4.Les moyens d’observation en mer

Le changement climatique que nous connaissons actuellement est un processus rapide à l’échelle des temps géologiques, mais relativement lent à l’échelle d’une vie humaine. Pour évaluer son ampleur, les scientifiques ont besoin de séries d’observations enregistrées sur de longues périodes. Afin de suivre l’évolution du climat et ses effets locaux, il est en effet nécessaire de s’appuyer sur des historiques de données d’au moins deux décennies qui permettent de s’affranchir des phénomènes météorologiques présentant des oscillations à l’échelle pluriannuelle. On peut citer, par exemple, l’alternance El Niño et La Niña qui se répète tous les 5 à 10 ans, et qui empêche donc de détecter une tendance au réchauffement avec des séries de longueur inférieure à deux cycles. Il est donc important de disposer d’un réseau de mesures dense et efficace, pérenne, assurant une collecte continue de données hydrologiques, hydrographiques et biologiques à une fréquence (journalière, hebdomadaire…) adaptée aux phénomènes étudiés.

Et c’est là que le bât blesse, en particulier en mer et sur le littoral, car cette collecte de données s’avère très exigeante. En premier lieu se posent des contraintes opérationnelles et techniques : il faut mobiliser du personnel et du matériel dédié (instruments de mesures) par tous les temps et toute l’année. L’observation systématique des événements extrêmes (tempêtes, par exemple) permet de préciser leur fréquence d’occurrence et leur intensité qui évolueront peut-être en fonction des effets du changement climatique. Ce sont ces événements extrêmes qui imposent les plus lourdes contraintes techniques, car la résistance et la fiabilité des instruments de mesure sont mises à rude épreuve. La technologie évolue, mais le matériel s’use vite en mer et doit être régulièrement réparé ou remplacé. Lors de son remplacement, une inter-calibration est indispensable afin que les variations enregistrées ne dépendent pas du type de capteur ou de mesures biaisées. À ces contraintes techniques s’ajoutent les contraintes institutionnelles : le déploiement d’un réseau de mesures nécessite le soutien de financements publics pour assurer la maintenance du matériel, la collecte et la diffusion des données, la pérennité du système, l’indépendance vis-à-vis d’intérêts particuliers. Ce type d’investissement, pourtant indispensable, est difficile à justifier pour une entreprise privée, car il n’apporte pas de bénéfices à court ou moyen terme. Aujourd’hui, c’est malheureusement aussi le cas pour les organismes publics qui hésitent à investir dans des dispositifs qui ne fourniront des données exploitables pour suivre l’évolution du climat qu’après une période de 20 ans de mesures. En conséquence, les sites d’observation du milieu marin sont encore rares. Heureusement, les progrès technologiques permettent maintenant de multiplier les observations autonomes sur plusieurs types de plates-formes : mouillages, gliders (planeurs sous-marins), profileurs ARGO (flotteurs dérivants en subsurface qui permettent une vision 3D de la mer en réalisant des mesures de salinité et de température), navires d’opportunité. En mer Méditerranée, où il est important de surveiller les bassins oriental et occidental pour mieux comprendre les interactions, des sites sont équipés pour effectuer des mesures locales (température de la mer, évolution du pH…). Des observations sont réalisées à Marseille et Villefranche-sur-Mer, deux sites appartenant à des réseaux d’observation nationaux. Sur les 50 dernières années, elles ont permis de détecter sans équivoque une augmentation de la température des eaux superficielles, ainsi qu’un changement de saisonnalité, avec des étés plus précoces et souvent plus longs. Plus récemment, elles semblent suggérer une diminution du pH des eaux de surface. Au niveau biologique, elles sont beaucoup plus variables et donc plus difficiles à interpréter. Elles révèlent des changements dans la composition des communautés de plancton (dérivant au gré des courants marins), mais il ne se dégage pas de tendance nette à l’augmentation ou à la diminution du nombre des organismes.

ZOOM 4. Plongée scientifique : un développement nécessaire pour le littoral et la zone côtière

L’exploitation des fonds océaniques s’intensifie aujourd’hui, particulièrement en zone côtière. Les impacts des nouveaux usages (exploitation de granulats, fixations d’éoliennes en mer, développement d’infrastructures de forage, etc.) s’ajoutent aux impacts des effluents, polluants et macro-déchets d’origine terrestre. L’amélioration des connaissances du milieu marin est essentielle pour mettre en place une « économie bleue » (volet maritime de la stratégie Europe 2020), associant la recherche et l’innovation technologique, l’utilisation durable des ressources, la compétitivité et la création d’emplois en faveur d’une croissance intelligente, durable et inclusive.

Les capteurs installés sur des engins autonomes à large rayon d’action ont permis des progrès significatifs pour cartographier, mesurer et comprendre les environnements marins. Leur utilisation est plus limitée sur le littoral et dans les eaux côtières, zones les plus sensibles aux pressions et aux effets des changements climatiques, et où vit la majeure partie de la biodiversité aujourd’hui menacée. Pour la plongée à caractère scientifique (photo 5), la gamme de profondeur de ces zones est la plus utilisée. Le développement des systèmes de surveillance intelligents s’appuie sur les compétences des chercheurs en matière de plongée et les nouvelles technologies.

Les méthodes de suivi par télédétection ou réalisées à la surface représentent aussi une part significative de notre connaissance du milieu marin, surtout sur les 15 à 20 premiers mètres. L’utilisation de capteurs immergés apporte aussi un complément de connaissances indispensables à une description plus réaliste de ce milieu en 3D. L’observation, l’expérimentation, la maintenance, la récupération ou le remplacement des capteurs immergés rendent incontournable l’intervention des plongeurs. En effet, ces capteurs ne peuvent pas toujours se substituer à l’homme et une partie complémentaire de l’expertise, principalement dans le domaine des sciences de la vie, s’effectue obligatoirement en plongée : recherche de nouvelles ressources, recensements d’espèces, cartographie d’habitats, expertise de l’état écologique d’un milieu ou de l’effet de mesures compensatoires ou d’évitement d’impacts. Par ailleurs, la taille des objets pertinents en biologie et en écologie est souvent inférieure à la résolution spatiale des images acquises par télédétection.

En France, le cadre juridique de la plongée scientifique est fixé par la loi (décret n°2011-45 du 11 janvier 2011). Il impose le Certificat d’aptitude à l’hyperbarie. Il définit les matériels, types de plongée, risques, normes de sécurité, rôles, responsabilités, aptitudes et formation pour la pratique de toute plongée réalisée dans le cadre des institutions de recherche. Le décret instaure 4 classes de plongeurs limitées par une profondeur maximale (12, 30, 50 et > 50 m). Tout plongeur scientifique est astreint aux dispositions qui concernent la formation, l’encadrement, les équipements, comme la pratique des opérations de plongée ou le suivi médical. Les standards de formation français ont servi de base à l’établissement des standards européens. La plongée scientifique demande des infrastructures et la mise en place de nouveaux moyens d’investigation en plongée dans des zones plus profondes. Le développement des recycleurs et des mélanges gazeux, tout en augmentant la sécurité permettra des interventions dans la zone des 100 m. Il est intéressant de noter que nous en savons moins sur les fonds marins que sur le sol de la lune : au-delà de 200 m de profondeur, moins de 10 % du relief des fonds marins est connu, selon l’Organisation hydrographique internationale.

Photo 5. Prélèvement de pontes de gorgones rouges (Paramuricea clavata)
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