3.Les conséquences sur la production électrique

Augmentation de la température des cours d’eau et conséquences sur la production des centrales thermiques

Si les rejets thermiques des centrales thermiques et nucléaires à circuit ouvert élèvent la température de l’eau des fleuves, la température de l’eau peut à son tour affecter leur fonctionnement à cause de restrictions physiques et légales.

Les limitations physiques sont liées à la réduction de l’efficacité du cycle de Carnot avec une augmentation de la température. Ainsi, l’augmentation de la température de l’eau restreint la capacité de réfrigération des centrales thermiques et nucléaires et diminue l’efficacité de la production d’énergie. Une augmentation de la température de l’eau de +1 °C entraîne une perte de production d’électricité d’une centrale nucléaire d’environ 0,5 % et peut atteindre ou dépasser 2 % en cas de sécheresse ou de vague de chaleur. Ces limites physiques ne sont toutefois pas de nature à diminuer significativement la production à l’échelle d’un pays comme la France où les centrales nucléaires à circuit ouvert sur un fleuve sont minoritaires. Les arrêtés de rejets réglementaires donnent un cadre strict, en termes de débit et de température, au fonctionnement des centrales thermiques à circuit ouvert ou fermé.

Ainsi, du fait de l’augmentation de la température de l’eau, de la baisse des débits et des arrêtés de rejets, une réduction de la capacité de fonctionnement des centrales thermiques et nucléaires est attendue. Cette situation peut entraîner une restriction de la production électrique pendant les périodes très chaudes afin de respecter les limitations légales relatives à la pollution thermique, consécutive à la diminution ou à l’arrêt de la production. Il faut mentionner les épisodes de vagues de chaleur de 2003 et 2009 durant lesquelles plusieurs centrales françaises ont dû arrêter leur production. De plus, en période de canicule la demande électrique augmente à cause d’un usage accru de la climatisation. Ainsi, du fait d’une production réduite et d’une demande croissante, le prix de l’électricité est susceptible d’augmenter. Ce fut le cas en 2015. L’adéquation des arrêtés de rejets avec les impacts effectifs sur l’environnement doit être réinterrogée au fil de l’avancée des recherches scientifiques.

Les conséquences sur la production hydroélectrique

La gestion d’une réserve hydraulique à objectifs multiples se trouve sous la double dépendance de l’évolution des apports, notamment ceux en provenance de l’amont de la retenue et de l’évolution des besoins en eau à desservir en aval (débits environnementaux, irrigation, alimentation en eau potable (AEP), industrie, etc.). La gestion de la réserve hydraulique assure dans ce contexte un rôle de mise en cohérence entre l’offre de ressource naturelle (en générale abondante au printemps, surtout dans un bassin à composante nivale) et la demande en eau anthropique (forte en période d’étiage estival). Elle doit aussi être assurée en tenant compte des contraintes pesant sur la cote et bien sûr du rôle énergétique qu’occupe la réserve hydraulique dans le système électrique.

Le climat apparait naturellement comme un facteur clé pouvant modifier les grands déterminants de la gestion de la réserve hydraulique. L’évolution de la demande en eau liée au contexte territorial constitue un autre volet pouvant avoir des effets de même ordre de grandeur.

Photo 13. Lac de Serre-Ponçon ©Patrice Estachy

D’un point de vue climatologique, en France et plus particulièrement dans la partie méditerranéenne du sud-est du territoire, le changement climatique a principalement un impact sur l’élévation des températures de l’air (entre +1 et +2 °C, si on compare la période 1985-2015 à la période 1948- 1984). À l’horizon 2050, les projections climatiques (GIEC3) utilisée dans le cadre du projet R2D2 2050 (§ 3.2) proposent une élévation de la température moyenne de l’air de 1 à 3 °C, par rapport à la période 1980-2009. L’impact sur l’intensité des précipitations et/ou sur leur volume annuel n’est pas avéré, aussi bien dans le passé que dans le futur. On peut observer éventuellement de légères modifications (à la baisse ou à la hausse) des cumuls saisonniers. D’un point de vue hydrologique, compte-tenu des processus hydrologiques dominants, l’impact de l’augmentation des températures peut modifier la saisonnalité des débits (avancement dans la saison de l’onde de fonte) et diminuer les débits estivaux, au travers d’une augmentation de l’évapotranspiration réelle. Le volume annuel d’écoulement devrait être à la baisse avec une conséquence directe sur la production électrique.

D’un point de vue territorial et contextuel, l’augmentation des températures de l’air a des effets sur l’ensemble des usages de l’eau (notamment, électricité, irrigation et production AEP). Ces effets conduisent principalement à une augmentation des prélèvements et/ou de la consommation de l’eau (à périmètre des productions et méthodes de transport/adduction de l’eau constants), ce qui peut mettre le système de multi-usages de l’eau en tension, compte-tenu des enjeux et contraintes de chacun de ces usages, et rendre nécessaire la mise en oeuvre de stratégies d’adaptation. Comparativement aux impacts directs, les impacts indirects sur la production hydroélectrique sont difficiles à estimer et d’ordre de grandeur au moins comparables car les usages sont interdépendants. Ces évolutions, inscrites dans un contexte de multi-usages et de coévolution des territoires sur les bassins versants et les zones d’usages connectées, sont susceptibles de modifier les équilibres d’usages et de gouvernance.

Concernant le fonctionnement hydrologique des bassins versants de montagne captés par des barrages réservoirs, tels que Serre-Ponçon et Sainte Croix qui sont les plus volumineux dans le Sud-Est, l’augmentation des températures de l’air a principalement un impact sur la modification du régime nival des apports et des impacts sur la réduction de leur module annuel (5 à 15 %). De manière générale et simplifiée, la modification du régime nival se traduit par une avancée dans le temps de l’onde de fusion, avec une réduction de la pointe de fusion et une augmentation relative des débits des mois autour de la période du maximum de fusion. L’avancement de l’onde de fusion de quelques semaines induit un déphasage entre le remplissage de ces grands réservoirs et les besoins des usages connexes tels que le tourisme ou l’irrigation. Par ailleurs, l’augmentation des températures de l’air (et donc de l’évapotranspiration) peut également avoir pour effet de générer des étiages tardifs à l’automne en sollicitant davantage les réserves constituées.

Figure 20. Exemple d’impact de la variabilité hydrométéorologique et de l’augmentation des températures de l’air sur le régime hydrologique de la Durance à Briançon (548 km²). Données issues de ANATEM Hydro (Kuentz, 2013)

Les bassins versants de plus faible altitude sont également touchés par l’augmentation des températures de l’air, avec une incidence sensible sur les écoulements sous l’effet de l’évapotranspiration, se traduisant par une réduction du module annuel. Dans un bassin aménagé interconnecté, doté de grands réservoirs comme celui de la Durance et du Verdon, la réduction des ressources des bassins versants de plus faible altitude reporte potentiellement les prélèvements vers les réserves en amont.

La figure 20 illustre la modification du régime hydrologique des apports sur la Durance, en illustrant la variabilité des régimes hydrologiques sur 30 années consécutives entre 1900 et 2010. Cette figure illustre deux effets : la variabilité hydrométéorologique avec des décennies caractérisées par une hydraulicité plus ou moins forte (intensité du débit au maximum de la fusion) et une évolution des régimes hydrologiques avec une variabilité de la date d’atteinte du maximum de la fusion de quelques semaines (par exemple, deux semaines entre 1960-1990 et 1980-2010).

L’évolution des régimes a un impact sur la gestion des aménagements et la production hydroélectrique en rendant plus délicate l’adéquation entre l’optimisation énergétique, la maîtrise des déversements en cas de crue, et le respect des contraintes touristiques et/ou agricoles, que traduit la courbe-guide de remplissage de la retenue, en raison du déphasage grandissant entre les apports naturels et les demandes en eau. En effet, ces évolutions obligent l’exploitant à être plus prudent dans sa gestion s’il veut conserver la même probabilité de satisfaction des différents usages, et peuvent le conduire à souhaiter remettre en cause le cadre de gestion établi.

ZOOM 3. Analyse de sensibilité de l’impact du changement climatique sur le taux de remplissage d’un barrage réservoir

Comme le montre la figure 21, l’augmentation des températures de l’air est un facteur de premier ordre sur la gestion des retenues en créant une fonte plus précoce. Dans cet exercice où la cote touristique a été considérée comme prioritaire devant l’énergie, la retenue est moins creusée pour garantir la tenue de la cote en période estivale. Si la diminution des précipitations apparaît ici comme un facteur de second ordre, elle a néanmoins pour impact de réduire encore un peu plus les amplitudes de variations de la cote du fait de la réduction des débits entrants. Les deux effets combinés ont pour conséquence de modifier la saisonnalité du remplissage de la retenue, avec une avancée significative des dates du minimum et du maximum de la cote. Sur cet exemple, le choix de donner la priorité au remplissage et à l’alimentation en eau réduit les degrés de liberté de gestion. Il met en évidence un impact sur la production hydroélectrique, sa flexibilité, et sa valorisation pour le système électrique, du fait de la réduction sensible du volume stocké turbinable en période hivernale et au printemps, lorsque les besoins énergétiques sont les plus importants.

Figure 21. Exemple d’analyse de sensibilité de l’impact du changement climatique sur le taux de remplissage d’un barrage réservoir avec une double contrainte de production d’électricité et de cote objective. En noir : Courbe de référence et deux hypothèses d’augmentation de la température. En bleu et rouge, impact cumulé de la réduction respective des précipitations de 10 et 20 %. Reproduction de la figure publiée par François et al. (2014)

En synthèse et compte-tenu de l’ensemble des incertitudes liées au changement climatique et aux devenirs des territoires, on peut retenir que le devenir de l’offre de ressource naturelle est tout aussi important que l’évolution de la demande en eau des différents usages. La réserve hydraulique est à l’interface entre offre et demande en eau et sera donc soumise aux effets du climat sur ces deux termes (direct et indirect). En plus de jouer un rôle d’équilibre sur la sphère « eau », elle participe activement à un rôle d’équilibre dans la sphère « énergie ».

Le changement climatique, en plus de modifier l’énergie produite annuellement, peut conduire à un accroissement des contraintes de gestion préjudiciable au rôle essentiel de l’hydraulique dans l’équilibre offre-demande du système électrique.

Rechercher
Newsletter