À l’heure du changement climatique et des engagements en faveur de la transition écologique, incluant les volets énergétiques, environnementaux, sociaux, économiques et politiques, il est important de s’interroger sur le fonctionnement de nos systèmes alimentaires et agricoles qui sont le reflet de nos modèles socio-économiques et de nos politiques environnementales et sanitaires. Le thème de l’alimentation et de l’agriculture ne laisse personne indifférent car nous sommes tous concernés par la nourriture. Des émissions de gaz à effet de serre à la surexploitation des ressources, en passant par la surconsommation de produits animaux et le gaspillage alimentaire, ce chapitre énonce les principaux enjeux associés aux problématiques croisées de l'alimentation et l'agriculture.
Il existe mille manières de produire de la nourriture et de s’alimenter, mais le système « agriculture-alimentation » n’est aujourd’hui ni satisfaisant, ni durable, aussi bien à l’échelle globale que territoriale.
Les principales raisons de la fragilité du système agricole sont :
La baisse de la biodiversité des populations d’insectes et d’oiseaux des champs, de la flore des champs, de la vie des sols et des services qui en découlent ;
*Par ordre d’importance (chiffres 2019 à 2021) : élevage (environ 50 %), cultures (environ 40 %), tracteurs, engins et chaudières agricoles (environ 10 %).
Le système « agriculture-alimentation » n’est aujourd’hui ni satisfaisant, ni durable.
Le système alimentaire présente quant à lui les lacunes suivantes :
Ces multiples points permettent de comprendre les enjeux majeurs auxquels doivent répondre l’agriculture et l’alimentation. Il s’agit de basculer d’un système non protecteur de l’humanité et de l’environnement, contribuant au changement climatique, à un système agroécologique. S’appuyant sur le fonctionnement écologique, ce dernier nourrit sainement et protège les humains, préserve l’environnement dont il dépend, et soutient les acteurs de la transition. Les différents points caractérisant ce système seront détaillés dans cette publication :
Il s’agit de basculer d’un système non protecteur de l’humanité et de l’environnement, contribuant au changement climatique, à un système agroécologique.
Actuellement, les populations subissent le triple fardeau de la malnutrition, et ce à des degrés divers : la sous-nutrition chronique (rare dans les pays développés), les carences ou déficits en nutriments (assez répandus) et le surpoids-obésité en progression (52 % des adultes en France ; une « épidémie mondiale » selon l’Organisation mondiale de la santé) très souvent liée à une alimentation trop abondante et de faible qualité nutritionnelle. Le surpoids-obésité précède une autre épidémie qui est celle des maladies dites « non transmissibles » (ou non infectieuses) qui deviennent progressivement majoritaires dans le monde : maladies cardiovasculaires ou neurodégénératives, cancers, etc. (Figure 1). La pauvreté en est très souvent un déterminant important. De manière générale, une alimentation de faible qualité est une cause majeure de maladies et provoque une partie notable de la mortalité totale.
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et les rapports officiels français, une bonne alimentation repose sur des apports alimentaires en énergie proportionnels aux dépenses physiques, des choix d’aliments variés, riches en nutriments et fibres indigestibles. Or, des études (INCA-3 en France par exemple) montrent qu’une partie non négligeable des populations des pays développés ont des apports en énergie excédentaires, en nutriments (minéraux, vitamines) et en fibres insuffisants, surtout chez les femmes. En effet, le type d’alimentation moyen actuel est de type omnivore, mais avec une forte part d’aliments d’origine animale (viande, charcuterie, produits laitiers) et une proportion de plus en plus importante d’aliments très ou ultra-transformés, à faible qualité nutritionnelle. Contrairement à une idée reçue, ce sont les alimentations à base végétale qui ont les meilleures qualités nutritionnelles. C’est pourquoi, depuis des décennies, l’OMS et les recommandations françaises (Programme national nutrition santé, PNNS) insistent sur la nécessité de végétaliser son alimentation, de limiter les aliments très raffinés (par exemple, aliments ultra-transformés), le sel, le sucre et les boissons sucrées et les aliments trop gras.
Cette insistance sur les recommandations s’explique par l’impact des mauvaises habitudes alimentaires sur la santé publique et le bien-être des populations.
En effet, des alimentations aux qualités nutritionnelles insuffisantes favorisent les principales pathologies non infectieuses en lien avec le développement récent des sociétés, abandonnant les bienfaits des alimentations traditionnelles (souvent à base végétale) dont les effets bénéfiques sur la santé sont démontrés (alimentation méditerranéenne ou alimentation asiatique par exemple). Une bonne alimentation est aussi nécessaire pour prévenir des maladies infectieuses ou leur gravité.
L’OMS et les recommandations françaises insistent sur la nécessité de végétaliser son alimentation, de limiter les aliments très raffinés, le sel, le sucre, les boissons sucrées et les aliments trop gras.
Cependant, les aliments végétaux usuels sont très souvent contaminés (48 % en moyenne) par des résidus de pesticides en mélange, et les effets négatifs des pesticides chimiques sur la santé humaine (sans oublier celle des écosystèmes) sont progressivement établis. Ceci conduit maintenant à favoriser les aliments végétaux biologiques qui sont recommandés, car ils sont très peu contaminés et leur consommation régulière a des effets protecteurs contre le surpoids, l’obésité et certaines pathologies chroniques.
Le répertoire et les interdits alimentaires – ce qu’une société s’autorise ou non à manger et à boire – et plus encore les façons de transformer et de cuisiner les produits, et les habitudes de table, sont des pratiques éminemment culturelles. Si plusieurs sociétés peuvent manger les mêmes produits agricoles, elles se différencient par les modes de préparation et de consommation. Ce marquage culturel se lit aussi dans les façons de penser l’alimentation. Celle-ci nous relie à la biosphère et les rapports aux animaux ou aux paysages varient d’une société à l’autre. Elle nous maintient en bonne santé et l’importance accordée à cette préoccupation par rapport à d’autres (sociales, hédoniques ou identitaires) varie également selon les cultures. Elle organise la gestion des ressources dans la production agricole, le commerce et la cuisine. La répartition selon le genre de ces activités diffère en fonction des sociétés, même si l’on retrouve des invariants comme celui du travail et de la charge mentale des femmes vis-à-vis de la cuisine.
Avec la mondialisation des échanges, la diffusion de produits industriels, de modèles de distribution (supermarchés) ou de restauration (rapide), d’informations via internet et les réseaux sociaux, se pose la question d’une possible uniformisation de notre alimentation. Allons-nous perdre des spécificités culturelles, abandonner des produits de terroirs, standardiser notre alimentation ? Certains observateurs parlent de « coca-colonisation », soulignant à la fois la domination croissante de quelques grandes firmes et le développement de la « malbouffe » que certaines d’entre elles véhiculent. À regarder de près les styles alimentaires, force est de constater que si, d’un côté, se perdent des aliments ou des spécialités culinaires, d’un autre côté, s’incorporent de nouveaux aliments dans nos répertoires gastronomiques.
Parfois oubliés un temps et revisités aujourd’hui, les usages et les cuisines qui s’inspirent de diverses sources géographiques et culturelles se réinventent et prennent de nouvelles formes. L’alimentation est un ensemble vivant où chaque pays et plus encore chaque ville inventent son alimentation contemporaine avec de plus en plus de préoccupations environnementales, sociales, sanitaires et politiques. Dans notre contexte régional, l’alimentation été façonnée depuis des millénaires par les apports des Grecs, Romains, Arabes, Américains… Les brassages migratoires ont plus récemment accentué certains traits avec des recettes venant du Sud (couscous, paëlla, pizza) ou du Nord (steak-frites, sauces à la crème…). Le modèle méditerranéen « traditionnel », inscrit au patrimoine mondial immatériel de l’humanité par l’Unesco en 2010, est devenu un modèle de référence international soutenu par les connaissances scientifiques et médicales actuelles. Mais à présent, seule une minorité des populations des pays méditerranéens y adhère.
Le modèle méditerranéen à base d’aliments végétaux produits localement est devenu un modèle de référence international.
Zoom 1. Le vocabulaire de l’alimentation
Circuit court alimentaire (définition du ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire) : mode de vente de produits agricoles et alimentaires mobilisant au plus un intermédiaire entre le producteur agricole et le consommateur. Un circuit court peut être de plus « local » ou « de proximité » lorsque le producteur agricole et le consommateur sont proches géographiquement (sans distance définie a priori, mais en général ne dépassant pas l'échelle régionale).
Précarité alimentaire (Paturel D., 2017, États généraux de l'alimentation, Atelier 12, ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation) : conjonction entre une situation de pauvreté économique et une série d’empêchements socio-culturels et politiques dans l’accès à une alimentation durable.
Résilience alimentaire (Tendall, D.M., et al., 2015) : capacité, dans le temps, d’un système alimentaire à procurer à tous une alimentation suffisante, adaptée et accessible, face à des perturbations variées et même imprévues.
Sécurité alimentaire (World Food Summit, 1996 ; Committee on World Food Security, 2009) : la sécurité alimentaire est assurée lorsque toute la population a un accès physique et économique permanent à une nourriture saine et nutritive, en quantité suffisante, qui répond à ses besoins et préférences alimentaires pour mener une vie saine et active. La dimension nutritionnelle fait partie intégrante de la sécurité alimentaire.
Souveraineté alimentaire (définition Via Campesina) : droit des peuples à définir des politiques agricoles et alimentaires adaptées à leurs spécificités, sans que celles-ci aient un effet négatif sur les populations des autres pays. Cette notion vient reconnaître le droit des peuples à accéder à une alimentation saine et durable, mais aussi à produire leur propre alimentation, c'est-à-dire à développer leur autonomie alimentaire.
Système alimentaire (définition Louis Malassis) : la manière dont les hommes s'organisent, dans l'espace et dans le temps, pour obtenir et consommer leur nourriture.
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