1.Fonctionnement des systèmes forestiers méditerranéens et changement climatique

Le fonctionnement des écosystèmes forestiers et agroforestiers est par nature complexe du fait de leur structure (stratification, dynamique, etc.) et des réseaux d’interactions entre végétaux, animaux et micro-organismes qui participent aux cycles de matière et d’énergie. Le sol, milieu vivant, même s’il ne constitue pas la partie la plus visible de l’écosystème, joue un rôle majeur dans les cycles biogéochimiques pour lesquels les relations entre biodiversité et fonctionnement sont fondamentales.

Un fonctionnement spécifique pour les forêts méditerranéennes ?

Les forêts méditerranéennes étant localisées dans des régions à la géomorphologie tourmentée, où les effets des activités humaines se manifestent depuis près de cinq millénaires et où la sécheresse estivale impose à la végétation une contrainte sévère, leur fonctionnement, structure et dynamique résultent de conditions de non-équilibre. Dans ce contexte, plusieurs éléments peuvent être mis en exergue :

  • le stress hydrique, lié à l’existence d’une période sèche estivale qui caractérise le climat méditerranéen et, dans une moindre mesure, la chaleur qui l’accompagne, sont des moteurs du fonctionnement de ces écosystèmes. Les espèces qui les composent, de par leurs adaptations morphoanatomiques, sont potentiellement résistantes ou résilientes aux contraintes climatiques. Mais le stress hydrique estival a un impact à la fois sur l’activité des végétaux, en agissant sur la formation du bois par exemple, et celle des organismes du sol au niveau de la décomposition des litières, un processus clé directement lié à l’état hydrique du sol ;
  • en liaison avec cette sécheresse estivale, ces écosystèmes ont intégré le facteur feu qui participe largement à leur dynamique naturelle ;
  • issus d’une reconquête récente suite à la déprise agricole et pastorale, les peuplements forestiers sont souvent jeunes et les forêts, proches de la naturalité ou qualifiées d’« anciennes », sont rares ;
  • la productivité est généralement faible à cause du climat et des sols souvent appauvris et érodés par des milliers d’années de défrichements, de surpâturages et d’incendies.

La forêt en première ligne face au changement climatique

Parallèlement à l’augmentation de la température de l’air, l’allongement annoncé de la saison sèche et l’accroissement des épisodes de canicule attendus pour le siècle à venir vont augmenter le stress hydrique auquel l’écosystème forestier est déjà soumis. Ce dernier peut faire face, jusqu’à une certaine limite, à ces nouvelles et brutales contraintes. Son adaptation passe notamment par une accommodation des individus, mais aussi une modification de son fonctionnement et de sa biodiversité.

Dès le stade de la régénération, les effets de l’augmentation de la température de l’air et de l’allongement de la saison sèche vont apparaître : diminution du nombre et de la taille des fruits et des graines ; températures hivernales trop élevées pour provoquer l’éclatement et la désarticulation des cônes, mais aussi pour lever convenablement la dormance des graines ; sécheresse trop précoce au printemps ou trop tardive en automne ne laissant pas le temps au jeune plant de développer profondément son pivot avant la période sèche ou de s’endurcir avant l’hiver. Des substitutions risquent d’être nécessaires pour les essences en difficulté, que ce soit par des réorientations de la gestion ou des plantations, comme, par exemple, l’introduction du cèdre en lieu et place du sapin ou du pin sylvestre. Mais il convient de prendre une large marge de sécurité par rapport aux limites inférieures de pluviométrie ou d’altitude qui prévalaient jusqu’alors pour toutes les espèces ou provenances envisagées.

On observe aussi, suite à la répétition de sécheresses et plus généralement d’évènements extrêmes, une réduction durable de la surface foliaire des arbres et arbustes via des modifications architecturales : moins de branches, moins de feuilles ou aiguilles qui sont aussi plus petites. La phénologie est aussi affectée : le réchauffement permet normalement un démarrage plus

précoce de la croissance au printemps et un arrêt plus tardif en automne. Certaines plantes ont désormais une croissance ininterrompue en hiver (pin d’Alep, par exemple) à cause du manque de froid. Mais ces accommodations ont des limites : un excès de chaleur et de sécheresse réduit au contraire la longueur de la saison de croissance, comme l’ont démontré les dispositifs expérimentaux, et des dépérissements avec mortalités à court terme sont aussi possibles et même déjà observés (cas du sapin, du pin sylvestre, du chêne liège et du chêne blanc après les sécheresses répétées entre 2003 et 2007). Le dépérissement de nombreuses espèces d’arbres et du sous-bois, partiel ou total, augmente de façon importante la combustibilité du milieu et donc le risque d’incendie : accumulation de biomasse sèche sur pied et dans les litières, transparence du couvert arboré qui se traduit par davantage de lumière, de chaleur et de vent en sous-bois, et parfois accroissement du sousbois à la fois en couvert et en volume. Et les branches qui se développent en hiver, lors d’un débourrement très précoce, peuvent aussi être endommagées par le gel.

L’impact du changement climatique n’est cependant pas limité au comportement des seuls arbres, mais affecte l’ensemble de l’écosystème. Il se traduit par une plus grande virulence de certains pathogènes fongiques et entomologiques, qui se développent plus facilement avec le réchauffement. Ceux-ci augmentent le nombre de générations par an qui ne sont parfois plus régulées par le froid en hiver (développement de la chenille processionnaire, par exemple). De plus, le changement climatique joue dès à présent un rôle néfaste sur la composition floristique des forêts, avec une montée en puissance des espèces xéro-thermophiles et une diminution d’espèces mésophiles. Par une sécheresse accrue du sol notamment, il touche aussi l’ensemble des communautés biotiques du sol (mésofaune et microorganismes) dont l’importance dans le fonctionnement du système et le cycle du carbone est fondamentale.

Oak Observatory (O3HP) à l’Observatoire de Haute-Provence : passerelles à hauteur de canopée et système d’exclusion de pluie dans une chênaie pubescente

Anticiper le changement climatique ?

La connaissance de l’impact du changement climatique sur le fonctionnement des écosystèmes forestiers est encore trop parcellaire. La région PACA a mis en place deux plates-formes expérimentales, l’O3HP (Oak Observatory à l’Observatoire de Haute-Provence) et le site de Font-Blanche, qui apportent déjà des éléments de compréhension sur la réponse fonctionnelle du chêne pubescent et du mélange pin d’Alep-chêne vert face à une sécheresse sévère.

Dans les peuplements gérés, dans l’optique de les rendre moins vulnérables, il est important d’anticiper les bouleversements en choisissant de manière judicieuse des essences dans l’optimum de leurs conditions stationnelles et en privilégiant les essences les plus résistantes au climat futur.

L’éclaircie partielle de peuplements (Cf. §3.2) en vue de limiter la concurrence est dans certains cas une préconisation à valoriser avec la filière bois-énergie. La protection contre le feu de certains peuplements dégradés, risquant de basculer dans la désertification, est recommandée. L’utilisation de la biomasse, issue des travaux d’éclaircie et de débroussaillement, est possible pour les composts de boues provenant des stations d’épuration. Ces derniers peuvent protéger et reconstituer les sols après dépérissement ou incendie.

Le changement climatique nécessite un effort permanent dans les programmes de sélection et de conservation afin d’assurer une large base génétique aux espèces forestières. Le but est de renforcer la résistance de la forêt, tout en satisfaisant les besoins des populations en termes écologique, économique et social.

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