La pêche est l’activité humaine liée à la mer la plus enracinée dans l’histoire et la culture, et la plus partagée par les communautés humaines côtières de la planète. Simple source de protéines à la base pour les populations côtières, elle est devenue une activité socio-économique de grande ampleur. La pêche ? Non, les pêches ! Il faut a minima distinguer la pêche industrielle et la pêche artisanale, dite aussi « pêche aux petits métiers ». La première est plus développée technologiquement et suppose le recours à de grands navires et une véritable stratégie d’investissements financiers. La pêche artisanale en revanche est une activité liée aux traditions locales, opérée par des petits bateaux côtiers, gérée au niveau familial ou par de petites coopératives, dont les produits sont généralement consommés localement.
En région Provence-Alpes-Côte d’Azur, compte tenu de l’étroitesse du plateau continental, la pêche industrielle est quasi-absente. De tous temps, les pêcheurs ont utilisé des bateaux de taille réduite, pour pêcher en zone littorale (à moins de 100 m de fond le plus souvent), s’adaptant au gré des saisons et des lieux selon l’état des ressources. Cette pêche ne vise pas un stock en particulier, mais de nombreuses espèces, contrairement à la pêche industrielle qui rentabilise ses prises quel que soit l’impact écologique ou le devenir des espèces ciblées. La pêche traditionnelle de subsistance est, par essence, durable : si une proie vient à manquer ou à se raréfier, le pêcheur traditionnel en change.
Les travaux récents sur la pêche artisanale en Méditerranée ont montré sans ambiguïté que ces pratiques sont parfaitement compatibles avec les politiques de protection de l’environnement, comme les aires marines protégées. Par exemple, en région PACA, le Parc national de Port-Cros est l’un des sites du littoral qui compte les plus riches peuplements de poissons, alors que la pêche artisanale y est autorisée (mais les arts traînants interdits). Le Parc marin de la Côte Bleue a été mis en place à la demande des pêcheurs professionnels, conscients de l’utilité d’un espace protégé pour préserver les ressources, pour eux et leurs descendants. Une gestion raisonnée associant les pêcheurs professionnels aux prises de décision (= cogestion) permet de maintenir
une activité économique traditionnelle et de préserver la biodiversité littorale. L’Europe ne s’y est pas trompée. À travers son programme Interreg MED, elle a financé un programme international de recherche sur ce sujet pour une année (FishMPABlue) et vient d’accorder 3 années supplémentaires de financement pour tester les outils développés dans le premier programme. Ces derniers doivent permettre aux pêcheurs artisanaux d’améliorer leur subsistance tout en préservant la biodiversité et en mettant en place une véritable cogestion de la ressource en zone littorale.
La pêche peut également être amateur. Ce qui était un moyen de subsistance est devenu un loisir, un passe-temps. Le développement technologique ces dernières années est tel que cette pêche est désormais redoutablement efficace, débusquant dans les profondeurs des espèces qui n’étaient pas visées auparavant. Les régulations sont minimes, le plus souvent inconnues des pratiquants, et les nombreuses infractions ne sont presque jamais constatées en raison de la quasi-absence d’autorités assermentées en mer. Cette pêche n’est absolument pas durable car c’est l’exploit qui est souvent visé (la plus grosse pièce). La mise en oeuvre de la pêche no-kill à la mode anglo-saxonne n’a rien changé. Des travaux scientifiques récents ont montré que le rejet en mer des poissons une fois décrochés des hameçons entraînait le plus souvent leur mort.
Dans la gestion des ressources, ces deux formes de pêche, amateur et artisanale, s’opposent dans la majorité des cas. Les professionnels se plaignent à juste titre des incessantes réglementations qui leur sont imposées, alors que les amateurs vivent leur loisir à leur guise, sans contrainte. Une analyse comparée menée sur différents secteurs de PACA a montré qu’une dizaine de bateaux de pêcheurs à la ligne (1 à 2 personnes à bord) pêchait en une saison autant qu’un professionnel. Le défi réel des années à venir en région PACA, et ailleurs en Méditerranée, va résider dans la gestion de cette activité de loisir pour permettre de maintenir une activité traditionnelle, millénaire, ancrée dans le patrimoine marin de la Méditerranée.
ZOOM 8. Le Pescatourisme, un moyen de limiter la pêche et d’aider les pêcheurs ?
Le pescatourisme correspond aux opérations de transport de passagers effectuées à bord d’un navire professionnel de pêche (photo 16) ou d’aquaculture à titre d’activité complémentaire rémunérée, dans le but de faire découvrir le métier et le milieu marin. C’est une activité citée dans de nombreux programmes comme mesure de soutien à la pêche et facteur important d’attractivité touristique, générant des retombées positives substantielles pour l’ensemble de l’économie locale.
Le pescatourisme a été inscrit dans la réglementation italienne dès les années 1980, suite aux premières crises de la ressource halieutique en mer Méditerranée, pour rechercher des solutions en matière de diversification de l’activité. En France, il s’est imposé en Provence-Alpes-Côte d’Azur et en Corse, à partir des années 2000, mais ce n’est que depuis 2012 qu’il a une reconnaissance légale en tant qu’activité de diversification de la pêche. Auparavant, l’embarquement de passagers était plus ou moins toléré selon les régions. Les affaires maritimes l’autorisaient à la condition que cela soit occasionnel et non régulier. Quand un événement tragique a entraîné en 2006 (Bretagne) la mort du président du comité local des pêches d’Audierne et de son passager, Edouard Michelin, l’embarquement de passagers a été interdit.
La pratique du pescatourisme est donc une activité réglementée et les patrons des navires de pêche doivent être titulaires d’autorisations qui ont été progressivement mises en place depuis 2007. En 2011, un cadre réglementaire pérenne a été institué avec l’arrêté ministériel du 9 mai 2011, suivi de l’arrêté ministériel du 13 mars 2012.
En Méditerranée, le pescatourisme s’est développé grâce au projet pilote Pescatourisme 83, porté par l’association Marco Polo pendant 3 ans sur un territoire pilote, le département du Var. Ce dernier a été sélectionné pour trois raisons principales :
L’activité de pescatourisme a alors connu un certain essor, mais une fois les projets expérimentaux terminés, une diminution du nombre de navires pratiquant le pescatourisme a été observée. À ce jour, en Méditerranée française cette activité est en perte de vitesse et de moins en moins de pêcheurs la pratiquent de façon régulière en raison, comme pour les autres régions françaises, de la réglementation jugée contraignante et coûteuse par les pêcheurs (formations, compétences médicales, aménagements des bateaux, etc.).
Le pescatourisme s’inscrit toutefois dans un véritable développement durable local de l’espace maritime et constitue une réelle diversification de l’activité de pêche entraînant des revenus complémentaires pour les pêcheurs et une diminution de l’effort de pêche. À ce titre, cette activité a été récemment reconnue à l’échelle méditerranéenne comme une source sérieuse de soutien à la pêche professionnelle aux petits métiers qui devrait être soutenue en assouplissant la réglementation.
Lien utile : http://gordon.science.oregonstate.edu/ science-mpa/science-mpas-med
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