3.L’avenir des posidonies sur le littoral régional

Photo 7. Une inflorescence de Posidonia oceanica, à Port-Cros (Provence), en octobre 2015. La floraison a lieu en automne, ce qui peut sembler surprenant. La floraison automnale s’observe également chez des végétaux terrestres méditerranéens (©Jean-Georges Harmelin)

La posidonie Posidonia oceanica est une magnoliophyte (plante à fleurs) endémique de la mer Méditerranée, c’est-à-dire qu’elle ne vit nulle part ailleurs (photo 7). Elle y est présente presque partout, de la surface à 20-40 m de profondeur, sur substrat meuble et plus rarement sur substrat rocheux. Elle n’est absente que dans les eaux trop froides (nord de l’Adriatique), trop chaudes (Liban, Israël) et trop dessalées (les embouchures du Rhône et des fleuves côtiers).

La posidonie est « ingénieur » de l’écosystème nommé « herbier de posidonie » (photo 8). Ce dernier est à l’origine de services écosystémiques considérables, dont la valeur annuelle par hectare est parmi les plus élevées au monde, terre et mer confondues : frayère et nurserie pour des espèces d’intérêt commercial, fixation des sédiments, protection des plages contre l’érosion, source de matière organique pour les autres écosystèmes côtiers, y compris à plusieurs centaines de mètres de profondeur.

Photo 8. Un herbier de posidonie (Posidonia oceanica) à Port-Cros (©Sandrine Ruitton)

La posidonie est sensible à un certain nombre d’activités humaines, principalement les aménagements côtiers, le chalutage, la turbidité et l’eutrophisation. À l’échelle de la Méditerranée, sa régression serait comprise entre 5 et 20 %, ce qui est relativement modeste (par comparaison avec d’autres habitats). En Provence et surtout sur la Côte d’Azur, le taux de régression serait compris entre 4 % (régressions prouvées depuis un siècle) et 16 % (régressions dont l’ancienneté n’est pas connue).

Le changement climatique menace-t-il directement l’herbier de posidonie ? À première vue, non. La posidonie vit et est dominante dans une large gamme saisonnière de températures, de 10°C (en hiver) à 28-30°C (en été). Dans notre région, les modèles ne prédisent pas, d’ici la fin du XXIe siècle, des températures estivales supérieures à 28-30°C en mer. La posidonie peut même bénéficier du réchauffement dans les régions où les basses températures hivernales constituaient jusqu’ici un facteur limitant (Languedoc, nord de l’Adriatique, mais aussi Provence occidentale), en particulier pour la floraison et la fructification.

Qu’en est-il des effets indirects ? Les effets de l’augmentation de la teneur en dioxyde de carbone (CO2) et de l’acidification ne sont pas clairs : positifs, neutres ou négatifs ? La montée du niveau marin diminue le bilan lumineux en limite inférieure de l’herbier. Il en résulte la remontée de la profondeur de compensation et la régression de l’herbier. Cela s’observe déjà à Port-Cros et en Corse. Pour le moment, la vitesse de montée de la mer (environ 3 mm par an) est compatible avec la croissance verticale des posidonies, et les pertes (en limite inférieure) sont compensées par des gains (en limite supérieure). Mais la vitesse s’accélère : 40 mm par an sont envisagés à la fin du XXIe siècle, ce qui ne sera plus compatible avec la croissance de la posidonie. Un autre danger les guette : les poissons-lapins du genre Siganus, entrés en Méditerranée par le canal de Suez, qui sont des herbivores voraces. Le réchauffement favorise leur progression vers l’ouest et le nord de la Méditerranée. Dans notre région, ils menaceront sérieusement de surpâturage les herbiers de posidonie (mais aussi les forêts de macroalgues, lire §4.1). D’autres espèces introduites (invasions biologiques) seront aussi impliquées.

Au total, l’herbier de posidonie ne constitue sans doute pas l’écosystème le plus directement menacé par le changement climatique. D’autres facteurs, liés aux activités humaines, sont plus préoccupants. En revanche, les impacts indirects (montée du niveau de la mer, invasions biologiques) pourraient menacer sérieusement les posidonies de la Provence et de la Côte d’Azur.

Un aspect important mérite d’être souligné : l’herbier de posidonie, en séquestrant à long terme du carbone dans la « matte » (rhizomes et racines, vivants ou morts, pratiquement imputrescibles, qui s’accumulent au-dessus du fond initial), contribue à atténuer les effets des rejets anthropiques de CO2. Aux Baléares, l’équivalent de 10 % des rejets anthropiques de CO2 est séquestré, chaque année, dans les mattes de posidonies. Inversement, la mort de P. oceanica et l’érosion des mattes remettent en circulation le carbone séquestré pendant des millénaires. La destruction des herbiers à P. oceanica constitue ainsi une sorte de « bombe à retardement » qui peut être comparée à celle des toundras en milieu continental.

ZOOM 5. Le peuplement des poissons de Méditerranée et le changement climatique

Sous l’effet du réchauffement des eaux et de la stratification (eau chaude persistante à la surface), le peuplement des poissons en Méditerranée est potentiellement menacé par le changement climatique à court, moyen et long terme. Les principales causes sont :

  • une « méridionalisation » : remontée des espèces méditerranéennes du sud du bassin vers le nord (la girelle paon, par exemple) et déplacement du bassin oriental vers l’occidental (le barracuda). À l’opposé, des espèces d’affinité d’eau froide (le sprat, par exemple) pourraient disparaître ;
  • un milieu plus favorable à l’épanouissement d’espèces d’origine tropicale, en provenance de l’océan Atlantique, de la mer Rouge ou encore de l’océan Indien. Ces espèces invasives peuvent pénétrer seules en Méditerranée par le détroit de Gibraltar, par exemple, ou profiter de l’aide de l’homme pour se déplacer (canal de Suez, transport par bateaux, aquaculture, aquariums…).

Ces modifications dans la biodiversité se traduisent par un changement de relations entre les espèces. La principale crainte réside dans l’arrivée d’espèces de poissons herbivores (notamment les poissons lapins du genre Siganus, Cf. 2.3) depuis la mer Rouge. Ils pourraient entraîner une régression importante des grandes formations végétales (forêts de Cystoseira, par exemple). Les mers tropicales se différencient également des mers tempérées, comme la Méditerranée, par la présence de nombreuses espèces toxiques (vénéneuses ou venimeuses). Leur introduction pourrait avoir des conséquences socio-économiques importantes : intoxications des pêcheurs ou des consommateurs, plongeurs blessés… En Méditerranée orientale, le poisson-lion (Pterois volitans et Pterois miles), le poisson-pierre (Synanceia verrucosa) et le fugu (Lagocephalus sceleratus) sont déjà arrivés.

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