La région Provence-Alpes-Côte d’Azur, compte tenu de sa situation géographique contrastée, permet d’aborder de manière concrète de nombreux enjeux liés aux transitions alimentaires et agricoles, dont la portée résonne au-delà des limites régionales. Le régime méditerranéen, au cœur des réflexions de cet ouvrage, est porteur de solutions en faveur de la santé humaine et de celle des agroécosystèmes, mais ses productions associées peuvent s’avérer vulnérables face au changement climatique. Leur fragilité est aussi manifeste vis-à-vis des pays lointains pouvant présenter des avantages comparatifs. Dans une région caractérisée à la fois par des potentialités agricoles limitées et une forte densité de marchés urbains de proximité, le renforcement du lien entre production et consommation locale est source d’espoirs, mais connaît encore des faiblesses pour constituer un modèle permettant de diffuser au plus grand nombre de nos concitoyens les bienfaits du régime méditerranéen. Des paradoxes sont encore en suspens : par exemple, le régime méditerranéen intègre, comme bon nombre de régimes traditionnels, un mélange de deux types de graines aux complémentarités essentielles sur le plan alimentaire et agronomique, les céréales (ou pseudo-céréales) et les légumineuses (famille des luzernes, haricots, pois, etc.). Outre leur complémentarité nutritionnelle, ces deux espèces ont des complémentarités sur le plan agronomique. Les légumineuses permettent en effet d’apporter dans les systèmes de culture de l’azote, réduisant significativement les besoins en engrais minéraux qui sont produits, pour une majorité d’entre eux, à partir de gaz, matière première au cœur des tensions climatiques et géopolitiques actuelles. Cet apport déterminant explique que, dans la plupart des systèmes de culture équilibrés, les légumineuses occupent 10 à 15 % des surfaces cultivées. En Europe et en France, cette proportion est nettement moins élevée. En Provence-Alpes-Côte d’Azur, comme dans toutes les régions françaises, des efforts visent à réintégrer ces espèces dans les systèmes de production. C’est par exemple le cas des légumes secs, pois chiches et lentilles. Malgré une dynamique positive, ayant conduit à une extension significative des surfaces dédiées à ces espèces, ces dernières années ont montré la vulnérabilité de ces productions, comme en 2021 où la production a été divisée par 2, voire plus, à cause d’une conjonction d’aléas climatiques. Pourtant, la France n’est autosuffisante que pour la moitié de sa consommation de ces espèces. Ce paradoxe s’explique par des logiques d’import, aujourd’hui mondialisées, régies par des stratégies offensives des pays en développement (faible coût de production) ou des pays développés (grandes exploitations, capacité technique, organisationnelle et technologique, utilisation de pesticides et d’engrais chimiques…).
Les légumineuses, composante clé d’une transition agroécologique et alimentaire, font donc face à une double vulnérabilité, agroclimatique et économique, du fait de distorsions de concurrence. Elles ne sont pas les seules : nombre de cultures maraîchères et fruitières, également emblématiques de la région, sont aussi soumises à ces vents contraires. L’un des enjeux des politiques publiques est de fournir un espace suffisamment sûr pour tous les opérateurs de ces cultures, permettant de soutenir durablement les investissements favorisant leur production (et la nécessaire recherche semencière et agronomique), leur transformation, leur commercialisation et leur consommation. Les initiatives de relocalisation et de reconnexion des marchés urbains de proximité avec les productions locales constituent des initiatives positives à renforcer. Ces modèles doivent toutefois relever au moins trois défis pour accroître encore leur impact sur notre alimentation et notre agriculture :
● premièrement, ils doivent réussir une montée d’échelle, capable de générer des volumes suffisants pour faciliter un accès au plus grand nombre. Pour cela, l’échelle géographique de la production locale doit parfois passer de quelques kilomètres à quelques centaines : comment assurer cela sans distendre le lien territorial entre producteur et consommateur, et sans tomber dans les travers des distorsions de concurrence ?
● deuxièmement, en lien avec le premier point, ces modèles doivent mieux intégrer les denrées de base. En effet, l’immense majorité des initiatives de territorialisation de l’alimentation concernent des productions maraîchères, fruitières et aussi animales, plus faciles à identifier et relier à un terroir, voire à une exploitation agricole individuelle. A contrario, rien de ressemble plus à une semoule de blé dur ou un sachet de pois chiches du plateau de Valensole qu’aux mêmes produits venus du Manitoba ;
● enfin, ces approches doivent permettre de retrouver un dialogue apaisé et une compréhension collective des nécessaires moyens de production agricole, utiles à la mise en place et au maintien d’une agriculture diversifiée, fournisseuse d’aliments et de services écosystémiques garants d’Une seule santé (One Health en anglais). Le cas de la gestion de la ressource en eau en Provence-Alpes-Côte d’Azur est à ce titre symbolique, et devrait éclairer les débats actuels tendus sur ce sujet. Les grands ouvrages et investissements autour de la Durance sont en effet un bel exemple de la manière dont l’accès à l’eau rend possible l’existence d’une diversité de productions autrement inaccessibles dans un environnement pédoclimatique difficile. Ces investissements collectifs, conçus depuis maintenant des décennies, offrent un large éventail de possibilités d’adaptation au changement climatique que nous connaissons. Retrouver un dialogue serein sur ces questions sera à la fois une condition nécessaire à l’essaimage des pistes présentées dans cet ouvrage, et le signe visible du fait qu’elles ont réussi.
Ces paradoxes ne recouvrent que partiellement les problématiques liées aux systèmes alimentaires et agricoles, abordées dans ce cahier, mais ils mettent en lumière certains défis à relever, même si des solutions existent à l’échelle régionale pour assurer une transformation profonde de nos pratiques, de la ferme à l’assiette. Les politiques publiques, à tous les échelons territoriaux, doivent accompagner le changement et soutenir les démarches individuelles et collectives en faveur de l’adaptation au changement climatique et de l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre, tout en garantissant une plus grande justice sociale. Face au changement climatique, les transitions alimentaires et agricoles ne doivent pas être perçues comme des freins ou des contraintes par les différents acteurs des filières et des territoires, mais comme des opportunités pour améliorer le fonctionnement de nos modèles actuels, développer l’innovation, stimuler l’économie locale, limiter les impacts sanitaires… L’évolution de nos régimes alimentaires, de nos modes de production agricole (agroécologie, agroforesterie…) et de consommation, le respect des recommandations nutritionnelles qui est une question cruciale en lien fort avec la santé et les transitions, la réduction du gaspillage alimentaire, la réorientation de la commercialisation des produits, les outils, comme les PAT, la restauration collective ou la sécurité sociale de l’alimentation par exemple, peuvent changer la donne et rendre la région exemplaire, en tendant vers la souveraineté, la sécurité, l’autosuffisance et la résilience alimentaires. Vu la grande complexité des systèmes et des interactions multi-échelles, il est nécessaire de mobiliser l’ensemble des protagonistes et de sensibiliser tous les publics pour réussir le pari des transitions.
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