Par J.-P. GATTUSO
La Méditerranée s’est réchauffée de près de 1°C au cours des 25 dernières années. Les prévisions suggèrent un réchauffement d’environ 2,5°C au cours du XXIe siècle, avec surtout des températures élevées en été (supérieures à 29°C) dans le bassin oriental d’ici 2050. Comme les autres mers et océans, la mer Méditerranée absorbe du CO2 atmosphérique ainsi que l’excès de chaleur résultant de l’augmentation de l’effet de serre. Cette absorption par les océans limite le réchauffement de l’atmosphère, mais perturbe la chimie de l’eau provoquant son acidification. L’acidification de la Méditerranée peut être particulièrement prononcée dans les zones où les impacts humains, comme les rejets agricoles, altèrent d’autant plus la chimie de l’eau. L’acidité des eaux dans le nord-ouest de la Méditerranée a augmenté de 10% depuis 1995. Si nous continuons à émettre du CO2 au rythme actuel, l’acidité augmentera encore de 30% d’ici 2050 et de 150% d’ici la fin du siècle. Le réchauffement et l’acidification altèrent rapidement la vie marine en Méditerranée. Les espèces du sud-est méditerranéen (poissons, crustacés, mais aussi espèces vivant sur le fond comme les oursins, les coraux et les algues) migrent déjà vers les eaux plus fraîches du nord. Par exemple, la densité de population de la girelle paon a été multipliée par dix en moins de 5 ans depuis son arrivée dans la réserve marine de Scandola (nord-ouest de la Corse) en 1988. L’une des raisons expliquant le succès de cette expansion de l’aire de répartition de nombreuses espèces sensibles aux températures est leur capacité à se reproduire dans les nouvelles zones et à établir de nouvelles populations. Un exemple est l’apparition récente de juvéniles du mérou brun dans le Parc national de Port-Cros qui s’explique en partie par le réchauffement et en partie par le succès des mesures de protection fournissant les conditions adaptées à sa reproduction.
De nombreux organismes meurent en été des effets combinés du réchauffement et de l’acidification. Ces effets s’aggraveront avec le temps. Le réchauffement et l’acidification affectent les organismes marins de différentes manières. Au nord-ouest de la Méditerranée, plus de 30 espèces parmi les communautés vivant sur les fonds durs de la Méditerranée ont été affectées par des phénomènes de mortalité à grande échelle liés à des hausses inhabituelles de la température de l’eau de mer, et ce sur des milliers de kilomètres de littoral. Certains organismes planctoniques souffrent plus de l’acidification, alors que d’autres souffrent plus du réchauffement. Leur effet combiné peut amplifier l’impact sur certaines espèces. Les larves de poisson qui se nourrissent de ce type de plancton pourraient faire face à des problèmes nutritionnels dans le futur. Les virus et bactéries semblent, quant à eux, moins sensibles.
Le réchauffement et l’acidification menacent des écosystèmes iconiques de la Méditerranée comme les herbiers ou le coralligène. Ces écosystèmes sont des habitats ou des refuges pour des milliers d’autres espèces. Ils protègent le littoral de l’érosion et fournissent de la nourriture et des produits naturels aux humains. Le corail rouge de Méditerranée est particulièrement menacé.
Enfin, en raison des impacts sur la biodiversité que nous venons d’exposer, les bénéfices que tire la société de la Méditerranée sont menacés par le réchauffement et l’acidification. Les emplois et revenus dans la pêche, l’aquaculture ou le tourisme dépendent en effet de ce qui peut être exploité, des possibilités de loisirs et de la protection du littoral.
Les prévisions concernant le futur de la mer méditerranée font encore l’objet de grandes incertitudes. Il est indispensable de poursuivre et d’amplifier les recherches dans ce domaine. En attendant de substantielles réductions de CO2 , des stratégies d’adaptation peuvent être adoptées aux échelles locale, nationale et internationale : diminuer les rejets agricoles, agrandir les aires marines protégées et améliorer la protection du littoral peuvent, par exemple, réduire un peu le stress sur les écosystèmes marins. Ces mesures peuvent aider les communautés à maintenir leurs moyens de subsistance, fournir de la nourriture, protéger leurs côtes et maintenir leurs traditions culturelles. Réduire les émissions de CO2 dans l’atmosphère est le seul moyen de stopper l’acidification et le réchauffement des mers et des océans.
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