L’ensemble des anomalies climatiques envisagées par les scénarios d’émissions du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (horizons 2020, 2050 et 2080) entraîne un élargissement de l’enveloppe bioclimatique vers le nord et l’ouest de la France. L’évolution des éclosions de la principale espèce de moustique très nuisible du littoral méditerranéen, Aedes (Ochlerotatus) caspius, a été étudiée en 2012 dans un contexte de changement climatique. Inféodée aux zones humides d’eau saumâtre à submersions temporaires, cette espèce est active de mars à octobre, passant l’hiver à l’état d’oeufs diapausants (développement en arrêt). Un modèle d’occurrences d’éclosions a été développé à partir de la base de données des interventions quotidiennes de l’Entente interdépartementale pour la démoustication du littoral méditerranéen, sur la période 2004-2009. Les caractéristiques du sol, la température minimale, la photopériode, l’amplitude des températures, et à un degré moindre, les précipitations, les irrigations artificielles à des fins agropastorales ou cynégétiques, ainsi que leur variabilité, constituent les principaux facteurs qui expliquent la dynamique d’Aedes caspius.
Le scénario intermédiaire, à l’horizon 2050, entraîne l’allongement de la période d’activité qui serait à la fois plus précoce de 15 jours et plus tardive de 26 jours. Comme l’ont montré différentes études sociologiques, les nuisances exprimées par les populations résultent de l’interaction entre la présence de moustiques et certains modes de vie. À ce titre, dans le sud de la France hexagonale, les niveaux de nuisance ressentis les plus élevés sont concentrés pendant la période estivale, durant laquelle les modes de vie et les loisirs tournés vers l’extérieur exposent davantage habitants et touristes aux piqûres de l’insecte anthropophile. L’augmentation des températures allongerait la période d’activité des moustiques, mais aussi la période de vie en plein air des êtres humains, ce qui les exposerait de ce fait à un temps de nuisance accru.
Les arbovirus transmis par les moustiques, tels que la dengue, le chikungunya et la fièvre jaune, constituent quant à eux des problèmes de santé publique sérieux compliqués par la récente dissémination à l’échelle planétaire. Cette dernière est essentiellement due aux transports intercontinentaux passifs des deux vecteurs d’origine tropicale, bien adaptés au milieu urbain, Aedes aegypti et le moustique tigre Aedes albopictus (photos 9 et 10). L’implantation de ce dernier en zones tempérées résulte de sa capacité à passer l’hiver à l’état d’oeufs diapausants. Les modèles mathématiques, qui extrapolent les effets du changement climatique, indiquent une absence de modifications majeures à l’avenir dans la répartition mondiale de ces vecteurs très nuisibles, mais une évolution des modes de transmission des agents pathogènes.
Photos 9 et 10. Aedes albopictus, femelles se gorgeant (©Jean-Baptiste Ferré, EID Méditerranée)
Des travaux scientifiques ont démontré une relation étroite entre la température et la réplication virale chez les moustiques, donnant lieu à un raccourcissement de la période d’incubation extrinsèque (cycle du virus dans le moustique), une augmentation du taux d’infection et une dissémination plus rapide, bien que cela varie selon l’espèce et le virus. Ainsi, Aedes albopictus et Aedes aegypti seraient moins infectés par les virus du chikungunya et de la fièvre jaune à haute température, mais le seraient davantage par le virus de la Dengue.
L’augmentation de l’aire de répartition d’Aedes albopictus sur le littoral méditerranéen français n’est pas passée inaperçue auprès des acteurs locaux et des populations. Elle expose à une nouvelle nuisance des populations jusqu’alors moins soumises aux moustiques anthropophiles, soit par faible présence d’espèces autochtones, soit du fait de l’efficacité des politiques de démoustication menées dès les années 1960. Les populations font confiance au système de santé français pour gérer d’éventuelles épidémies d’arboviroses. En termes de gestion, l’un des problèmes centraux relatif à la prolifération d’Aedes albopictus est son caractère urbain et domestique qui nécessiterait à l’avenir une prise en compte de la réduction de la formation des gîtes larvaires dès la conception des espaces urbains et du bâti, idéalement dans une logique d’habitat durable et anti-vectoriel.
Des précipitations abondantes, telles que les épisodes cévenols, peuvent entraîner la mise en eau de nombreux micro-gîtes urbains anthropiques généralement secs, ce qui a pour conséquence une augmentation de l’abondance des populations du moustique tigre. Les modélisations récentes ont montré que sa diffusion et son établissement dans le sud de la France dépendent davantage des activités humaines (transport notamment) et de l’utilisation des sols que du changement climatique.
En ce qui concerne le paludisme, selon l’origine géographique, la capacité à transmettre les espèces parasitaires, pathogènes pour l’homme (espèces plasmodiales), diffère sensiblement en fonction du type de moustiques adultes (anophèles), seuls vecteurs des agents pathogènes. Jusqu’à récemment, les espèces européennes Anopheles labranchiae et Anopheles sacharovi n’étaient pas considérées aptes à transmettre des souches africaines de Plasmodium falciparum, mais de nouvelles études sur leur compétence vectorielle sont en cours. Actuellement, si le paludisme menace principalement les voyageurs en zone intertropicale, les possibilités d’une résurgence en Europe existent par l’importation de souches plasmodiales transmissibles par des vecteurs autochtones européens ou de vecteurs d’autres continents profitant des modifications climatiques pour augmenter leur zone d’expansion. Les enquêtes sociologiques ont montré que la mémoire collective relative au paludisme est parfois encore vive dans certaines régions, comme la Camargue et la Corse, mais fait en revanche l’objet d’une relative amnésie collective dans d’autres, comme en ex-région Rhône-Alpes. Une éventuelle réémergence paludéenne aurait de ce fait des effets inégaux d’une région à l’autre, autant en termes d’acceptation que de savoir-faire en matière de prévention et de protection.
ZOOM 6. Interactions entre zones humides et mer dans un contexte de changement climatique
Situées à l’interface entre les écosystèmes terrestres et marins, les zones humides littorales sont des écosystèmes dynamiques et souvent instables, en particulier le long des plaines côtières bordant la mer Méditerranée. Depuis des siècles, elles ont connu d’importantes transformations notamment pour les besoins de l’agriculture, la saliculture, la pêche, la navigation et plus récemment l’industrie et le tourisme. Le changement climatique vient ainsi s’ajouter aux pressions exercées sur ces espaces. Les cours d’eau, les plans d’eau et les zones humides sont parmi les habitats naturels les plus sensibles au changement climatique. L’augmentation de la température de l’eau menace, par exemple, directement la persistance d’espèces animales et végétales associées aux eaux douces courantes ou stagnantes. Les changements de températures et de précipitations auraient des conséquences complexes sur les cycles biochimiques. Par exemple, la hausse de la température entraînerait des décalages phénologiques dans les cycles de développements phytoplanctoniques et zooplanctoniques, favorisant le développement de marées vertes, avec pour corollaire une demande accrue en oxygène résultant de la décomposition du phytoplancton. Ce processus aurait potentiellement des conséquences sur les concentrations en oxygène à l’interface sédiment-eau, dont l’un des effets augmenterait le relargage du phosphore contenu dans le sédiment. En raison des sécheresses plus accentuées et prolongées, une partie des zones humides littorales devrait connaître des assèchements plus prononcés. Des épisodes orageux plus fréquents augmenteraient l’érosion des bassins-versants et la sédimentation dans les milieux aquatiques. Globalement, des fluctuations plus importantes des niveaux d’eau sont attendues. L’adaptation de la faune et la flore à ces changements dépendra de l’étendue, de la vitesse, des périodes et de la fréquence des fluctuations.
L’élévation du niveau marin, dont les effets peuvent être localement accentués par la subsidence, va générer des inondations et le déplacement des habitats naturels situés en plaines côtières, accentuer l’érosion littorale (photo 11), augmenter les phénomènes de submersions marines et leurs impacts, et entraîner la salinisation et le rehaussement des nappes côtières. Le recul des lidos sableux, situés entre la mer et les étangs, aura pour conséquence le comblement progressif des lagunes arrière-littorales. L’élévation du niveau marin va d’autre part accentuer les difficultés d’évacuation gravitaire des eaux des lagunes vers la mer, avec pour conséquence une augmentation du risque inondation. Elle aura aussi pour effet d’accroître la part des apports d’eau de mer dans le bilan hydrique des lagunes côtières, avec, selon les étangs considérés, une tendance à la salinisation ou à la « marinisation » (remontée progressive de l’eau de mer dans les terres).
L’élévation du niveau marin et de la nappe salée affectera aussi certaines zones humides d’eau douce proches du littoral qui deviendront de plus en plus saumâtres, ce qui conduira à un remplacement des communautés animales et végétales, avec la disparition ou le déplacement plus en amont des espèces strictement liées aux eaux douces.
Les végétations pionnières à salicornes, les fourrés halophiles et les steppes salées, qui sont des habitats naturels situés à une altitude inférieure à 1 m audessus du niveau marin moyen, devraient se déplacer vers des niveaux topographiques plus élevés, si l’aménagement sur le littoral permet cette mobilité. Les prévisions suggèrent qu’après translation, les habitats type prés salés vont régresser, tandis que les gazons à salicornes annuelles et les fourrés halophiles devraient potentiellement progresser pour occuper une superficie plus importante qu’actuellement, d’autant plus si la stratégie adoptée par les pouvoirs publics est celle du recul stratégique.
Les changements d’usages induits par le changement climatique auront aussi des conséquences importantes sur les zones humides littorales et leurs interactions avec la mer. En Camargue, les salines qui ont été cédées au Conservatoire du littoral, à partir de 2008, incluent en particulier des secteurs sévèrement exposés à l’effet conjugué de l’érosion et de l’élévation du niveau marin. Le nouveau propriétaire a fait le choix du recul stratégique et de la renaturation. La gestion plus souple du trait de côte se traduit par l’arrêt des travaux coûteux de maintenance des ouvrages de défense situés en front de mer, qui pourront être remplacés par des aménagements situés à l’intérieur des terres, plus pérennes et répondant mieux aux enjeux de protection des biens et des personnes contre les submersions marines sur le long terme. Les échanges hydrobiologiques entre la mer et les lagunes s’en retrouvent renforcés. Cet exemple montre comment l’élévation du niveau marin peut constituer une opportunité pour repenser la gestion des territoires littoraux, en redonnant plus de place à la naturalité du fonctionnement des zones humides littorales.
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