6.Des pistes pour changer nos systèmes agri-alimentaires

Les systèmes alimentaires et agricoles subviennent aux besoins vitaux de la majorité de la population en France, mais leur fonctionnement ne permet pas aujourd’hui de pleinement protéger la santé de tous, préserver les agrosystèmes, les écosystèmes naturels, le climat… Face au changement climatique et la mondialisation, leur résilience est nettement insuffisante et l’autosuffisance alimentaire est faible, malgré leurs progrès. Comment y remédier ? Dans ce chapitre, des pistes réalistes sont présentées pour transformer les systèmes en place.

6.1. Comment réinventer la chaîne alimentaire, du producteur au consommateur ?

Dans les territoires agricoles proches d’espaces urbains et/ou périurbains, où la population est dense, il paraît facile de rapprocher producteurs et consommateurs à travers des circuits courts et de proximité. La question se pose différemment dans les communes rurales plus isolées, comme Barcillonnette, Lardier-et-Valença, Vitrolles et Esparron situées dans les Préalpes du Sud : agriculteurs et consommateurs peu nombreux et distants, faible présence de commerces de proximité et de marchés de plein vent… Réinventer la chaîne alimentaire appelle à imaginer différentes façons de tisser ou retisser des liens entre la production agricole locale ou environnante et les habitants du territoire, sans multiplier les déplacements de petits volumes pour limiter l’empreinte carbone. Cette perspective vient rappeler que la reterritorialisation de l’alimentation, loin d’être un repli défensif sur le local, consiste avant tout à donner aux acteurs territoriaux la possibilité de réorganiser leur système alimentaire, de manière à maîtriser l’origine et la qualité de leur alimentation. En permettant aux agriculteurs de mieux s’inscrire dans leur territoire et de conserver plus de valeur ajoutée, la reterritorialisation encourage notamment la transition agroécologique.

Quelles voies s’ouvrent pour les petites communes rurales ? Avant tout, les exploitations agricoles, même en faible nombre, sont des ressources à préserver, en facilitant leur reprise, en soutenant leur diversification, en créant un atelier en maraîchage bio ou en les accompagnant vers les circuits courts, par exemple. D’autres exploitations peuvent être créées, en favorisant l’accès

au foncier en échange de la fourniture d’aliments sains et locaux. Les habitants peuvent ensuite se regrouper pour commander leurs produits auprès de ces fermes, s’organiser pour les récupérer et les redistribuer au cours d’un déplacement domicile-travail par exemple. Depuis la crise de la COVID-19 en particulier, la population locale est souvent porteuse de solutions pour réinventer la chaîne alimentaire locale et durable, en s'appuyant sur des innovations sociales et logistiques que les communes rurales ont tout intérêt à catalyser et accélérer. Ces communes peuvent aussi se mobiliser pour soutenir ou renforcer la vente ambulante de produits locaux sur leur territoire, en encourageant la création d’une activité locale avec des emplois non précaires et à l’aide d’un véhicule écologique. La vente ambulante peut se combiner à des points de dépôts de produits locaux (mairie, Poste, école...) pour multiplier les possibilités offertes aux habitants. L’autoproduction, dans un jardin privé ou collectif, peut également être soutenue par les communes, via la mise à disposition de parcelles, mais aussi des formations au jardinage et au maraîchage agroécologique. Si elle n’a pas intérêt à concurrencer (le cas échéant) les producteurs en déficit de débouchés, l’autoproduction permet surtout aux habitants de se reconnecter à l’agriculture, de mieux en cerner les contraintes et de saisir l’intérêt de soutenir les productions agricoles locales. Les relations au sein du territoire doivent ainsi être repensés, adaptés et inventés pour éviter que les communes rurales ne deviennent des « zones blanches » agricoles et alimentaires.

6.48. Tendre vers la souveraineté alimentaire

Depuis le début de la pandémie COVID-19, souveraineté, sécurité ou encore résilience alimentaire sont très présentes dans les débats. En effet, cette crise sanitaire a montré combien produire localement son alimentation était stratégique. Alors que les rayons de la grande distribution soumis à des circuits longs étaient dévalisés et peu achalandés, les points de vente directe tels que la vente à la ferme ou les magasins de producteurs assuraient l'approvisionnement de la population. Beaucoup de consommateurs ont ainsi découvert ces alternatives locales, créatrices de lien social mis à mal pendant cette période. Cette situation inédite a permis de mettre en lumière la réalité de notre société de consommation et de sa fragilité en lien avec les approvisionnements extérieurs.

La souveraineté alimentaire est un concept développé et présenté pour la première fois par Via Campesina, mouvement international paysan, lors du Sommet mondial de l'alimentation, organisé par la FAO à Rome en 1996. Il a depuis été repris et précisé par divers courants altermondialistes. La souveraineté alimentaire est proposée comme un droit international qui laisse la possibilité aux États ou groupes d'États de mettre en place les politiques agricoles les mieux adaptées à leurs populations sans qu'elles puissent avoir un effet négatif sur les populations d'autres pays. Elle se construit dans le respect des droits des paysans et la valorisation de leur savoir, notamment en termes d’innovation et de transmission des pratiques agroécologiques et de respect du vivant. Elle s’appuie sur le maintien et le développement d’une agriculture familiale et diversifiée, davantage résiliente face aux aléas climatiques et assurant des revenus honnêtes aux agriculteurs. La souveraineté alimentaire est une rupture par rapport à l'organisation actuelle des marchés agricoles mise en œuvre par l'Organisation mondiale du commerce.

Ce concept est complémentaire à celui de sécurité alimentaire qui, selon la FAO, se traduit par un accès constant des populations à une nourriture suffisante, saine et nutritive, permettant de satisfaire les besoins énergétiques et les préférences alimentaires pour mener une vie saine et active.

La souveraineté alimentaire peut se concevoir à différentes échelles territoriales. Au niveau national, la loi d’avenir pour l’agriculture, l'alimentation et la forêt de 2014 a permis d’encourager les territoires à mettre en place des projets alimentaires territoriaux (PAT). Le Parc naturel régional du Luberon, par exemple, en anime un depuis 2017 et a pour objectif, inscrit dans la future charte 2024-2039, d’accroître sa souveraineté alimentaire. Cette charte comporte des mesures mettant en avant l’importance d’une approche systémique sur les questions liées à l’alimentation : depuis la préservation du foncier agricole jusqu’au développement de l’agriculture biologique et de l’agroécologie, en passant par la sensibilisation de la population et des élus à l'intérêt de consommer des aliments de qualité, locaux et de saison, les mesures énoncées sont gages de santé de la biodiversité des agrosystèmes et de la population. Chaque collectivité est responsable de l'orientation donnée à sa politique agricole et alimentaire et peut ainsi influer sur les productions locales.

À la sortie du premier confinement de la pandémie COVID-19 en 2020, une étude sur la résilience alimentaire en Provence-Alpes-Côte d’Azur a fait prendre conscience de notre dépendance et de notre vulnérabilité. En effet, notre consommation dépend grandement des importations, alors que de nombreuses productions locales sont exportées. Les PAT de Provence-Alpes-Côte d’Azur, aussi bien communaux que départementaux, à l’échelle d’un parc naturel régional ou d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) sont des outils en capacité de contribuer à la reterritorialisation de notre alimentation et à l'amélioration de la souveraineté alimentaire.

6.56. Quelles pratiques agricoles pour s’engager dans la transition agroécologique et optimiser la séquestration du carbone ?

L’agroécologie, qui repose sur les fonctionnalités écologiques de l’agroécosystème, permet à la fois de favoriser la biodiversité, d’augmenter la résilience des cultures face à certains effets du changement climatique et, par l’amélioration des modes de gestion des sols et l’introduction d’espèces ligneuses, de séquestrer du carbone (atténuation des émissions de GES et par conséquent du changement climatique).

Améliorer la qualité des sols nécessite en premier lieu d’enrayer la baisse régulière de matière organique (et donc de carbone) dans les sols. D’une part, en évitant de laisser les sols nus (mettre en place des couverts entre deux cultures, des couverts inter-rangs…) et d’autre part, en augmentant les restitutions (laisser les résidus sur la parcelle ou composter les résidus de cultures, apporter des produits résiduaires organiques, tels que fumiers, lisiers, composts, boues de station d'épuration, déchets verts ou digestats de méthanisation, inclure des légumineuses dans les rotations…). Ces actions ne sont efficaces que si un sol vivant, riche en biodiversité, offrant un fonctionnement optimal de l’agrosystème et plus particulièrement du cycle du carbone, est maintenu. Pour y parvenir, il est important de limiter au maximum l’utilisation de produits phytosanitaires, d’optimiser le passage des machines sur les parcelles et de réduire, voire de supprimer, le labour afin de protéger la macrofaune et la structure du sol (pratiques préconisées en agriculture biologique, agriculture de conservation ou régénérative). D’un point de vue technique, la combinaison de ces pratiques peut s’avérer complexe ou contre-intuitive pour certains acteurs. Poursuivre les recherches, expérimentations et suivis des bénéfices sur l’adaptation des itinéraires techniques de l’agriculture de conservation des sols, en agriculture biologique ou sans herbicide et pesticide, permettra à terme d’optimiser leur mise en œuvre sur le territoire. En ce sens, un groupe d’agriculteurs (projet ABC-Sud porté par Agribio 04), répartis sur toute la région, a saisi la problématique pour développer l’agriculture biologique de conservation des sols.

L’introduction d’arbres au sein ou en bordure des parcelles, dans une approche d’agroforesterie (Photo 11) ou de complantage, permet également une augmentation du stockage de carbone dans la biomasse ligneuse et les sols (importante biomasse de la litière sous les arbres, exsudats racinaires en profondeur, etc.). En 2021, la politique « Plantons des haies » a permis de lancer le développement de ces pratiques auparavant bloqué dans la région par le manque d’aides à la plantation. Le maintien de cette dynamique régionale nécessitera des soutiens financiers supplémentaires à plus long terme.

Même avec des hypothèses de calcul optimistes, le stockage additionnel de carbone obtenu par l’application des pratiques décrites, représente moins de la moitié des émissions de GES du secteur agricole. Par conséquent, ces pratiques gagneront à être associées à une réduction des émissions de protoxyde d’azote liées à l’usage des engrais azotés (dont la fabrication émet beaucoup de dioxyde de carbone), et de méthane dépendant de l’élevage intensif. Concernant ce dernier, la majorité des élevages de la région sont extensifs et utilisent des prairies et parcours qui séquestrent du carbone (hors surpâturage). Le levier d’action consiste en une évolution des régimes alimentaires qui permettra de réduire sensiblement la consommation de produits provenant de l’élevage industriel. Favoriser la consommation locale de produits carnés ou laitiers locaux, mais aussi végétaux, permettra en outre de favoriser les filières locales et les pratiques agroécologiques.

L’agroforesterie ou le complantage permet une augmentation du stockage de carbone dans la biomasse ligneuse et les sols.


Photo 11. Vignes et oliviers à Bandol (© Thierry Gauquelin).

Zoom 3. La crise sanitaire de la COVID-19, un facteur de changement de pratiques alimentaires et agricoles ?

Dès le début de la crise sanitaire en France (mars 2020), un collectif de chercheurs et d’acteurs membres du Réseau mixte technologique (RMT) Alimentation locale a lancé une enquête en ligne pour saisir les impacts de cette crise sur les systèmes alimentaires. Plus de 800 témoignages ont été recueillis, dans lesquels des personnes de toute la France décrivaient ce qu’elles vivaient ou observaient dans leur ferme, leur supermarché ou sur leur territoire. Les résultats montrent que les circuits courts ont été très sollicités pour plusieurs raisons : plus sûrs pour certains ; plus attractifs quand on dispose de davantage de temps pour cuisiner et penser à son alimentation ; par solidarité envers les producteurs locaux. Ces derniers ont su s’adapter et innover pour répondre à la forte demande, en développant la vente en ligne notamment, mais aussi en collaborant parfois avec des producteurs en circuits longs. De plus, partout en France, des consommateurs ont créé des groupements d’achats entre voisins pour acheter à un producteur situé près de chez eux. Ces initiatives ont mis en mouvement des producteurs et des consommateurs n’utilisant pas, ou très peu, les circuits courts avant la crise, et ont favorisé les apprentissages entre initiés et non-initiés à l’alimentation durable et à la transition agricole et alimentaire. Les résultats de cette enquête ont servi à discuter d’actions concrètes avec des acteurs de l’action publique, depuis le ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire jusqu’aux élus locaux, pour appuyer ces initiatives nées ou renforcées au début de la crise autour de l’alimentation locale, en tant que leviers de transition des systèmes alimentaires.

6.62. Les exploitants agricoles qui s’engagent dans la transition énergétique

Aujourd’hui, le défi le plus important du secteur agricole est la réduction des impacts environnementaux, tout en maintenant une activité économique. De nombreux agriculteurs sont engagés dans une démarche responsable, à la recherche de solutions durables pour renforcer la résilience de leur exploitation face au changement climatique. Ils sont accompagnés par différentes structures dont l’Inter-Réseau Agriculture Énergie Environnement21 (IRAEE), afin de mettre en place des actions comme :

● réduire ses consommations d’énergie pour conserver les récoltes au froid, chauffer les serres et produire des plants avec la mise en place de serres bioclimatiques (Photo 12 et Figure 12), en limitant les emballages avec la mise en place de consignes de verre (expérimentation menée de 2022 à 2023 avec l’IRAEE et Écosciences Provence) ;

Photo 12. Serre bioclimatique « 3 murs » de Fabrice Hours, agriculteur à Eygliers (© Geres).


Figure 12. Fonctionnement d’une serre bioclimatique (© Agrithermic). Les serres bioclimatiques, développées par le Geres, Agrithermic et le Groupe de recherche en agriculture biologique (GRAB), sont adaptées aux conditions climatiques de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et ont aussi l’avantage de répondre aux enjeux d’alimentation durable des territoires (relocalisation de la production alimentaire, soutien aux agriculteurs locaux, adaptation aux enjeux climatiques et énergétiques).

● mesurer ses consommations énergétiques, ses émissions de gaz à effet de serre et évaluer son stockage carbone avec un outil d’auto-diagnostic gratuit en ligne et/ou réaliser un Bon Diagnostic Carbone pour les agriculteurs installés depuis moins de cinq ans ;

● mettre en place des pratiques susceptibles de séquestrer du carbone dans le sol (accompagnement de 10 agriculteurs par l’IRAEE et le lycée agricole de Carpentras en faveur de l’initiative 4/1000) : implantation de haies, apport de matières organiques, intégration d’engrais vert (Photo 13), changement de rotations…

développer le broyage des résidus agricoles, notamment en viticulture, arboriculture et maraîchage, pour une valorisation comme combustible ou un retour au sol, en alternative au brûlage à l’air libre, et la substitution des engrais azotés par l’introduction de légumineuses et l’utilisation de compost de fumier équin moins émetteur de polluants atmosphériques (particules, ammoniac) ;

● produire du gaz renouvelable, un fertilisant (digestat) et développer des passerelles entre le monde agricole et les collectivités via la mise en œuvre d’une économie circulaire des biodéchets (déchets verts et alimentaires) au travers la méthanisation (accompagnement Métha’Synergie)…

Photo 13. Intégration d’un engrais vert en interculture et renforcement de la fertilisation organique sur une parcelle de maraîchage par l’agricultrice Hélène Bertrand, à Avignon (© Pericard Conseil).

Des mesures utiles à mettre en œuvre : mesurer et réduire les consommations d’énergie et les émissions de GES ; mettre en place des pratiques séquestrant davantage de carbone dans les sols ; développer le broyage des résidus agricoles ; produire du gaz renouvelable…

6.65. Vers une aquaculture fondée sur la durabilité et l'économie circulaire

L'aquaculture, pratiquée actuellement dans la région (loups, daurades royales, moules, huîtres…) et ailleurs, ne répond pas au triple impératif de nourrir l'humanité, préserver le climat et la biodiversité, tout en garantissant la sécurité et la souveraineté alimentaire. L'innovation est cruciale pour développer des solutions durables et inclusives. Seule une vision écosystémique et durable de l'aquaculture, intégrant plusieurs ODD simultanément, permettra de protéger les océans et les mers, le climat, la biodiversité et les communautés locales. Sur ce principe est fondé le modèle de production d’aquaculture multitrophique28 intégrée terrestre, couplée aux principes de l’économie circulaire et placée au cœur des bassins de consommation.

L’aquaculture doit être régénératrice et réparatrice. En effet, elle dépend d’un système marin profondément vulnérable face au changement climatique, qui court aujourd’hui le double risque d’un effondrement écologique et d’une crise économique et alimentaire. En réponse à ce constat, la science doit développer des solutions innovantes, afin de permettre de réduire les impacts de nos systèmes de production et de consommation alimentaires. Les aliments utilisés pour nourrir les poissons d’élevage sont un domaine clé pour la recherche et la durabilité. Désormais, la science s’intéresse à l’élaboration d’aliments aquacoles alternatifs, composés de protéines d'insectes enrichies de microalgues et d’organismes marins. L’utilisation des insectes offre l'opportunité de développer une filière de valorisation de rejets agricoles et de déchets alimentaires. Cette bioconversion par les insectes rappelle l’importance des solutions inspirées du vivant. Des pistes de valorisation des sous-produits ou coproduits de pêche sont à l’étude. À l’heure où les systèmes alimentaires sont de plus en plus perturbés par le changement climatique et les crises à venir, contenir et valoriser des protéines, vitamines et micronutriments dans des boucles vertueuses locales s’avère essentiel.

L'impact carbone du secteur de l'aquaculture ne doit plus être ignoré : la pêche pour les farines des poissons ou la chaîne du froid pour la préparation, le transport et l’exportation. Le bilan carbone de la filière est très lourd et peut être atténué par une production à terre et locale. Il s’agit de remplacer la chaîne du froid par la chaîne du vivant. Les poissons devraient passer du bassin à l’étal du marché ou à l’assiette, en garantissant la fraîcheur et la traçabilité.

Chaque fois qu'un poisson sort de l'eau, il est conservé dans de la glace, qui est constituée de deux ressources si précieuses : l'eau et l'énergie. De plus, la science alerte sur les risques liés aux changements du milieu marin et d’événements météorologiques exceptionnels qui représentent des risques pour les productions offshores. L’avantage de ramener la production à terre pour limiter ces risques, mais également pour apporter des emplois accessibles de proximité, et plus particulièrement pour les femmes, est donc indéniable.

Enfin, pour accélérer cette transition du secteur, les programmes doivent être adaptés aux réalités des territoires et des communautés, afin de permettre la mise en œuvre de pratiques low-tech high efficiency (technologie simple, haute efficacité) réplicables. Une vision favorisant les petites unités de production à taille humaine, placées au plus près des bassins de consommation, connectées à des outils de suivi scientifique et technique, est aussi à privilégier. Les partenariats publics et privés multidisciplinaires joueront un rôle central dans l’atteinte de cet objectif. En effet, les collaborations entre les institutions, les organisations non gouvernementales (ONG), les universités et les entreprises ont montré toute leur efficacité dans l’accélération des innovations de rupture.

En Provence-Alpes-Côte d’Azur, première région française en matière de pisciculture de pleine mer, l’aquaculture peut devenir une pratique régénératrice et réparatrice, permettant de lutter contre le changement climatique et de protéger les écosystèmes marins, tout en proposant des emplois dignes conduisant à la sécurité et la souveraineté alimentaire pour tous à l’échelle locale. Élever plusieurs espèces en même temps dans des bassins, afin que les déchets d’une espèce servent de nourriture à une autre, et transformer ainsi les déchets en ressources.

Dans notre région, l’aquaculture peut devenir une pratique régénératrice et réparatrice.

6.67. Plus de repas végétariens à la cantine : double pari pour la nutrition et l’environnement

La restauration scolaire française représente environ 8,5 millions de repas par semaine. Au-delà de la couverture des besoins nutritionnels, l’approvisionnement en denrées alimentaires pour les repas scolaires représente un véritable levier pour développer le tissu économique local et enclencher la transition vers des systèmes alimentaires plus durables.

Des règles spécifiques permettent d’assurer la qualité nutritionnelle des repas proposés aux élèves. La promulgation de la loi ÉGalim marque le début des mesures visant à améliorer la durabilité des repas servis en restauration scolaire. Les mesures principales sont le service d’au moins un repas végétarien hebdomadaire depuis le 1er novembre 2019 et l’obligation de proposer au moins 50 %, en valeur monétaire, de produits dits « durables et de qualité », dont 20 % de la valeur monétaire totale issus de l'agriculture biologique à partir du 1er janvier 2022. Les autres concernent la lutte contre le gaspillage alimentaire et l’interdiction du plastique.

La capacité d’une offre végétarienne à améliorer la durabilité des repas servis en restauration scolaire en France a été quantifiée par MS-Nutrition et l’UMR MoISA29, en co-construction avec le collectif EnScol. Des milliers de séries de 20 repas scolaires ont été générées automatiquement selon divers scénarios.

Les résultats montrent l’intérêt d’augmenter la fréquence des repas végétariens (jusqu'à 12 repas sur 20 au lieu de 4 sur 20 actuellement) et de servir du poisson et des viandes blanches aux autres repas. Ceci nécessite une révision de la réglementation actuelle qui impose encore le service de viande rouge à l’école (au moins 4 fois sur 20). Il serait ainsi possible de diminuer les émissions de gaz à effet de serre (GES) des repas scolaires (jusqu'à -50 % par rapport au niveau actuel), tout en garantissant leur bonne qualité nutritionnelle.

Un travail complémentaire (Figure 13) a montré que le type de plat principal influençait plus l’impact environnemental (notamment les émissions de GES) des repas que leur qualité nutritionnelle (Adéquation Nutritionnelle Moyenne représentant la richesse en nutriments protecteurs comme les fibres, les protéines, les vitamines, les minéraux et les acides gras essentiels), soulignant l’intérêt d’augmenter la fréquence des repas végétariens et de favoriser le porc ou la volaille plutôt que la viande de ruminants. Associer les changements proposés et les initiatives locales (Miramas, Briançon, Mouans-Sartoux…) en faveur d’une restauration scolaire plus durable (produits bio, locaux et de saison, cuisine maison, actions de sensibilisation…) est un pari gagnant-gagnant pour la nutrition et l'environnement.

Figure 13. Émissions de gaz à effet de serre (en kg eqCO2 ) et adéquation nutritionnelle moyennes (% des recommandations pour 2000 kcal) de différents types de repas scolaires obtenus par génération automatique de séries de repas composés d’une entrée, d’un plat principal (plat protidique + accompagnement), d’un produit laitier et d’un dessert (source : Poinsot et al., 2021).

Zoom 4. Quelle sécurité alimentaire en Méditerranée à l’horizon 2030 ?

L’Objectif de développement durable 2 (ODD 2) vise à « éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir une agriculture durable ». Cet objectif ne sera pas atteint en Méditerranée à l’horizon 2030. La répartition inégalitaire des richesses continue à entretenir l’insécurité alimentaire notamment au sein des territoires ruraux.

Au niveau méditerranéen, la disponibilité de la nourriture qui reste tributaire des importations a pour effet un déficit commercial agricole structurel. Représentant seulement 7 % de la population mondiale, les pays méditerranéens comptent encore pour un tiers des importations mondiales de céréales, car les ratios de dépendance aux importations céréalières restent très élevés (PNUE/PAM et Plan Bleu, 2020).

L’accès à la nourriture dépend d’une multitude de facteurs, notamment du pouvoir d’achat, des politiques de subventions dédiées à l’alimentation et de l’état des infrastructures. D’autres facteurs affectent la sécurité alimentaire dans la région méditerranéenne dont l’instabilité politique et les conflits, les changements climatiques, l’insécurité hydrique et l’érosion des ressources naturelles (sols, biodiversité). D’un point de vue nutritionnel, le surpoids et l’obésité atteignent un niveau alarmant dans de très nombreux pays méditerranéens et une forte prévalence de l’anémie affecte les femmes en âge de procréer.

D’ici 2030, la reconquête des sols et la préservation des eaux, conjuguées à une mise en œuvre efficace des mesures d’adaptation au changement climatique et une exploitation rationnelle des ressources naturelles, seront essentielles pour l’agriculture, base de l’alimentation des populations. L’Afrique du Nord est appelée à devenir la principale région importatrice de blé dans le monde et l’équilibre de la balance alimentaire pourrait être bien plus difficile à atteindre si les productions locales n’augmentent pas, affectant les budgets publics et la disponibilité des produits agricoles. La surnutrition et la malnutrition poseront des problèmes de santé publique préoccupants (maladies chroniques et obésité). Le coût de l'inaction pourrait être très élevé, car ne pas commencer à mettre en œuvre des politiques appropriées pourrait, dans un avenir proche, entraîner une instabilité sociale, et représente une politique dangereuse pour la région.

Rechercher
Newsletter