2.L’étiage estival : une phase critique des milieux aquatiques face au changement climatique

Les extrêmes climatiques, sécheresse et crue, marquent profondément le fonctionnement des cours d’eaux. Le déficit pluviométrique en été se traduit par une période de basses-eaux, l’étiage estival. C’est lui qui détermine le point bas du développement des peuplements d’un cours d’eau. L’incertitude, voire les contradictions des prévisions d’évolution de la pluviométrie en PACA avec les changements climatiques, rendent extrêmement difficile l’évaluation de l’impact de ces changements sur les milieux aquatiques. La seule certitude qui semble faire l’unanimité des prévisions est que la sécheresse estivale va être plus sévère en intensité et en durée. Avec une autre certitude d’évolution climatique qui est une température plus élevée en été sur toute la région, nous avons deux phénomènes (sécheresse et forte chaleur) qui vont impacter fortement les milieux aquatiques de notre région.

La réduction de débit entraîne des modifications majeures dans le fonctionnement des cours d’eau. Il est évident que le plus impactant est lorsque la réduction de débit entraîne l’assec des cours d’eau. Si les espèces ne sont pas adaptées à ces conditions, et si elles n’ont pas la possibilité d’émigrer vers une zone refuge, on assiste à la disparition du peuplement aquatique.

Photo 8. Le secteur de Montaux sur le haut Argens le 14 janvier 2008

Les possibilités de recolonisation, lors du retour de l’eau, dépendront des réservoirs biologiques et des conditions de circulation pour les espèces (continuité biologique).

On rappellera que les cours d’eau sont confinés à l’intérieur de bassins versants isolés les uns des autres et, à part les oiseaux qui ont la possibilité de se déplacer d’un bassin à l’autre pour recoloniser les milieux lors du retour de l’eau, il faudra trouver à l’intérieur même de ces bassins versants les réservoirs biologiques permettant la reconstruction partielle ou totale de l’ensemble des êtres vivants de l’écosystème. A cette intensité de l’assec s’ajoute, comme facteur aggravant, sa durée. L’année 2007, à cet effet, a été fort instructive. Faisant suite à 4 années déficitaires, un secteur de 7 km a séché du 13 août au 14 janvier 2008 (Photo 8) sur la haute partie du fleuve côtier Argens. Si cette portion de l’Argens avait déjà connu des assecs sur cette zone (1991, 2005), jamais la durée n’avait été aussi longue, les pluies d’automne permettant habituellement le retour de l’écoulement vers la fin septembre au plus tard. Cette durée exceptionnelle sans eau aura causé la disparition du plécoptère Leuctra occitana (Despax 1930) (perles, photo 7), dont la présence était connue, dans le sud de la France, uniquement dans ce secteur du haut Argens.

Le deuxième impact majeur est le résultat de la réduction du débit sur le courant. Moins de débit, c’est des eaux moins rapides donc :

  • moins de brassage avec, comme effet, une oxygénation des eaux qui diminue. Si la teneur en oxygène diminue, les espèces les plus exigeantes pourraient ne pas trouver des conditions leur permettant de vivre. Si la baisse de la teneur en oxygène n’est pas assez forte pour provoquer leur mortalité, elle peut provoquer un affaiblissement des individus, les rendant plus vulnérables à des maladies et/ou à des pollutions ;
  • une capacité de transport qui diminue au profit des dépôts. En particulier pour les rejets de matières organiques, cela a comme conséquence une augmentation de la sédimentation au détriment d’une répartition sur une plus longue distance. Cette accumulation se traduira par une consommation de l’oxygène pour la dégradation de cette matière organique, consommation qui, selon son importance, pourra aller jusqu’à créer des conditions anoxiques ;
  • une dilution des polluants qui se réduit et, par conséquent, une toxicité sur les organismes vivants qui augmente ;
  • des risques importants d’eutrophisation du milieu (Photo 9).
Photo 9. Eutrophisation de la rivière Eau salée lors de la sécheresse de 2007. ©MRE - Georges Olivari

Si l‘abaissement du débit ne conduit pas à l’assec du cours d’eau, une plus faible quantité d’eau se traduit par une capacité d’habitat réduite et une diminution de la hauteur d’eau pouvant limiter et/ou empêcher la circulation des espèces. Mais l’impact majeur se trouve dans l’augmentation de la température, en été, lorsque le débit devient plus faible. La température de l’eau est un facteur majeur dans le fonctionnement des milieux aquatiques. La grande majorité des animaux aquatiques sont des poïkilothermes , animaux « à sang froid », dont les caractéristiques sont les suivantes :

  • leur vie est bornée par une température inférieure et une température supérieure. Si la température baisse en deçà de la borne inférieure ou s’élève au-dessus de la borne supérieure, l’espèce disparaît ;
  • depuis la borne inférieure de vie de l’espèce, la croissance augmente avec la température jusqu’à une valeur maximale que l’on appelle optimum thermique, avant de diminuer à l’approche de la borne supérieure ;
  • les conditions de la reproduction de chaque espèce dépendent de la température. Ces conditions sont, dans la grande majorité des cas, strictes et présentent peu de possibilités d’évolution. Il en est de même pour des stades très fragiles comme l’embryogénèse, les jeunes stades etc. ;
  • la sensibilité des espèces aux maladies est dépendante de la température, la plupart du temps elle augmente avec l’élévation de la température.

Enfin, plus une eau est chaude, moins elle contient d’oxygène. Si l’on synthétise tout cela, l’augmentation de la température de l’eau va favoriser les espèces les moins exigeantes en oxygène, celles préférant les eaux chaudes. Les peuplements d’eaux froides verront leur aire de répartition se réduire et pour certains risquent de disparaître. L’adaptation à ces changements peut se révéler brutale pour les espèces à spectre de température étroit et qui présentent peu de capacité d’acclimatation. En revanche, les effets peuvent être favorables si cette augmentation reste dans les limites de vie de l’espèce, en favorisant la croissance des individus et en limitant certaines maladies.

Les conséquences des changements climatiques sur les conditions d’étiage estival des milieux aquatiques apparaissent donc comme très impactantes. Les très fortes chaleurs estivales ne vont qu’accroître le retentissement de la réduction des débits sur la température de l’eau. Les effets sont d’autant plus importants que les différents facteurs agissent en synergie. Par exemple, la réduction du débit agit doublement sur la réduction de la teneur en oxygène (moins de brassage, réchauffement de l’eau), mais en même temps accroît les besoins physiologiques des animaux et donc leur besoin en oxygène.

À l’exception des cours d’eau alpins alimentés par les glaciers, les cours d’eau de PACA et les biocénoses qui les composent, semblent naturellement très sensibles aux changements climatiques à l’étiage. Cela d’autant plus que les sécheresses sévères et les canicules seront de plus en plus fréquentes, la succession de ces phénomènes ayant plus d’impacts que les phénomènes eux-mêmes. À cela s’ajoutent les effets souvent dévastateurs des remises en eau brutales avec les crues automnales. La quantité d’eau nécessaire au fonctionnement minimum du milieu apparait comme une part importante de la ressource en été. Cette part sera d’autant plus facile à obtenir qu’on aura maîtrisé à la fois les principaux prélèvements (pour l’agriculture et les besoins domestiques) et les rejets polluants. Mais il faudra aussi assurer le maintien d’un certain nombre de fonctionnalités du milieu, comme la variabilité des conditions de milieu, la connectivité écologique. Dans les zones fortement urbanisées, les aménagements des berges et du lit pour la protection contre les inondations ont provoqué une perte de l’hétérogénéité des milieux. Si la restauration morphologique, en cours sur les cours d’eau de la région, fait partie des objectifs qui permet une meilleure résistance des hydrosystèmes face aux changements climatiques, cette reconquête est pour le moins difficile, voire impossible sur les masses d’eau dites « fortement modifiées ». Une gestion optimale des conditions écologiques du lit d’étiage dans ces zones aménagées devient alors une priorité. C’est cette volonté de réduire l’impact des changements climatiques qui est engagée dans le programme de l’Agence de l’eau Rhône- Méditerranée « Sauvons l’eau ». En cela, il répond à l’obligation d’atteindre le bon état écologique des milieux aquatiques, objectif de la directive européenne cadre sur l’eau (DCE) traduite dans le droit français dès 2004.

On pourra donc utiliser la quantité d’eau que l’on laissera en été pour le fonctionnement des milieux naturels comme un des indicateurs de la bonne, moyenne ou mauvaise gestion de l’eau face aux changements climatiques.

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