2.Les défis d’une transition agri-alimentaire socialement juste

Groupements d'achats dans les quartiers politiques de la ville, paniers marchés et épiceries solidaires alternatifs à l’aide alimentaire classique, qui visent à la fois la transformation des systèmes agri-alimentaires et une accessibilité alimentaire à tous, constituent un levier de transition écologique et de justice sociale. Ces projets génèrent des changements conséquents dans le quotidien des participants, leur permettant de se procurer à des prix abordables et à proximité de leur lieu de vie, des produits de qualité issus de circuits courts ou de pratiques agroécologiques. Cependant, traiter en profondeur les inégalités d’accès à une alimentation saine, digne et durable s’accompagne de deux défis majeurs.

D’une part, l’alimentation étant une pratique sociale, culturelle, symbolique et politique, son accessibilité ne peut se réduire aux seules notions de proximité géographique et de prix. Aussi, il convient de prendre en compte les contraintes pratiques (absence de cuisine fonctionnelle, mobilité difficile) et les besoins (adéquation des denrées avec les préférences, habitudes et croyances) des publics visés, et ce, à tous les stades du projet. Pour ce faire, il est capital de soigner le diagnostic de territoire, tout en restant à l’écoute des participants, afin d’adapter les initiatives selon les perceptions et attentes émergeantes d’enquêtes qualitatives. Par ailleurs, les démarches de concertation, l’inscription des publics ciblés dans les processus décisionnels et l’implication des usagers bénévoles sur les lieux de vente soutiennent l’implication citoyenne dans les systèmes agri-alimentaires. Et il est pertinent de compléter les dispositifs d’aide alimentaire par des moments de convivialité, vecteurs de sensibilisation, tels que les visites de ferme, les ateliers-cuisine ou les repas partagés (Photo 16).

Et si les projets foisonnent, ils peinent à perdurer et à élargir leur portée. En effet, la vulnérabilité économique des initiatives cantonne leurs retombées positives à une échelle locale, un nombre limité de personnes et un temps court. Pour lutter efficacement contre l’insécurité alimentaire et œuvrer dans un même mouvement en faveur d’une transition écologique, il est indispensable de dépasser l’approche « projet ».

La diversification des modèles économiques atténue la dépendance aux seules subventions publiques, tandis que la coordination des initiatives multi-échelles appuie leur plaidoyer politique. À cet égard, les expérimentations de Territoire à VivreS rassemblent cinq réseaux et associations françaises (Réseaux Cocagne, CIVAM et VRAC, Secours Catholique, Union nationale des groupements des épiceries sociales et solidaires) engagés dans le renouvellement des politiques nationales de lutte contre la précarité alimentaire vers des logiques d’actions systémiques durables et émancipatrices. À l’instar des réseaux de villes engagées sur des objectifs ambitieux sur les questions climatiques, il serait pertinent de renforcer les réseaux de villes dédiés à la transition écologique des systèmes agri-alimentaires, et de les lier. Si la vision « projet » peut s'avérer pertinente pour concrétiser des mesures favorisant l’amélioration de la sécurité alimentaire à court terme, un changement de paradigme est nécessaire pour impulser des mutations systémiques et des réponses politiques, à la hauteur des enjeux structurels de justice sociale et écologique.

Photo 16. Visite de la ferme Capri par les enfants de l'école primaire Saint-Joseph Servières (© Cité de l’agriculture).

À ce titre, la proposition d’instauration d’une sécurité sociale de l’alimentation, précédemment évoquée, est prometteuse : elle permettrait de changer d’échelle, d’abandonner le statut de bénéficiaire au profit de celui d’ayant droit et de renforcer la transition agricole et alimentaire.

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