1.Changement climatique, pression anthropique et manque de connaissances scientifiques participent à la vulnérabilité des écosystèmes aquatiques

Les écosystèmes aquatiques sont vulnérables face aux changements climatiques

Les changements climatiques induisent deux répercussions principales sur les écosystèmes aquatiques via l’échauffement de l’air et la modification de la pluviométrie :

  • une augmentation de la température de l’eau, entrainant une augmentation globale du métabolisme de la matière organique, y compris sa dégradation, conduit à une eutrophisation du milieu (raréfaction de l’oxygène disponible pour la respiration des organismes aquatiques) ainsi qu’une évaporation accrue ;
  • une dynamique de la pluviométrie plus contrastée, avec (i) de longues périodes sans pluie conduisant à augmenter significativement les linéaires asséchés ou diminuant la quantité d’eau et l’écoulement au niveau des cours d’eau en générant une moindre solubilité de l’oxygène dissous, et (ii) des périodes de pluies perçues comme intenses pouvant provoquer des crues rapides et dévastatrices, dont les caractéristiques restent sous-étudiées.

Les organismes aquatiques n’ont pas tous la même capacité de réaction, immédiate ou évolutive, pour faire face à ces répercussions et il est raisonnable de supposer que des populations entières pourront être décimées en l’espace de quelques heures, quelques jours ou quelques mois. Les perturbations de la température et de la pluviométrie n’auront pas les mêmes conséquences sur les espèces, selon leurs capacités de refuge, de tolérance ou de fuite. Alors qu’un oiseau inféodé au milieu aquatique (le martin pêcheur par exemple) pourra passer d’une rivière à une autre sous l’effet d’un stress thermique ou d’une crue, tant qu’un autre cours d’eau est disponible, une plante ne le pourra qu’à la faveur d’une dispersion de graines, et donc, sur un temps plus long.

L’effet indissociable de la pression anthropique

La grande diversité des écosystèmes aquatiques continentaux de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, des petits fleuves côtiers jusqu’aux lacs de haute altitude, impose une étude au cas par cas des effets potentiels des changements climatiques. La vulnérabilité de ces écosystèmes au changement climatique est d’autant plus grande que ces écosystèmes sont déjà soumis à une forte pression anthropique, avec notamment la canalisation des cours d’eaux au détriment des fonctionnalités du milieu, et donc de la biodiversité aquatique. En effet, l’utilisation du béton pour canaliser les cours d’eau lors des pluies torrentielles destructrices empêche la vie de se fixer (biofilm, micro- et macro-invertébrés, etc.). Toute la chaîne trophique est ainsi inhibée, des macro-invertébrés jusqu’aux poissons. L’artificialisation des cours d’eau n’est pas le seul résultat de la pression humaine, prélèvements (irrigation, eau potable) et rejets participent aussi à la forte pression exercée sur les cours d’eau. Moins soumis à la pression anthropique, les lacs de haute altitude constituent également des écosystèmes sensibles, vulnérables, qui sont utilisés comme des sentinelles des changements environnementaux.

Les variations environnementales sont certes le moteur de l’évolution biologique et conduisent les organismes à s’adapter en permanence à ces variations. Mais aujourd’hui, la particularité est que le rythme et l’amplitude des variations imposées par l’homme sur la nature sont bien plus marqués que ce à quoi étaient habituellement soumises les espèces. Certaines auront la capacité de suivre, d’autres moins.

L’évaluation de ces effets passe par une démarche scientifique

Photo 6. Ephémère adulte

La mise en évidence d’effets de différentes contraintes sur l’environnement doit s’appuyer sur des faits et des résultats d’échantillonnages et d’expériences objectifs. Ainsi la démonstration du rôle du changement climatique dans les variations de la biodiversité des milieux aquatiques doit reposer sur une démarche scientifique rigoureuse et validée par des experts. Il faut que les études soient fondées sur une question clairement définie et qu’elles s’attachent à établir un protocole comparatif diachronique et synchronique, multipliant les unités d’échantillonnage afin d’éviter les biais locaux et afin de coller aux temporalités des cycles biologiques des espèces. Il s’agit également de s’inscrire dans une démarche au long cours la plus exhaustive possible et intégrant la fonctionnalité des écosystèmes, mais aussi indépendante de besoins immédiats (voir les initiatives type ATBI16 du Parc national du Mercantour).

S’ajoute à cela la nécessité évidente de pouvoir croiser les données issues de différentes études. La création et l’animation pérenne de bases de données compilant les résultats d’études mandatées par des organismes publics et privés constitueraient une base opérationnelle indispensable pour fournir des réponses claires sur les effets du réchauffement climatique à l’échelle régionale, mais aussi sur d’autres pressions à d’autres échelles. Des données biologiques sur les milieux aquatiques de la région existent aujourd’hui, mais elles sont malheureusement trop fragmentaires, ce qui affaiblit la capacité d’analyse.

La mise en évidence de l’effet de quelque contrainte que ce soit sur un milieu passe par une comparaison avec ce milieu, ou un autre similaire, exempt de cette contrainte. L’établissement d’un état dit « de référence » est donc indispensable mais néanmoins complexe, car il devrait mobiliser les compartiments taxonomiques et fonctionnels des milieux dans leur globalité. Cet état de référence n’étant qu’un instantané à une échelle écologique, il conviendra ensuite de l’inscrire dans une dynamique temporelle donnant accès à une trajectoire de référence. Il devient ainsi possible de disposer d’outils plus réalistes d’analyses des états écologiques passés, sans qu’ils soient pour autant mobilisables à des fins prédictives vue l’étendue des changements globaux actuels et futurs. Il faut donc se donner les moyens d’acquérir des données sans autre justification que l’établissement d’un état de référence du milieu, démarche pas encore assez soutenue par les pouvoirs publics.

Photo 7. Larve de Perlidae (plécoptère)

La biodiversité aquatique, qu’elle soit quantitative ou fonctionnelle, est nécessaire en soi et ne doit en aucun cas être justifiée par des besoins anthropiques. Envisager une menace, un risque, un impact ou un effet sur la biodiversité aquatique uniquement s’il existe un lien direct avec les usages que l’homme pourrait en faire n’est pas suffisant.

Lorsque des espèces règlementées n’ont pas été inventoriées dans certains milieux, cela ne veut pas dire qu’elles en sont absentes - l’effort de prospection n’a peut-être pas été suffisant. De plus, si éventuellement elles en étaient absentes, ce milieu pourrait tout de même leur être favorable et elles pourraient potentiellement le coloniser si on leur laissait leur chance. Ainsi, il est nécessaire, quelques soient les résultats d’inventaires, de limiter, voire de proscrire, toute dégradation de ces écosystèmes aquatiques.

La biodiversité se retrouve trop souvent « à la remorque des usages » des milieux aquatiques et peine à être suffisamment prise en compte. Il en faudrait pourtant peu pour que les ruisseaux, rivières, étangs ou lacs voient leurs connaissances améliorées afin qu’ils soient mieux préservés face aux changements climatiques. Seule une prise de conscience politique soutenue par la société pourra y conduire.

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