3.Les feux de forêt vont-ils progresser en montagne ?

Les incendies de forêts et de milieux naturels sont présents quasiment partout, des milieux boréaux aux zones tropicales, en montagne comme en plaine. Par comparaison avec les zones méditerranéennes, les territoires montagnards sont caractérisés par une moindre activité des incendies de forêts : en effet, leur climat humide et frais limite l’extension spatiale des incendies, et la densité relativement faible des activités humaines limite le nombre de départs de feux. Pourtant, les incendies sont présents depuis l’Holocène (10 000 dernières années) en montagne, avec une activité localement forte. L’analyse des cicatrices de feux passés sur les troncs ou des charbons de bois dans les sols montrent par exemple que le feu est passé environ tous les 100 ans dans certaines forêts de mélèzes ou de manière rapprochée (quelques années) dans des pelouses pâturées et brûlées par l’homme. Les feux d’origine humaine destinés à la culture sur brûlis ou à l’écobuage, ou plus rarement les feux déclenchés par la foudre, ont ainsi profondément modifié la végétation alpine en diminuant la présence d’espèces sensibles au feu (sapin, frêne, tilleul) et en favorisant des espèces résistantes.

Au cours des dernières décennies, environ 130 incendies ont été recensés par an dans les Alpes du Sud en France, et environ 35 dans les Alpes du Nord. Le régime d’incendie est caractérisé par des feux de petite surface (< 10 ha), d’intensité faible à moyenne, se déplaçant principalement dans les litières, la végétation herbacée et ligneuse basse, avec deux pics d’activité annuelle : en été et en hiver (principalement en mars). Du fait de ces caractéristiques, les impacts humains et économiques des incendies restent limités, mais les impacts écologiques peuvent être forts.

Les incendies de forêts sont gouvernés par trois facteurs clefs : le climat qui contrôle l’état hydrique de la végétation, la végétation qui sert de combustible et les activités anthropiques qui génèrent l’essentiel des départs de feux. L’activité incendie a évolué durant la période récente du fait des changements climatiques, de l’évolution de l’occupation du sol et des activités humaines. Dans les Alpes françaises, les changements climatiques en cours ont déjà conduit à une nette augmentation de l’indice forêt météo (IFM) qui estime le niveau d’humidité de la végétation et d’intensité potentielle du feu.

Cette évolution est marquée partout dans les Alpes du Sud et, à basse altitude, dans les Alpes du Nord. La saison propice aux incendies s’est allongée de 3 semaines au sud (légèrement plus en altitude) et 1 semaine au nord (essentiellement en dessous de 800 m d’altitude) durant les 60 dernières années. La zone géographique propice aux feux s’est aussi étendue en altitude et vers le Nord.

La période de retour d’IFM élevé a diminué partout. Enfin, la fenêtre météo d’opportunité pour les incendies (nombre de jours consécutifs avec un IFM > 10) a nettement augmenté. L’ensemble de ces évolutions est plus marqué dans les Alpes du Sud à basse altitude (< 800 mètres). La forêt méditerranéenne est donc clairement la plus exposée au risque d’incendie croissant.

Ces changements climatiques ne sont pas partout traduits par une augmentation parallèle des incendies car environ 90 % des incendies sont allumés par l’homme. Mais les conditions sont réunies pour une évolution rapide : un climat plus favorable, une végétation forestière en expansion, un recul des activités agricoles et pastorales qui entretiennent la végétation et maintiennent les paysages ouverts, et une multiplication des activités humaines (accroissement de la population, habitat, infrastructures, industries, tourisme). Les évolutions seront probablement différentes suivant les conditions climatiques, environnementales et socio-économiques régionales. Les scénarios futurs penchent vers une augmentation de l’aléa et du risque lié à l’évolution des enjeux humains, écologiques et économiques dans la zone alpine. Une stratégie de mitigation et d’adaptation est donc nécessaire sur le moyen terme pour limiter les départs de feux et leurs impacts sur les espaces naturels et les activités humaines : débroussaillement à proximité des espaces habités, gestion forestière plus active, meilleure information de la population sur le risque croissant.

Bien connaître les zones à risque d’incendie et l’impact des feux sur les forêts est particulièrement important dans les Alpes : en effet, une grande partie des forêts alpines ont un rôle de protection. Elles limitent l’érosion et les chutes de blocs en aval. En 2003, le passage d’un grand incendie au-dessus de Grenoble (massif du Néron) a déclenché des chutes de blocs sur les maisons et les infrastructures situées dans les vallées en aval, par un effet « cascade ».

« La saison propice aux incendies s’est allongée de 3 semaines au sud (légèrement plus en altitude) et 1 semaine au nord (essentiellement en dessous de 800 m d’altitude) durant les 60 dernières années. La zone géographique propice aux feux s’est aussi étendue en altitude et vers le Nord »

Pour contribuer à la gestion durable de ces territoires, Irstea a récemment développé une cartographie (Figure 12) et une typologie des peuplements les plus vulnérables au passage du feu. Des simulations numériques permettent aussi d’évaluer l’effet du passage d’un feu en termes d’augmentation de la probabilité de chutes de blocs dans les différents types de peuplements.

Figure 12. Évaluation numérique de la teneur en eau de la litière et d’autres combustibles légers, grâce à la carte de l’indice d’humidité des combustibles fins (FFMC : Fine Fuel Moisture Code). Les fortes valeurs de FFMC correspondent aux conditions les plus sèches. Concernant la tendance linéaire observée sur la période 1959-2015, plus la pente est élevée, plus l’augmentation de l’aléa incendie est élevée (source : Dupire et al., 2017)

Zoom 2. Les effets des mouvements de terrain sur les équipements routiers et touristiques

Comme l’ont démontré les récents évènements du Chambon et du Pas de l’Ours, les populations montagnardes vivent en permanence sous une menace d’enclavement au gré des aléas naturels susceptibles de couper les accès aux vallées. L’enjeu routier est une composante primordiale pour la pérennité et le développement des territoires de montagne. Or, si les zones urbanisées se sont majoritairement développées dans des secteurs sécurisés, les axes de communication traversent des zones à risques parfois importants. Ce faisant, l’enclavement temporaire de certains villages est habituel sur des durées variables selon l’événement :

si l’événement (avalanche, coulée de boue, chute de pierres…) a peu d’impacts sur les ouvrages routiers, la durée d’isolement est courte (quelques jours). En amont, il est possible de limiter les dégâts en mettant en place des parades de protection qui s’avèrent toutefois coûteuses et qui nécessitent un entretien permanent pour optimiser leur efficacité ;

si l’événement est plus significatif (glissement de terrain ou effondrement par exemple), avec des dommages substantiels au niveau du patrimoine routier, il est nécessaire de mettre en œuvre des stratégies de résilience, afin d’assurer la pérennité des activités humaines. Comme il est parfois impossible de se protéger d’un événement majeur, il est primordial d’anticiper le risque d’enclavement en créant de nouveaux accès et en chiffrant le coût des conséquences socio-économiques sur les populations locales. Un riche panel d’acteurs locaux doit être impliqué dans la réflexion menant à la résilience.

Dans le cas du glissement de terrain du Pas de l’Ours, situé sur la rive droite du Guil (commune d’Aiguilles), une route provisoire (Photo 4) a été construite, les réseaux ont été déplacés, un plan de secours a été élaboré pour assurer le passage à la population locale. Par ailleurs, une stratégie de développement durable est en cours d’élaboration avec comme objectif de maintenir une attractivité du territoire : la création d’un sentier pédagogique, par exemple, est envisagée en face du glissement. Les évolutions climatiques semblent toutefois favorables à l’augmentation de l’occurrence des évènements extrêmes et par conséquent, un accroissement du risque d’enclavement des vallées de montagne est à craindre ces prochaines décennies.

Les dommages sur les constructions et les équipements touristiques sont aussi problématiques. Le pylône de la gare supérieure du télésiège de Bellecombes (Les Deux-Alpes, 2711 m d’altitude), construit sur un glacier rocheux, est par exemple affecté par les mouvements du terrain sous-jacents causés par la dégradation du permafrost (Photo 5). Durant l’été 2013, sa réimplantation a été nécessaire pour des raisons de sécurité.

Photo 4. Glissement de terrain au Pas de l’Ours (photo prise depuis la route provisoire)
Photo 5. Pylône de la gare supérieure du télésiège de Bellecombes affecté par les mouvements du terrain
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