2.Impacts du changement climatique sur la biodiversité alpine

Les plantes alpines se caractérisent par des adaptations à des conditions écologiques drastiques (gel, sécheresse, radiation solaire élevée, etc.). Elles ont donc la capacité d’absorber, jusqu’à un certain seuil, les conséquences des changements climatiques sur leurs habitats. Toutefois, ces mêmes changements, en modifiant le milieu alpin, permettent à des espèces alors inadaptées de le coloniser, du moins en partie. Une nouvelle compétition pour les ressources émerge alors avec une restructuration des communautés végétales alpines. Ce phénomène de migration « vers le haut » est déjà observable avec les arbres, d’autant plus que la limite supérieure de la forêt en montagne a historiquement et artificiellement été rabaissée dès le Néolithique (ouverture d’alpages, usage du bois). L’élévation de cette limite a été observée dans des zones jamais exploitées par l’homme. Dans les hautes altitudes, les plantes alpines vont élargir leur aire d’occupation si de nouveaux habitats deviennent disponibles, par la fonte des glaciers, par exemple. Mais elles peuvent aussi rencontrer des limites absolues dans la zone des sommets. Un autre phénomène important est le décalage de la phénologie : les changements climatiques peuvent élargir la période favorable à la croissance et à la floraison, avec toutefois le risque accru d’exposer les plantes à des périodes de gel ou sécheresse.

Les espèces les plus menacées sont celles liées à des conditions écologiques très spécifiques et très sensibles aux changements climatiques. On retrouve ainsi les plantes des combes à neige, habitats naturels caractérisés par un enneigement très long, n’offrant aux espèces adaptées qu’une fenêtre de croissance et de reproduction (floraison, fructification) très réduite. Le raccourcissement de la période d’enneigement, couplé à la richesse en azote du sol, entraîne une perméabilité plus forte à la colonisation par les espèces de pelouses environnantes : ces dernières ne sont plus limitées par la présence de neige et l’azote disponible facilite leur croissance. Les espèces propres aux combes à neige se retrouvent ainsi menacées à la fois par la modification de leur habitat et par la compétition issue de la colonisation.

Ce type de changement touche aussi les espèces arctico-alpines : ces plantes se sont principalement étendues pendant le Quaternaire, favorisées par les températures froides. L’augmentation de ces mêmes températures tend à restreindre toujours davantage l’étendue spatiale de leur niche écologique, car des espèces plus adaptées prennent le dessus. Un phénomène à large échelle pourrait impacter fortement nombre de plantes : les stades phénologiques (floraison principalement) se découplant de ceux des pollinisateurs. Des plantes fleurissant avant l’émergence de leur pollinisateur rend toute fécondation croisée impossible et entraîne ainsi les taxons (entités d’êtres vivants ayant des caractères en commun) concernés dans une spirale d’extinction.

La disparition de végétaux alpins est-elle programmée ? Plusieurs éléments fondamentaux amènent à une réponse prudente : (i) les espèces peuvent s’adapter, soit grâce à leur diversité génétique, soit par leur plasticité (sans changement génétique). Par manque d’études systématiques, il est difficile de statuer pour toutes les espèces alpines ; (ii) ce qui est perdu d’un côté (colonisation « vers le haut ») peut être gagné d’un autre (disponibilité d’espaces post-glaciers) ; (iii) est-ce que les espèces auront le temps de s’adapter ? L’évolution réserve parfois des surprises avec des adaptations contemporaines très rapides ; (iv) la capacité de dispersion des espèces : pour survivre face aux changements climatiques, nombre d’espèces alpines vont devoir migrer vers des espaces plus favorables.

Au final, pour l’ensemble des scénarios climatiques qui tendent vers un réchauffement climatique au cours du XXIe siècle, malgré les capacités d’adaptation et vitesse de dispersion des espèces évoquées, il est peu probable que la biodiversité alpine réponde au changement climatique sans subir un important appauvrissement biologique.

ZOOM 6. IMPACTS SYNERGIQUES DU CHANGEMENT CLIMATIQUE ET DU DÉVELOPPEMENT URBAIN SUR LA BIODIVERSITÉ DES ALPES-MARITIMES

Par G. HINOJOS-MENDOZA, E. GARBOLINO, V. SANSEVERINO-GODFRIN, P. CARREGA et N. MARTIN

Le projet CASSANDRE, soutenu par la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, a permis d’étudier l’impact des forçages climatiques et de l’action anthropique (artificialisation du sol) sur la biodiversité des Alpes-Maritimes jusqu’en 2100. Pour cela, un modèle de caractérisation de la biodiversité des Alpes-Maritimes a été mis au point pour montrer la richesse des différentes unités paysagères qui composent ce département. Par ailleurs, un modèle a simulé la dynamique d’artificialisation du sol en se basant sur les 20 dernières années de développement urbain et en intégrant différentes variables du territoire. Une simulation de l’évolution de l’espace urbain a été réalisée pour les périodes s’étirant jusqu’à 2050 et 2100 dans le but d’identifier les territoires qui seront potentiellement construits. Il résulte que, si les tendances de développement se confirment, l’artificialisation du territoire affectera près de 10% de la biodiversité des Alpes-Maritimes d’ici 2100. Si on ajoute à cette anthropisation l’impact du climat sur les unités paysagères des Alpes-Maritimes, c’est près de 30% de la biodiversité qui pourrait être affectée d’ici 2100. De tels résultats peuvent ainsi servir de base de réflexion pour la mise en œuvre de moyens de protection de la nature, tels que les Trames vertes et bleues, et pour la définition des stratégies d’adaptation au changement climatique.

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