Antoine Ducastel (ART-Dev,CIRAD) et Marie Hrabanski (ART-Dev, CIRAD)
« La planification écologique existe déjà, mais ne sert à rien » affirmait un haut fonctionnaire dans les colonnes d’AOC. En matière de planification territoriale, ce constat est particulièrement vrai tant se sont multipliés depuis une dizaine d’années les plans et schémas d’aménagement aux visées écologiques.
La fabrique des schémas et documents d’urbanisme (SRADDET, PCAET, etc.) - qui se déclinent en orientations stratégiques et en plans d’action -, repose sur la mobilisation d’élus, de techniciens et d’experts extérieurs, et sur l’organisation de larges consultations publiques des acteurs publics et privés (collectivités, entreprises, associations, etc.). Le pilotage est confié aux collectivités « assistées » par quelques bureaux d’études spécialisés, tandis que l’État garde un pouvoir de supervision (validation des schémas régionaux d’aménagement par le préfet par exemple) Ce travail quotidien de planification est souvent long, couteux et incertain car il repose sur l’articulation entre une grande diversité d’intérêts, de ressources et de savoirs.
Pourtant, même lorsqu’ils sont adoptés, ces plans sont peu ou pas appliqués. Les études académiques ont mis en évidence une série de facteurs qui permettent de mieux comprendre les difficultés et les limites de la planification territoriale :
□ Son périmètre d’action est étroit et restreint à la fois en amont, par la planification écologique nationale (Stratégie Nationale Bas Carbone, Programmation Pluriannuelle de l’Energie, etc.), mais aussi en aval par les collectivités infra - EPCI, les communes. Cette planification climatique multi-niveaux se caractérise par un empilement, une superposition de plans, sans que leur articulation ne soit toujours clairement posée.
□ Le manque structurel de ressources de fonctionnement pour mener à bien ce travail de planification. A ce titre, les collectivités sont placées dans une situation de dépendance vis-à-vis des bureaux d’études spécialisés et des opérateurs techniques (par exemple les gestionnaires des réseaux électriques et le S3ENR (Schéma régional de raccordement au réseau des Énergies Renouvelable - EnR) dans le cadre de la planification du développement des EnR).
□ Le manque de ressources d’investissement pour mettre en œuvre et opérationnaliser ces plans. D’une part, les recettes (fiscales et budgétaires) des collectivités sont structurellement insuffisantes pour couvrir les besoins financiers de la transition écologique. D’autre part, ces plans sont peu ou pas articulés avec les contrats territoriaux qui sont assortis de transferts financiers de la part de l’État.
□ La faible appropriation politique de ces plans au niveau local - avec toutefois quelques exceptions comme le SRADDET de la région Occitanie, Occitanie 2040.
En conclusion, si aujourd’hui, avec la promulgation de la loi relative à l’accélération de la production d’énergie renouvelable (loi APER), l’État se soucie d’accélérer la transition à l’échelle des territoires, dans les faits, de nombreux obstacles institutionnels financiers et politiques entravent cette dynamique. Il semble en effet que pour mettre en cohérence et atteindre les objectifs de planification à l’échelle des territoires, une « planification de papier » ne suffise pas, sa mise en œuvre requiert impérativement des financements publics conséquents.
Le projet Aqua Domitia : un exemple de maladaptation ?
Antoine Ducastel (ART-Dev,CIRAD) et Marie Hrabanski (ART-Dev, CIRAD)
Le temps est-il venu pour la France des grands transferts d’eau des régions les plus arrosées vers les plus sèches, entre des bassins-versants différents, comme cela se pratique dans d’autres pays, notamment en Espagne ? Cette question est relancée depuis que le département des Pyrénées Orientales connait une sécheresse très grave : la solution qui semble s’imposer consiste précisément à prendre de l’eau dans le Rhône et à la transporter dans les départements du Languedoc. Aujourd’hui, un gros tuyau appelé Aqua Domitia s’arrête dans l’Aude et la distribution se répartit entre eau potable (40 %), irrigation agricole (40 %) et « volumes de substitution » (20 %) qui permettent de puiser moins dans des environnements vulnérables. Vu le contexte climatique, nombre de voix s’élèvent pour réclamer sa prolongation jusque dans les Pyrénées orientales. Ce département est économiquement très dépendant du tourisme et de l’agriculture – la sécheresse a eu des conséquences très graves sur cette dernière, avec des pertes non seulement de récoltes mais d’arbres fruitiers et de vignes. D’autres, au contraire, contestent avec encore plus de vigueur le projet. Les interrogations restent les mêmes : ne faut-il pas d’abord réduire les fuites (40 % de pertes dans certains endroits des Pyrénées Orientales), recycler les eaux usées, modifier les pratiques culturales, réduire les consommations, en particulier celles des touristes ? Et surtout, le Rhône pourra-t-il fournir de façon pérenne les quantités d’eau nécessaires à cette partie de l’arc méditerranéen sans dommages sur les écosystèmes du fleuve, comme sur la Camargue ?
Le dispositif de transport d’eau du Rhône vers l’Occitanie est présenté comme un exemple d’adaptation au changement climatique sans toutefois que celui-ci ne soit intégré dans une dynamique de planification territorialisée. En effet dans les années 2000, afin de faire face à un contexte marqué par l’augmentation des contraintes réglementaires et institutionnelles pour bon nombre d’usagers et d’acteurs de l’eau tant au niveau national (loi sur l’eau de 2006 en France) qu’européen (Directive cadre sur l’eau de 2000), la région Occitanie a souhaité étendre et interconnecter davantage le réseau hydraulique régional dont elle est devenue propriétaire en 2008 pour sécuriser des ressources en eau régionales. Aqua Domitia visait ainsi à sécuriser l’alimentation en eau potable par l’apport d’une ressource supplémentaire, notamment en cas de sècheresse ou de pollution, à alléger la pression sur les milieux fragiles, accompagner le développement économique régional et enfin maintenir et développer une agriculture diversifiée de qualité et une viticulture compétitive, malgré le changement climatique. L’utilisation de l’eau du Rhône pour irriguer les terres qui le longent ne constitue en rien une nouveauté. Mais le transfert de l’eau du Rhône en direction du Languedoc a changé cette logique d’utilisation par l’ampleur des coûts, la distance et l’échelle des travaux à réaliser.
Le prolongement d’Aqua Domitia doit notamment participer à l’approvisionnement en eau de la production viticole et horticole : des secteurs d’activités particulièrement stratégiques pour la région, et qui sont par conséquent au centre d’enjeux politiques et électoraux. Ce projet vise officiellement à répondre aux enjeux d’adaptation de l’agriculture au changement climatique mais il apparait davantage comme un exemple emblématique de maladaptation. Il semble être élaboré en dehors de toutes les ambitions planificatrices pourtant portées par les différents territoires concernés. A ce titre, plusieurs points essentiels peuvent être soulignés. Tout d’abord, le premier projet Aqua Domitia était particulièrement onéreux et son extension l’est encore davantage. Un financement massif, obtenu via un partenariat privé public, a permis de financer à hauteur de plusieurs centaines de millions d’euros ce projet controversé. Ce financement est particulièrement élevé au regard des quelques millions d’euros dédiés à la planification territoriale.
Un deuxième point a trait à la cohérence du projet avec les objectifs et exigences de la planification territoriale. En effet il va à l’encontre d’une gestion de l’eau adaptée aux enjeux climatiques et en phase avec le principe de justice environnementale. Il encourage en effet l’augmentation de la demande et la pérennisation de cultures agricoles particulièrement gourmandes, qui ne sont plus adaptées, ou ne seront pas adaptées, au dérèglement climatique telles que la culture du maïs. Il engendre également des inégalités sociales et territoriales en créant des inégalités d’accès entre agriculteurs, notamment entre ceux qui seront servis et les autres et entre les communes et communautés de communes qui pourront financer ou pas les réseaux secondaires.
Enfin le projet a des conséquences sur le long terme et crée des conditions d’irréversibilité : une fois mis en œuvre, il faudra bien utiliser l’eau, entretenir les canalisations, etc. Ces différents dimensions techniques et politiques n’ont pas été négociées dans le cadre d’une planification territorialisée concertée et se poursuivront malgré les négociations qui pourraient avoir lieu à l’avenir.
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