4.4.1. Eaux de baignades et changements climatiques : questionnement des équipements en zone côtière
Les littoraux sont soumis à plusieurs effets du changement climatique : une augmentation de température, une élévation du niveau de la mer et des événements climatiques extrêmes – sécheresses et pluies – susceptibles d’augmenter en fréquence et en intensité. Quid dans ce contexte de l’incidence sur la qualité des eaux de baignades de nos plages essentiellement urbaines en région Provence-Alpes-Côte d’Azur ?
L’augmentation du niveau de la mer est déjà effective avec en moyenne +1 cm tous les 10 ans ces 150 dernières années, avec une forte accélération enregistrée au cours de la dernière décennie, évolution observable notamment sur le marégraphe de Marseille. En parallèle, les phénomènes de type cévenol, ou épisodes méditerranéens, sont de plus en plus intenses.
Les premières conséquences de l’élévation du niveau des mers sont les entrées salines qui s’infiltrent dans les réseaux d’eaux usées avec les autres eaux parasites et qui, également, pénètrent par les déversoirs lors des coups de mer. Ces eaux salées conduisent à des vieillissements prématurés des organes métalliques. Elles peuvent également contribuer, suivant les concentrations atteintes, à des dysfonctionnements dans le traitement en station d’épuration.
À cela s’ajoutent, lors des phénomènes pluvieux intenses, un remplissage rapide des volumes de
stockage des ouvrages et la saturation des capacités de pompage ; s’en suivent des risques accrus de déversement et de débordement d’eaux contenant pour partie des eaux usées non traitées.
Ces deux phénomènes conjugués vont conduire potentiellement à une augmentation des rejets directs d’eaux usées mélangées ou non aux eaux pluviales, et donc potentiellement, à une augmentation des flux de bactéries dans les milieux récepteurs avec des incidences possibles sur la qualité des eaux de baignade.
Le réchauffement global conduit également à renforcer les extrêmes. Les périodes de sécheresse prononcées peuvent contribuer à augmenter le stock de pollution bactérienne qui se forme sur les surfaces urbaines, à partir par exemple des déjections animales de chiens, de chats, d’oiseaux, qui s’accumulent sur les sols, toitures, rues et routes, en attente d’être rincées par la prochaine pluie. La concentration des bactéries pouvant croître avec les hausses de température, des périodes de fortes chaleurs peuvent donc augmenter les risques de dégradation de la qualité des eaux de baignade.
Une fois dans le milieu marin, ces bactéries vont également plus facilement proliférer sous l’influence de températures plus élevées dans l’eau mais aussi dans les sables, entraînant l’augmentation des risques de contamination latents. Ainsi, les plages du littoral voient leurs jours de fermeture augmenter en période estivale avec interdiction de baignade lors du dépassement des seuils réglementaires de taux d’Escherichia coli et d’entérocoques intestinaux, des bactéries qui témoignent de déjections humaines ou animales. Ces contaminations sont en effet susceptibles de provoquer gastro-entérites, infections ORL et urinaires.
Le projet ContFecal, piloté par l’université de Montpellier, vise justement à apporter des réponses à l’origine de la contamination fécale humaine et animale (chiens, oiseaux) des bassins versants et du littoral, notamment sur les eaux de baignade et le sable de la plage du Prophète à Marseille. Le protocole d’analyse est mené en période normale et lors d’épisodes pluvieux.
4.4.2. Ostreopsis, une microalgue benthique qui prolifère en Méditerranée
Depuis une vingtaine d’années, les microalgues benthiques toxiques du genre Ostreopsis (Dinoflagellés), originaires des tropiques, prolifèrent en été dans différentes zones tempérées (bassin méditerranéen, Japon, Nouvelle-Zélande, Brésil). Il s’agit d’espèces introduites par le trafic maritime, dont le développement pourrait être favorisé par le réchauffement global et les activités anthropiques. Des études scientifiques mettent en avant le rôle important de la température de l’eau de mer sur l’intensité des efflorescences estivales qui semblent se produire lors des années les plus chaudes. L’implication du changement climatique dans l’extension de ce phénomène en zones tempérées a donc été suggérée, mais aucune preuve scientifique robuste n’a encore été établie.
En Méditerranée, Ostreopsis se développe en période de forte chaleur (juillet, parfois août) à très faible profondeur (0,5 m), principalement sur les zones rocheuses recouvertes de macroalgues. Des mortalités d’invertébrés marins (mollusques, oursins, crabes…) sont observées lors des efflorescences les plus importantes. Les microalgues peuvent se détacher du fond et se concentrent alors à la surface de l’eau (photo 4), ce qui représente le principal danger : en effet, en cas de vent provenant du large, les microalgues, leurs fragments ou leurs toxines peuvent être transportés par les aérosols, pouvant alors affecter, par simple contact ou inhalation, les personnes hors de l’eau (sur les plages, les routes ou dans les habitations). Les Dinoflagellés benthiques sont connus dans les zones tropicales pour être à l’origine d’intoxications alimentaires sévères, suite à la consommation de crabes ou de poissons. Aucune intoxication alimentaire liée à Ostreopsis n’a été recensée jusqu’à présent en zones tempérées.
En Méditerranée, les signes les plus fréquents associés à Ostreopsis sont des irritations cutanées ou oculaires, mais des symptômes de type grippal avec des difficultés respiratoires peuvent aussi apparaître. Ces 20 dernières années, trois évènements de symptômes collectifs, impliquant à chaque fois plus de 200 personnes, ont été observés en Italie, Espagne et Algérie. Ces évènements collectifs posent parfois des problèmes d’engorgement des services d’urgence avec le risque de prise en charge retardée de patients atteints d’autres pathologies. Une analyse sociologique exploratoire, réalisée en Provence-Alpes-Côte d’Azur en 2014, montre que le phénomène est aujourd’hui largement méconnu du grand public. Les acteurs sociaux interviewés, les usagers et les gestionnaires de plages ne font pas ou peu le lien entre Ostreopsis et les symptômes dont l’algue peut être à l’origine, quand bien même les ont-ils déjà ressentis.
Si la fermeture temporaire, au cœur de la haute saison touristique (août 2013), d’une des plages de Villefranche-sur-Mer (06) a marqué les mémoires des usagers locaux et des habitués, elle n’est cependant pas associée à l’efflorescence d’Ostreopsis pourtant à l’origine de l’arrêté municipal, mais à une pollution momentanée.
Un projet européen en cours (2018-2020) sur la qualité des littoraux (CoClime) devrait permettre de mieux comprendre l’impact économique d’Ostreopsis et de modéliser son développement, entre autres en Méditerranée et en Atlantique, en fonction des différents scénarios d’évolution du climat.
4.4.3. La dérive des gélatineux sur le littoral Provence-Alpes-Côte d’Azur
Les méduses, composées à 90 % d’eau, ont un taux d’ingestion, de croissance et de reproduction parmi les plus élevés du règne animal. Partie intégrante du plancton, les méduses et autres organismes gélatineux, même lorsqu’ils atteignent 2 m de diamètre, sont transportés par les courants. Cette capacité de nage limitée leur permettent toutefois de légèrement s’orienter dans les courants, voire même de réaliser des migrations journalières entre la surface des océans (ou des mers) et les profondeurs (entre 400 et 600 m), comme Pelagia noctiluca (méduse violette dite pélagique), là où d’autres doivent rester en surface la journée.
Plusieurs milliers d’espèces de gélatineux sont à ce jour recensées, mais la découverte d’espèces jusqu’ici inconnues se poursuit. En Méditerranée, des méduses, comme les Pelagia noctiluca, Aurelia aurita, Rhizostoma pulmo, Chrysaora hysoscella (toutes plus ou moins urticantes) ou des cténaires (Mnemiopsis leidyi, espèce introduite non urticante, photo 5) sont observées régulièrement, parfois en nombre très impressionnant. En région Provence-Alpes-Côte d’Azur, l’observation des méduses sur le littoral, notamment de Pelagia noctiluca (photo 6), l’espèce la plus présente en Méditerranée, a augmenté depuis les années 90. L’apparente augmentation de leur nombre, qui reste cependant à confirmer, serait liée à une combinaison de plusieurs facteurs favorisant leur prolifération : augmentation de la température de l’eau, force et direction des courants, ou encore surpêche de poissons prédateurs de méduses et autres espèces planctoniques (sardine, anchois, maquereau, dorade). Pour les méduses côtières, Aurelia aurita, l’augmentation générale des températures aurait ainsi tendance à favoriser cette prolifération en allongeant leur période de reproduction.
Présente toute l’année au large des côtes, Pelagia noctiluca arrive sur la Côte d’Azur portée par le courant Ligure depuis l’Italie. Cette espèce pélagique forme de larges bancs de plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de spécimens, qui se déplacent au gré des courants et suivant la direction des vents, dont certains les rapprochent des côtes, pour finir par envahir certaines plages sur le littoral. Très urticantes, ces méduses peuvent amener les baigneurs à provisoirement et localement déserter les zones les plus touchées. Si les piqûres des filaments de ces méduses violettes peuvent infliger de vives brûlures ou des cloques sur la peau, elles sont rarement dangereuses. Selon l’Observatoire océanologique de Villefranche-sur-Mer, environ une personne sur 200 000 développerait cependant une hypersensibilité et une réaction allergique immédiate qui peut conduire à un choc anaphylactique.
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