2.Surveiller, alerter, prévenir

Pour prévenir les risques sanitaires, la diffusion de l’information avant l’apparition des risques ou pendant la période de risques en dernier recours est essentielle. Il s’agit de diffuser, en dehors des périodes de risques, des informations sur les bonnes pratiques et les gestes du quotidien pour les prévenir, mais également de veiller ou surveiller pour anticiper (repérer les signaux) et alerter la population ou les décideurs en diffusant l’information au plus vite pour une prise de mesures adéquates en réponse aux risques détectés.

5.2.1. Le système d’alerte canicule et santé (SACS)

Les Français sont désormais habitués aux vigilances météorologiques. La vigilance canicule est maintenant entrée dans les mœurs au même titre que la vigilance vent violent par exemple. Et pourtant, alors que la vigilance tempête de Météo-France est née en 2001 après les deux grosses tempêtes Lothar et Martin qui ont traversé le pays en décembre 1999, la vigilance canicule n’a rejoint ses grandes sœurs qu’en 2004, soit après la canicule meurtrière de l’été 2003.

Vingt ans avant la canicule de 2003, la Provence a été touchée par une vague de chaleur : pendant les 10 derniers jours du mois de juillet 1983, la mortalité a plus que doublé à Marseille, passant de 273 décès en moyenne au cours des quatre années précédentes à 573 décès en 1983. Cette surmortalité a touché davantage les femmes que les hommes, mais elle a surtout frappé les personnes âgées. Jean-Louis San Marco, alors professeur de médecine à l’université de Marseille a suspecté à l’époque le « rôle pathogène de l’absence de refroidissement nocturne ». Il a mis en place une procédure de surveillance et d’alerte dès 1984.

Suite à la canicule d’août 2003 qui a entraîné une surmortalité importante estimée à environ 15 000 décès, un Plan national canicule (PNC) a ainsi été mis en place en 2004. Piloté par le ministère chargé de la santé, ses objectifs sont d’anticiper l’arrivée d’une canicule et de proposer les actions à mettre en œuvre pour prévenir et limiter les effets sanitaires de celle-ci. Ce plan se décline au niveau départemental (PGCD : plan de gestion d’une canicule départementale) et prévoit des mesures d’informations, de prévention et de gestion de crise.
Dans le cadre du PNC, un système d’alerte canicule et santé est coordonné par Santé Publique France : activé du 1er juin au 15 septembre, il a comme objectif principal d’identifier les canicules susceptibles d’avoir un impact sanitaire majeur, afin de permettre la mise en place rapide de mesures de prévention et de gestion de l’évènement.

L’activation des niveaux de vigilance jaune, orange ou rouge canicule dépend de Météo-France(figure 18). Les seuils d’alerte sont définis au niveau départemental à partir des données d’une station météorologique (figure 19), sur la base de probabilités d’atteinte ou de dépassement simultané de seuils par les indices biométéorologiques (IBM) minimum et maximum au cours d’une même journée, et de facteurs aggravants (humidité, intensité de chaleur, dégradations orageuses).

Dès le deuxième niveau de vigilance, Santé Publique France surveille au niveau local, via son réseau de cellules régionales et nationale, les recours aux soins pour pathologies en lien avec la chaleur (passages aux urgences hospitalières pour hyperthermie et coup de chaleur, hyponatrémie et déshydratation, consultations auprès de SOS Médecins pour coup de chaleur ou déshydratation) et la mortalité. Ces indicateurs ne donnent qu’une vision partielle de l’impact sanitaire consécutif à une vague de chaleur car ils ne couvrent pas l’ensemble des effets sanitaires potentiels provoqués par la chaleur.

Figure 18. Les 4 niveaux du Plan national canicule (PNC) (source : ministère des Solidarités et de la Santé)

Depuis la mise en place du PNC en 2004, la vigilance orange canicule (troisième niveau) a été déclenchée en région Provence-Alpes-Côte d’Azur durant 6 saisons estivales (2004, 2006, 2009, 2017, 2018 et 2019). Durant l’été 2018, une vague de chaleur déclenchant les niveaux de vigilance jaune et orange canicule est survenue sur le territoire français métropolitain entre le 24 juillet et le 8 août. Elle a touché la région Provence-Alpes-Côte d’Azur du 25 juillet au 8 août, période durant laquelle plus de 1 100 personnes ont été prises en charge par le système de soins pour des problèmes liés à la chaleur. Sur les périodes de dépassement de seuil constatées dans les départements, l’excès de mortalité a été évalué en région Provence-Alpes-Côte d’Azur à 216 [intervalle 186 - 257] décès, soit une surmortalité estimée de 17,3 % [intervalle 14,6 % - 21,3 %]. Les personnes âgées entre 65 et 74 ans ont été les plus touchées.

Figure 19. Seuils départementaux des indices biométéorologiques en région Provence-Alpes-Côte d’Azur

En 2019, pour la première fois la vigilance rouge canicule (quatrième niveau) a été déclenchée : lors de la première canicule, 4 départements étaient concernés dont les Bouches-du-Rhône et le Vaucluse ; lors de la seconde, près de 20 départements étaient placés en vigilance rouge, principalement dans le nord de la France (soit 35 % de la population française). Ces vagues de chaleur, importantes par leur durée et leur étendue territoriale, confirment que les fortes chaleurs sont un risque important pour la santé.

5.2.2. Moustique tigre : une relation conflictuelle et une lutte multi-acteurs

En France métropolitaine, la surveillance du chikungunya et de la dengue s’inscrit dans un plan d’antidissémination du chikungunya et de la dengue en métropole. Ce dernier a été élaboré par le ministère chargé de la santé et actualisé chaque année. Il prévoit de renforcer la surveillance entomologique et épidémiologique notamment dans la zone d’implantation d’Aedes albopictus (ou « moustique tigre ») pour prévenir et évaluer les risques de dissémination de ces deux virus. Une surveillance saisonnière est renforcée dans les départements d’implantation du vecteur viral Aedes albopictus du 1er mai au 30 novembre (période d’activité du moustique tigre). Tout cas de chikungunya (importé ou autochtone) doit être immédiatement déclaré à l’Agence Régionale de Santé (ARS) par tout moyen approprié (téléphone, fax, courriel) puis notifié à l’aide d’une fiche de déclaration obligatoire.

Les problématiques liées au moustique tigre concernent un grand nombre d’acteurs (ARS, opérateurs publics de démoustication, collectivités locales, professionnels de santé, etc.) et nécessitent la mise en place d’une lutte intégrée.

Le système de signalement et de surveillance des arboviroses est très développé et permet à ce stade d’endiguer les départs épidémiques. La présence d’opérateurs historiques de la lutte contre les moustiques présents dans les zones marécageuses du delta du Rhône offre un système de lutte très réactif.

Cependant, en dehors du risque sanitaire, le mot d’ordre est la réduction à la source, c’est-à-dire la suppression des lieux de ponte appelés « gîtes larvaires ». De par leur nature, leur multitude et leur diversité en milieu urbain, la lutte anti-larvaire est difficile à mettre en œuvre. Celle-ci implique une participation communautaire qui doit être initiée et entretenue par la sensibilisation, l’éducation et la mobilisation de l’ensemble de la population pour détruire tous les potentiels gîtes larvaires. À l’échelon communal, le maire est chargé de faire respecter les dispositions du Règlement Sanitaire Départemental (Art. 121). À ce titre, les services municipaux ont un rôle essentiel dans la réduction des gîtes larvaires présents sur le domaine public et privé. Ceux-ci sont, par ailleurs, au contact direct des territoires et de la population. Toutefois, hormis celles dotées d’un Service communal d’hygiène et de santé, les communes sont malheureusement souvent dépourvues de moyens et de personnel pour faire face à cette nouvelle problématique.

Enfin, les habitants de notre région ont découvert récemment le moustique tigre et prennent depuis quelques années la mesure de leur rôle individuel pour éviter la prolifération de ce vecteur. En effet, 80 % des gîtes sont situés dans le domicile privé et, quand bien même les collectivités sont mobilisées, l’essentiel du travail est donc à faire dans le domicile privé et nécessite la mobilisation de tous.

5.2.3. Pratiques de gestion des espaces verts face à l’allergie pollinique en ville

La conception des plantations urbaines constitue un élément central de la problématique de l’allergie pollinique en ville. C’est pourquoi une réflexion doit s’engager pour mettre en accord les objectifs de végétalisation des villes et la question des allergies au pollen.

Le guide d’information « Végétation en ville » mis au point par le RNSA est disponible sur le site www.vegetation-en-ville.org. Il a pour objet d’aider les paysagistes, les architectes, les autorités de santé et les autorités territoriales à prendre en compte la composante santé dans le choix et l’entretien des espèces végétales en zone urbaine ou périurbaine. Si ce guide permet de s’informer sur le risque allergique lié au pollen, il comporte aussi un grand nombre de conseils et propose des solutions alternatives selon la typologie des usages.

Le maître-mot est ainsi de diversifier les plantations, c’est-à-dire d’instaurer de la diversité dans les aménagements paysagers afin de diminuer la concentration de pollens d’une même espèce dans l’air. Par ailleurs, les objectifs de réduction de l’allergie rejoignent ceux d’une bonne gestion des espaces verts. En effet, diversifier les espèces en limitant par exemple la part du platane, permet de diminuer le risque d’allergie, mais rend aussi le patrimoine végétal d’une ville moins sensible aux épidémies, comme la maladie du chancre coloré du platane qui fait actuellement des ravages en Provence. De même, créer des haies de mélange à la place des haies de cyprès n’a pas qu’un effet positif sur l’allergie : cela atténue également la banalisation du paysage et permet le développement d’une faune variée.

Dans certains cas, le choix d’espèces stériles ou produisant peu de pollens constitue également une option intéressante. C’est ainsi que l’Inra d’Avignon développe actuellement une stratégie de sélection de cyprès verts non pollinisants, à partir de graines produites par le cyprès du Tassili (Cupressus dupreziana) et utilisées pour des replantations dans le massif de l’Estérel dans le Var.

Mais les efforts ne doivent pas se limiter au choix des espèces. L’entretien des espaces végétalisés urbains est tout aussi primordial pour limiter le risque d’allergie. Une taille régulière des espèces allergisantes empêche les fleurs d’apparaître, et donc, diminue la quantité de grains de pollen libérés dans l’air. De même, une tonte fréquente des pelouses empêche les graminées qui s’y trouvent de fleurir, ce qui limite la quantité d’allergisants.

Certes, une bonne prise en compte du problème des allergies ne passe pas par une suppression de toutes les plantes incriminées, le résultat serait à l’inverse des objectifs sanitaires poursuivis puisque les plantes en ville sont nécessaires à notre environnement, à l’aspect de nos villes et même à notre moral. Il s’agit au contraire d’une réflexion raisonnée sur l’organisation et la gestion des espaces verts. L’allergie ne doit pas supplanter d’autres considérations, mais être un facteur pris en compte dans le choix d’un projet.

5.2.4. De l’invisibilité des dangers au besoin d’engager un débat social élargi : exemple de la canicule de 2003

Les sciences sociales sont souvent sollicitées par différentes disciplines, mais aussi par des agences intervenant près du public, notamment sur la façon la plus efficace de communiquer une information. Cette demande résulte d’un regard particulier sur l’homme, la société et leurs connaissances : les pouvoirs publics, épaulés par des scientifiques, disposeraient des connaissances nécessaires alors que la population, de son côté, n’en disposerait pas ou du moins pas au même niveau.

Les récents bouleversements écologiques et climatiques vécus par nos sociétés ont conduit les pouvoirs publics à faire face à des crises environnementales sans précédent. Face à ces nouvelles crises, les moyens d’adaptation restent encore à inventer et les solutions efficaces seraient plus facilement trouvées à partir d’un dialogue sociétal élargi.

La canicule de 2003 nous fournit un bon exemple de ce besoin : avant 2003, les critères de diagnostic du « coup de chaleur » n’existaient pas en France et les statistiques ne permettaient pas d’estimer le danger associé aux périodes de grande chaleur. De ce fait, pendant la canicule de 2003, une grande partie des décès était encore déclarée comme résultant de problèmes cardiaques non spécifiques. Or, sans chiffres associant des dangers sanitaires à un moment donné ou à une situation environnementale spécifique, ce danger était resté invisible aux yeux des institutions jusqu’à cette date.

Cette invisibilité est d’autant plus flagrante qu’une autre canicule avec une augmentation de 6 000 morts avait déjà eu lieu en 1976. Ce fait n’avait cependant pas été repéré jusqu’à 2003, année où l’Inserm associe les décès à une canicule (augmentation de 14 800 morts par rapport à la mortalité attendue). D’autres pays européens ont également été touchés par la canicule de 2003, en subissant pourtant des conséquences bien moins importantes. Le Portugal en est un bon exemple : suite à une canicule en 1981, la population ainsi que les pouvoirs publics disposaient déjà en 2003 d’un grand savoir pratique sur comment et quoi faire face à une vague de chaleur. Une augmentation de 26 % de la mortalité typique pour la même période de l’année y avait été enregistrée dans des conditions météorologiques encore plus dramatiques que celles vécues en France où l’augmentation a été de 55 % en moyenne. Le 12 août, journée la plus meurtrière en France, la surmortalité a atteint 163 %. La canicule de 2003 en France nous fournit une bonne illustration d’un danger sous-estimé car il n’était pas clairement identifié.

Nous vivons aujourd’hui dans un monde où les risques sont estimés et appréhendés à tout instant. En vue des bouleversements environnementaux en cours, nos sociétés ont besoin de renforcer leur résilience. Cela sera difficilement possible si nous n’adoptons pas une vision plus ouverte des savoirs et expériences du public qui est lui-même expert de son propre environnement.

À partir de là, la question de la compréhension pourrait être retournée incitant ainsi les scientifiques et les pouvoirs publics à se demander ce qu’ils connaissent de la perception des différents groupes sociaux vis-à-vis du monde qui les entoure.

5.2.5. Le climat, un déterminant de santé révélateur des vulnérabilités sociales

La notion de justice environnementale est apparue dans les années 1980, aux États-Unis, quand il est constaté que la pollution industrielle des sols était bien plus importante dans les quartiers les plus pauvres. Celle de justice climatique en est issue, basée sur le constat que les conséquences du dérèglement climatique ne sont pas les mêmes selon le niveau social (riche ou pauvre), le sexe, le temps passé dans un pays industrialisé. Or, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur est le siège de fortes inégalités sociales qui, si l’on n’y prend pas garde, seront aggravées par le changement climatique.

En premier lieu, rappelons que les personnes les plus pauvres sont les moins responsables du dérèglement climatique. Elles ont des comportements de faible consommation, prennent très peu l’avion, ont des voitures plus petites - ou pas de voiture du tout.

Les plus fragiles sont, en revanche, bien les plus touchés. Lors de la canicule de 2003, la catégorie socioprofessionnelle était le second facteur explicatif des décès en surnombre, après l’âge. Les personnes les plus vulnérables vivent concentrées dans les quartiers urbains les plus denses et les moins végétalisés, parfois inondables. En ville comme en milieu rural, leurs logements sont de moindre qualité : si une « passoire thermique » laisse la chaleur s’échapper en hiver, elle la laisse entrer en été. La rénovation énergétique des bâtiments est donc un enjeu majeur pour ces personnes qu’elles soient des propriétaires impécunieux dans l’incapacité de financer des travaux, soit, plus fréquemment, des locataires du parc privé dont les bailleurs ne peuvent ou ne veulent pas les engager (les bailleurs sociaux ont été, dans l’ensemble, plus actifs en la matière).

D’autres conséquences du dérèglement climatique frappent en priorité les plus vulnérables. Lors de catastrophes naturelles, les femmes et les enfants sont davantage victimes que les hommes. Si les prix des produits alimentaires augmentent en raison de mauvaises récoltes, les plus pauvres sont les premiers affectés. Les mesures fiscales incitant à la réduction de la consommation d’énergie, mal compensées, peuvent également pénaliser de manière excessive les plus pauvres. Les échappatoires leur sont moins accessibles. Un climatiseur, solution « évidente »
- et très problématique par ailleurs - a un coût à l’achat et en consommation électrique. L’installation de moustiquaires a aussi un coût. Les personnes les plus vulnérables n’ont souvent pas d’assurances et il leur est plus difficile de déménager vers des endroits moins exposés.

En résumé, avec le changement climatique, la précarité des personnes les plus vulnérables s’accentuera et aggravera les risques. Il est indispensable d’en tenir compte dans la mise en place des politiques publiques.

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