3.Les enjeux de l'alimentation et de l'agriculture

À l’heure du changement climatique et des engagements en faveur de la transition écologique, incluant les volets énergétiques, environnementaux, sociaux, économiques et politiques, il est important de s’interroger sur le fonctionnement de nos systèmes alimentaires et agricoles qui sont le reflet de nos modèles socio-économiques et de nos politiques environnementales et sanitaires. Le thème de l’alimentation et de l’agriculture ne laisse personne indifférent car nous sommes tous concernés par la nourriture. Des émissions de gaz à effet de serre à la surexploitation des ressources, en passant par la surconsommation de produits animaux et le gaspillage alimentaire, ce chapitre énonce les principaux enjeux associés aux problématiques croisées de l'alimentation et l'agriculture.

3.36. Quels sont les défis de l’agriculture et de l’alimentation de l’échelle mondiale à territoriale ?

Il existe mille manières de produire de la nourriture et de s’alimenter, mais le système « agriculture-alimentation » n’est aujourd’hui ni satisfaisant, ni durable, aussi bien à l’échelle globale que territoriale.

Les principales raisons de la fragilité du système agricole sont :

  • La baisse du nombre d’agriculteurs, avec agrandissement des fermes et augmentation du nombre de travailleurs précaires, pouvant conduire à la désertification de certains territoires ruraux ;
  • La surexploitation de ressources non pérennes par l’agriculture intensive ;
  • L’érosion et la dégradation des sols trop souvent nus et profondément labourés : perte de matière organique, détérioration des cycles de l’eau et des nutriments, supports de la croissance végétale ;
  • La perte de la compréhension du fonctionnement écologique des agroécosystèmes nourris et protégés par des intrants d’origine synthétique, selon des itinéraires techniques standardisés ;
  • La perte de savoirs traditionnels, dont la sélection variétale pratiquée à la ferme ;
  • L’élimination des éléments semi-naturels du paysage dont l’utilité n’est plus reconnue ;
  • La pollution des systèmes aquatiques due au lessivage des nitrates et des pesticides ;
  • La pollution de l’air due aux particules fines et à l’ammoniac émis lors des épandages d’engrais, et aux pesticides ;
  • La pollution due à l’utilisation de plastiques sur de grandes surfaces produisant une masse mal gérée de déchets non recyclables ;
  • Les maladies professionnelles affectant les personnes manipulant les pesticides ;
  • La contamination des populations et des aliments proches des épandages ;

La baisse de la biodiversité des populations d’insectes et d’oiseaux des champs, de la flore des champs, de la vie des sols et des services qui en découlent ;

  • La perte de diversité génétique (cultures et élevage) et l’homogénéisation des variétés sélectionnées surtout pour leur haut rendement, nécessitant beaucoup d’intrants ;
  • La simplification des paysages favorisant la circulation des maladies et des ravageurs, et la disparition d’agroécosystèmes multifonctionnels (où arbres, animaux et cultures diverses sont associés) de grande valeur culturelle ;
  • Les émissions de gaz à effet de serre : l'agriculture représente 19 % des émissions totales (source : CITEPA* ; seulement 2 % dans notre région, « grâce » notamment au poids de l’industrie, du transport et de la production d’énergie) et même plus de 25 % si le système agri-alimentaire complet est inclus. Les émissions de gaz carbonique sont liées à la fabrication d’engrais de synthèse et à l’emploi fréquent de machines ; les émissions de méthane à la fermentation digestive des ruminants et à la culture de riz inondé ; le protoxyde d’azote à l’épandage des déjections issues de l’élevage et l'utilisation d’engrais azotés ;
  • La grande vulnérabilité face au changement climatique en lien avec la moindre capacité des agroécosystèmes à absorber et retenir l’eau, et à maintenir un microclimat protégeant des canicules et des tempêtes.

*Par ordre d’importance (chiffres 2019 à 2021) : élevage (environ 50 %), cultures (environ 40 %), tracteurs, engins et chaudières agricoles (environ 10 %).

Le système « agriculture-alimentation » n’est aujourd’hui ni satisfaisant, ni durable.


Le système alimentaire présente quant à lui les lacunes suivantes :

  • La trop faible consommation d’aliments végétaux et la forte consommation de produits animaux à bas coût ;
  • Les ingrédients de base (farines raffinées, sucre, matières grasses végétales) d’aliments denses en calories, pauvres en fibres et autres nutriments protecteurs, dont la surconsommation fragilise le système immunitaire et augmente le risque de maladies chroniques ;
  • La consommation d’une alimentation trop carnée augmentant les risques de maladies cardiovasculaires et de cancers ;
  • La surconsommation de produits animaux, en général. La viande de ruminants est la plus émettrice de GES, même si les prairies et parcours, hors surpâturage, séquestrent du carbone ;
  • La surconsommation de produits très transformés, avec nombreux additifs ;
  • Les aliments très souvent contaminés par des résidus de pesticides (la moitié des aliments végétaux), favorisant de nombreuses pathologies chroniques ;
  • La persistance de fortes inégalités sociales de santé liées notamment à un accès économique et physique facilité aux produits gras et sucrés, et à un accès inégalitaire aux fruits et légumes.

Ces multiples points permettent de comprendre les enjeux majeurs auxquels doivent répondre l’agriculture et l’alimentation. Il s’agit de basculer d’un système non protecteur de l’humanité et de l’environnement, contribuant au changement climatique, à un système agroécologique. S’appuyant sur le fonctionnement écologique, ce dernier nourrit sainement et protège les humains, préserve l’environnement dont il dépend, et soutient les acteurs de la transition. Les différents points caractérisant ce système seront détaillés dans cette publication :

  • Alimentation saine et durable pour tous : il faut promouvoir un accès physique et économique, égalitaire, à des aliments culturellement désirables issus de modes de production plus durables et à une alimentation diversifiée plus végétale, riche en céréales complètes, légumes secs, fruits et légumes frais, et intégrant des quantités modérées de produits animaux.
  • L’élevage restera cependant une importante source de nourriture dans les régions sèches ou froides où les cultures sont difficiles ;
  • Agroécologie : il faut soutenir le fonctionnement écologique des agroécosystèmes en multipliant les interactions bénéfiques entre le sol, les arbres, la diversité gérée (polyculture-élevage) et la biodiversité hébergée dans les agroécosystèmes. L’agroécologie favorise l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre et l’adaptation au changement climatique ;
  • Besoin de développer des systèmes alimentaires territoriaux : ces derniers favorisent le maintien de petites et moyennes fermes et leur écologisation, et participent à la reconnexion des citoyens avec la vie et les besoins d’un environnement productif ;
  • Protéger l’accès à la terre et la protection de l’environnement qui ne sont pas incompatibles ;
  • Ne pas concurrencer l’agriculture locale par l’importation de produits subventionnés.
  • Tous ces enjeux dépendent à la fois de la volonté et de la puissance des politiques publiques, et des comportements individuels. Les travaux de recherche et de nombreuses initiatives démontrent qu’un tel système « agriculture-alimentation » est possible et attractif, avec une adhésion croissante de la société.

  • Photo 3 : © Lola Mouriès, ferme La Saurelle

Il s’agit de basculer d’un système non protecteur de l’humanité et de l’environnement, contribuant au changement climatique, à un système agroécologique.

3.51. Pourquoi la santé publique et la nutrition sont-elles indissociables ?

Actuellement, les populations subissent le triple fardeau de la malnutrition, et ce à des degrés divers : la sous-nutrition chronique (rare dans les pays développés), les carences ou déficits en nutriments (assez répandus) et le surpoids-obésité en progression (52 % des adultes en France ; une « épidémie mondiale » selon l’Organisation mondiale de la santé) très souvent liée à une alimentation trop abondante et de faible qualité nutritionnelle. Le surpoids-obésité précède une autre épidémie qui est celle des maladies dites « non transmissibles » (ou non infectieuses) qui deviennent progressivement majoritaires dans le monde : maladies cardiovasculaires ou neurodégénératives, cancers, etc. (Figure 1). La pauvreté en est très souvent un déterminant important. De manière générale, une alimentation de faible qualité est une cause majeure de maladies et provoque une partie notable de la mortalité totale.

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et les rapports officiels français, une bonne alimentation repose sur des apports alimentaires en énergie proportionnels aux dépenses physiques, des choix d’aliments variés, riches en nutriments et fibres indigestibles. Or, des études (INCA-3 en France par exemple) montrent qu’une partie non négligeable des populations des pays développés ont des apports en énergie excédentaires, en nutriments (minéraux, vitamines) et en fibres insuffisants, surtout chez les femmes. En effet, le type d’alimentation moyen actuel est de type omnivore, mais avec une forte part d’aliments d’origine animale (viande, charcuterie, produits laitiers) et une proportion de plus en plus importante d’aliments très ou ultra-transformés, à faible qualité nutritionnelle. Contrairement à une idée reçue, ce sont les alimentations à base végétale qui ont les meilleures qualités nutritionnelles. C’est pourquoi, depuis des décennies, l’OMS et les recommandations françaises (Programme national nutrition santé, PNNS) insistent sur la nécessité de végétaliser son alimentation, de limiter les aliments très raffinés (par exemple, aliments ultra-transformés), le sel, le sucre et les boissons sucrées et les aliments trop gras.

Cette insistance sur les recommandations s’explique par l’impact des mauvaises habitudes alimentaires sur la santé publique et le bien-être des populations.

En effet, des alimentations aux qualités nutritionnelles insuffisantes favorisent les principales pathologies non infectieuses en lien avec le développement récent des sociétés, abandonnant les bienfaits des alimentations traditionnelles (souvent à base végétale) dont les effets bénéfiques sur la santé sont démontrés (alimentation méditerranéenne ou alimentation asiatique par exemple). Une bonne alimentation est aussi nécessaire pour prévenir des maladies infectieuses ou leur gravité.

L’OMS et les recommandations françaises insistent sur la nécessité de végétaliser son alimentation, de limiter les aliments très raffinés, le sel, le sucre, les boissons sucrées et les aliments trop gras.

Cependant, les aliments végétaux usuels sont très souvent contaminés (48 % en moyenne) par des résidus de pesticides en mélange, et les effets négatifs des pesticides chimiques sur la santé humaine (sans oublier celle des écosystèmes) sont progressivement établis. Ceci conduit maintenant à favoriser les aliments végétaux biologiques qui sont recommandés, car ils sont très peu contaminés et leur consommation régulière a des effets protecteurs contre le surpoids, l’obésité et certaines pathologies chroniques.

3.58. L’alimentation, l’un des piliers des cultures et des traditions dans le monde

Le répertoire et les interdits alimentaires – ce qu’une société s’autorise ou non à manger et à boire – et plus encore les façons de transformer et de cuisiner les produits, et les habitudes de table, sont des pratiques éminemment culturelles. Si plusieurs sociétés peuvent manger les mêmes produits agricoles, elles se différencient par les modes de préparation et de consommation. Ce marquage culturel se lit aussi dans les façons de penser l’alimentation. Celle-ci nous relie à la biosphère et les rapports aux animaux ou aux paysages varient d’une société à l’autre. Elle nous maintient en bonne santé et l’importance accordée à cette préoccupation par rapport à d’autres (sociales, hédoniques ou identitaires) varie également selon les cultures. Elle organise la gestion des ressources dans la production agricole, le commerce et la cuisine. La répartition selon le genre de ces activités diffère en fonction des sociétés, même si l’on retrouve des invariants comme celui du travail et de la charge mentale des femmes vis-à-vis de la cuisine.

Avec la mondialisation des échanges, la diffusion de produits industriels, de modèles de distribution (supermarchés) ou de restauration (rapide), d’informations via internet et les réseaux sociaux, se pose la question d’une possible uniformisation de notre alimentation. Allons-nous perdre des spécificités culturelles, abandonner des produits de terroirs, standardiser notre alimentation ? Certains observateurs parlent de « coca-colonisation », soulignant à la fois la domination croissante de quelques grandes firmes et le développement de la « malbouffe » que certaines d’entre elles véhiculent. À regarder de près les styles alimentaires, force est de constater que si, d’un côté, se perdent des aliments ou des spécialités culinaires, d’un autre côté, s’incorporent de nouveaux aliments dans nos répertoires gastronomiques.

Parfois oubliés un temps et revisités aujourd’hui, les usages et les cuisines qui s’inspirent de diverses sources géographiques et culturelles se réinventent et prennent de nouvelles formes. L’alimentation est un ensemble vivant où chaque pays et plus encore chaque ville inventent son alimentation contemporaine avec de plus en plus de préoccupations environnementales, sociales, sanitaires et politiques. Dans notre contexte régional, l’alimentation été façonnée depuis des millénaires par les apports des Grecs, Romains, Arabes, Américains… Les brassages migratoires ont plus récemment accentué certains traits avec des recettes venant du Sud (couscous, paëlla, pizza) ou du Nord (steak-frites, sauces à la crème…). Le modèle méditerranéen « traditionnel », inscrit au patrimoine mondial immatériel de l’humanité par l’Unesco en 2010, est devenu un modèle de référence international soutenu par les connaissances scientifiques et médicales actuelles. Mais à présent, seule une minorité des populations des pays méditerranéens y adhère.

Le modèle méditerranéen à base d’aliments végétaux produits localement est devenu un modèle de référence international.

Zoom 1. Le vocabulaire de l’alimentation

Circuit court alimentaire (définition du ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire) : mode de vente de produits agricoles et alimentaires mobilisant au plus un intermédiaire entre le producteur agricole et le consommateur. Un circuit court peut être de plus « local » ou « de proximité » lorsque le producteur agricole et le consommateur sont proches géographiquement (sans distance définie a priori, mais en général ne dépassant pas l'échelle régionale).

Précarité alimentaire (Paturel D., 2017, États généraux de l'alimentation, Atelier 12, ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation) : conjonction entre une situation de pauvreté économique et une série d’empêchements socio-culturels et politiques dans l’accès à une alimentation durable.

Résilience alimentaire (Tendall, D.M., et al., 2015) : capacité, dans le temps, d’un système alimentaire à procurer à tous une alimentation suffisante, adaptée et accessible, face à des perturbations variées et même imprévues.

Sécurité alimentaire (World Food Summit, 1996 ; Committee on World Food Security, 2009) : la sécurité alimentaire est assurée lorsque toute la population a un accès physique et économique permanent à une nourriture saine et nutritive, en quantité suffisante, qui répond à ses besoins et préférences alimentaires pour mener une vie saine et active. La dimension nutritionnelle fait partie intégrante de la sécurité alimentaire.

Souveraineté alimentaire (définition Via Campesina) : droit des peuples à définir des politiques agricoles et alimentaires adaptées à leurs spécificités, sans que celles-ci aient un effet négatif sur les populations des autres pays. Cette notion vient reconnaître le droit des peuples à accéder à une alimentation saine et durable, mais aussi à produire leur propre alimentation, c'est-à-dire à développer leur autonomie alimentaire.

Système alimentaire (définition Louis Malassis) : la manière dont les hommes s'organisent, dans l'espace et dans le temps, pour obtenir et consommer leur nourriture.

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