En ville, les conséquences du changement climatique sont particulières du fait des interactions entre la surface urbaine et la couche limite atmosphérique (Cf. Zoom 1) : la morphologie de la ville peut en effet modifier certains paramètres climatiques.
Évolution des températures et des phénomènes liés
En Provence-Alpes-Côte d’Azur, comme dans l’ensemble du territoire métropolitain, le changement climatique s’est déjà traduit par une hausse des températures, plus marquée depuis les années 1980. Sur la période 1959-2009, on observe une augmentation des températures annuelles d’environ 0,3°C par décennie. À l’échelle saisonnière, c’est l’été qui se réchauffe le plus avec une hausse de 0,4 à 0,6°C par décennie pour les températures minimales, maximales et moyennes.
En cohérence avec cette augmentation des températures, le nombre de journées très chaudes (température maximale supérieure à 30°C) et le nombre de nuits tropicales (température minimale supérieure à 20°C) ont augmenté. Le graphe suivant (Figure 2) montre l’évolution du nombre de nuits tropicales à l’aéroport de Nice : on passe d’une moyenne d’une quinzaine de nuits dans les années 1960 à environ 60 nuits aujourd’hui.
Ces tendances à la hausse vont se renforcer tout au long du XXIe siècle. Elles vont particulièrement impacter les villes de la région qui sont déjà confrontées au phénomène d’îlot de chaleur urbain(ICU). Avec un réchauffement global qui, selon le scénario de concentration en GES serait de l’ordre de +2,5°C à +6°C pour les températures de l’été, les centres-villes risquent de devenir étouffants, en particulier la nuit. Dans l’hypothèse la plus pessimiste, les villes du littoral subiraient en moyenne 90 jours par an avec des températures nocturnes supérieures à 20°C. Or, plus que le pic de chaleur dans l’après-midi, c’est l’absence de fraîcheur nocturne qui procure l’inconfort le plus prononcé.
Évolution des précipitations
Les cumuls annuels de précipitations sont plutôt en baisse sur la période 1959-2009 en PACA. Cependant, ils présentent une très forte variabilité d’une année sur l’autre, comme l’indique le graphique d’évolution des précipitations annuelles à Toulon. Pour ne parler que des années les plus récentes, on peut observer que, si l’année 2007 a été très sèche à Toulon avec moins de la moitié du cumul annuel normal, l’année 2014 a été exceptionnellement pluvieuse avec un excédent de 70 %. Cette évolution à la baisse des précipitations (Figure 3) est sans doute un signal de changement climatique. Elle est à préciser en fonction des tendances qui ne sont pas toutes statistiquement significatives. À l’échelle saisonnière, la baisse concerne principalement l’été et l’hiver, mais très peu les autres saisons. Sur la période étudiée, le nombre de jours de fortes pluies (jours avec un cumul de précipitations > 10 mm) est stable à Aix-en-Provence et en baisse de 2 à 5 jours ailleurs.
L’étude de l’évolution des précipitations au cours du XXIe siècle reste un défi majeur pour les climatologues. Néanmoins, des tendances se dessinent sur le bassin méditerranéen :
Ces tendances restent à confirmer par le prochain lot de projections climatiques en cours de réalisation.
Le climat urbain en Méditerranée : échelles et spécificités
Les villes méditerranéennes, par leur configuration spatiale et géographique (proximité du littoral, forte demande en eau, climat favorisant les sécheresses estivales et les évènements météorologiques extrêmes comme les pluies intenses) et par leur croissance, sont considérées comme des milieux particulièrement vulnérables, des “hot spots” du changement climatique.
L’analyse du climat urbain méditerranéen s’effectue à différentes échelles spatio-temporelles : celles (i) du canyon urbain ou microclimat urbain (quelques centimètres à quelques mètres ; de quelques minutes à quelques heures), (ii) du quartier ou climat local urbain (quelques kilomètres ; quelques heures à jours), (iii) de l’agglomération (plusieurs kilomètres ; jour, mois, année) ou du méso-climat urbain avec des outils et méthodes parfois encore peu utilisés, tels que la mise en place de dispositifs de mesures aux échelles microclimatiques et locales.
Les spécificités du climat urbain sont notamment : une température plus élevée que dans les zones rurales environnantes (surtout en fin de journée et la nuit), des vents spécifiques (brise thermique « de campagne », détectable dans les très grandes villes), la présence de pollution urbaine, une insolation affectée par les multiples effets de masques… Ces caractéristiques mettent en évidence l’îlot de chaleur urbain dont la distribution spatiale dépend essentiellement de l’occupation du sol et des paramètres météorologiques. Or, la climatologie actuelle n’est pas encore en mesure de modéliser toute la complexité des interactions ville-climat.
Ces spécificités du climat urbain méditerranéen sont dues à la prédominance des ciels clairs (sauf cas particuliers), des calmes synoptiques (phénomènes radiatifs), des contrastes terre/mer ou montagne/vallée provoquant des brises thermiques ou ville/campagne. L’architecture, ancienne et moderne, les matériaux clairs, les immeubles anciens, hauts et étroits, permettent un drainage de l’air chaud vers le haut, et les rues étroites sont à l’abri du rayonnement solaire(fraîcheur estivale, vieilles villes, etc.).
ZOOM 1. Couche limite atmosphérique en milieu urbain et qualité de l’air
La couche limite atmosphérique qui, en milieu urbain, prend le nom de couche limite urbaine (CLU), est la couche d’air sous influence de la surface. L’épaisseur de cette couche d’air est variable en fonction de l’heure de la journée et de la saison. Elle joue un rôle important dans les échanges de chaleur, d’humidité, ainsi que sur la concentration de polluants. Il est donc important de bien comprendre son fonctionnement. L’épaisseur de la CLU est produite par la présence de tourbillons d’air. Plus l’air est turbulent, plus les échanges d’énergie, de matière et de mouvement entre la surface urbaine et l’atmosphère sont favorisés et efficaces. Cette turbulence est plus ou moins importante en fonction de la présence de vent et/ou de la température de surface (qui vont caractériser la stabilité de l’atmosphère), et de la rugosité de la surface. Plus il fait chaud et/ou plus les obstacles en surface sont importants, plus les mouvements d’air brassent et mélangent l’air. Par exemple, en journée, la CLU possède une épaisseur supérieure à celle de la nuit car il fait plus chaud. D’une façon générale, la différence d’épaisseur de cette couche est aussi observée entre les saisons chaudes (printemps, été) et froides (automne, hiver). C’est pour cette raison, qu’en hiver, il est souvent observé deux pics de pollution dus au trafic routier (matin et soir), alors qu’en été, seul celui du matin est observé. Tôt le matin, l’épaisseur de la CLU est comparable en hiver et en été. Elle est généralement plus épaisse l’après-midi lors des belles journées ensoleillées d’été. Les polluants sont donc dilués dans un plus grand volume d’air et les capteurs de qualité de l’air mesurent de plus faibles concentrations. En milieu rural, la couche limite atmosphérique a une épaisseur moins importante car la température et la rugosité sont souvent plus faibles en milieu rural qu’en milieu urbain.
À l’intérieur de la couche limite atmosphérique (sous la courbe noire, Figure 4), on peut différencier la couche de surface, aussi appelée « canopée », qui représente le volume d’air entre les éléments rugueux. Ses propriétés sont importantes car c’est la couche d’air en contact direct avec la population au sein de laquelle la majorité des activités humaines se développent. La couche limite atmosphérique en milieu urbain est plus volumineuse le jour que la nuit. La couche limite rurale représente la couche limite atmosphérique au niveau de l’environnement rural hors de la ville. Dans la Figure 4, le pic de la couche au niveau de la ville est plus prononcé la nuit que le jour. Ceci traduit une transition plus abrupte des propriétés (température, vent, composition chimique, etc.) entre la ville et la campagne. La différence de température entre la ville et ses alentours est ainsi appelée « îlot de chaleur urbain ».
La nécessité de développer les outils adaptés pour la mesure du climat urbain
En climatologie, la compréhension et l’imbrication des échelles spatiales et temporelles sont indispensables pour comprendre les phénomènes à l’échelle urbaine. Les simulations des modèles climatiques régionaux (MCR) prévoient, selon plusieurs scénarios, la fréquence et l’intensité des évènements météorologiques extrêmes tels que les canicules estivales qui peuvent renforcer les ICU, et permettent de les anticiper. Toutefois, elles ne donnent pas d’éléments de réponses aux échelles locales. Ainsi, il est intéressant et nécessaire de développer des modèles, instrumentations et mesures capables de simuler les phénomènes climatiques locaux. Ces démarches, aux échelles locales urbaines, peuvent être les prémices de méthodes d’adaptation à l’évolution du climat, notamment à court et à moyen terme. Elles permettraient de reconsidérer certaines politiques en matière d’urbanisme (densification, usage du sol ou politique énergétique), ainsi que certaines pratiques en matière d’architecture (orientation, usage de matériaux). Les aménageurs vont devoir intégrer la question climatique dans leur pratique et mettre en œuvre des solutions urbaines en Méditerranée, afin de limiter les effets néfastes du changement climatique (inconfort thermique, pollution, etc.), surtout en période estivale.
Au sein des villes méditerranéennes, des initiatives locales sont menées par différentes équipes de recherche pour mieux comprendre le climat urbain, et plus particulièrement la variabilité spatiale et temporelle de l’ICU. L’accent est mis sur les études estivales, compte tenu des caractéristiques du climat méditerranéen, mais aussi de la forte probabilité d’intensification des canicules à l’avenir.
Mesurer, comprendre et modéliser le climat aux échelles fines permet d’agir en faveur de la transformation de la ville en proposant des implantations et des structures urbaines plus réfléchies.
De nouveaux défis liés au changement climatique supposent de nouveaux modes de gestion pour la ville et appellent l’usage de données fiables à échelle fine, aussi bien pour le climat que pour le suivi des impacts. C’est à partir d’indices, tels que l’indice humidex (mesure utilisée par les météorologues pour intégrer les effets combinés de la chaleur et de l’humidité), et d’indicateurs, indispensables pour développer un outil adapté à la complexité urbaine et à ses spécificités, qu’il est possible d’envisager une approche interdisciplinaire capable de prendre en compte la complexité des villes contemporaines à travers une coaction entre les scientifiques et les politiques.
ZOOM 2. Inventaire de quelques travaux réalisés en région Provence-Alpes-Côte d’Azur
À l’échelle d’un quartier ou d’une ville, il faut pouvoir disposer d’outils permettant de quantifier les changements locaux (îlots de chaleur/fraicheur, zones de vulnérabilité ou zones protégées) afin de pouvoir en tirer parti. Actuellement, il existe des projets de développement de réseaux de mesure des concentrations de gaz à effet de serre (GES) à micro-échelle, calqués sur le modèle des réseaux de surveillance de la pollution atmosphérique, qui permettraient de disposer de mesures précises évaluant les évolutions déjà perceptibles et les impacts des aménagements. Le LABEX OT-Med (www.otmed.fr) développe un projet de mesure et de modélisation du dioxyde de carbone (CO2) à Marseille. Quatre stations de mesure du CO2 fonctionnent dans le cadre de l’étude. Leur rôle est d’apporter une première estimation du forçage anthropiquede CO2 issu de la ville de Marseille et d’évaluer la représentativité de sites existants qui donneront des indications sur la faisabilité de l’approche atmosphérique. Des outils d’inventaire des émissions de GES sont également disponibles et permettent de scénariser les évolutions envisagées en fonction des différents scénarios à tester. Ils ont été développés par Air PACA et sont mis à jour annuellement : Emiprox (emiprox.airpaca.org) fournit l’ensemble des émissions de GES d’un territoire sur une année donnée, tandis qu’Energ’Air (energair.airpaca.org) fournit uniquement celles liées à une consommation énergétique. Les deux outils permettent de descendre de l’échelle régionale à l’échelle communale et détaillent les sources d’émissions. Ce type d’outil cadastral est très utile pour établir un diagnostic initial des émissions de GES (leur ampleur, leurs sources, etc.) sur un territoire ou une ville. Ils permettent aussi de faire un lien direct avec les émissions de polluants atmosphériques car ces derniers sont également recensés avec le même niveau de détail. L’utilisation de modèles de dispersion 3D basés sur la CFD (Computational Fluid Dynamics) est aujourd’hui envisagée pour modéliser et étudier la dispersion des polluants atmosphériques en zones urbaines. Ce type d’outil peut être aussi utilisé pour modéliser les flux de températures entre les bâtiments afin d’identifier les ICU, voire de les anticiper dans le cadre de la construction d’un nouveau quartier.