Aborder le changement climatique oblige à penser la multiplicité : celle des impacts, des transformations, des non-retours, et ce dans les domaines socio-économiques comme environnementaux. Les Alpes n’échappent pas à cette règle dans la mesure où elles sont elles-mêmes un espace de multiplicité qui caractérise sa richesse biologique et ses nombreuses espèces endémiques, ses écosystèmes singuliers, ses fortes dynamiques paysagères, son économie touristique marquée par les saisons, mais aussi les aventures multiples qu’un tel territoire continuent de nourrir. Ici, les températures augmentent plus fortement qu’ailleurs et les conséquences sont déjà prégnantes à qui veut bien ouvrir les yeux. Ici, des initiatives germent à toutes les échelles, planifiées ou spontanées et contribuent à repenser toute notre économie.
Le tourisme va connaître une évolution significative, parfois douloureuse au vu des changements d’enneigement : à l’avenir, « l’or blanc » sera en effet une richesse moins partagée et accessible. La fonte spectaculaire des glaciers a de son côté déjà pleinement transformé l’alpinisme estival. L’avenir du tourisme en montagne est ainsi encore à définir. Les risques sont objectifs, ne rien faire n’est pas une option.
L’érosion grandissante, s’exerçant à des échelles géographiques encore inconnues de mémoire d’homme, fragilise la sécurité des infrastructures comme des pratiquants de la montagne. Quels investissements notre société moderne et très urbaine consentira-t-elle dans ces territoires peu peuplés ?
Les espaces naturels d’altitude, qui représentent un capital exceptionnel dans les Alpes, sont entrés dans une phase de transformation dont la portée et l’ampleur sont encore incertaines. Aussi résilients soient-ils, un effet de seuil pourrait avoir des conséquences en chaîne et entraîner des pertes de grande ampleur. Or cette biodiversité exceptionnelle qu’hébergent nos montagnes fait partie intégrante des solutions à mobiliser. S’inspirer des stratégies d’adaptations naturelles, appelées aussi « solutions d’adaptation fondées sur la nature », est de ce point de vue une nécessité.
Enfin, l’agriculture de montagne et le pastoralisme ont depuis plusieurs années pris acte du besoin d’évolution des pratiques. Cette dernière est autant vécue comme une contrainte qu’une étape essentielle d’adaptation à la nouvelle donne climatique qui permettra l’installation de nouveaux actifs (maraîchers, viticulteurs…).
Mobiliser le public pour vivre cette transition énergétique et écologique est un impératif. Sensibiliser n’est qu’une première étape, indispensable, mais la mobilisation doit dépasser cet acte fondateur. Elle passe notamment par l’engagement. Il faut donner l’envie d’agir. En ce sens, les actions exemplaires sont importantes, car elles sont des porte-drapeaux. Il faut aussi prendre le risque d’innover. C’est le sens de l’engagement d’acteurs publics, mais aussi privés, qui se traduit par la création d’emplois dédiés à l’émergence et l’animation de nouvelles démarches territoriales dans les Alpes du Sud. À travers ces actions, les opérateurs du tourisme sont invités à repenser leurs offres, des ateliers paysages sont organisés pour que l’urbanisme de demain soit pensé avec la nouvelle donne climatique, la promotion de l’économie circulaire qui combine nos déchets, nos délaissés et notre mobilité, est encouragée… Mobiliser tout un territoire est une affaire de longue haleine, parfois difficile et sinueuse, mais les résultats s’avèrent en grande majorité positifs et constructifs. Rendre, par exemple, un territoire autonome en énergie est une épreuve, mais les acteurs franchissent des étapes pas à pas. La résignation, comme l’inaction évoquée en amont, n’est pas envisageable.
Enfin, comme le démontre ce cahier, la communauté scientifique est très largement mobilisée sur ces multiples questions et, plus que jamais, la tour d’ivoire du chercheur a laissé place à une construction collective avec la diversité des acteurs du territoire. Mais si la science a le pouvoir de réduire les incertitudes, elle ne prédit pas l’avenir à l’instar d’une Cassandre moderne. Elle donne des outils et des réponses pour que nous choisissions collectivement des moyens d’action et un avenir commun. En ce sens, les pistes d’adaptation au changement climatique et d’atténuation des gaz à effet de serre ne manquent pas dans tous les secteurs : agriculture, foresterie, tourisme, habitat, énergie, transport... Elles différent selon les territoires et le contexte local, mais elles visent le même objectif : protéger les populations et la nature tout en développant l’économie.
Sommaire du cahier