, les critères de conventionnement étant élaborés démocratiquement dans les bassins de vie, ce qui contribuera à actionner la transition vers des systèmes alimentaires plus durables.

Pour faire face à la double urgence climatique et sociale, il est essentiel d’apporter une réponse ambitieuse en adéquation avec les enjeux d’aujourd’hui et de demain. Pour évaluer les bienfaits et l’efficacité d’une telle mesure, il est primordial de comprendre que les gains de la SSA en faveur de la santé et de l’environnement dépassent largement son coût.

Interview II. Le genre au cœur de la transition agricole et alimentaire

Carine PIONETTI, chercheuse indépendante en écologie politique et spécialiste des questions de genre, affiliée au Centre for Agroecology, Water and Resilience, University of Coventry, Royaume-Uni (Photo 15 ci-contre, © Carine Pionetti)

1. Pourquoi est-il pertinent de s’intéresser au genre quand on parle de systèmes alimentaires et agricoles, et de changement climatique ?

Parler du genre présente l’avantage de s’intéresser aux différences entre les hommes et les femmes pour pouvoir les prendre en compte dans les projets ou les politiques publiques. Dans le monde agricole par exemple, les femmes qui s’installent ont plus difficilement accès au foncier, aux aides et crédits, et leurs fermes sont en moyenne moins grandes (36 ha contre 62 ha pour les hommes en 2012). Côté alimentation, des différences sont encore constatées : les hommes font moins les courses alimentaires, la cuisine, et sont globalement moins tournés vers le bio, même si cela évolue. Pour le changement climatique, c’est plus subtil. Il faut croiser les questions de résilience, de gestion de l’eau, de perceptions des aléas climatiques avec celles du genre. La capacité à faire face aux changements, qu’ils soient liés au climat ou au contexte économique, varie selon un grand nombre de facteurs, comme la maîtrise de l’eau et du foncier, les possibilités de diversifier sa production, de participer à des initiatives collectives… Sur tous ces sujets, il existe des différences entre les femmes et les hommes à considérer pour concevoir des stratégies d’adaptation « sensibles au genre ».

2. En quoi le genre peut constituer un levier pour rendre des actions plus efficaces ou dynamiser les territoires dans une perspective de transition agricole et alimentaire ?

À l’heure actuelle, la transition relève le plus souvent des femmes : elles sont très mobilisées sur le terrain pour faire évoluer les pratiques agricoles, transformer les habitudes alimentaires, favoriser le bio dans les cantines scolaires. Elles initient des démarches de vente directe ou de diversification dans les fermes et s’investissent dans des outils de transformation (fromageries, abattoirs de proximité) qui redynamisent les filières courtes et l’économie locale. En donnant aux femmes plus de reconnaissance et de moyens, mais aussi en défendant la parité entre femmes et hommes dans les instances décisionnelles et dans la sphère politique, il est possible d’accélérer ces processus de transition. La culture des organisations doit aussi évoluer vers une plus grande mixité. Les projets alimentaires territoriaux offrent des opportunités pour traiter les questions de genre, en intégrant des actions encourageant l’installation agricole des femmes, par exemple, ou en revalorisant les métiers dits « du care » (du soin) très féminisés et souvent mal rémunérés (exemple : postes d’aide de cuisine dans la restauration collective). Il est aussi important d’augmenter le pourcentage de femmes occupant des postes à responsabilités car si les femmes sont très présentes sur le terrain, elles ne sont pas assez représentées dans les instances décisionnelles qui jouent un rôle dans la transition !

3. Une expérience à partager ?

Je pense au Groupement d’intérêt économique et environnemental FAM dans les Hautes-Alpes, constitué uniquement d’agricultrices, probablement le seul Groupement d'intérêt économique et environnemental (GIEE) féminin à ce jour en France ! Ce groupe se réunit 5 à 8 fois par an, proposant des chantiers collectifs, de la solidarité et de l’entraide dans les fermes. Il est aussi à l’origine de Devenir Paysanne, un guide sur l’installation agricole au féminin.

7.1.47. Les défis d’une transition agri-alimentaire socialement juste

Groupements d'achats dans les quartiers politiques de la ville, paniers marchés et épiceries solidaires alternatifs à l’aide alimentaire classique, qui visent à la fois la transformation des systèmes agri-alimentaires et une accessibilité alimentaire à tous, constituent un levier de transition écologique et de justice sociale. Ces projets génèrent des changements conséquents dans le quotidien des participants, leur permettant de se procurer à des prix abordables et à proximité de leur lieu de vie, des produits de qualité issus de circuits courts ou de pratiques agroécologiques. Cependant, traiter en profondeur les inégalités d’accès à une alimentation saine, digne et durable s’accompagne de deux défis majeurs.

D’une part, l’alimentation étant une pratique sociale, culturelle, symbolique et politique, son accessibilité ne peut se réduire aux seules notions de proximité géographique et de prix. Aussi, il convient de prendre en compte les contraintes pratiques (absence de cuisine fonctionnelle, mobilité difficile) et les besoins (adéquation des denrées avec les préférences, habitudes et croyances) des publics visés, et ce, à tous les stades du projet. Pour ce faire, il est capital de soigner le diagnostic de territoire, tout en restant à l’écoute des participants, afin d’adapter les initiatives selon les perceptions et attentes émergeantes d’enquêtes qualitatives. Par ailleurs, les démarches de concertation, l’inscription des publics ciblés dans les processus décisionnels et l’implication des usagers bénévoles sur les lieux de vente soutiennent l’implication citoyenne dans les systèmes agri-alimentaires. Et il est pertinent de compléter les dispositifs d’aide alimentaire par des moments de convivialité, vecteurs de sensibilisation, tels que les visites de ferme, les ateliers-cuisine ou les repas partagés (Photo 16).

Et si les projets foisonnent, ils peinent à perdurer et à élargir leur portée. En effet, la vulnérabilité économique des initiatives cantonne leurs retombées positives à une échelle locale, un nombre limité de personnes et un temps court. Pour lutter efficacement contre l’insécurité alimentaire et œuvrer dans un même mouvement en faveur d’une transition écologique, il est indispensable de dépasser l’approche « projet ».

La diversification des modèles économiques atténue la dépendance aux seules subventions publiques, tandis que la coordination des initiatives multi-échelles appuie leur plaidoyer politique. À cet égard, les expérimentations de Territoire à VivreS rassemblent cinq réseaux et associations françaises (Réseaux Cocagne, CIVAM et VRAC, Secours Catholique, Union nationale des groupements des épiceries sociales et solidaires) engagés dans le renouvellement des politiques nationales de lutte contre la précarité alimentaire vers des logiques d’actions systémiques durables et émancipatrices. À l’instar des réseaux de villes engagées sur des objectifs ambitieux sur les questions climatiques, il serait pertinent de renforcer les réseaux de villes dédiés à la transition écologique des systèmes agri-alimentaires, et de les lier. Si la vision « projet » peut s'avérer pertinente pour concrétiser des mesures favorisant l’amélioration de la sécurité alimentaire à court terme, un changement de paradigme est nécessaire pour impulser des mutations systémiques et des réponses politiques, à la hauteur des enjeux structurels de justice sociale et écologique.

Photo 16. Visite de la ferme Capri par les enfants de l'école primaire Saint-Joseph Servières (© Cité de l’agriculture).

À ce titre, la proposition d’instauration d’une sécurité sociale de l’alimentation, précédemment évoquée, est prometteuse : elle permettrait de changer d’échelle, d’abandonner le statut de bénéficiaire au profit de celui d’ayant droit et de renforcer la transition agricole et alimentaire.

7.46. Les leviers collectifs pour engager les transitions

Pour engager et renforcer les nécessaires transitions, même si le comportement individuel peut avoir une incidence majeure sur les orientations alimentaires et agricoles d’un pays ou d’une région, les initiatives collectives sont à privilégier. Elles passent par des ambitions et des projets qui dépassent l’échelle des individus, et des dynamiques qui permettent d’accélérer les processus de changement. Ce sous-chapitre s’attarde sur les projets alimentaires territoriaux, la mobilisation des acteurs agricoles et les leviers de mobilisation collective.

7.46.1. Quelles ambitions des projets alimentaires territoriaux en Provence-Alpes-Côte d'Azur ?

Depuis 2014, la multiplication des projets alimentaires territoriaux (PAT) témoigne du fort succès que ces instruments d’action publique ont sur l’ensemble du territoire national. Ces PAT font de l’alimentation une question centrale pour agir en faveur d’une reterritorialisation des activités de production, de transformation, de distribution et, in fine, de consommation.

Actuellement, en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, figurent 27 PAT reconnus par le ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire et 5 projets sont en phase de réflexion, ce qui couvre 91 % de la surface administrative et 95 % de la population régionale. Même si tous ces PAT n’affichent pas les mêmes objectifs prioritaires, ils entrent tous dans une dynamique collective qui a l’ambition de faciliter les interconnexions, les complémentarités et les échanges d’expériences, afin d’améliorer la résilience alimentaire régionale (Photo 17).

Les leviers d’action sont multiples : restauration collective, reconnexion besoins/ressources et producteurs/ consommateurs, accompagnement à l’installation, préservation, voire augmentation, du foncier agricole, réduction du gaspillage alimentaire, etc. Les PAT soulèvent néanmoins des questionnements inédits relatifs à la définition des objectifs ou aux procédés choisis par exemple. Les connaissances acquises et les expériences mettent en évidence certaines conditions susceptibles de favoriser la mise en œuvre et la réussite des projets.

Comme introduit, ces projets proposent de réformer non seulement les modes de production, mais aussi les modes de transformation, de distribution et de consommation. Pour ne pas oublier des acteurs clés autour de la table, il est important de reconnaître et prendre en compte tous les maillons de la transformation du système alimentaire et les différentes structures associées. Cette première condition mène naturellement à la gouvernance du projet. L’institution d’un comité de pilotage étant prévue par le cadrage du PAT, les porteurs du projet doivent y associer les acteurs concernés ou ciblés par le projet. L’implication de ces derniers, notamment en amont du montage, et l’ajustement des modes de gouvernance avec les ambitions du projet sont des éléments clés pour assurer la réussite des PAT.

Une troisième condition concerne l’intersectorialité. Le travail entre services (agriculture, économie, santé, urbanisme, social, éducation, culture, développement durable, etc.) n’est pas toujours évident du fait d’une spécialisation des compétences, mais aussi des enjeux politiques locaux. Néanmoins, une approche transversale est fondamentale pour considérer et traiter les blocages qui empêchent la transition du système alimentaire de s’engager vers plus de durabilité.


Photo 17. Repas collectif durant une action du PAT de Mouans-Sartoux qui répond aux enjeux de santé des habitants et des écosystèmes : cantine 100 % bio (80 % d’approvisionnement local), gaspillage alimentaire réduit, aide financière à l’installation des agriculteurs bio, éducation à l'alimentation durable… (© Gilles Pérole)

Une quatrième condition concerne la collaboration inter-PAT. Si la commune est un territoire pertinent (il permet le déploiement des actions d’un PAT), la réalité des filières alimentaires et agricoles, ainsi que l’importance de la question économique, impliquent les échelons intercommunaux, voire départementaux et/ou régionaux. Ces échelles sont tout autant pertinentes et complémentaires.

Enfin, des études montrent combien les ambitions écologiques de la majorité des PAT sont souvent invisibles. Sous couvert de relocalisation et de reterritorialisation, les enjeux écologiques sont souvent omis dans les structures représentées et les actions définies. Or, au vu de la crise écologique et climatique à laquelle nous faisons face, les PAT offrent des champs d’actions pour concevoir des systèmes alimentaires ambitieux sous l’angle social et écologique.

Les 27 PAT de la région entrent tous dans une dynamique collective visant à améliorer la résilience alimentaire régionale.

Zoom 5. Les projets d'alimentation locale et solidaire soutenus par le plan France Relance

La crise sanitaire a mis en exergue la difficulté pour certains publics à accéder, pour des raisons financières, mais aussi pratiques, à une alimentation locale, fraîche, saine et à un prix abordable. Face à l’accroissement du nombre de personnes isolées ou en situation de précarité, les initiatives, portées par des associations, des entreprises, des collectivités, des acteurs de l’économie sociale et solidaire, se sont multipliées sur tout le territoire.

Dans ce contexte, le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation en place à l’époque a débloqué, dès le début de l’année 2021, 30 millions d’euros afin d’encourager les projets permettant aux personnes modestes ou isolées d’accéder à une alimentation locale et de qualité sur l’ensemble du territoire métropolitain et ultramarin, en s’appuyant sur la mesure 12 du plan de relance. Ce soutien est complémentaire aux mesures portées par le ministère des Solidarités et de la Santé qui aident les associations de lutte contre la pauvreté.

L’appel à projets de la mesure « alimentation locale et solidaire » se décline aux niveaux national et départemental pour laisser une large part aux projets de proximité. Dans son volet national, la mesure soutient les projets structurants et innovants des acteurs « têtes de réseaux ». Au niveau territorial, une enveloppe est dédiée aux initiatives locales de tous les acteurs de la société civile et de l’économie sociale et solidaire qui s’engagent à faciliter l’accès à une alimentation saine, sûre, durable, de qualité et locale aux citoyens qui en sont éloignés.

Une enveloppe de 1,5 million d’euros a ainsi été fléchée en région Provence-Alpes-Côte d’Azur qui a permis de soutenir 49 projets (Figure 14) s’inscrivant dans une ou plusieurs thématiques :

• soutien aux producteurs agricoles ayant des démarches collectives de structuration de l’approvisionnement en produits locaux et de qualité ;

• soutien aux associations, aux entreprises (PME, TPE, start-up), aux communes et aux intercommunalités ayant des projets de mise à disposition d’une alimentation de qualité pour tous ;

• soutien aux initiatives locales de développement de commerces solidaires ambulants destinés notamment aux personnes isolées ou modestes.

La mesure participe au financement des investissements matériels (matériel roulant, équipements de stockage) et immatériels (dépenses de formation, prestations de conseil) avec un taux de subvention pouvant aller de 40 à 80 % suivant les cas. Par exemple, 25 camions frigorifiques, permettant de distribuer des produits alimentaires locaux et de qualité à des associations caritatives (banque alimentaire ou restos du cœur par exemple) ou pour approvisionner des épiceries sociales et solidaires, ont été financés.

Figure 14. Enveloppes financières allouées aux projets « alimentation locale et solidaire » par département au 31 décembre 2021 (source : France Relance).

7.46.45. Mobiliser les acteurs des filières agricoles et passer à l’action

Face au changement climatique, l’enjeu est désormais de savoir comment y répondre. Il n’est plus possible de définir des orientations stratégiques de long terme sans intégrer la vulnérabilité climatique. Au sein des filières, les acteurs de l’amont (agriculteurs, éleveurs) paraissent plus enclins à élaborer des stratégies actives d’adaptation du fait de leur exposition fréquente aux aléas climatiques. Le maintien ou l’évolution des bassins de production et des filières agricoles ne se fera pas sans l’implication de tous les acteurs de la chaîne de valeur, pour créer de nouveaux débouchés, adapter les cahiers des charges (labels, appellations, etc.), éduquer les consommateurs et communiquer auprès d’eux, etc. Dès lors, la question est de savoir : sur quel périmètre ? Comment mobiliser ? Et quelle stratégie adopter pour construire des systèmes résilients ?

En ce sens, un guide méthodologique à destination des acteurs des filières agroalimentaires intitulé « Comment développer sa stratégie d’adaptation au changement climatique à l’échelle d’une filière agroalimentaire ? » a été produit en 2019 (partenariat ACTERRA-ADEME). La méthode proposée repose notamment sur l’élaboration de trajectoires d’adaptation, permettant de dessiner des stratégies d’adaptation au changement climatique flexibles et ajustables dans le temps, en fonction de l’intensité du changement climatique. Les démarches d’adaptation (Figure 15) doivent s’inscrire dans des enjeux sociétaux et environnementaux plus larges, comme l’évolution de la consommation alimentaire et la nécessaire atténuation des émissions de gaz à effet de serre.

Cette étude, dont les résultats ont été présentés à l’occasion du Sommet Virtuel du Climat 2021, a constitué un premier travail exploratoire dans l’accompagnement des filières. Elle s’est poursuivie en 2021 pour analyser les démarches d’adaptation au changement climatique dans les secteurs agricoles, mais aussi forestiers, en orientant plus particulièrement vers les modalités de mobilisation des acteurs et le passage à l’action. Plusieurs facteurs de réussite ont été identifiés. Les enseignements et recommandations formulés pour accompagner les acteurs dans leur démarche soulignent l’importance de :

1. définir l’échelle de travail la plus adaptée : entre filière(s) et/ou territoire(s) ;

2. s’appuyer sur les structures de portage existantes (autant que possible) ;

3. raconter le futur, esquisser les chemins possibles ;

4. proposer des trajectoires « sans regret » à court terme, pour préparer les transformations nécessaires à long terme ;

5. proposer des démarches de co-construction participatives et garder une flexibilité dans la gestion du projet ;

6. s’appuyer sur la pédagogie des aléas majeurs comme un argumentaire possible de mobilisation ;

7. mettre en avant les co-bénéfices créés ;

8. mobiliser les financements en faveur de l’adaptation.

Ces recommandations sont applicables pour faire évoluer les filières agricoles, mais aussi alimentaires en région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Figure 15. Organisation de la démarche (source : ADEME, 2019).

Zoom 6. Le projet PARCEL en faveur d’une alimentation résiliente citoyenne et locale

PARCEL est un outil web simple, ludique et gratuit, permettant d’évaluer pour un territoire donné les surfaces agricoles nécessaires pour se nourrir localement. Il mesure aussi les emplois agricoles et les impacts écologiques associés à d’éventuels changements de mode de production agricole et/ou de régimes alimentaires (émissions de gaz à effet de serre, pollution des ressources en eau, effets sur la biodiversité…).

Développé par Terre de Liens, la Fédération nationale de l’agriculture biologique (FNAB) et le Bureau d'analyse sociétale d'intérêt collectif (BASIC), PARCEL invite les citoyens et les élus à se saisir des enjeux actuels de l’alimentation en leur proposant de « jouer » sur trois des principaux leviers de durabilité de l’alimentation :

• la reterritorialisation des filières alimentaires ;

• les modes de production agricole ;

• la composition des régimes alimentaires.

Répondant aux préoccupations inscrites dans sa charte, le Parc naturel régional du Luberon s’est questionné sur le potentiel nourricier de son territoire et son évolution. C’est dans cet objectif qu’une analyse prospective très fouillée a été menée avec Le BASIC grâce à l’utilisation de l’outil PARCEL. Appliqué au Luberon, PARCEL a permis d’évaluer l’autonomie alimentaire du territoire, d’explorer deux scénarios pour 2030 et ainsi, de sensibiliser les élus sur l'importance de se mobiliser pour soutenir le maintien et l’installation de productions agricoles nourricières. Le premier scénario fournit un aperçu de l’évolution de l’agriculture si la tendance actuelle perdure, avec une diminution proche de 40 % du potentiel nourricier du territoire corrélé à un phénomène d’agrandissement des exploitations et de perte de diversité des productions. Le deuxième scénario prend en compte des actions en faveur d’une transition permettant de valoriser et soutenir la diversité des productions.

Ce diagnostic permet de fournir des éléments concrets aux acteurs locaux afin de développer plusieurs scénarios à leur(s) échelle(s) dans l’objectif de nourrir les nécessaires débats sur les enjeux de la transition alimentaire et de l’usage des terres agricoles.

7.46.55. Quels sont les leviers pour changer les comportements alimentaires ?

Activité sociale par excellence, les pratiques alimentaires sont le terrain d’actualisation de diverses ambitions sociales et interindividuelles. Les impacts de ces pratiques en termes de santé et d’environnement ont contribué à l’inscription des pratiques alimentaires dans l’agenda des politiques publiques depuis une vingtaine d’années (Programme national nutrition santé par exemple).

Les leviers pour orienter les comportements alimentaires vers plus de durabilité sont nombreux : éducation, marketing, régulation économique… Une partie importante de ces instruments repose sur l’image de « l’individu rationnel » dont les choix suivraient une logique de maximisation des intérêts individuels. Plus récemment, des travaux sur les pratiques alimentaires montrent que, loin de résulter exclusivement d’une négociation entre intérêts individuels et contraintes contextuelles, les modifications de pratiques dépendent de motivations complexes à l’interface entre les préoccupations individuelles, collectives et les dimensions cognitives, normatives et matérielles. La complexité de ces transformations est d’autant plus évidente dans un contexte de changement climatique où les dérèglements à l’œuvre résultent des dysfonctionnements entre les systèmes sociaux et les milieux biophysiques.

Autrement dit, au-delà de la motivation basée sur l’information, les changements d’habitudes alimentaires requièrent l’apprentissage de nouveaux savoirs et de nouvelles pratiques, ainsi que des arrangements matériels favorables. Se déplacer, choisir, reconnaître, acheter, ranger, transformer, conserver et modifier les habitudes alimentaires impliquent de modifier l’ensemble de ces actions réunissant à la fois des enjeux cognitifs (associer les produits biologiques et la santé par exemple), normatifs (valoriser socialement une pratique de consommation par exemple) et matériaux (savoir transformer un végétal peu commun par exemple). Suivant ce constat, les politiques publiques gagneraient à prendre en compte les contraintes cognitives et pratiques auxquelles les acteurs doivent faire face pour modifier leurs habitudes alimentaires en faveur de plus de durabilité.

Les situations collectives offrent des contextes idéaux pour agir sur les leviers disponibles tout en créant des situations conviviales facilitant l’interaction et l’apprentissage entre pairs. Concrètement, les politiques publiques territoriales peuvent d’une part, encourager et supporter les initiatives portées par des acteurs locaux (supermarchés de consommateurs, magasins de producteurs, AMAP, associations de quartier, structures de l’économie sociale et solidaire, etc.), et d’autre part, mettre en place des instruments déjà existants (Foyers à Alimentation Positive, De ferme en ferme, Ici.C.Local, etc.) fournissant des solutions pour accompagner l‘adoption de nouvelles pratiques alimentaires des habitants. Dans le déploiement de ces initiatives multi-acteurs, il est indispensable de prendre en compte les coûts sanitaires, sociaux et environnementaux de l’alimentation (« le vrai coût de l'alimentation »), condition indispensable pour permettre la transition alimentaire à grande échelle.

Les dimensions collectives ont, pour finir, l’avantage de pouvoir inclure les différents maillons du système agri-alimentaire, à savoir les politiques publiques, les filières de production, de transformation, de distribution, mais aussi les consommateurs, la société civile et la recherche. Elles offrent ainsi la possibilité de contourner une vision du consommateur à lui seul responsable de l’impact environnemental du système alimentaire et d’engager des changements plus larges en prenant en compte les marges de manœuvre et les contraintes des différents maillons.

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