Comme le souligne ce cahier thématique du GREC-PACA, la science a établi la réalité du changement climatique. L’évolution rapide du climat a une influence directe sur les écosystèmes et les sociétés méditerranéens qui sont parmi les plus menacés de la planète. Il est aujourd’hui incontestable que les effets des changements climatiques sont perceptibles en Méditerranée. Ils se font sentir à tous les niveaux (santé humaine et animale, ressources en eau et biologiques, qualité de l’environnement et activités économiques) et sont appelés à s’amplifier. Pour limiter les impacts de ces changements qui s’intensifieront à l’avenir, il est urgent de mettre en place des politiques publiques en faveur de l’atténuation et de l’adaptation à l’échelle régionale et locale, particulièrement dans les espaces marins et côtiers.
Ce cahier donne un certain nombre de recommandations qui concernent majoritairement la gestion des milieux et des territoires :
Ces recommandations, même si elles sont incomplètes, concernent aussi :
L’aménagement du territoire :
L’observation :
La politique :
La recherche est également au coeur des débats. Dans les contributions, sa place dans les plans d’atténuation et d’adaptation est une question sous-jacente qui met en lumière la nécessité de renforcer le dialogue entre chercheurs, décideurs, gestionnaires et usagers.
Pour des activités dépendant de la biodiversité marine (secteurs de la pêche, aquaculture, activités récréatives), l’adaptation aux effets du changement climatique sera quasi impossible. Les enjeux à terme seront de réussir à anticiper le devenir de la biodiversité méditerranéenne (composition des pêcheries, nouveaux paysages sous-marins) et d’adapter les usages en conséquence. Pour y parvenir, l’intensification des recherches fondamentales (compartiments physiques et biologiques des océans, évolution des écosystèmes et de la biodiversité, synergies possibles des changements climatiques et d’autres sources de perturbation, étude des modes de vie et des pratiques des habitants) sera nécessaire. Les résultats serviront à l’établissement et à l’amélioration de scénarios prospectifs permettant d’établir des modèles se rapportant aux mécanismes qui régissent les écosystèmes méditerranéens (résistance, résilience). Ces derniers aideront à définir des stratégies pour faire face aux différents scénarios de changements climatiques.
La fiabilité des modèles est limitée par de nombreuses incertitudes, dont celles des quantités de GES qui seront effectivement émises dans le futur (et qui dépendront des décisions politiques, prises ou non, en faveur des mesures d’atténuation). Les sorties de modèles prédictifs ne sont pas définitives. Elles sont une source importante d’incertitudes pour les décideurs qui n’auront jamais accès à toute la connaissance nécessaire pour appliquer des mesures d’adaptation « idéales » sur une zone côtière donnée. Il y a une distorsion entre l’échelle de temps des climatologues (temps long) et celle des cadres décisionnels (court à moyen terme). À cette difficulté intrinsèque s’ajoute celle de la communication entre la science et la décision publique ou privée. La première appréhende assez mal le type de données directement utiles à la décision, tandis que la seconde peine à saisir la complexité de la modélisation climatique et de ses résultats.
Les écosystèmes se transforment à tous les niveaux trophiques, du phytoplancton aux prédateurs supérieurs. La composition des communautés et les distributions spatiales sont aussi modifiées, et les invasions biologiques s’observent de plus en plus. En conséquence, les écosystèmes marins sont fragilisés, moins résilients et plus instables. Malgré les incertitudes des modèles prédictifs, tous les scénarios indiquent que la biodiversité marine et la production de ressources vivantes sont sérieusement menacées. Le développement de la connaissance, basée sur l’observation à long terme et la recherche transdisciplinaire, doit être favorisé pour donner des moyens innovants d’évaluation et déboucher in fine sur une gestion écosystémique à l’échelle locale, comme à celle du bassin méditerranéen.
Les décideurs doivent apprendre à gouverner dans l’incertitude et agir en s’appuyant sur des données scientifiques souvent incomplètes, mais qui doivent être prises en compte et actualisées au fur et à mesure. La réponse aux impacts existants ou potentiels des changements climatiques se fera indirectement en réduisant les nuisances sur lesquelles la société a la faculté (et la volonté) d’intervenir. Il faudra opter pour des solutions qui intègrent l’incertitude fondamentale relative au changement climatique qui ne sera pas rapidement levée. En d’autres termes, les décideurs ne doivent pas compter sur les écologues, climatologues, économistes et modélisateurs pour leur éviter de prendre des décisions aussi difficiles que nécessaires dans un contexte incertain.
Des pistes peuvent cependant conduire vers des décisions adaptées :
Parmi les autres pistes à privilégier, on peut citer la multiplication des aires protégées marines et côtières, l’augmentation des surfaces dédiées, la prise en considération de corridors écologiques, qui renforceraient les capacités de résilience et de résistance des écosystèmes et des espèces, mais aussi celles des activités qui s’y rattachent. L’adoption de plans d’action découlant de concepts, tels que la gestion intégrée ou l’approche écosystémique, sont incontournables, même s’ils nécessitent des mécanismes de gouvernance complexes à cause des différentes échelles spatiales (transnationale, nationale, régionale et locale) ou multithématiques. Pour une mise en oeuvre efficace, il sera également nécessaire de mutualiser les ressources humaines, techniques et financières, et de disposer d’un système permettant la circulation fluide des données et des informations dans des formats appropriés pour chaque groupe cible au niveau national et régional.
Tout n’est pas à inventer. Des cadres existent : la Méditerranée s’est dotée dans le cadre de la convention de Barcelone signée en 1976 (révisée en 1995) d’un dispositif unique visant à travers différents protocoles la préservation de la biodiversité, la lutte contre la pollution, la gestion intégrée des zones côtières. De fait, cette convention devrait jouer un rôle clé dans l’adaptation au changement climatique. De plus, les politiques et les instruments pertinents de l’Union européenne (UE) pour les zones côtières comprennent la politique maritime intégrée (et le plan d’action) qui permet le développement durable des activités liées à la mer. Son pilier environnemental, la directive-cadre sur la stratégie pour le milieu marin (DCSMM), a pour objectif d’assurer un « bon état écologique » de l’environnement marin d’ici 2020, notamment en Méditerranée. La politique commune de la pêche a été réformée en 2012, dans le but de parvenir à une pêche durable. Chaque État membre, coopérant avec les autres États membres et les pays non membres de l’UE au sein d’une région marine, est tenu d’élaborer des stratégies pour ses propres eaux marines. Dans le cadre de la DCSMM et dans l’élaboration de leurs stratégies marines respectives, les États membres doivent, le cas échéant, mettre en évidence tout impact du changement climatique.
Pour que l’adaptation au changement climatique soit durable et applicable à grande échelle, elle doit être incorporée, intégrée (mainstreamed) dans l’appareil politique des gouvernements. La plupart des mesures d’adaptation aux changements climatiques sont étroitement liées aux stratégies, politiques et programmes existants (exemples : politiques de pêche et d’aménagement, sécurité alimentaire, entretien des moyens de subsistance, gestion des ressources, gestion des risques). Une situation similaire existe avec l’atténuation du changement climatique. La demande est croissante pour réduire les émissions nettes de GES, même dans les pays en développement qui n’ont historiquement pas contribué aux émissions et aux changements climatiques.
Dans ce contexte d’évolution du climat, l’intégration se réfère à l’incorporation des considérations liées au changement climatique dans les politiques, les programmes ou les stratégies de gestion établis ou en cours, en évitant de développer séparément des initiatives d’adaptation et d’atténuation. La première étape de l’intégration est de comprendre comment le changement climatique est lié au défi du développement ou au secteur considéré. Des mesures doivent être prises pour accroître la capacité d’adaptation des écosystèmes marins côtiers et des populations qui en dépendent. Parallèlement, les implications inhérentes aux effets des changements climatiques sur l’environnement marin pour les populations côtières doivent être expliquées et gérées. De la même manière, l’interconnexion entre les vulnérabilités des territoires terrestres et marines doit être accompagnée par des stratégies d’adaptation climatique intégrées. Des programmes de sensibilisation et d’éducation, mais aussi des projets associant les populations, les acteurs locaux (pêcheurs, plongeurs, etc.) et les opérateurs touristiques, doivent être mis en oeuvre afin de provoquer une prise de conscience et d’aboutir à un consensus autour de la complexité des changements climatiques et la nécessaire mobilisation de toutes les parties prenantes.
Les dimensions sociétales émergent des nouvelles demandes d’un public mieux informé et soucieux de sécurité alimentaire, santé, sûreté, durabilité et éthique. Le besoin d’une concertation de l’ensemble des acteurs et d’une capacité d’éclairer les choix de long terme, dans un contexte d’incertitudes et de risques accrus, s’impose. Dans tous les domaines des sciences concernées, la recherche, par l’usage de méthodes partagées et transparentes, peut et doit contribuer à la facilitation des débats entre porteurs d’enjeux, à la sélection collective des mesures inévitables à court comme à long terme, et enfin à l’appropriation par toutes les parties des actions nécessaires à mener en Méditerranée.
The Mediterranean Region under Climate Change, l’ouvrage publié par l’Alliance nationale de recherche sur l’environnement (AllEnvi), à l’occasion de la 22ème Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies (COP22), offre une riche synthèse scientifique sur les « mécanismes du changement climatique, ses impacts sur l’environnement, l’économie, la santé et les sociétés de la Méditerranée ». Il est intéressant de le lire pour compléter les connaissances diffusées dans ce cahier thématique du GREC-PACA.
Sommaire du cahier