La houle et les phénomènes de submersion sur la côte méditerranéenne
Le littoral méditerranéen présente des caractéristiques très variées : grandes plages sableuses, du delta du Rhône au Roussillon ; côtes majoritairement rocheuses avec des « plages de poche », délimitées par des caps, en Provence-Côte d’Azur et Roussillon. La topographie des fonds marins est également très variée, avec la présence d’un plateau continental et de fonds lentement variables dans le golfe du Lion, et de pentes abruptes et d’îles en Provence-Côte d’Azur. Ces régions sont balayées par des vents forts de secteur nord à ouest, le Mistral ou la Tramontane, par conditions anticycloniques, et des vents d’est à sud-est, souvent associés à des conditions dépressionnaires et un temps pluvieux. Les conditions de houle à la côte vont dépendre de l’intensité du vent, de sa direction et de la distance sur laquelle le vent souffle sans rencontrer d’obstacles (fetch). Plus le vent est fort et plus il souffle sur une longue distance, plus la houle provenant du large sera grosse et de période élevée. Cette houle subit, en s’approchant de la côte, un ensemble de transformations (Zoom 2) qui contrôlent l’énergie qui va finalement impacter le littoral.
En mer Méditerranée, le marnage est faible, de l’ordre de 20 cm. Les effets de variations de pression atmosphérique peuvent être beaucoup plus significatifs avec des décotes de 30 cm par conditions anticycloniques combinées à des vents de terre, et à des surcotes de 1 m par conditions dépressionnaires généralement associées à de forts vents marins. Une surcote est un facteur déterminant qui aggrave les impacts des tempêtes sur le rivage. En période de surcote, la houle est moins dissipée par les effets du fond et atteint la côte avec d’autant plus d’énergie. En outre, le niveau d’eau étant plus haut, plages et ouvrages sont beaucoup plus vulnérables. L’ensemble des forçages (vent, houle, niveau moyen) qui se conjuguent défavorablement provoque des évènements de submersion destructeurs lors des tempêtes.
Pour simuler les conditions de houle à la côte (hauteur significative et direction), une modélisation de la propagation de la houle, tenant compte de la présence de bathymétries variables et de courants, est nécessaire. La hauteur d’eau le long du littoral est également un paramètre déterminant qu’il faut connaitre, d’une part pour une bonne prévision des conditions de houle à la côte et d’autre part pour mieux estimer les risques de submersion. Les surcotes marines, dont une partie significative est associée aux conditions barométriques, peuvent être plus importantes sur les plages exposées aux houles frontales et au vent de mer. Ces surcotes peuvent avoir également un effet significatif sur les inondations (épisodes de pluie le plus souvent associés à des régimes dépressionnaires), empêchant les fleuves côtiers de se déverser normalement en mer à cause de la réduction de la pente des écoulements.
L’évolution du climat au cours du XXIe siècle jouera un rôle déterminant sur la formation de la houle et des phénomènes de submersion. La hausse du niveau de la mer et la fréquence des événements extrêmes seront, par exemple, des facteurs à surveiller.
ZOOM 2. La houle, une onde de gravité
La houle est générée par l’action du vent sur la surface de la mer. Sous l’effet de la gravité, les ondulations de la surface libre produites par le vent au large peuvent se propager sur de très grandes distances et traverser les océans. Les conditions de propagation de la houle évoluent en fonction des variations bathymétriques ou de courants. Elle est réfractée ou diffractée, c’est-à-dire qu’elle change de direction, ou encore réfléchie. Certaines parties de la côte sont alors abritées comme, par exemple, les fonds de baie, ou, au contraire, exposées par focalisation de son énergie au-dessus de hauts-fonds ou au voisinage de caps. Une partie de son énergie peut également être réfléchie par une variation abrupte de la profondeur d’eau (hauts-fonds rocheux, falaises, ouvrages de protection, etc.). À l’approche de la côte, les mouvements d’oscillation induits au fond conduisent à une dissipation accrue, en particulier sur les fonds rugueux (fonds escarpés, présence d’herbiers, etc.). La houle est d’autant plus dissipée à la côte qu’elle s’est propagée longtemps par faible profondeur d’eau (ordre de la dizaine de mètres).
L’érosion des plages de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur
Globalement, les plages de la région Provence-Alpes- Côte d’Azur s’organisent selon deux environnements aux réponses morpho-sédimentaires différentes :
À l’avenir, ces deux types d’environnements montreront des réactions différentes face au recul du rivage et aux submersions marines en lien avec le changement climatique. Au cours du XXIe siècle, l’augmentation de la force et/ou la fréquence des tempêtes n’est pas encore établie, alors qu’une accélération de la montée du niveau de la mer est attendue. Les plages de Camargue en érosion possèdent suffisamment d’espace pour reculer et le rivage se positionnera en arrière, à plusieurs dizaines, voire centaines de mètres, si la fourniture en sable est suffisante. Les autres plages de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur disposent généralement d’une zone de repli réduite ou inexistante (photo 3), et leur recul, suite à la montée du niveau de la mer, se soldera par une disparition lente et progressive si la situation topographique et urbaine actuelle perdure.
Les effets du changement climatique ne se font pas encore ressentir sur les plages de la région, mais, à l’avenir, ils joueront un rôle majeur sur des rivages déjà fragilisés à cause d’un déficit sédimentaire qui dure depuis des siècles. L’ensemble des actions humaines sur les bassins-versants qui ne livrent plus suffisamment de sables aux plages en est la cause, ainsi que la construction d’enrochements mal conçus dont les effets secondaires apparaissent à long terme. Aussi, il convient de mettre en place des systèmes d’observations des plages afin de constituer un socle de connaissances indispensable aux générations futures qui devront relever le défi du maintien des plages pour lesquelles les services environnementaux présentent des enjeux touristiques vitaux pour la région.
Érosion des côtes rocheuses et risques associés pour les usagers
En région Provence-Alpes-Côte d’Azur, un tiers de la population vit sur 10 % du littoral méditerranéen et près de 40 % des côtes sont artificialisées. Cette pression démographique tend à s’accroitre et prend la forme d’une densification urbaine. Dans ce contexte, les phénomènes naturels, tels que les éboulements de falaises, font peser un risque croissant sur les riverains et/ou les usagers. En effet, des éboulements ont causé des accidents mortels ces dernières années qui concernent essentiellement des zones non urbanisées, faisant l’objet d’une fréquentation récréative (baignade, promenade). Pour éviter les accidents, la puissance publique a restreint l’accès aux secteurs les plus à risques, mais les usagers ne respectent pas toujours les interdictions.
Les processus d’érosion sont aujourd’hui mieux connus. Trois principales actions conditionnent l’érosion des côtes rocheuses : la morphologie des reliefs, les propriétés intrinsèques de la roche et l’action des forçages météo-climatiques (précipitations, embruns, action des vagues, gel-dégel, etc.). Au regard des variations passées et actuelles de ces forçages, l’intensité et la fréquence de l’érosion varient dans le temps.
Des travaux récents ont permis de caractériser l’ampleur de l’érosion aux échelles annuelles et plurimillénaires (Holocène), et même au cours du Quaternaire. Or la caractérisation de l’érosion selon les variations climatiques passées est l’une des clés pour mieux comprendre les phénomènes associés au changement climatique (intégration de l’impact de l’élévation du niveau marin, par exemple). À l’échelle annuelle, dans un contexte de faible activité gravitaire (avec un recul moyen des falaises d’environ 1 cm.an-1), des levés LIDAR embarqués sur un bateau ont permis de quantifier, à une résolution centimétrique, l’érosion des falaises sur une portion de la Côte Bleue (Figure 9). Ce travail a souligné l’influence de la saisonnalité typiquement méditerranéenne (tempêtes hivernales et précipitations automnales) sur l’occurrence de petits effondrements (volume ≤ 1m3).
De même, à l’échelle séculaire, la tendance évolutive de la côte régionale depuis le XXe siècle serait principalement régie par l’action des forçages annuels. Les précipitations généreraient une érosion totale légèrement plus importante sous forme de chutes de blocs et de reprises des glissements de terrain préexistants, alors que l’action des tempêtes engendrerait une érosion plus localisée en incisant l’intérieur des criques et des sous-cavages (creusements de la partie inférieure du front de la falaise). Toutefois, l’ampleur de cette érosion reste relativement faible (vitesse de l’ordre du mm à quelques cm par an) et s’apparenterait plutôt à la production d’évènements précurseurs (« bruit de fond ») qu’à une rupture plus conséquente des milieux rocheux. Ainsi, à l’échelle des temps courts (annuelle, séculaire), les falaises littorales subiraient plutôt une phase de dégradation préparant l’occurrence des futures instabilités gravitaires qui seraient bien plus conséquentes.
L’action des prochaines tempêtes aux échelles pluriséculaires à millénaires sera déterminante. En effet, à l’échelle plurimillénaire, la dernière transgression marine (envahissement durable du littoral par la mer), associée à des tempêtes avec surcotes exceptionnelles, aurait provoqué une érosion significative de la côte régionale déjà altérée par des processus subaériens (actions mécaniques, physico-chimiques et biologiques). Cette double action aurait favorisé la création de plates-formes marines larges de plusieurs dizaines de mètres (Figure 10) et le déplacement de blocs de 33 tonnes.
Vu l’ampleur de ce type de tempêtes et compte tenu de l’élévation du niveau marin (Cf. §3.1) et de l’amplification encore incertaine mais probable des tempêtes, il sera essentiel d’intégrer l’impact potentiel des futurs forçages marins dans les problématiques d’aménagement du territoire et de gestion intégrée des risques côtiers.
Des côtes rocheuses fragilisées par les activités anthropiques
Dans les zones urbanisées exposées aux éboulements, des travaux de purge ou de confortement sont généralement privilégiés par les collectivités territoriales. Ces travaux spécifiques sont réalisés, au cas par cas, en fonction des situations de danger. Le recours à ces travaux soulève néanmoins la question de leur coût et de leur durabilité. Les différents gestionnaires publics se trouvent aujourd’hui partagés entre un héritage technocentré, favorisant les aménagements lourds pour la protection, et un glissement progressif vers des stratégies de prévention plus environnementales (loi Barnier 1995, loi Bachelot 2003…).
La tempête Xynthia, sa médiatisation et ses rebondissements contentieux ont accéléré le mouvement en faveur du retrait stratégique et de la relocalisation des biens et des personnes (Stratégie nationale de gestion du trait de côte, 2012). Mais l’écart est aujourd’hui immense entre l’intention du législateur et l’acceptation des collectivités territoriales et des populations locales. Une récente enquête sociologique inscrite au projet VALSE, menée sur la Côte Bleue, mesure l’ampleur d’un tel écart. Elle souligne la forte demande des riverains souhaitant que les travaux de renforcement des falaises soient financés par la puissance publique dans une logique de protection des biens et des personnes vis-à-vis d’un risque considéré naturel. Or, le croisement interdisciplinaire des analyses géologiques et sociologiques identifie des facteurs anthropiques d’aggravation de l’érosion et des éboulements. L’apport d’eau douce pluviale et d’écoulements tend à favoriser la dégradation des falaises pouvant produire une rupture susceptible de provoquer un effondrement. Ce phénomène est accentué par l’apport d’eau d’origine anthropique en surface ou à faible profondeur (arrosage, fuites de piscines ou de canalisations). L’enquête confirme d’ailleurs la forte présence de piscines et de systèmes d’arrosage automatique dans ces quartiers de villas de standing aux jardins verdoyants. En effet, sur ce territoire, comme dans de nombreuses communes de la région, les riverains installés à proximité des falaises littorales appartiennent principalement aux classes sociales aisées (photo 4). Un tel constat fait écho aux analyses juridiques questionnant le principe d’égalité des politiques de prévention des risques et explorant une possible « règle d’équité prenant en compte la capacité financière réelle du propriétaire ».
ZOOM 3. Suivi et capitalisation des impacts des tempêtes à travers le « Réseau Tempête»
En 2014, un inventaire historique des tempêtes majeures qui ont affecté le littoral régional a été établi par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) en partenariat avec la DREAL PACA. Les informations ont été centralisées dans une base de données consultable sur le site de l’Observatoire Régional des Risques Majeurs en Provence- Alpes-Côte d’Azur (ORRM). Cette base de données permet de stocker des informations sur l’historique des tempêtes passées et offre un support pour améliorer le retour d’expériences. Plate-forme de mutualisation et de diffusion de l’information, elle constitue ainsi la brique élémentaire d’un réseau d’acteurs à même de rassembler et de capitaliser les données sur les futures tempêtes qui vont affecter le littoral régional.
Au cours de l’année 2016, dans le cadre de l’ORRM, la préfiguration d’un « Réseau Tempête » a été réalisée en associant les acteurs locaux de la gestion des territoires littoraux. Des outils d’animation ont été développés par le BRGM pour fixer un cadre technique pour l’acquisition de
mesures post-tempêtes à travers un protocole d’activation automatique. Ce dernier repose sur l’interrogation de modèles de prévisions de vagues implémentés sur la Méditerranée occidentale, et un protocole de capitalisation via la base de données disposant d’un outil de saisie en ligne des informations. Le réseau est ouvert à tout partenaire souhaitant participer à la surveillance de son territoire d’intérêt dans une perspective de mutualisation des données et de développement d’une expertise partagée sur les risques côtiers à l’échelle régionale.
Avec ce réseau régional de surveillance des tempêtes, les acteurs locaux, gestionnaires, décideurs et scientifiques disposent d’une infrastructure pérenne d’acquisition et de capitalisation des données qui caractérisent ces phénomènes dont l’importance, en termes de submersion marine et d’érosion côtière, est attendue croissante au cours du XXIe siècle, en raison de l’élévation du niveau de la mer en lien avec le changement climatique global.
Sommaire du cahier