1.L’or blanc s’écrit-il en pointillé dans les Alpes du Sud ?

Skier dans de bonnes conditions dans les Alpes du Sud dans 30 ans sera-t-il encore possible ? La neige naturelle sera-t-elle toujours au rendez-vous à l’avenir ? Avec le changement climatique, les professionnels du tourisme s’interrogent sur la fiabilité de l’enneigement naturel dans les stations alpines.

Sous l’effet de l’augmentation de la température de l’air, la fiabilité de l’enneigement naturel, basée sur les domaines skiables susceptibles d’ouvrir 100 jours avec au moins 30 cm de neige au sol, varie selon les massifs alpins. La limite altitudinale a en effet tendance à s’élever ces dernières décennies (§3.2, §3.3). Dans les Alpes du Sud, la fiabilité de l’enneigement se situerait au-dessus de 1600-1700, voire 1800 mètres d’altitude en 2050. D’après une approche prospective, avec une augmentation de la température de l’air de 2°C par rapport à la période préindustrielle (proche de la situation actuelle), 80 % des domaines skiables dans les Hautes-Alpes seraient encore opérationnels. Néanmoins, les écarts se creusent entre les massifs avec une augmentation possible de +4°C si de sévères mesures d’atténuation de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale ne sont rapidement pas mises en œuvre, puisque le taux d’enneigement fiable serait proche de 70 % en Savoie, seulement 30 % dans les Hautes-Alpes et 10 % dans les Alpes-de-Haute-Provence (Photo 14). Les domaines skiables des Alpes du Sud seraient donc particulièrement vulnérables : seules quelques stations, comme Montgenèvre, Risoul ou Les Orres, grâce à leur altitude et/ou l’orientation de leurs pistes, seraient en mesure de

maintenir une offre touristique durable principalement axée sur la pratique du ski alpin, avec toutefois des années de pénurie et un enneigement capricieux selon les années et les périodes hivernales. En effet, cet indicateur ne doit pas masquer la forte variabilité interannuelle de l’enneigement dans les Alpes du Sud (typique du climat montagnard méditerranéen), l’influence des microclimats selon l’orientation des versants par exemple, mais aussi les moyens techniques des stations de ski, comme le travail des pistes ou la neige de culture. Cette dernière a le mérite de pallier temporairement le manque de neige naturel et d’apporter si besoin plus de confort aux amateurs de glisse, mais elle exige en contrepartie des investissements lourds qui demandent en amont une analyse du contexte local en raison des impacts sur l’environnement (perturbation des hydrosystèmes, construction de bassins de rétention, consommation d’énergie…) et de l’évolution des températures de l’air, surtout en basse et moyenne altitude.

La fragilité des stations dans les Alpes du Sud dépendra des choix socio-économiques qui conditionneront les émissions des gaz à effet de serre à l’échelle mondiale, régionale et locale, et des mesures d’adaptation au changement climatique, mais les stations situées en basse et moyenne altitude devront s’orienter vers un tourisme 4 saisons pour ne plus dépendre de l’or blanc. Les nouvelles simulations climatiques, basées sur les scénarios du dernier rapport du GIEC, affineront ces tendances.

Photo 14. Le Sauze, Alpes-de-Haute-Provence

Zoom 5. Guides et gardiens de refuge, pionniers de l’adaptation !

Les guides et gardiens de refuge portent un regard particulier sur l’évolution du climat en montagne. Comme le changement climatique est plus marqué en haute montagne qu’en plaine, ils sont les premiers témoins du bouleversement amorcé depuis des décennies. Ainsi, l’adaptation est déjà au cœur de leur culture professionnelle, et guides et gardiens font figure de pionniers dans l’expérimentation de nouvelles ressources et savoir-faire.

Si l’effet du changement climatique sur les sports d’hiver polarise l’attention, son impact sur le tourisme estival en montagne est largement sous-estimé. Dans le cas de l’alpinisme, le retrait glaciaire et la disparition des névés bouleversent les conditions de pratique : décalage des ascensions de l’été vers le printemps, délaissement ou disparition d’itinéraires, déclin de la randonnée glaciaire, élévation des niveaux de difficulté, augmentation des risques de chutes de pierre et d’éboulements… Pour les guides de haute montagne, ces contraintes impliquent de multiples adaptations à partager avec leurs clients : impératif de réactivité face à la variabilité

des conditions, mobilité accrue vers d’autres massifs, report d’activité sur le ski de randonnée, les voies rocheuses, la via ferrata et le canyoning, gestion des risques accentuée.

Pour la majorité des gardiens de refuge, l’adaptation s’opère au prix d’une réorientation radicale basée sur l’accueil d’un public élargi et le développement de compétences en médiation et animation. Pour y parvenir, les gardiens jouent sur l’ensemble des ressources à leur disposition en matière d’accessibilité pédestre, d’environnement paysager (lac, panorama…), mais aussi d’expériences de la nature. Les refuges deviennent progressivement des destinations à part entière (Photo 15) et des lieux d’initiation à la montagne où se vivent expositions, résidences d’artistes, concerts, bals, classes vertes, stages et séjours… Cette mutation et l’extension des périodes de gardiennage au printemps et en hiver, grâce au ski de randonnée et à l’alpinisme, multiplient les exigences liées à l’accès aux refuges (ouverture des routes, installation des passerelles) et la mise à niveau de leur équipement (eau, énergie, chauffage, toilettes). La nouvelle donne climatique implique aussi le renforcement de démarches d’information et de formation destinées aux pratiquants.

Photo 15. Le refuge des Écrins, Pelvoux
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