L’agriculture de montagne subit aussi les effets du changement climatique dans les Alpes du Sud. Comme en plaine, les contraintes liées au climat se multiplient (stades phénologiques avancés, gel précoce et tardif, saison estivale plus longue, apparition de maladies sur les cultures, gestion de l’eau…). Pour éviter de subir les impacts des changements ou du moins les limiter, la communauté scientifique propose des pistes d’adaptation et d’atténuation pour accompagner toute la profession agricole (agriculteurs, techniciens, collectivités…) qui commence à s’organiser pour partager les expériences, mettre en œuvre de nouvelles pratiques culturales, mutualiser les outils et les moyens, saisir les opportunités… Le dialogue entre les acteurs de terrain et les chercheurs prend d’ailleurs des formes originales et contribue à une meilleure compréhension des enjeux à court, moyen et long terme.
Pour éviter les contraintes d’irrigation et donc les problèmes d’accès à l’eau lors des périodes sèches, le sorgho pourrait remplacer le maïs. Les conditions resteraient favorables au développement des prairies jusqu’à 1400-1500 m d’altitude. Il serait toutefois possible de remplacer le ray-grass anglais par le ray-grass italien ou hybride (anglais/italien) plus adapté aux températures plus élevées. Il serait également intéressant de tester la chicorée fourragère qui résiste au froid et à la sécheresse. Jusqu’en 2050, les zones d’estives naturelles s’étendraient jusqu’à 1600, voire 1800 m d’altitude.
Avec la hausse des températures, des maladies se développeront probablement sur les cultures avec une remontée de la rhynchosporiose qui affecte l’orge, le triticale, mais aussi d’autres graminées (prévoir jusqu’à 20 à 30 % de perte).
La principale activité agricole dans la vallée est l’élevage (Photo 7), notamment l’élevage de vaches allaitantes. La majorité des éleveurs ont un cheptel de moins de 100 têtes : exploitations extensives avec un chargement faible, soit un nombre d’animaux limité par surface agricole utile. D’après les vétérinaires ruraux, le réchauffement climatique encourage l’apparition d’insectes dans la vallée de la Blanche, susceptibles de transmettre des maladies, dont dès à présent la besnoitiose.
Le vecteur est la mouche stomoxe qui pique la nuit et se nourrit de sang de bovins et d’équidés. Cette maladie peut engendrer une baisse de rendement conséquente qui se traduit par une perte économique pour l’éleveur. Les mouches gênent aussi l’animal pour se nourrir, induisant une perte de gain moyen quotidien. La besnoitiose recolonise la France depuis l’Espagne, alors qu’elle était en voie de disparition.
Pour mettre en évidence les impacts du changement climatique sur l’agriculture méditerranéenne en moyenne montagne, une enquête expérimentale a été menée par le département « Génie Biologique » de l’Institut universitaire de technologie de Dignes-les-Bains, en partenariat avec le GREC-SUD et la Maison de la météo et du climat des Orres (MMCO). Pour illustrer les changements potentiels à l’avenir, une série d’indicateurs climatiques et agronomiques a été sélectionnée.
Aux horizons 2030 et 2050, d’après les projections climatiques du modèle climatique Aladin-Climat et le scénario socio-économique RCP 4.5 (intermédiaire), dans la vallée de la Blanche, l’orge, le blé tendre et le triticale ne subiraient pas de fortes contraintes climatiques entre 900 et 1400 m d’altitude.
Le changement climatique a des effets sur l’ensemble de l’arc alpin, mais aussi à l’échelle de tous les massifs français. Pour illustrer la situation dans le Massif central, encourager le dialogue et la coopération inter-massifs, des résultats du projet AP3C sont présentés ici. Ce dernier a été lancé en 2015 avec pour ambition de produire des informations localisées pour une analyse fine des impacts du changement climatique sur le territoire, en vue d’adapter les systèmes de production du Massif central et de sensibiliser l’ensemble des acteurs. Il est animé par le Service InterDépartemental pour l’Animation du Massif central (SIDAM) avec les compétences de onze chambres départementales d’agriculture et de l’Institut de l’élevage.
Cette initiative est née de la volonté des acteurs du monde agricole d’anticiper les évolutions du climat. Elle combine une triple expertise climatique, agronomique et systémique.
Sur le volet climatique, des projections de paramètres climatiques à l’horizon 2050 ont été produites pour mieux évaluer les changements :
Sur le volet agronomique, l’objectif est de proposer de nouvelles pratiques à l’échelle parcellaire. Des indicateurs agroclimatiques sont fournis pour traduire l’information climatique en une information agronomique : date de dernière gelée de printemps, date de première gelée d’automne, échaudage, date de fauche…
Ces indicateurs montrent par exemple que la cinétique de pousse de l’herbe sera marquée par un cycle de végétation plus précoce avec une avancée plus marquée en altitude, un cycle de végétation plus court en plaine, des gels de printemps, des fortes chaleurs qui stopperont la pousse de l’herbe en été, des températures automnales favorables au développement des prairies… De nouvelles pratiques culturales s’opéreront. Les premiers apports d’azote, la date de mise à l’herbe et les dates de récolte seront plus précoces. Les fortes températures de l’été induiront un besoin d’affouragement. Le développement des mélanges variétaux est à prévoir, tout comme l’implantation de prairies sous couvert pour limiter l’évapotranspiration. Les agriculteurs opteront pour des variétés de prairies à fort enracinement ou optimisant la pousse printanière. Une modification de la diversité floristique dans les prairies naturelles est aussi à attendre.
La pousse des céréales sera marquée par une reprise de végétation plus précoce, un risque de gel au printemps et un échaudage en été. Les récoltes seront plus précoces qu’aujourd’hui. Pour limiter le risque de gel de printemps, les agriculteurs auront la possibilité de semer plus tard, d’opter pour des variétés à montaison tardive. En plaine, les choix s’orienteront vers des variétés plus précoces afin d’éviter les périodes d’échaudage. Des pistes ont aussi été identifiées pour le maïs. Des indicateurs agroclimatiques hydriques permettront d’affiner l’analyse.
Sur le volet systémique, c’est le fonctionnement du système d’exploitation dans son ensemble qui évoluera : augmentation du ratio stock/pâture, développement du pâturage tournant, déplacement des dates de vêlage, évolution des assolements, hausse des capacités de stockage…
Ainsi, l’adaptation au changement climatique fait appel à une grande diversité de leviers et nécessite l’implication de l’ensemble des acteurs qui composent et entourent le monde agricole.
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