Les projections climatiques annonçant une réduction de la disponibilité en eau ont récemment conduit les hydrologues à s’interroger sur la connaissance des sécheresses hydrologiques actuelles et passées pour mettre en perspective les événements futurs possibles issus des chaînes de modélisation hydroclimatique. Par ailleurs, la variabilité climatique et l’augmentation des températures de l’air constatées au cours des dernières années ont renforcé les besoins d’EDF et des gestionnaires de l’eau de disposer de longues séries. C’est le cas en particulier de la Durance, compte tenu des enjeux opérationnels sur les usages de l’eau et ceux de recherche (projet R2D2 2050, §3.2). Ces éléments scientifiques et opérationnels ont motivé des travaux de reconstitution de données hydrologiques sur l’ensemble du XXe siècle et une partie du XIXe siècle. Ces reconstitutions permettent d’appréhender de façon conjointe la variabilité temporelle et spatiale de variables hydrologiques. À partir de méthodes similaires (Zoom 2), des reconstitutions des étiages extrêmes et des débits de la Durance ont été réalisées ces dernières années dans la région.
ZOOM 2. Méthodes de reconstitutions basées sur les réanalyses climatiques globales
Deux méthodes – SCOPE dans le cadre d’une collaboration entre Irstea et la Compagne Nationale du Rhône et ANATEM dans le cadre d’une collaboration entre EDF et Irstea – ont été récemment développées et appliquées sur toute ou partie de la France, pour disposer de séries hydroclimatiques débutant à la fin du XIXe siècle. Elles ont en commun l’exploitation de réanalyses climatiques globales, le développement d’une méthode de descente d’échelle statistique permettant de passer d’une description de la circulation atmosphérique synoptique à celle du climat à une échelle locale (SCOPE Climate et ANATEM Climato) et l’utilisation, dans la dernière étape, d’un modèle hydrologique (Zoom 1) pour fournir des chroniques complètes de débit (GR6J + Cemaneige pour SCOPE Hydro et MORDOR pour ANATEM Hydro). Ces deux méthodes proposent des reconstitutions d’ensemble pour prendre en compte les incertitudes associées. La méthode SCOPE a permis de reconstruire 25 chroniques équiprobables de précipitations et températures locales journalières sur la période 1871-2012 sur chaque cellule 8 x 8 km d’un maillage recouvrant la France (SCOPE Climate). SCOPE Climate a servi
de données d’entrée au modèle hydrologique pour produire, sur 662 bassins versants français, 25 chroniques de débits journaliers sur la même période, constituant le jeu de données SCOPE Hydro. La qualité des reconstitutions obtenues a été validée sur la période récente (1958-2012). La méthode ANATEM a, quant à elle, pour originalité l’utilisation conjointe de témoins historiques (stations de température de l’air et de précipitations) en plus des informations issues de la réanalyse globale 20CR. Les séries ANATEM Climato et ANATEM Hydro ont été générées sur la période 1883-2010 (date commune de disponibilité des témoins de température de l’air à Marseille et de pluie à Gap). Une collaboration avec un historien a en outre permis de valoriser des séries historiques d’observations de débits de stations installées sur le bassin de la Durance dès le début du XXe siècle. Ces séries d’observations de débits journaliers étaient disponibles dans les archives et ont été numérisées, ce qui permet aujourd’hui de disposer d’un peu plus d’une dizaine de séries centenaires sur la Durance, le Buëch, l’Asse, l’Issole et le Verdon. La méthode a été testée sur un échantillon étendu de 20 bassins versants naturels de la Durance.
Reconstitution des étiages extrêmes
Ce travail de reconstitution, réalisé sur une trentaine de bassins versants en région Provence-Alpes-Côte d’Azur a permis de confirmer objectivement la sévérité de certains épisodes connus, récents (par ex. 2007) ou anciens (comme 1921 ou 1949), et de mettre en lumière des événements peu documentés (par ex. 1878, 1893). Le résultat issu de SCOPE Hydro présenté ici, est centré sur les années de sécheresse 1921 et 2007 (Figure 10). Il illustre les reconstitutions d’étiages extrêmes sur le Buëch à Serres (affluent alpin de la Durance). L’étiage extrême de 1921 est, sur ce bassin, l’épisode le plus sévère du XXe siècle. Il a touché une grande partie de la France en épargnant la région Sud- Ouest, et résulte d’une sécheresse exceptionnelle en terme de pluviométrie. Cet épisode a débuté à l’été 1921 et s’est poursuivi jusqu’au printemps 1922 pour les Alpes du Sud. L’année 2007 a, quant à elle, été marquée par un déficit pluviométrique prononcé sur les saisons d’été et d’automne dans le Sud-Est de la France, et des étiages sévères tardifs sur les bassins versants concernés. Une des conséquences en termes de gestion a été un déstockage exceptionnel supplémentaire d’une partie du volume de la retenue de Serre-Ponçon, initialement réservée à la production hydro électrique.
Reconstitution des débits printaniers de la Durance
Une synthèse des reconstitutions de débits ANATEM Hydro obtenues pour les 20 bassins versants de la Durance sur la période 1883-2010, a été réalisée en caractérisant la proportion des bassins versants considérés comme étant dans un état d’anomalie hydrologique, déficitaire (étiage) ou excédentaire (crue) (Figure 11). Les données au pas de temps annuel permettent de mettre en évidence des périodes très excédentaires ou très déficitaires par rapport à la moyenne à long-terme. Concernant les périodes déficitaires, cette figure permet de retrouver des périodes de sécheresses historiquement connues (1921, 1949, 1973, 1989-1990 et 2005-2007) et peu documentées (1893). Concernant les périodes excédentaires, cette figure permet de retrouver des périodes de crues et de forte hydraulicité (fin des années 1880, fin des années 1910, fin des années 1920, fin des années 1930, 1977). À l’échelle de la Durance, cette figure met bien en évidence cette succession de périodes excédentaires et déficitaires, avec une période de fortes crues de la fin des années 1910 au début des années 1960 et une période avec des déficits forts depuis le début des années 1970.
Par ailleurs, les reconstructions obtenues par la méthode ANATEM Hydro ont été comparées à une reconstitution des débits sur la période de fonte (mai-juin) réalisée par une approche dendrochronologique (étude des séries temporelles des cernes de croissance d’arbres) (Figure 12). Cette étude, commandée par EDF et réalisée dans le cadre de la fédération de recherche ECCOREV, a pu être réalisée grâce aux fortes relations existant entre la croissance des pins cembro (Pinus cembra L.) et les débits des mois de mai et juin. Cette relation s’explique par la grande sensibilité des pins cembro aux hivers neigeux. Les séries temporelles de cernes de croissance des pins cembro ont donc permis, après calibration de la relation cerne/débit sur la période récente, de reconstituer dans le passé les débits de la Durance et du Verdon jusqu’en 1700. La comparaison entre la reconstitution dendrohydrologique et la reconstitution ANATEM Hydro met en évidence une très bonne corrélation entre ces approches indépendantes et permet de valider leur bonne représentativité des apports de fonte sur le long terme.
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