1.Ressources hydriques en milieu méditerranéen

Par A. CHANZY, E. SAUQUET, O. BANTON et N. ROCHE

La région Provence-Alpes-Côte d’Azur est caractérisée par une forte hétérogénéité spatiale des ressources hydriques, avec des zones de plaine présentant déjà un déficit hydrique saisonnier, alors que les zones de montagne sont à la source d’un réseau hydrographique important irrigant les zones de piémont et offrant une ressource qui couvre les besoins. Ces transferts d’eau amont/aval ont largement été exploités dans le passé pour faire face à la demande, grâce à des infrastructures telles que les aménagements de la Durance et du Verdon. Par ailleurs, les aquifères constituent dans la partie aval des ressources qui sont largement exploitées pour les différents usages de l’eau.

La question est de savoir si les changements climatiques vont modifier l’état des ressources et déséquilibrer un développement économique ayant su tirer parti d’une ressource plutôt abondante. Pour répondre à ces questions, il est important de se mettre à l’écoute des « signaux » passés avec l’analyse des séries temporelles décrivant l’état des ressources (débit des cours d’eau et des sources, niveau des aquifères, qualité des eaux) et de se projeter dans le futur en simulant l’état des systèmes, en intégrant à la fois les projections climatiques et l’évolution des besoins en eau. Associer ce dernier point dans la réflexion est essentiel si on veut appréhender de manière pertinente les futures tensions sur l’eau.

Le devenir des eaux de surface avec l’exemple du système durancien

Concernant les transferts amont/aval, le cas de la Durance est emblématique de la région. Le projet de recherche R²D² 2050 a cherché à mieux cerner les évolutions possibles du régime de la Durance en se focalisant sur le milieu du XXIe siècle. Il s’est appuyé sur une chaîne de modélisation numérique inédite, incluant des représentations actuelles et futures du climat, de la ressource naturelle, des demandes en eau et du fonctionnement des grands ouvrages hydrauliques (retenues de Serre-Ponçon, Castillon et Sainte-Croix) qui délivrent l’eau en fonction des demandes aval sous contraintes (notamment le respect des débits réservés et des cotes touristiques estivales). Un exercice de prospective (décrit dans l’encadré page précédente) a permis de travailler sur plusieurs scénarios de développement socio-économique des territoires.

Outre les impacts évoqués dans la première partie sur la température et les précipitations, les résultats obtenus suggèrent à l’horizon 2050 :

  • une diminution des stocks de neige et une fonte avancée dans l’année qui induisent une réduction des débits au printemps,
  • une diminution de la ressource en eau en période estivale,
  • une diminution de la demande globale en eau à l’échelle du territoire : cette demande étant fortement conditionnée par les scénarios territoriaux élaborés ici, qui incluent la poursuite de programmes d’économie d’eau déjà engagés depuis de nombreuses années sur le territoire.
Anomalies de débits mensuels exprimées en m3/s, c’est-à-dire écart entre les valeurs calculées pour la période 2036-2065 (toutes projections climatiques et tous modèles confondus) et celles de la période de référence 1980-2009. La partie verte contient 50% des valeurs centrales (du percentile 25 au percentile 75) et les barres représentent les valeurs extrêmes - Source : projet R2D2

Au niveau des trois retenues, les résultats obtenus avec les modalités de gestion actuelle suggèrent une diminution globale de la production d’énergie due notamment à la réduction des apports en amont des ouvrages hydroélectriques. En outre, le mode de gestion actuel semble garantir les débits réservés et des droits d’eau pour les usages en aval des ouvrages et considérés comme prioritaires. Cependant, cette satisfaction des demandes en eau ne sera possible qu’au détriment de la production d’énergie en hiver (réserves moins mobilisables pour produire de l’hydroélectricité en période de pointe) et du maintien de cotes touristiques en été.

Même si les réserves physiques en eau semblent suffisantes en 2050 et si des incertitudes demeurent à tous les niveaux de modélisation, les changements climatiques et socio-économiques des territoires préleveurs des eaux de la Durance vont modifier la capacité à satisfaire les différents usages, en raison d’une modification de la répartition annuelle des débits. Des tendances fortes émergent sur les étiages estivaux ce qui doit encourager la mise en œuvre de mesures « sans regret », c’est-à-dire bénéfiques dès maintenant et quel que soit le devenir climatique, afin de prolonger et soutenir les actions d’économie d’eau déjà engagées. Les acteurs devront trouver les voies qui leur permettront de parvenir à un nouvel équilibre qui sera un compromis.

Zoom 5. Gestion prospective de l'eau

Un exercice de prospective a été mené dans le cadre de trois ateliers territoriaux, avec le soutien d’acteurs impliqués dans la gestion de l’eau pour construire quatre scénarios contrastés de développement socio-économique des secteurs connectés au système Durance-Verdon. Ces quatre scénarios (numérotés de 5 à 8 sur la figure) ont été rédigés sur la base d’hypothèses indépendamment du climat, sans chercher a priori un équilibre entre offre et demande en eau, nuancées par secteur géographique, portant sur quelques variables clés : niveau de gouvernance et prérogatives, occupation des sols et urbanisme, croissance économique, dynamique démographique, orientations en matière de développement socio-économique, de politique énergétique et environnementale.

Une fois les scénarios rédigés, il s’agit, à l’échelle des six territoires considérés, de quantifier les variables d’évolution des usages de l’eau (i.e. évolution des populations résidentielle et touristique, de l’occupation des sols, des assolements, des surfaces irriguées, des rendements des réseaux d’adduction et de distribution d’eau, du changement de mode d’irrigation, de la source d’approvisionnement en eau, des technologies), puis d’estimer les demandes en eau à l’aide de modèles et de fonctions de demandes/ prélèvements en eau.

Évolution des prélèvements d’eau par usage selon les six scénarios socio-économiques sous les climats présent (1980-2009) et futur (2036-2065) issus de la sélection des dix projections climatiques régionalisées, à l’échelle du système Durance-Verdon. Les segments en rouge représentent la dispersion des résultats induite par un sous ensemble de dix climats modélisés (c’est-à-dire l’incertitude) - Source : projet R2D2

Le devenir des aquifères

Les aquifères – ou ressources souterraines – de la région sont largement exploités pour les différents usages. Ils jouent un rôle de tampon en lissant la variabilité annuelle et interannuelle des écoulements et permettent de répartir la ressource d’eau dans l’espace et le temps selon les besoins. Le changement climatique aura un impact sur le volume d’eau stocké dans ces aquifères par le biais de la recharge et des prélèvements. L’analyse du passé ne révèle pas de baisse tendancielle non réversible et ce malgré une augmentation des prélèvements et un accroissement de la demande évaporative. Par exemple, les baisses transitoires du niveau des aquifères et des débits des sources karstiques constatés lors des sécheresses répétées de 2004 à 2007, ont ainsi été compensées par les dernières années pluvieuses. Cet exemple montre l’importance de la variabilité climatique et la capacité de résilience des aquifères qui nécessite de considérer des périodes de temps long pour dresser un diagnostic sur la vulnérabilité quantitative des aquifères.

Le changement climatique ne devrait pas impacter significativement les prélèvements comme le montre l’étude R2D2 2050 mentionnée précédemment. Une étude un peu plus fine sur la plaine de la Crau montre que les besoins en irrigation augmenteraient entre 0 et 12% à l’horizon 2050, selon les systèmes de culture.

Par contre, la recharge risque d’être affectée de plusieurs manières. D’une part, une augmentation de l’évapotranspiration conduit à une diminution des flux d’eau vers l’aquifère. D’autre part, une variabilité accrue des précipitations aurait un impact positif ou négatif sur la recharge selon les modes de transferts d’eau vers l’aquifère. On s’attend par ailleurs à ce que la variabilité des précipitations accentue l’intermittence des approvisionnements en eau sur les aquifères karstiques et fracturés.

Afin d’avoir une vision plus intégrée des impacts, en considérant l’ensemble des contributions intervenant dans le flux net de recharge (recharge moins prélèvements par l’irrigation et la végétation), on montre dans le cas de l’aquifère de la Crau que le changement climatique seul modifie peu ce flux. Par contre, si la dotation en eau est réduite de 30% suite à des arbitrages dans la répartition des usages ou à une diminution de la ressource au niveau des Alpes, les répercussions sur l’aquifère seraient très importantes avec un rabattement du niveau de l’aquifère de plusieurs mètres par endroit.

Sur le plan de la qualité des eaux souterraines, la principale menace imputable au changement climatique concerne la remontée du biseau salé au niveau des aquifères côtiers. C’est un problème déjà avéré dans la basse vallée du Rhône qui pourrait s’accentuer sous les effets conjugués de l’augmentation du niveau de la mer, de l’amplitude des marées et de la diminution du flux d’eau à l’exutoire de l’aquifère. A un problème de quantité pourrait donc s’ajouter un problème de qualité.

Conclusions

Au regard des projections climatiques utilisées, les études réalisées sur les eaux de surface et les eaux souterraines ne semblent pas révéler de problèmes majeurs pour la ressource hydrique à l’horizon 2050 en région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Cependant, une telle conclusion doit être modulée par plusieurs considérations :

  • les incertitudes, particulièrement importantes sur les projections relatives aux précipitations qui sont déterminantes dans l’évaluation des ressources hydriques, invitent à une certaine prudence dans la formulation des recommandations ;
  • le trait climatique le plus impactant réside dans la répartition annuelle des pluies avec des étiages beaucoup plus sévères l’été et une date de fonte des neiges plus précoce. Cela pourra changer la donne dans les arbitrages d’allocation de l’eau superficielle entre les secteurs de l’énergie, de l’agriculture, du tourisme, et les besoins environnementaux pour maintenir la qualité biologique des milieux. On risque de se trouver dans une situation inédite où le facteur climatique pourrait entrer dans les arbitrages, alors que ceux-ci ont été jusqu’à présent plutôt guidés par les seuls besoins de la société (voir article sur « Adaptation de l’agriculture locale et rôle de l’hydraulique agricole ») ;
  • la réponse des aquifères à la variabilité climatique reste encore largement méconnue avec des dynamiques pouvant être contrastées selon les milieux et les mécanismes de recharges (infiltration concentrée, infiltration diffuse).

A un horizon plus lointain (2085) les projections indiquent des variations beaucoup plus significatives des grandeurs climatiques impactant le cycle de l’eau. On doit s’attendre à des tensions sur les usages de l’eau qui vont très probablement s’exacerber dans la seconde partie du XXIe siècle.

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