La transition écologique est une opportunité pour le tourisme régional aujourd’hui confronté à ses contradictions
et au défi du changement climatique. Les acteurs des territoires sont appelés à réinventer leurs offres touristiques pour protéger les habitants et les visiteurs, les professionnels du secteur, le climat, la biodiversité, les ressources naturelles, et proposer de nouvelles expériences aux touristes. Les pistes d’adaptation et d’atténuation ne
manquent pas. Une sélection d’entre elles et des expériences favorisant leur mise en œuvre sont déclinées dans
ce dernier chapitre.
Compte tenu de la provenance des touristes (cf. §1.1), le transport décarboné est l’un des leviers les plus prometteurs pour réduire les émissions de GES et autres polluants atmosphériques, et engager la transition énergétique dans la région. Cette dernière possède une offre multimodale performante en matière d’infrastructures et de services de transport longue distance, qui, au regard de l’afflux touristique, doit faire face à de nombreux défis :
□ un réseau routier et autoroutier, de près de 50 000 km dense et maillé, confronté à une saturation des réseaux en période de pics touristiques ;
□ un réseau ferroviaire de plus de 1300 km, avec près de 200 gares (Photo 23), réparties sur l’ensemble du territoire régional, très fréquentées en juillet et août ;
□ 7 aéroports, dont 2 de dimension internationale (Nice Côte d’Azur et Marseille-Provence) qui sont les plus fréquentés en France après les aéroports parisiens ;
□ les ports de Marseille, Toulon et Nice, destinations de choix pour les touristes en provenance de Corse, du Maghreb, ou pour les croisiéristes…
□ organiser une offre multimodale la plus vertueuse possible : train, bus, covoiturage… Il est nécessaire d’avoir une offre fiable et robuste permettant de rejoindre la région ;
□ disposer d’infrastructures permettant de déployer cette offre, avec la création de voies dédiées (voies réservées aux transports collectifs, voies de covoiturage) et l’aménagement des aires de stationnement et de covoiturage ou encore l’organisation de pôles d’échanges multimodaux (PEM) permettant un accès simplifié à l’offre de transport ;
□ accompagner la population dans le choix de ses déplacements : réflexion à mener sur la pertinence d’une tarification indexée sur les émissions de GES et polluants. Il est aussi nécessaire de revoir le rapport au temps et donc à la vitesse de nos déplacements.
Chaque moyen de transport offre ses avantages en termes de commodité, de flexibilité et de possibilités de découverte de la région. Mettre en place les mesures énoncées, combinées à la sobriété énergétique, une sensibilisation continue et à la participation active des acteurs du tourisme, des autorités locales et des touristes eux-mêmes, peut contribuer à réduire l’empreinte carbone des transports sur le territoire. De nombreuses études sont réalisées par l’État et la Région Sud pour déterminer les potentialités de décarbonation et de limitation de nos déplacements. Divers appels à projets et appels à manifestation d’intérêts préparent le terrain en permettant aux différents territoires d’expérimenter des solutions décarbonées de transports (modes actifs, transports collectifs, véhicules électriques…).
Zoom 7. La question du transport lors d'un séjour au ski : l'exemple de Serre-Chevalier
Créé en 1941, le domaine skiable de Serre-Chevalier est le plus grand des Alpes du Sud avec plus de 250 km de pistes de ski alpin. La station haute-alpine doit aujourd’hui concilier la gestion de la forte fréquentation touristique et le déploiement d’actions en faveur de la transition écologique. La quantité et la qualité de l’enneigement et la désaisonnalisation des activités représentent de forts enjeux pour le devenir de la station, mais la question du transport, secteur fortement émetteur de GES lors d’un séjour au ski (cf. info +, §3.2), conduit les acteurs locaux à promouvoir des modes de déplacement bas carbone pour se rendre à la station, se déplacer autour du lieu de résidence, mais aussi rejoindre les pistes.
L’accès à la vallée est tout d’abord facilité par le train et le bus : liaisons directes depuis Paris (train de nuit) et Marseille, combinaisons train/bus depuis Grenoble et Lyon. Le réseau de transport, développé par l’ensemble des acteurs locaux et régionaux (Communauté de communes du Briançonnais, communes de la vallée, Région Sud…), propose aussi des mesures incitatives permettant aux habitants et aux touristes d’utiliser des modes de déplacements collectifs « propres », alternatives à l’utilisation du véhicule individuel :
□ des systèmes de transfert via des bus et navettes (navettes blanches du réseau régional ZOU par exemple) depuis les gares TGV d’Aix-en-Provence ou Oulx en Italie,
□ des liaisons express entre les remontées mécaniques du domaine et les hameaux de la vallée entre 6h30 et 23h00 avec, en complément, la mise à disposition dans plusieurs hameaux d’un service gratuit de « navettes villages » reliant les remontées mécaniques aux lieux fréquentés par les skieurs (résidences, espaces de loisirs…),
□ la mise en place depuis 2018 d’une navette hybride dans la vallée à destination des locaux et des vacanciers réduisant de 65 % des émissions de GES et de particules fines,
□ l’utilisation d’un biogazole (XTL37) dans le réseau de transport en commun Altigo (réseau de transport public local) qui est progressivement introduit depuis septembre 2023 afin de réduire les émissions de GES,
□ la mise en service dès 1989 de la télécabine du Prorel qui permet de relier la ville de Briançon, située à 1200 m d’altitude, aux pistes du domaine skiable.Hors mesures liées au transport, les actions menées en faveur de l’adaptation du domaine skiable aux différents enjeux de la transition écologique se concentrent sur la restauration des écosystèmes, la production d’énergie (énergies renouvelables, dont hydroélectricité), l’atteinte du zéro artificialisation nette d’ici 2025.
L’empreinte carbone de l’activité touristique actuelle provient pour plus de 95 % des émissions de GES générées par l’utilisation d’énergies fossiles, en particulier pour le transport des touristes et leur hébergement. L’enjeu principal, dans un objectif de neutralité carbone, consiste à développer l’utilisation de sources et vecteurs d’énergie bas carbone adaptés aux besoins spécifiques de l’activité touristique, et ce de manière combinée avec la mise en œuvre de démarches de sobriété et d’efficacité énergétique.
Pour ce qui est du transport aérien, l’enjeu principal, en dehors de la question de la sobriété, réside dans l’utilisation accrue de carburants non fossiles dits "Sustainable Aviation Fuels" (SAF), biocarburants ou électro-carburants synthétisés à partir d’hydrogène et de CO2 soustrait à l’émission atmosphérique. Compte tenu de la présence dans la région de deux grands aéroports (Marseille-Provence et Nice), d’installations et de compétences industrielles sur la zone de Fos Marseille, le territoire pourrait jouer un rôle important dans le développement, qui suscite de vifs débats en France et en Europe, de la filière française de production de SAF. La situation est similaire concernant le transport maritime lourd (bateaux de croisière et ferries) avec un choix de carburants liquides alternatifs (et équipements et infrastructures associés) non stabilisé à ce jour entre méthane, méthanol, ammoniac, voire hydrogène pur d’origine non fossile, et l’enjeu de l’électrification à quai pour éviter les émissions de GES, mais aussi de polluants atmosphériques lors des escales.
Le transport maritime léger pour le tourisme côtier (navettes vers les différentes îles par exemple) représente également un enjeu spécifique pour lequel un certain nombre de navires à propulsion électrique à batterie et/ ou pile à combustible à hydrogène sont en train d’apparaître pour répondre aux différents besoins touristiques (navires pouvant transporter quelques passagers ou plusieurs centaines si besoin). Concernant la mobilité terrestre, l’objectif est de faciliter le report modal vers des moyens de déplacement à moindre empreinte carbone (cf. §6.1), et de basculer vers des motorisations bas carbone, notamment les véhicules électriques à batterie et/ou hydrogène ou à gaz non fossile (bioGNV).
La réduction de l’empreinte carbone des hébergements touristiques (marchands, non marchands et locations saisonnières) repose sur plusieurs aspects :
□ la réduction des émissions induites par la construction des infrastructures, avec des opportunités régionales pour l’utilisation de matériaux bas carbone (bois, terre, etc.) ;
□ la rénovation énergétique des bâtiments (isolation thermique, gestion optimisée des consommations, valorisation des chaleurs fatales, etc.) et le recours à des conceptions innovantes bioclimatiques permettant d’anticiper la nécessaire adaptation au changement climatique ;
□ la conversion vers des moyens de chauffage (et si nécessaire climatisation) bas carbone, plus particulièrement les pompes à chaleur, y compris géothermiques (si possible), avec une opportunité spécifique d’utiliser la thalassothermie dans la région.
Afin de répondre à ces différents besoins, la région a un potentiel encore largement inexploité de production d’énergie solaire thermique et photovoltaïque, et les infrastructures touristiques représentent un potentiel important pour augmenter le parc installé, en tirant avantage des réductions majeures de coûts des différentes technologies associés et des nouvelles possibilités ouvertes par les évolutions de la réglementation, surtout par l’autoconsommation individuelle et collective.
Ces productions d’énergie au niveau local doivent aussi être mises à profit pour décarboner un certain nombre d’activités touristiques, en particulier dans le domaine de l’événementiel et des loisirs (suppression des groupes électrogènes à combustible fossile).
Le Parc national des Calanques couvre un territoire de 52 000 ha (cœur terrestre : 8500 ha ; cœur marin : 43 500 ha) au sein même de la Métropole Aix Marseille-Provence qui compte 1,8 million d’habitants. Espace de respiration pour les populations urbaines, la part des visiteurs locaux est prépondérante (environ 70 %). Il s’agit d’une véritable interface entre ville et nature car près de 200 accès au territoire sont dénombrés. Sa fréquentation s’étire sur toute l’année, sans réelle période creuse. Des pics de fréquentation ont déjà été constatés en été sur certains sites, comme dans les calanques de Sormiou, Sugiton et En-Vau (Photo 24), avec près de 2500 et 4000 visiteurs par jour pour les deux dernières. La multiplicité des pratiques dans le Parc, pas toujours compatibles avec sa fragilité, génère des conflits d’usages.
Classiquement, le Parc mobilise et utilise des outils de gestion, tels qu’un suivi de sa fréquentation qui reste complexe à appréhender ou la mise en place d’aménagements (balisage, aménagement des sentiers, mise en défens) qui canalisent les flux et protègent les espaces naturels les plus sensibles. Des outils plus innovants, visant le recul de l’accès en véhicules motorisés, l’encadrement des activités de sport de nature et de plaisance (règlementation de la plaisance et du kayak) et une communication qualifiée de « démarketing », sont développés. L’objectif du démarketing est avant tout de privilégier une communication sincère montrant le décalage entre la réalité et l’image de carte postale véhiculée par les médias. Elle renseigne aussi sur l’expérience sur site à laquelle sera confronté le touriste en cas de forte fréquentation. Le territoire a déjà atteint un seuil qualifié de situation d’hyperfréquentation, notamment à la sortie des confinements de la Covid-19. Dans ce contexte, le Parc a réagi en mobilisant un outil expérimental : le contingentement. Le choix du site de la calanque de Sugiton s’est imposé vu son accessibilité facile, sa situation de très forte érosion des sols et la destruction de ses habitats naturels. Le projet « Réserver, c’est préserver » conduit sur la calanque de Sugiton (cf. §1.2) l’été 2022 a constitué un réel challenge de mise en œuvre pour l’équipe du Parc. Ses objectifs étaient à la fois de préserver le milieu naturel soumis à une très forte érosion des sols et de la flore, d’améliorer la qualité de l’expérience avec un réel espace disponible par visiteur et une ambiance de quiétude permettant de renouer avec le caractère exceptionnel du Parc. L’expérience a porté sur 45 jours en juin, juillet et août sur une zone qui a été règlementée H24. L’accès au site étant conditionné à l’obtention d’un permis de visite gratuit avec une jauge fixée à 400 personnes jour
Le plan de communication anticipé et décliné en amont des accès au site, ainsi que l’application de réservation développée par TROOV, ont été des leviers de réussite du dispositif. L’accueil sur site depuis Luminy s’est opéré en deux temps : des points d’information et de sensibilisation, voire de réorientation sur d’autres sites, puis des points de filtrage assurés par une société de sécurité professionnelle. Plébiscitée par le public (conditions de visite de qualité retrouvées), l’expérimentation a permis de freiner l’érosion galopante du site. Les premiers suivis scientifiques permettent de déceler des indices encourageants concernant la reprise de la végétation dans les zones très dégradées. Néanmoins, l’évaluation de l’efficacité de la mesure sur la régénération des milieux naturels ne peut s’apprécier que sur plusieurs années. Le conseil d’administration a ainsi décidé d’inscrire la mesure sur une durée de 5 ans (2023-2027). Les perspectives d’amélioration du dispositif reposent principalement sur une extension de la durée de sa mise en place sur la période estivale (70 jours en 2023) et une adaptation du système de réservation pour libérer des places disponibles en cas de désistement.
Zoom 8. La régulation de l’hyperfréquentation estivale dans le Parc national de Port-Cros
L’île de Porquerolles accueille plus d’un million de visiteurs par an avec des pics de fréquentation de 12 000 visiteurs par jour en période estivale, affectant à la fois l’environnement et la qualité de visite. En 2021, la ville de Hyères, la Métropole Toulon Provence Méditerranée et le Parc national de Port-Cros ont conjointement mis en place un ensemble de mesures et de dispositifs pour réguler les transports acheminant les visiteurs sur l’île. Cette démarche s’appuie sur un nouveau contrat de délégation de service public de transports maritimes et une charte signée par les principaux bateliers privés desservant l’île. L’objectif de 6000 visiteurs par jour a été fixé collectivement d’après les résultats d’une enquête de satisfaction menée par le Parc national de Port-Cros.
Le bilan de cette gestion raisonnée, concertée et des dispositifs associés a été positif : l’objectif de fréquentation a été atteint. En effet, la fréquentation de la TLV-TVM (Photo 25), délégataire du transport vers les îles, a baissé de 14 % permettant le respect de la jauge de fréquentation. La mise en place d’un dispositif de réservation en ligne a permis de mieux anticiper les pressions de fréquentation sur la destination et une meilleure diffusion des publics dans le temps. De plus, les opérateurs incitent fortement les usagers à utiliser les transports en commun pour se rendre aux embarcadères (+20 % de fréquentation de la ligne 67 du Réseau Mistral) dont le coût est pris en charge par la Métropole dans le cadre du billet combiné bus + bateau bus TLV-TVM (10 000 voitures évitées sur la presqu’île de Giens). En parallèle, un arrêté municipal interdit l'échouage (beachage) des bateaux sur les plages et une zone de mouillage et d’équipements légers (ZMEL) dans les eaux de Porquerolles a été créée. Fort de ce succès, le dispositif de régulation de la fréquentation sera prochainement renforcé par des mesures complémentaires.
La région Provence-Alpes-Côte d’Azur compte plus d’un demi-million de résidences secondaires (540 000 en 2016, Insee), soit 17,7 % des logements, près du double du taux national, dont le rythme de croissance est devenu plus rapide que celui des résidences principales. La conversion de logements loués à l’année en locations touristiques de courte durée, découlant du succès récent des plateformes de locations touristiques entre particuliers, a alimenté cette croissance en zones urbaines où le taux de résidences secondaires, initialement plutôt bas (Grand Avignon, Aix-en-Provence, Marseille, Gap), augmente dorénavant plus rapidement qu’ailleurs et pèse sur le marché locatif et le prix des loyers. Les confinements causés par la Covid-19 et le télétravail ont renforcé ce phénomène. Ces résidences secondaires sont avant tout littorales. Dans les stations de sport d’hiver, leur part peut dépasser 80 %. Issues de la phase de développement des stations littorales ou de montagne, deux tiers d’entre elles sont des logements collectif (50 % des studios, T1 ou T2). Elles sont plutôt anciennes, construites pour moitié avant 1975. Globalement plus aisés que les résidents à l’année, leurs propriétaires viennent souvent d’assez loin, en particulier sur le littoral : un quart d’étrangers et des propriétaires français habitant majoritairement hors région dans le Var et les Alpes-Maritimes.
La critique vis-à-vis de ces résidences secondaires a d’abord été socio-économique : □ leur contribution à la flambée des prix de l’immobilier (essentiellement dans les stations littorales) complique l’accès au logement pour les ménages modestes et les oblige à vivre dans l’arrière-pays ; □ leur coût pour la collectivité, dans la mesure où les logements sont fermés une grande partie de l’année (syndrome des « volets clos », surtout en montagne), est mis en balance avec leur contribution saisonnière à l’activité économique locale. Des mesures contraignantes ont été suggérées (« statut de résident » par exemple) ou mises en œuvre, comme la surtaxe d’habitation sur les résidences secondaires appliquée par 77 communes (2018) dans la région, principalement dans le Var et les Alpes-Maritimes. Mais elles se heurtent à la diversité des situations locales et des stratégies municipales (inciter à la location touristique des résidences secondaires ou les transformer en résidences principales ?), et leur efficacité s’avère à ce jour insuffisante pour enrayer le phénomène. Plus récemment, le coût carbone des déplacements entre résidences principales et secondaires a été souligné, mais ces déplacements sont-ils si différents des mobilités touristiques et de loisirs en général, sauf si leur fréquence et le partage du temps (équilibré) entre les deux lieux de vie permet de parler de « multirésidences » ? La mobilisation des ressources matérielles et énergétiques pour un ménage, occasionnée par l’occupation et l’entretien de deux logements (ou plus) dont l’un est sous-occupé (6 semaines par an en moyenne), est aussi avancée. Sont relevées également les consommations pour les ménages qui n’ont pas trouvé de logement au prix du marché immobilier local, contraints de faire construire du neuf loin de la zone touristique, avec les migrations pendulaires que cela implique en bonus. À cela s’ajoutent, dans la région, la vétusté et le mauvais état d’une large partie du parc immobilier (isolation thermique). Les résidences secondaires situées sur le littoral régional sont plutôt moins menacées par la montée du niveau marin que sur le littoral atlantique, mais les perspectives sont néanmoins alarmantes avec des délocalisations qui s’imposeront à l’avenir. Quant aux résidences en montagne, le recul de l’enneigement réduira les possibilités de ski, ce qui contraindra les stations des Alpes du Sud à revoir leur modèle de croissance qui liait jusqu’à présent extension du domaine skiable et nouveaux programmes immobiliers. Ces différentes problématiques appellent toutefois des réponses spécifiques aux territoires. Il sera partout nécessaire d’inviter les résidents secondaires à prendre part aux décisions des collectivités locales pour les responsabiliser et les associer à la réflexion sur les transitions en cours (énergie, mobilité, eau, gestion des risques). La rénovation énergétique des résidences secondaires apparaît comme un chantier prioritaire.
Interview II. Gouvernance et planification - Sandrine PERCHEVAL & Noémie LECHAT (Association pour le développement en réseau des territoires et des services)
1. Pour engager la transition touristique, quelles sont les conditions d’une gouvernance partagée ?
Le processus de transition est un chemin complexe qui nécessite des volontés et choix politiques forts. La démarche doit avant tout être soutenue par les élus du territoire qui sont garants de la vision à long terme. Il faut disposer d’une ingénierie adaptée. Sont nécessaires des compétences en formalisation des stratégies, mais aussi en matière de gestion et de dépôt de dossiers de financement (parfois complexes), d'animation des projets, de coopération… Si celles-ci sont indispensables en interne, la sollicitation de tiers peut apporter, par leur neutralité, une plus-value dans l’adhésion et l’implication des partenaires. Les souhaits de la société civile parfois organisée en collectifs – préservation de l'environnement, qualité paysagère, souveraineté démocratique, services à développer, etc. – doivent également être pris en compte. Cela peut passer par une mise en récit d’un avenir souhaitable. L’une des conditions de la transition est un financement pérenne. Un financement public permet souvent d’amorcer des projets, mais rares sont ceux qui permettent de s’inscrire sur le temps long. L'investissement dans du « dur » est aujourd'hui plus accessible pour les collectivités que le financement de l’ingénierie. À terme, il s'agit pourtant de faire vivre et d'animer ces équipements et projets, leur permettant d'éprouver leur pertinence dans le paysage territorial. Enfin, une vision transversale est indispensable. Un processus de transition implique de dépasser les logiques de silos. L’exemple de la mobilité montre la complexité d’un seul sujet : les besoins d’un territoire se résument rarement aux transports en commun. Il faut y adosser l’usage prédominant du véhicule personnel, les derniers kilomètres, la démobilité, les déplacements, etc.
2. Quelles sont les initiatives inspirantes ?
Plusieurs initiatives peuvent inspirer les acteurs territoriaux :
□ suite à la fermeture de la station de Céüze en 2020, pour des raisons économiques et d’enneigement, une démarche positive s'est engagée auprès des élus et de la société civile du territoire afin de réfléchir à une vision commune et globale qui ferait la part belle à un tourisme 4 saisons ;
□ au niveau européen, le « Smart village » a été désigné comme une voie souhaitable pour le développement de territoires ruraux. En France, la notion de Smart village a été déployée sur le massif alpin autour d’une expérimentation dans le Royans Vercors et un guide méthodologique donne des clés pour s’emparer de la démarche au niveau local ;
□ le programme financier européen LEADER s'appuie sur un mode de gouvernance spécifique : le développement local par les partenaires territoriaux, publics et privés, appelé « Groupe d’action locale » (GAL). Est confiée à celui-ci la responsabilité de déterminer une stratégie concertée de développement et l’attribution de l’enveloppe financière ;
□ enfin, les schémas directeurs ou diagnostics permettent de donner un cadre à l'avenir souhaité à moyen terme sur un territoire et une thématique. Parfois imposés par le cadre réglementaire, si la démarche est portée politiquement et inscrite dans une logique d'intégration de toutes les parties prenantes, ils peuvent être l'amorce d’une gouvernance territoriale.
Qui aujourd’hui n’est pas engagé dans une démarche de transition touristique ou, au moins, la désigne comme un horizon souhaitable ? Séminaires, politiques publiques et études clientèles arrivent à la même conclusion : le tourisme se doit d’évoluer au vu de ses impacts négatifs sur les milieux naturels et leur biodiversité, et des effets du changement climatique. La tâche n’est toutefois pas aisée car il n’y a pas de recette toute prête. En montagne, la tentation est forte de couvrir les pentes de luges 4 saisons, de parcours d’accrobranches, de bike parks et de restaurants hôtels toujours plus confortables avec vue panoramique. Ces projets tendent vers une uniformisation des destinations et la montée en gamme accentue les inégalités entre vacanciers.
Un projet de transition touristique, c’est avant tout un processus qu’il faut penser en « mode projet » et ce faisant, bousculer les manières de travailler. Il faut pouvoir requestionner ce qui allait de soi en termes d’objectif, de stratégie, d’échelle d’action, de partenaires et d’investissements. La transition touristique ne peut s’envisager sans coopération. Qu’il s’agisse de mettre en place une centrale de réservation ou une piste cyclable, l’enjeu est de ne pas mener la réflexion en silo dans chaque collectivité ou office de tourisme. C’est le cas du lac de Serre-Ponçon, à cheval sur trois communautés de communes et deux départements : « nous n’avons pas de périmètre PETR ou de parc naturel qui permet de réunir tous les acteurs. L’État a proposé que le territoire de projet soit celui de la destination touristique car c’est cohérent. Les enjeux communs étaient identifiés, mais il restait à apprendre à travailler en commun », souligne Romain Ferrez, chef de Projet à Avenir Montagnes.
La transition touristique est une question économique. Comment ne pas impliquer les professionnels et les habitants alors qu’ils sont en première ligne ? Le manque d’eau représente une épée de Damoclès sur les activités nautiques estivales, quand en hiver, le manque de neige demande de l’inventivité pour proposer des activités alternatives. De quoi les professionnels ont ils besoin pour s’adapter ? Quels sont les marqueurs d’identité et les richesses du territoire à mettre en lumière ? Un rééquilibrage de la stratégie de promotion saisonnière est-il à opérer ? Pour structurer les idées collectivement, se former à des méthodes participatives s’impose, car l’horizontalité n’est pas le propre des collectivités. D’ailleurs, faire appel à un animateur extérieur (cf. Interview II) facilite la démarche, afin d’éviter l’écueil des conflits locaux. La clé, c’est la sincérité de la démarche et l’interconnaissance des acteurs qui créent l’énergie et la confiance. À Serre-Ponçon, c’est l’envie de créer une piste cyclable le long du lac qui a finalement rassemblé les différentes parties prenantes.
Et avant même la coopération et l’échelle d’action, un projet de transition touristique est à construire à l’aune des conditions d’accueil actuelles et à venir de la destination. Les « bonnes » conditions d’accueil d’un site ou d’un territoire reposent sur la vulnérabilité des espaces naturels face au changement climatique, la formation des professionnels, les prix pratiqués, l’accès équitable aux espaces publics, voire au foncier. À cet égard, de plus en plus d’habitants ne mettent plus les pieds dans leur village l’été, voire le quittent définitivement quand les prix de l’immobilier deviennent trop élevés et que les commerces et services de proximité ne sont pas assurés au quotidien. C’est pourquoi de nombreux projets de transition touristique s’élargissent aux enjeux d’habitabilité à l’année. Ce qui est profitable aux habitants le sera aux touristes.
Zoom 9. Organiser des ateliers territoriaux pour transformer le tourisme
Lors des États généraux de la transition du tourisme, en 2021, un collectif d’acteurs s’est mobilisé pour impulser
une démarche réflexive au sein même des territoires de montagne. Des ateliers d’intelligence collective ont été
imaginés et proposés à différents territoires des massifs français, afin que les acteurs locaux puissent se rencontrer
et avancer ensemble dans leurs réflexions sur la question de la transition du modèle touristique.
Quelle a été la méthode appliquée ? Des personnes relais ont été identifiées dans les territoires, puis formées
aux méthodes d’intelligence collective. Un total de 29 ateliers regroupant 34 territoires de montagne en France se
sont déroulés en parallèle, organisés en deux temps forts : un temps d'interconnaissance et d’acculturation aux
problématiques de chacun, puis un temps créatif de réflexion sur les solutions communes à apporter au territoire.
L’accent a été mis sur la représentativité des participants vis-à-vis de leur territoire (administrations, professionnels
du tourisme, agriculteurs, associations, artisans, collectifs, élus, chercheurs, gestionnaires d’espaces naturels,
représentants des domaines skiables…). Un ratio de 30 participants pour 5 animateurs a permis de faciliter le
cadrage des échanges et garantir une libre parole pour les participants. Au total, près de 900 personnes se sont
exprimées sur le devenir du tourisme. À l’heure du bilan, des points saillants émergent :
□ une volonté des acteurs locaux de travailler ensemble pour continuer la dynamique territoriale et se mettre en
action,
□ un besoin exprimé d’animation de réseau pour pérenniser la démarche ;
□ un besoin d’accompagnement des territoires sur la durée pour les expérimentations.
Pour en savoir plus sur les ateliers territoriaux : www.eg-transitionmontagne.org
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