3.Evolution des pratiques de l'alpinisme et de la randonnée

Le changement climatique agit comme un révélateur et un accélérateur de l’évolution de l’alpinisme depuis les années 1990. Il accentue les processus géomorphologiques et glaciologiques qui changent les caractéristiques des itinéraires, les rend plus dangereux et/ou plus difficiles techniquement ou sans intérêt d’un point de vue esthétique et technique pour un alpiniste. En conséquence, les périodes de bonnes conditions pour la pratique se décalent vers le printemps et l’automne. En été, les conditions sont plus aléatoires, notamment en raison des périodes caniculaires plus précoces, nombreuses et intenses. Il en résulte notamment un besoin d’investissement accru dans la pratique afin d’identifier les périodes et les itinéraires offrant de bonnes conditions. Les courses en neige, soit une bonne partie des itinéraires classiques d’ascension des sommets connus et très fréquentés du massif des Écrins comme les Agneaux (3664 m), la traversée du Dôme de Monêtier (3479 m) et le Dôme de neige des Écrins (4015 m), sont parmi les itinéraires les plus touchés, avec des mauvaises conditions de plus en plus tôt dans la saison (Photo 12). La détérioration des conditions affecte principalement les alpinistes débutants ou occasionnels et l’entrée dans la pratique. Elle pousse également une part des guides de haute montagne à diversifier leur activité en périphérie des massifs de montagne avec le canyoning, l’escalade, la via ferrata ou le VTT. En France, 56 % des guides estiment que le changement climatique entraîne une diminution de leur activité économique.

Cette situation conjuguée à de nombreux changements sociétaux provoque une baisse de la fréquentation de la haute montagne par les alpinistes, et, par conséquent, des refuges qui en dépendent. Par exemple, le nombre de nuitées dans les refuges des Écrins et du glacier Blanc a diminué de 50 % depuis 1980. Des pistes de refondation culturelle et sportive de l’alpinisme peuvent toutefois se lire dans l’émergence de pratiques amateurs et professionnelles renouvelées, et de programmes comme les « itinérances en alpinisme » ou « villages d’alpinistes » portés de 2019 à 2022 par le Parc national des Écrins.

La randonnée répond quant à elle à une forte demande sociale d’accès à la nature avec un large éventail de pratiques plus ou moins sportives. Le nombre de pratiquants a doublé entre 2010 et 2023. Cette forte augmentation concerne particulièrement la montagne qui propose des destinations recherchées pour leur fraîcheur, comme les lacs rendus baignables grâce à la hausse de la température jusqu’à plus de 2000 m d’altitude. Pour autant, la pratique de la randonnée est pénalisée par le risque croissant d’inconfort thermique inhérent aux canicules, et les risques d’incendie liés aux sécheresses récurrentes menacent l’accès aux espaces forestiers. Dans le même temps, l’approvisionnement en eau des refuges est soumis à de fortes tensions et incertitudes. Comme l’alpinisme, la randonnée est affectée par une instabilité météorologique fréquente et une altération généralisée des paysages montagnards : glaciers disparus, lacs et torrents asséchés et forêts décimées bousculent un imaginaire fondé sur l’abondance des neiges éternelles, de l’eau et de la végétation.

Face à ces profonds changements, les solutions envisageables relèvent en priorité de la transmission d’une culture du plein air et d’une « intelligence climatique » via des démarches d’information et de formation du public, y compris à des fins de prévention des risques. À l’échelle des territoires, il s’agit d’accompagner le passage d’un « régime d’attractivité à un régime d’habitabilité », qui implique de traiter un ensemble de questions environnementales, culturelles et sociales, y compris, si nécessaire, en termes de régulation des fréquentations. Il semble aussi indispensable de renforcer les dispositifs d’observation des pratiques et des métiers sur le terrain, comme les « Refuges sentinelles ».

Zoom 3. La prise en compte du tourisme dans les stratégies territoriales pour la prévention des risques en montagne

Les territoires de montagne, particulièrement touchés par les aléas naturels et leur évolution en lien avec le changement climatique, ont depuis peu la possibilité de mettre en place une stratégie territoriale pour la prévention des risques en montagne (STePRiM), leur permettant une gestion préventive des risques « sur mesure », en adéquation avec les enjeux socio-économiques locaux. Dans une démarche multipartenariale, les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ou tout autre groupement de collectivités sont en mesure de répondre aux appels à projets STePRiM lancés par le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires (2017, 2019, 2023), donnant accès à des financements dédiés. Si ces appels à projets pointent bien du doigt la modification des aléas liée au changement climatique, ils abordent peu les enjeux autour du tourisme. Toutefois, dans leur application concrète, les STePRiM intègrent bien la thématique touristique, mais dans une mesure qui peut varier en fonction de l’importance de l’activité touristique, des risques présents, des phénomènes marquants et de la frilosité des acteurs locaux. Ainsi, leSTePRiM de la CARF (Communauté d'agglomération de la Riviera Française), territoire marqué par la tempête Alex, prévoit des actions très précises en matière de culture du risque en développant une signalétique intégrant des images d’archives, des témoignages et des données chiffrées, en créant des sentiers d’interprétation sur les risques naturels ou encore en proposant un escape game dédié aux risques. Ces actions sont bien identifiables et montrent aux touristes ce qu’engendrent les aléas naturels sur leur lieu de séjour. En revanche, le projet de STePRiM du Briançonnais apparaît plus frileux. Certes, il présente les multiples problématiques du tourisme face aux risques et les prend en compte dans ses actions en enrichissant des bases de données géographiques (aléas, unités touristiques nouvelles, hôtels, flux, etc.), mais à des fins de gestion de l’urgence (coupure de route, optimisation de l’alerte et de la gestion de crise) et de prévention structurelle (travaux de protection de l’urbanisation). Le volet sur le développement de la conscience des risques naturels se montre bien plus flou. En effet, le territoire est conscient que cela est nécessaire, mais son engagement nuancé est discutable : « il est nécessaire de transmettre certains messages par rapport aux risques naturels en montagne. Néanmoins, il est très important d’adapter le discours à communiquer sans rendre l’information anxiogène »

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