Le cahier «Mer et littoral»

Ce cahier se focalise sur les conséquences du changement climatique sur la mer et le littoral méditerranéen, symboles de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Trente-neuf chercheurs et experts issus d’organismes publics et privés se sont mobilisés pour aider les décideurs et gestionnaires à mieux anticiper les effets du changement climatique et à mettre en oeuvre des actions susceptibles de favoriser les politiques d’adaptation et d’atténuation des gaz à effet de serre (GES). Ce cahier, comme les précédents, invite le lecteur à prendre conscience des enjeux et des risques tout en délivrant des recommandations. Pour aller plus loin, les décideurs et gestionnaires ont la possibilité de se rapprocher de la communauté scientifique pour réduire la vulnérabilité de leur

territoire à court, moyen et long terme. Le dialogue permanent et les échanges d’expériences enrichissent les débats et favorisent l’émergence de solutions innovantes adaptées au contexte régional et/ou local.

Ce document se base sur les travaux des chercheurs qui ont accepté d’apporter leur contribution, et de manière plus large sur les résultats obtenus par la communauté scientifique. Tout lecteur peut demander la liste complète des références bibliographiques (Cf. Pour aller plus loin). Vous retrouverez tous les contributeurs à la fin du cahier (version pdf) ou bien sur la page thématique "mer et littoral" (GTT).

  1. Avant-propos

    Pour approfondir les connaissances diffusées dans la publication générale du Groupe régional d’experts sur le climat en Provence-Alpes-Côte d’Azur (GREC-PACA), animé par A.I.R. Climat, et apporter des réponses spécifiques, le comité régional d’orientations (CRO) a constitué des groupes de travail thématiques (GTT). Ces derniers sont composés de chercheurs de toutes les disciplines et de spécialistes du climat, qui contribuent à la rédaction de cahiers thématiques destinés aux décideurs et gestionnaires des territoires de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur : élus, ingénieurs et techniciens des collectivités locales ou des espaces protégés ou encore des grands équipements, mais aussi responsables d’associations et d’entreprises. L’objectif est de décrypter les résultats scientifiques et les enjeux du changement climatique pour informer et sensibiliser le public visé à l’échelle régionale et locale. Par thème, une synthèse de travaux scientifiques est proposée afin d’évaluer les impacts du changement climatique sur le territoire et de proposer des pistes de travail concrètes. Ce nouveau cahier se focalise sur les conséquences du changement climatique sur la mer et le littoral méditerranéen, symboles de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

    Photo 1. Plage Napoléon (illustration, ©Marie-Laure Lambert)

    Trente-neuf chercheurs et experts issus d’organismes publics et privés se sont mobilisés pour aider les décideurs et gestionnaires à mieux anticiper les effets du changement climatique et à mettre en œuvre des actions susceptibles de favoriser les politiques d’adaptation et d’atténuation des gaz à effet de serre (GES). Ce cahier, comme les précédents, invite le lecteur à prendre conscience des enjeux et des risques tout en délivrant des recommandations. Pour aller plus loin, les décideurs et gestionnaires ont la possibilité de se rapprocher de la communauté scientifique pour réduire la vulnérabilité de leur territoire à court, moyen et long terme. Le dialogue permanent et les échanges d’expériences enrichissent les débats et favorisent l’émergence de solutions innovantes adaptées au contexte régional et/ou local.

    Ce document se base sur les travaux des chercheurs qui ont accepté d’apporter leur contribution, et de manière plus large sur les résultats obtenus par la communauté scientifique. Tout lecteur peut demander la liste complète des références bibliographiques (Cf. Pour aller plus loin).

  2. Introduction générale

    Avant de découvrir les différentes contributions des chercheurs du GREC-PACA, il est important de préciser certaines notions et le contexte régional afin de mieux cerner les enjeux du changement climatique qui concernent la frange littorale méditerranéenne et plus particulièrement la Provence-Alpes-Côte d’Azur.

    Le littoral

    « Littoral » est un terme complexe qui s’interprète différemment selon l’angle physique, juridicoadministratif, scientifique ou littéraire considéré.

    Sur un plan biologique, on peut limiter la côte à l’espace occupé par les espèces végétales liées à la zone intertidale ou à la zone d’embruns et d’humectation. Un océanographe s’intéressera à la dynamique des eaux et des sédiments, à cette interface terre-mer, un écologue aux écosystèmes et à leur fonctionnement, un géomorphologue plutôt au trait de côte lui-même. Sur un plan démographique et économique, seront pris en compte les territoires participant directement à l’économie maritime.

    Sur un plan juridique, les limites littorales terrestres sont définies suivant un découpage administratif et par différentes lignes en mer, comme la limite de mer territoriale (12 milles nautiques) par exemple.

    Suivant les thématiques abordées sur le territoire et les données mobilisées pour son suivi, le géographe utilisera plusieurs définitions pour délimiter le littoral terrestre et son arrière-pays.

    D’un point de vue écologique, le littoral marin est divisé en étages dont les types de peuplements varient en fonction de la profondeur. À partir de la surface, on rencontre (Figure 1) :

    • l’étage supralittoral, jamais immergé, mais fortement humidifié par les embruns ;
    • l’étage médiolittoral, soumis à la contrainte des vagues (et des marées) ;
    • l’étage infralittoral, totalement immergé : sa limite inférieure correspond à la limite de pénétration de la lumière et de la capacité des espèces à réaliser la photosynthèse (entre 30 et 40 m de profondeur ; correspond à la limite des herbiers de posidonie). Cet étage abrite le plus grand nombre d’organismes ;
    • l’étage circalittoral, dont la limite profonde est celle compatible avec la vie des algues pluricellulaires sciaphiles (70 à 120 mètres ; milieu propice au coralligène).
    Figure 1. L’étagement en Méditerranée (redessiné, d’après Bellan-Santini D., Lacaze J.-C. et Poizat C., 1994). Le système phytal est un milieu marin où la lumière solaire est suffisante pour la photosynthèse

    Chaque pays a ses critères administratifs, juridiques et scientifiques, ce qui rend impossible une définition universelle du littoral. Ainsi, aux États-Unis, le Coastal Zone Management Act (CZMA, titre III, section 301, 1972) donne un point de vue à la fois pragmatique et philosophique important sur l’organisation de l’espace : la zone côtière est riche d’une variété de ressources naturelles, commerciales, récréatives, écologiques, industrielles, esthétiques de valeur immédiate et potentielle pour le bien-être actuel et futur de la Nation, mais sans non plus préciser de limites.

    La zone littorale est considérée soit comme une ligne de contact entre la terre et la mer (bord, côte, rivage), soit plus largement comme une zone sous l’influence de la mer (littoral). Dans ce cahier, le littoral signifiera la zone d’interaction des dynamiques de l’hydrosphère, de la lithosphère et de l’atmosphère, en y intégrant les effets de l’action anthropique. C’est de fait un espace mal délimité, donc peu facile à aménager et à gérer.

    La loi littoral

    Suite à la prise de conscience en France de la valeur patrimoniale et de l’importance économique du littoral, une loi relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, dite « loi littoral », a été votée en 1986 (code de l’urbanisme) pour le mettre à l’abri des multiples convoitises, dont les ravages avaient pu être mesurés sur la côte méditerranéenne. Cette loi vise à encadrer l’aménagement de la côte pour la protéger des excès de la spéculation immobilière, et à permettre le libre accès du public sur les sentiers littoraux. Le littoral est désormais un espace que les pouvoirs publics tentent de protéger par la maîtrise foncière et la réglementation. La protection s’étend à la diversité géographique, géologique, floristique et faunistique, aux espaces rares ou sensibles, mais aussi à la diversité culturelle, artisanale et sociale. Cette protection n’empêche pas le développement économique traditionnel lié à la mer ou au tourisme. La loi littoral définit et liste les communes littorales où elle s’applique. En bord de mer, ce sont les communes maritimes, riveraines des océans, des lagunes ou des estuaires en aval de la limite transversale à la mer. Depuis le décret 2004, ont été ajoutées les communes d’estuaires, situées entre la limite de salure et la limite transversale à la mer.

    La Méditerranée

    La population totale des pays côtiers méditerranéens est d’environ 450 millions d’habitants (7 % de la population mondiale) à laquelle il faut ajouter environ 200 millions de touristes internationaux. Avec près de la moitié de la population méditerranéenne vivant près des côtes, le littoral méditerranéen figure parmi les zones les plus densément peuplées et les plus fortement urbanisées de la planète.

    En région méditerranéenne, la variabilité spatiale et temporelle des conditions climatiques, océaniques et hydrologiques est forte. Par sa situation entre climat tempéré des latitudes moyennes et climat plus chaud et sec de l’Afrique du Nord, par le fait qu’elle soit une mer semi-fermée entourée de montagnes et de régions littorales très urbanisées, la Méditerranée est reconnue comme l’une des régions au monde les plus sensibles au changement climatique.

    L’analyse des tendances observées des moyennes annuelles sur les 50 dernières années montre des évolutions du cycle de l’eau en Méditerranée avec, à l’échelle du bassin, une augmentation de la température, une diminution des apports des fleuves à la mer et des précipitations, ainsi qu’une augmentation de l’évaporation (bilan hydrologique négatif sans l’apport de l’eau de l’océan Atlantique). Les projections climatiques des modèles globaux ou régionaux indiquent que cette tendance va se poursuivre, avec une amplitude de ces changements qui dépend, principalement après 2050, des différents scénarios d’émissions des gaz à effet de serre (GES). Ces projections indiquent aussi une augmentation en fréquence et intensité des vagues de chaleur. Néanmoins, la distribution spatiale détaillée des changements de températures, et encore plus de précipitations, demeure encore incertaine.

    La question du changement climatique et de ses conséquences s’est installée, en deux décennies, au centre des préoccupations internationales. La science a établi la réalité de ce changement et a souligné que les écosystèmes et sociétés méditerranéennes étaient parmi les plus menacés de la planète. Même si elle ne représente que 1,5 % de la surface terrestre, la Méditerranée est exemplaire, car elle concentre nombre d’enjeux potentiellement catastrophiques pour la planète : sismicité, démographie galopante, réchauffement climatique, modification du cycle de l’eau, dégradation et fragmentation des habitats, atteintes à la biodiversité, répartition inégale des ressources, rapports Nord-Sud pouvant devenir conflictuels, flux migratoires, urbanisation côtière et littoralisation rapides.

    La recherche appliquée à la région méditerranéenne

    La Méditerranée est un espace de recherche privilégié pour de nombreuses disciplines scientifiques exactes, naturelles et humaines. Les conséquences de l’anthropisation créant des contextes inédits deviennent centrales pour la réflexion scientifique. De nouvelles approches de recherche pluridisciplinaire sont nécessaires pour en comprendre les modalités de fonctionnement et d’évolution. L’augmentation du socle des connaissances est indispensable pour appréhender la dynamique et les mécanismes du changement climatique, évaluer l’impact des intrants chimiques et autres polluants sur la santé des écosystèmes et des populations, caractériser la dispersion et l’intensité des usages qui impactent les écosystèmes côtiers marins et continentaux, réaliser le bilan sanitaire du bassin, évaluer et gérer les risques, favoriser la restauration par l’adaptation, la conservation des ressources et la prévention. Les risques sont liés :

    • aux variations climatiques elles-mêmes (sécheresses, feux, érosion du littoral, modifications de la dynamique marine et des cycles biogéochimiques) ;
    • à l’industrialisation, à l’urbanisation et aux transports (pollution de l’air, de l’eau, des sols et des ressources vivantes) ;
    • aux impacts des usages et pratiques sur la quantité et la qualité des ressources minérales et vivantes, sur la biodiversité, ses fonctions et ses services.

    Cette approche complexe du fonctionnement et des fonctions du système exige des infrastructures et des moyens d’observation et d’analyse des milieux et des populations, des stratégies de terrain adaptées au long terme, mais aussi au court terme, et à la saisonnalité particulièrement marquée en Méditerranée.

    Un rôle primordial de la science est d’estimer et de réduire les incertitudes, mais celles-ci ne doivent pas être un prétexte à l’inaction, car il est peu probable que ces incertitudes, qui dépendent des politiques publiques mises en oeuvre ou non, disparaissent complètement. Les résoudre progressivement permettra de mieux comprendre les chaînes causales qui relient le climat et les paramètres environnementaux et anthropiques, et d’agir sur les conséquences du changement global. La science ne fait pas que le constat des risques : elle est capable de fournir des solutions innovantes pour dépasser les blocages qui ralentissent ou empêchent l’atténuation du changement climatique, mais aussi pour faciliter l’adaptation en tenant compte des spécificités du contexte environnemental et sociétal de la région méditerranéenne. La science est l’outil, même s’il est imparfait, le mieux à même de concilier la lutte contre le changement climatique, les objectifs du développement durable et le financement du développement. Ses résultats doivent aider à fonder les politiques publiques nécessaires à l’atténuation et à l’adaptation.

    Les avancées de la science aideront peu à peu à résoudre le paradoxe des différentes temporalités entre les actions à mettre en œuvre à court terme (sécurité alimentaire et sanitaire, besoin énergétique des pays émergents, lutte contre la pauvreté), et celles à déployer à moyen et/ou long terme qui visent la préservation de l’environnement terrestre et des océans contre les effets du réchauffement climatique, et la décarbonation des économies qu’impose la lutte contre ce réchauffement. Il est urgent d’agir. Deux voies d’action sont possibles au niveau des politiques publiques et des acteurs des territoires (Figure 2) : l’atténuation du changement climatique et l’adaptation au changement climatique.

    Figure 2. Schéma décrivant les concepts d’adaptation et d’atténuation (redessiné, d’après GIEC 200110)

    La situation en région Provence-Alpes-Côte d’Azur

    Le littoral de Provence-Alpes-Côte d’Azur abrite à la fois d’importants linéaires de côtes rocheuses (Côte Bleue, massif des Calanques, corniche des Maures), de vastes étendues de plages sableuses (Camargue, golfe de Fos, Hyères), des zones humides et des secteurs artificialisés. Le littoral évolue sous l’influence des dynamiques naturelles et de l’action de l’homme. En fonction du contexte, le littoral peut être stable, en progression ou en recul. La connaissance, la compréhension, l’anticipation des phénomènes d’érosion (sur les côtes meubles et rocheuses) et de submersion marine constituent un enjeu majeur pour les acteurs publics, tant d’un point de vue environnemental qu’anthropique avec de forts enjeux humains, économiques et sociaux. Les effets du changement climatique sur le niveau des mers amplifient cette problématique.

    Le linéaire côtier de Provence-Alpes-Côte d’Azur s’étend sur 1035 km (43 % de la façade méditerranéenne française). Il court sur 3 départements et concerne 65 communes, certaines « lagunaires », sans accès direct à la mer. De nombreux secteurs d’emploi sont directement liés à l’économie maritime, dont le tourisme. Près de 46 % des eaux françaises de Méditerranée sont couvertes par au moins une aire marine protégée (contre 23,4 % en moyenne pour l’ensemble des eaux de la métropole).

    La région Provence-Alpes-Côte d’Azur est riche sur le plan faunistique, floristique et paysager, aussi bien dans le domaine marin que terrestre. Les espaces naturels sont encore présents, mais ils s’altèrent au contact des principaux espaces de peuplement. Plus de la moitié du territoire régional est couvert par des zones naturelles d’intérêt écologique faunistique et floristique (ZNIEFF). Le réseau Natura 2000 couvre plus de 40 % des communes littorales de la région. Les deux seuls parcs nationaux de la métropole ayant au moins une partie de leur périmètre en mer sont situés en région PACA : le parc national de Port-Cros et celui des Calanques. Par ailleurs, la région abrite quatre réserves naturelles nationales (Camargue, Coussouls de Crau, Marais du Vigueirat, Plaine des Maures) et de nombreux sites du Conservatoire du littoral.

    La population de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur est très urbanisée, avec un taux de plus de 94 % et une périurbanisation très marquée. Près de 80 % de la population de la région (soit environ 5 millions) habite sur le littoral où se développent les plus grandes villes régionales qui sont aussi des ports importants de la mer Méditerranée : Marseille, Nice et Toulon.

    Le tourisme est un secteur particulièrement important : fort de son climat et de la variété de ses paysages, la Provence-Alpes-Côte d’Azur est la 2ème région touristique de France, après l’Île-de-France. Le tourisme d’hiver a émergé sur la Côte d’Azur dès le XIXe siècle pour une riche clientèle étrangère. Il a été complété par le tourisme d’été populaire à partir des années 1950, qui a gagné l’ensemble du littoral. La forte fréquentation touristique est polarisée sur le littoral. Avec 165 millions de nuitées, la PACA capitalise, en 2011, 60 % de nuitées de la façade méditerranéenne et le quart de celles des départements littoraux métropolitains.

    Ce surdéveloppement a pour conséquence une augmentation de la pression anthropique et de l’impact environnemental, avec une raréfaction des zones où l’environnement est à l’état presque pur et non atteint par l’anthropisation. La menace est rendue encore plus réelle avec le réchauffement climatique.

    Photo 2. Coralligène de la baie de Marseille (©Fred Zuberer/CNRS-OSU Pythéas)

    La concentration des usages et des pressions est nette à proximité des côtes : rejets directs dans le milieu et apports fluviaux, conchyliculture et pêche, artificialisation du trait de côte, plaisance, fortes densités de déchets marins et de pollutions en mer… C’est particulièrement le cas sur le littoral de PACA où le niveau d’artificialisation et la pression de la plaisance sont généralement élevés. Les habitats sur lesquels portent les plus forts enjeux sont majoritairement côtiers ou peu éloignés des côtes (herbiers de posidonies et coralligène). De 20 à 70 m et plus en profondeur selon la transparence de l’eau, se développe le coralligène (photo 2). C’est l’un des principaux paysages marins de la Méditerranée côtière générant une complexité structurelle à laquelle est associée une très grande richesse spécifique (près de 1700 espèces). Le coralligène, présent en France essentiellement sur les côtes de Provence-Alpes-Côte d’Azur et Corse, fournit des biens et des services à plusieurs secteurs (pêches artisanales et de loisir, joaillerie, plongée). La pollution, les ancrages, le chalutage et la fréquentation du plongeur peuvent causer sa dégradation, alors que la pêche traditionnelle et la pêche à la ligne affectent principalement les espèces cibles. Le changement climatique représente une pression supplémentaire sur ces habitats d’une grande importance écologique, socio-économique et patrimoniale.

    Constitué essentiellement d’algues rouges calcaires, les habitats coralligènes sont ou seront dépendants des limites de tolérance des espèces qui sont sensibles à la lumière (importance de la transparence et de la turbidité, permanente ou passagère, pour la photosynthèse), aux variations de la température et du pH de l’eau de mer. La calcification et la croissance de telles algues sont affectées par l’acidification des océans et les changements associés dans la chimie des carbonates. Cependant, les effets sur les populations et les réponses des communautés ont été peu étudiés. La composition des communautés évoluera probablement en fonction de la sensibilité des organismes qui réagissent différemment. Les impacts de l’acidification du milieu marin sur les principaux constructeurs vont au-delà du déclin de la calcification et de la croissance. Ils peuvent bouleverser la dynamique des populations et de l’écologie des communautés, mais aussi les processus de bioérosion. Dans tous les océans, les algues rouges corallines jouent un rôle majeur dans l’écologie et la structure des fonds durs photiques (zone marine traversée par la lumière) et de nombreux fonds meubles, et possèdent un important enregistrement fossile. Elles peuvent être utilisées comme un proxy idéal dans les études environnementales et de (paléo) climat. Les épisodes caniculaires récents (depuis 1999) entraînent des mortalités massives partiellement dues à la disparition de la thermocline et au contact prolongé de certains organismes avec de l’eau anormalement chaude, phénomène favorisant le développement de pathogènes. Ces épisodes ont montré la vulnérabilité de ce milieu. De plus, le réchauffement accélère l’introduction, voire l’invasivité d’espèces exotiques, dont certaines ont un impact négatif sur les habitats en les recouvrant, ce qui provoque une diminution du flux lumineux nécessaire à la photosynthèse. À une échelle plus locale, la disparition des gorgones favoriserait l’assemblage d’algues filamenteuses qui réduirait la complexité et la résilience du coralligène. Altérée par des facteurs divers, cette structure biogène, tout comme les herbiers de posidonies, sera confrontée à un changement et au probable déclin de sa biodiversité. Bien qu’encore difficiles à évaluer, les effets sur les services écosystémiques du coralligène seront potentiellement graves.

    Le littoral de la région comprend aussi des zones humides, telles que la Camargue (réserve naturelle nationale) ou encore les salins d’Hyères abritant de nombreuses espèces d’oiseaux protégés.

    Pourquoi ce cahier thématique ?

    Ce cahier thématique du GREC-PACA apporte un éclairage pluridisciplinaire balayant les phénomènes globaux impliqués dans les changements observés, comme l’augmentation de la température (air et mer), l’évolution des précipitations et des phénomènes météorologiques « extrêmes » (inondations, régime des tempêtes). Il décrit aussi les effets physiques déjà mesurables que sont l’élévation du niveau moyen de la mer, les changements de courants, la modification des vagues à la côte, ainsi que les effets sur les milieux (submersion, érosion, acidification des océans, salinisation des sols et des aquifères) et les écosystèmes (modifications des communautés, invasions biologiques, pullulation, toxicités et maladies émergentes). Enfin, les conséquences sur l’aménagement et la gestion du littoral sont discutées. Des pistes pour favoriser l’atténuation et l’adaptation sont aussi explorées (écotourisme, énergies marines), et les coûts de la mise en place des politiques publiques nécessaires sont abordés. Ce cahier n’est pas exhaustif. La réduction des émissions de GES, les innovations énergétiques dans les processus d’atténuation, la bio-indication responsable ou encore l’accès, la traçabilité et la circulation fluides des données environnementales sont traités dans les autres cahiers thématiques ou le seront ultérieurement.

  3. La relation entre la mer et le climat sur la côte méditerranéenne

    Dans quelle mesure le climat change-t-il sur le littoral de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et en mer Méditerranée ? Quels sont les impacts sur l’érosion des côtes, la circulation des courants, le niveau et l’acidité de la mer ? Quelle est la vulnérabilité du littoral face au changement climatique et aux activités anthropiques ? Quels sont les moyens d’observations et de surveillance aujourd’hui ? Pour apporter des éléments de réponses, des scientifiques font un état des lieux des connaissances.

    1. Le changement climatique sur le littoral régional et en mer

      Le climat passé, présent et futur en région Provence-Alpes-Côte d’Azur a été abordé à l’échelle régionale et locale dans un précédent cahier thématique accessible en ligne. Les connaissances présentées ici concernent les températures de l’air et les précipitations sur le littoral régional, mais aussi la température de surface et le niveau de la mer Méditerranée.

      Évolution des températures de l’air et des précipitations en Provence-Alpes-Côte d’Azur

      Sur le littoral de Provence-Alpes-Côte d’Azur, comme sur l’ensemble du territoire métropolitain, le changement climatique s’est déjà traduit par une hausse des températures de l’air, plus marquée depuis les années 1980. Sur la période 1959-2009, on observe une augmentation des températures annuelles de l’air d’environ 0,3°C par décennie. À l’échelle saisonnière, c’est l’été qui se réchauffe le plus, avec une hausse de 0,4 à 0,6°C par décennie.

      En cohérence avec cette augmentation des températures, le nombre de jours très chauds (température maximale supérieure à 30°C) et le nombre de nuits tropicales (température minimale supérieure à 20°C) ont augmenté. Par exemple, à Nice-aéroport, dans les années 1960, on enregistrait en moyenne une quinzaine de nuits tropicales par an contre une soixantaine aujourd’hui.

      Du fait de la proximité de la mer, le nombre de jours de gel n’est pas très élevé sur le littoral de Provence-Alpes-Côte d’Azur. Il a néanmoins diminué en moyenne de 5 à 10 jours depuis 1960 (plus de 15 jours à Fréjus : Figure 3). Au niveau des stations les plus proches de la mer, comme Nice et Toulon, une année sans gel n’est plus rare.

      Ces tendances vont se renforcer tout au long du XXIe siècle. Sur la frange littorale, la hausse des températures, selon les scénarios socio-économiques, sera de l’ordre de +2,5 à +5,5°C en été. Dans l’hypothèse la plus pessimiste, vers 2100, le gel sera absent sur l’ensemble des zones littorales de la région et le nombre de jours avec une température supérieure à 25°C augmentera fortement : 60 jours supplémentaires.

      Figure 3. Évolution du nombre de jours de gel à Fréjus (source : Météo-France)

      On constate également une évolution des précipitations. Les cumuls annuels de précipitations sont en effet en baisse sur la période 1959-2009 en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Cependant, ils présentent une très forte variabilité interannuelle, comme l’illustre le graphique du cumul annuel des précipitations à Nice (Figure 4).

      Figure 4. Cumul des précipitations à Nice : rapport à la référence 1961-1990 (source : Météo-France)

      L’année 2007, par exemple, a été très sèche à Nice, avec seulement 40 % du cumul moyen annuel, tandis que l’année 2014 a été exceptionnellement pluvieuse par rapport à la normale, avec un excédent de 60 %.

      Cette évolution à la baisse des précipitations est sans doute un signal du changement climatique, mais cela reste encore à préciser, car les tendances ne sont pas toutes statistiquement significatives. À l’échelle saisonnière, la baisse concerne principalement l’été et l’hiver.

      Sur la période étudiée, le nombre de jours de fortes pluies (cumul journalier de précipitations supérieur à 10 mm) est en baisse de 2 à 5 jours.

      L’étude de l’évolution des précipitations tout au long du XXIe siècle reste un défi majeur pour les climatologues. Néanmoins, des tendances se dessinent sur le bassin méditerranéen (à confirmer selon les résultats des projections climatiques en cours de réalisation) :

      • une baisse des précipitations moyennes, visible à partir du milieu du XXIe siècle, avec des périodes de sécheresse plus longues ;
      • des épisodes méditerranéens (pluies diluviennes) plus intenses à la fin du XXIe siècle.

      La hausse du niveau des mers du globe est principalement due à l’effet de dilatation des océans résultant de l’augmentation de la température de l’eau qui est observée depuis des décennies en Méditerranée : aux îles Medes en Catalogne, par exemple, la température de l’eau gagne +0,04°C par an depuis les années 1970. Grâce aux progrès instrumentaux, les scientifiques constatent également un réchauffement de l’eau profonde (+0,001°C par an). L’élévation du niveau moyen de la mer Méditerranée, ces 30 dernières années à Marseille, est d’environ 2,6 mm par an.

      Une étude récente, basée sur un ensemble de six simulations à une échelle de 10 km sur le bassin méditerranéen, a permis d’estimer la sensibilité de la réponse océanique en fonction du scénario socioéconomique et des forçages du modèle régional océanique. Ce dernier intègre les caractéristiques hydrographiques des eaux de l’océan Atlantique qui influencent la mer Méditerranée à travers le détroit de Gibraltar, les apports dessalés de la mer Noire et d’eau douce des rivières, les échanges d’eau et de chaleur avec l’atmosphère. Les simulations (Figure 5) concluent à une augmentation de la température de surface de la mer (jusqu’à 4°C) et de la salinité (entre 0,5 et 0,9 PSU) d’ici la fin du XXIe siècle, l’incertitude étant principalement liée au choix du scénario socio-économique dont dépendent les émissions de GES, mais aussi et surtout à l’évolution des entrées d’eau de l’Atlantique pénétrant par le détroit de Gibraltar. Or celle-ci n’est plus surveillée depuis 2012.

      Figure 5. Cartes des anomalies minimales et maximales des températures de surface (en °C) à la fin du XXIe siècle (par rapport à la fin du XXe siècle) estimées par un ensemble de six simulations (source : Adloff et al., 2015)

      Toutes les simulations mettent en évidence des changements importants et rapides de la circulation thermohaline des deux bassins méditerranéens (oriental et occidental) ; celle-ci deviendrait plus faible, avec une modification de la source d’eau profonde la plus dense en mer Egée, un phénomène appelé “Eastern Mediterranean Transient” qui est actuellement exceptionnel. Des modifications notables au niveau des courants de surface et de la dilatation d’origine thermique de la mer sont également détectées.

      L’effet de dilatation thermique seul contribuerait à une hausse du niveau de la mer Méditerranée, comprise entre 45 et 60 cm à la fin du XXIe siècle (Figure 6). Cet effet combiné aux différentes causes d’élévation du niveau global des océans, en premier lieu la fonte des calottes glaciaires, ferait monter le niveau de la mer Méditerranée d’environ 80 cm, ce qui correspondrait à la fourchette haute des projections climatiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Il faut cependant souligner que la contribution de l’augmentation de la fonte des calottes du Groenland et de l’Antarctique reste très incertaine : une augmentation du niveau de la mer de l’ordre de plusieurs mètres n’est pas exclue.

      Figure 6. Élévation du niveau de la mer à la fin du XXIe siècle sous le seul effet de la dilatation thermique (source : Adloff et al., 2015)

      ZOOM 1. Les courants marins de la mer Méditerranée

      La Méditerranée fonctionne comme un modèle réduit d’océan : elle transforme l’eau légère de surface en eau dense et profonde sous l’effet des interactions avec l’atmosphère, assurant ainsi la circulation thermohaline. La Méditerranée ne communique avec l’océan ouvert (Atlantique) que par le détroit de Gibraltar large de 15 km et profond de 350 m. Elle perd plus d’eau par évaporation qu’elle n’en reçoit des précipitations et des cours d’eau (fleuves, rivières) : si Gibraltar était fermé, ce qui était le cas il y a 5,5 millions d’années, le niveau de la mer baisserait de 50 cm à 1 m par an. Mais ce déficit est compensé à Gibraltar par l’apport de l’eau provenant de l’océan Atlantique (environ 1 million de m3 par seconde).

      Du fait de la forte évaporation liée au climat méditerranéen, l’eau résidente de la mer est plus dense que celle de l’océan Atlantique qui va ainsi déterminer la circulation et les courants de surface en Méditerranée (Figure 7). En hiver, dans la partie nord des deux bassins, les vents froids et secs (Tramontane, Mistral, Bora, Meltem) refroidissent l’eau de surface venant de l’Atlantique, accroissent sa salinité par évaporation et la mélangent aux couches sous-jacentes : sa densité va augmenter jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus se maintenir en surface, provoquant ainsi la formation d’eaux qui coulent à des niveaux intermédiaires (200 à 600 m de profondeur, dans le bassin oriental principalement) et profonds (jusqu’à 3000 m de profondeur). Une partie de ces eaux méditerranéennes va enfin sortir en profondeur à Gibraltar et retourner dans l’océan Atlantique.

      Figure 7. Les courants de la mer Méditerranée, révélés par les températures de surface (images satellitales), sont perturbés en permanence par des méandres, des tourbillons, des remontées d’eau froide (upwellings)… La température augmente du bleu au rouge (source : Taupier-Letage et al., 2013)
    2. L’acidification de la mer Méditerranée

      Les mers et les océans absorbent environ le quart du CO2 rejeté dans l’atmosphère par les activités humaines. Cela permet de modérer le changement climatique, mais entraîne un bouleversement de la chimie de l’eau de mer et notamment une augmentation de son acidité. L’acidification des océans décrit en fait de multiples changements : augmentation de la concentration en CO2 et en carbone inorganique dissous, diminution du pH (correspondant à une augmentation d’acidité) et de la concentration en ions carbonates.

      La mer Méditerranée ne fait pas exception. Par exemple, les mesures hebdomadaires réalisées dans la rade de Villefranche-sur-Mer depuis 2007 montrent sans ambiguïté la diminution du pH (Figure 8). La diminution est de 0,028 unités par décennie, ce qui est comparable à ce qui est mesuré dans d’autres régions du monde. On estime que l’acidité a augmenté d’environ 30 % depuis le début de la révolution industrielle et qu’elle pourrait tripler d’ici 2100, en fonction de l’évolution future des émissions de CO2.

      Figure 8. Évolution du pH en surface, exprimé sur l’échelle totale, à l’entrée de la rade de Villefranche-sur-Mer18 (source : Kapsenberg et al., 2016)

      Les impacts de l’acidification sont variables car les organismes marins ont des sensibilités différentes. Plusieurs organismes planctoniques sont affectés, ce qui suggère que la chaîne alimentaire méditerranéenne pourrait être altérée dans le futur. Des organismes planctoniques sont des proies indispensables pour certaines larves de poissons d’intérêt commercial : une diminution de leur abondance aurait donc des conséquences sur la pêche. La plupart des organismes qui ont un squelette (coraux) ou une coquille (huîtres, moules) calcaire sont plus sensibles que d’autres, comme, par exemple, les bactéries et les virus.

      Le réchauffement de la mer Méditerranée aura vraisemblablement des conséquences plus rapides et plus dramatiques que l’acidification. C’est notamment le cas pour les gorgones, qui ont subi des épisodes de mortalité massive lors de pics de températures.

      C’est également le cas pour les mollusques bivalves d’intérêt aquacole, secteur qui représente une source de revenus, d’emploi et de nourriture importante. Il a été montré qu’une augmentation de 3°C au-dessus du maximum estival de température conduit à une mortalité de 100 % des moules méditerranéennes.

      Mieux appréhender la vulnérabilité du littoral méditerranéen, aujourd’hui et demain, est indispensable en vue de protéger les côtes sableuses et rocheuses de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Mais avant d’évoquer les processus d’érosion susceptibles d’évoluer dans un contexte de changement climatique, il est important de comprendre les processus physiques qui régissent la houle et les phénomènes de submersion.

    3. La vulnérabilité de la côte méditerranéenne en région Provence-Alpes-Côte d’Azur

      La houle et les phénomènes de submersion sur la côte méditerranéenne

      Le littoral méditerranéen présente des caractéristiques très variées : grandes plages sableuses, du delta du Rhône au Roussillon ; côtes majoritairement rocheuses avec des « plages de poche », délimitées par des caps, en Provence-Côte d’Azur et Roussillon. La topographie des fonds marins est également très variée, avec la présence d’un plateau continental et de fonds lentement variables dans le golfe du Lion, et de pentes abruptes et d’îles en Provence-Côte d’Azur. Ces régions sont balayées par des vents forts de secteur nord à ouest, le Mistral ou la Tramontane, par conditions anticycloniques, et des vents d’est à sud-est, souvent associés à des conditions dépressionnaires et un temps pluvieux. Les conditions de houle à la côte vont dépendre de l’intensité du vent, de sa direction et de la distance sur laquelle le vent souffle sans rencontrer d’obstacles (fetch). Plus le vent est fort et plus il souffle sur une longue distance, plus la houle provenant du large sera grosse et de période élevée. Cette houle subit, en s’approchant de la côte, un ensemble de transformations (Zoom 2) qui contrôlent l’énergie qui va finalement impacter le littoral.

      En mer Méditerranée, le marnage est faible, de l’ordre de 20 cm. Les effets de variations de pression atmosphérique peuvent être beaucoup plus significatifs avec des décotes de 30 cm par conditions anticycloniques combinées à des vents de terre, et à des surcotes de 1 m par conditions dépressionnaires généralement associées à de forts vents marins. Une surcote est un facteur déterminant qui aggrave les impacts des tempêtes sur le rivage. En période de surcote, la houle est moins dissipée par les effets du fond et atteint la côte avec d’autant plus d’énergie. En outre, le niveau d’eau étant plus haut, plages et ouvrages sont beaucoup plus vulnérables. L’ensemble des forçages (vent, houle, niveau moyen) qui se conjuguent défavorablement provoque des évènements de submersion destructeurs lors des tempêtes.

      Pour simuler les conditions de houle à la côte (hauteur significative et direction), une modélisation de la propagation de la houle, tenant compte de la présence de bathymétries variables et de courants, est nécessaire. La hauteur d’eau le long du littoral est également un paramètre déterminant qu’il faut connaitre, d’une part pour une bonne prévision des conditions de houle à la côte et d’autre part pour mieux estimer les risques de submersion. Les surcotes marines, dont une partie significative est associée aux conditions barométriques, peuvent être plus importantes sur les plages exposées aux houles frontales et au vent de mer. Ces surcotes peuvent avoir également un effet significatif sur les inondations (épisodes de pluie le plus souvent associés à des régimes dépressionnaires), empêchant les fleuves côtiers de se déverser normalement en mer à cause de la réduction de la pente des écoulements.

      L’évolution du climat au cours du XXIe siècle jouera un rôle déterminant sur la formation de la houle et des phénomènes de submersion. La hausse du niveau de la mer et la fréquence des événements extrêmes seront, par exemple, des facteurs à surveiller.

      ZOOM 2. La houle, une onde de gravité

      La houle est générée par l’action du vent sur la surface de la mer. Sous l’effet de la gravité, les ondulations de la surface libre produites par le vent au large peuvent se propager sur de très grandes distances et traverser les océans. Les conditions de propagation de la houle évoluent en fonction des variations bathymétriques ou de courants. Elle est réfractée ou diffractée, c’est-à-dire qu’elle change de direction, ou encore réfléchie. Certaines parties de la côte sont alors abritées comme, par exemple, les fonds de baie, ou, au contraire, exposées par focalisation de son énergie au-dessus de hauts-fonds ou au voisinage de caps. Une partie de son énergie peut également être réfléchie par une variation abrupte de la profondeur d’eau (hauts-fonds rocheux, falaises, ouvrages de protection, etc.). À l’approche de la côte, les mouvements d’oscillation induits au fond conduisent à une dissipation accrue, en particulier sur les fonds rugueux (fonds escarpés, présence d’herbiers, etc.). La houle est d’autant plus dissipée à la côte qu’elle s’est propagée longtemps par faible profondeur d’eau (ordre de la dizaine de mètres).

      L’érosion des plages de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur

      Globalement, les plages de la région Provence-Alpes- Côte d’Azur s’organisent selon deux environnements aux réponses morpho-sédimentaires différentes :

      • les plages exposées à la houle du delta du Rhône (Camargue) connaissent une érosion généralisée (moins 2 m par an) due à un déplacement latéral des sables. Par exemple, les sables arrachés aux Saintes- Maries-de-la-Mer sont transportés par les courants vers le fond du golfe de Beauduc. Aujourd’hui, après 30 ans d’enrochements des plages, le bilan est mitigé. Le village des Saintes-Maries-de-la-Mer a été sauvé par ces pratiques, mais celles-ci accentuent l’érosion dans les zones limitrophes et, dans certains cas, les épis édifiés n’ont servi à rien ;
      • à l’est de Fos-sur-Mer, les plages protégées de la houle par des pointements rocheux sont généralement de petites dimensions sur la Côte Bleue, dans les Calanques, les Maures, l’Esterel et sur la Côte d’Azur, sauf au tombolo de Giens, dans le golfe des Lérins et la baie des Anges. L’érosion domine avec des vitesses de recul généralement comprises entre 10 et 30 cm par an, mais elles varient aussi en fonction des pratiques de génie côtier. Ainsi, les plages des Alpes-Maritimes sont artificiellement stabilisées grâce à des rechargements sédimentaires, contrairement aux autres zones.

      À l’avenir, ces deux types d’environnements montreront des réactions différentes face au recul du rivage et aux submersions marines en lien avec le changement climatique. Au cours du XXIe siècle, l’augmentation de la force et/ou la fréquence des tempêtes n’est pas encore établie, alors qu’une accélération de la montée du niveau de la mer est attendue. Les plages de Camargue en érosion possèdent suffisamment d’espace pour reculer et le rivage se positionnera en arrière, à plusieurs dizaines, voire centaines de mètres, si la fourniture en sable est suffisante. Les autres plages de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur disposent généralement d’une zone de repli réduite ou inexistante (photo 3), et leur recul, suite à la montée du niveau de la mer, se soldera par une disparition lente et progressive si la situation topographique et urbaine actuelle perdure.

      Photo 3. Une plage (adossée et bloquée par un muret) le long de la côte de l’Estérel menacée de disparition suite à la montée de la mer (©François Sabatier)

      Les effets du changement climatique ne se font pas encore ressentir sur les plages de la région, mais, à l’avenir, ils joueront un rôle majeur sur des rivages déjà fragilisés à cause d’un déficit sédimentaire qui dure depuis des siècles. L’ensemble des actions humaines sur les bassins-versants qui ne livrent plus suffisamment de sables aux plages en est la cause, ainsi que la construction d’enrochements mal conçus dont les effets secondaires apparaissent à long terme. Aussi, il convient de mettre en place des systèmes d’observations des plages afin de constituer un socle de connaissances indispensable aux générations futures qui devront relever le défi du maintien des plages pour lesquelles les services environnementaux présentent des enjeux touristiques vitaux pour la région.

      Érosion des côtes rocheuses et risques associés pour les usagers

      En région Provence-Alpes-Côte d’Azur, un tiers de la population vit sur 10 % du littoral méditerranéen et près de 40 % des côtes sont artificialisées. Cette pression démographique tend à s’accroitre et prend la forme d’une densification urbaine. Dans ce contexte, les phénomènes naturels, tels que les éboulements de falaises, font peser un risque croissant sur les riverains et/ou les usagers. En effet, des éboulements ont causé des accidents mortels ces dernières années qui concernent essentiellement des zones non urbanisées, faisant l’objet d’une fréquentation récréative (baignade, promenade). Pour éviter les accidents, la puissance publique a restreint l’accès aux secteurs les plus à risques, mais les usagers ne respectent pas toujours les interdictions.

      Les processus d’érosion sont aujourd’hui mieux connus. Trois principales actions conditionnent l’érosion des côtes rocheuses : la morphologie des reliefs, les propriétés intrinsèques de la roche et l’action des forçages météo-climatiques (précipitations, embruns, action des vagues, gel-dégel, etc.). Au regard des variations passées et actuelles de ces forçages, l’intensité et la fréquence de l’érosion varient dans le temps.

      Des travaux récents ont permis de caractériser l’ampleur de l’érosion aux échelles annuelles et plurimillénaires (Holocène), et même au cours du Quaternaire. Or la caractérisation de l’érosion selon les variations climatiques passées est l’une des clés pour mieux comprendre les phénomènes associés au changement climatique (intégration de l’impact de l’élévation du niveau marin, par exemple). À l’échelle annuelle, dans un contexte de faible activité gravitaire (avec un recul moyen des falaises d’environ 1 cm.an-1), des levés LIDAR embarqués sur un bateau ont permis de quantifier, à une résolution centimétrique, l’érosion des falaises sur une portion de la Côte Bleue (Figure 9). Ce travail a souligné l’influence de la saisonnalité typiquement méditerranéenne (tempêtes hivernales et précipitations automnales) sur l’occurrence de petits effondrements (volume ≤ 1m3).

      Figure 9. Quantification de l’érosion sur les falaises côtières de Carry-le-Rouet : (a) LIDAR embarqué sur bateau, (b) nuage de points issu du levé LIDAR, (c) analyse différentielle entre deux levés LIDAR (source : BRGM)

      De même, à l’échelle séculaire, la tendance évolutive de la côte régionale depuis le XXe siècle serait principalement régie par l’action des forçages annuels. Les précipitations généreraient une érosion totale légèrement plus importante sous forme de chutes de blocs et de reprises des glissements de terrain préexistants, alors que l’action des tempêtes engendrerait une érosion plus localisée en incisant l’intérieur des criques et des sous-cavages (creusements de la partie inférieure du front de la falaise). Toutefois, l’ampleur de cette érosion reste relativement faible (vitesse de l’ordre du mm à quelques cm par an) et s’apparenterait plutôt à la production d’évènements précurseurs (« bruit de fond ») qu’à une rupture plus conséquente des milieux rocheux. Ainsi, à l’échelle des temps courts (annuelle, séculaire), les falaises littorales subiraient plutôt une phase de dégradation préparant l’occurrence des futures instabilités gravitaires qui seraient bien plus conséquentes.

      L’action des prochaines tempêtes aux échelles pluriséculaires à millénaires sera déterminante. En effet, à l’échelle plurimillénaire, la dernière transgression marine (envahissement durable du littoral par la mer), associée à des tempêtes avec surcotes exceptionnelles, aurait provoqué une érosion significative de la côte régionale déjà altérée par des processus subaériens (actions mécaniques, physico-chimiques et biologiques). Cette double action aurait favorisé la création de plates-formes marines larges de plusieurs dizaines de mètres (Figure 10) et le déplacement de blocs de 33 tonnes.

      Figure 10. Plates-formes marines de la Côte Bleue (massif de la Nerthe) (a) (b) (c) (d) : plates-formes d’érosion présentes sur le niveau marin actuel / (e) (f) : surfaces d’érosion anciennes localisées au-dessus du niveau marin actuel, 12 à 40 m d’altitude (source : Jérémy Giuliano)

      Vu l’ampleur de ce type de tempêtes et compte tenu de l’élévation du niveau marin (Cf. §3.1) et de l’amplification encore incertaine mais probable des tempêtes, il sera essentiel d’intégrer l’impact potentiel des futurs forçages marins dans les problématiques d’aménagement du territoire et de gestion intégrée des risques côtiers.

      Des côtes rocheuses fragilisées par les activités anthropiques

      Dans les zones urbanisées exposées aux éboulements, des travaux de purge ou de confortement sont généralement privilégiés par les collectivités territoriales. Ces travaux spécifiques sont réalisés, au cas par cas, en fonction des situations de danger. Le recours à ces travaux soulève néanmoins la question de leur coût et de leur durabilité. Les différents gestionnaires publics se trouvent aujourd’hui partagés entre un héritage technocentré, favorisant les aménagements lourds pour la protection, et un glissement progressif vers des stratégies de prévention plus environnementales (loi Barnier 1995, loi Bachelot 2003…).

      La tempête Xynthia, sa médiatisation et ses rebondissements contentieux ont accéléré le mouvement en faveur du retrait stratégique et de la relocalisation des biens et des personnes (Stratégie nationale de gestion du trait de côte, 2012). Mais l’écart est aujourd’hui immense entre l’intention du législateur et l’acceptation des collectivités territoriales et des populations locales. Une récente enquête sociologique inscrite au projet VALSE, menée sur la Côte Bleue, mesure l’ampleur d’un tel écart. Elle souligne la forte demande des riverains souhaitant que les travaux de renforcement des falaises soient financés par la puissance publique dans une logique de protection des biens et des personnes vis-à-vis d’un risque considéré naturel. Or, le croisement interdisciplinaire des analyses géologiques et sociologiques identifie des facteurs anthropiques d’aggravation de l’érosion et des éboulements. L’apport d’eau douce pluviale et d’écoulements tend à favoriser la dégradation des falaises pouvant produire une rupture susceptible de provoquer un effondrement. Ce phénomène est accentué par l’apport d’eau d’origine anthropique en surface ou à faible profondeur (arrosage, fuites de piscines ou de canalisations). L’enquête confirme d’ailleurs la forte présence de piscines et de systèmes d’arrosage automatique dans ces quartiers de villas de standing aux jardins verdoyants. En effet, sur ce territoire, comme dans de nombreuses communes de la région, les riverains installés à proximité des falaises littorales appartiennent principalement aux classes sociales aisées (photo 4). Un tel constat fait écho aux analyses juridiques questionnant le principe d’égalité des politiques de prévention des risques et explorant une possible « règle d’équité prenant en compte la capacité financière réelle du propriétaire ».

      Photo 4. Exemple d’urbanisation de type villa individuelle avec piscine sur les falaises côtières du littoral de la Côte Bleue (©Cécila Claeys)

      ZOOM 3. Suivi et capitalisation des impacts des tempêtes à travers le « Réseau Tempête»

      En 2014, un inventaire historique des tempêtes majeures qui ont affecté le littoral régional a été établi par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) en partenariat avec la DREAL PACA. Les informations ont été centralisées dans une base de données consultable sur le site de l’Observatoire Régional des Risques Majeurs en Provence- Alpes-Côte d’Azur (ORRM). Cette base de données permet de stocker des informations sur l’historique des tempêtes passées et offre un support pour améliorer le retour d’expériences. Plate-forme de mutualisation et de diffusion de l’information, elle constitue ainsi la brique élémentaire d’un réseau d’acteurs à même de rassembler et de capitaliser les données sur les futures tempêtes qui vont affecter le littoral régional.

      Au cours de l’année 2016, dans le cadre de l’ORRM, la préfiguration d’un « Réseau Tempête » a été réalisée en associant les acteurs locaux de la gestion des territoires littoraux. Des outils d’animation ont été développés par le BRGM pour fixer un cadre technique pour l’acquisition de

      mesures post-tempêtes à travers un protocole d’activation automatique. Ce dernier repose sur l’interrogation de modèles de prévisions de vagues implémentés sur la Méditerranée occidentale, et un protocole de capitalisation via la base de données disposant d’un outil de saisie en ligne des informations. Le réseau est ouvert à tout partenaire souhaitant participer à la surveillance de son territoire d’intérêt dans une perspective de mutualisation des données et de développement d’une expertise partagée sur les risques côtiers à l’échelle régionale.

      Avec ce réseau régional de surveillance des tempêtes, les acteurs locaux, gestionnaires, décideurs et scientifiques disposent d’une infrastructure pérenne d’acquisition et de capitalisation des données qui caractérisent ces phénomènes dont l’importance, en termes de submersion marine et d’érosion côtière, est attendue croissante au cours du XXIe siècle, en raison de l’élévation du niveau de la mer en lien avec le changement climatique global.

    4. Les moyens d’observation en mer

      Le changement climatique que nous connaissons actuellement est un processus rapide à l’échelle des temps géologiques, mais relativement lent à l’échelle d’une vie humaine. Pour évaluer son ampleur, les scientifiques ont besoin de séries d’observations enregistrées sur de longues périodes. Afin de suivre l’évolution du climat et ses effets locaux, il est en effet nécessaire de s’appuyer sur des historiques de données d’au moins deux décennies qui permettent de s’affranchir des phénomènes météorologiques présentant des oscillations à l’échelle pluriannuelle. On peut citer, par exemple, l’alternance El Niño et La Niña qui se répète tous les 5 à 10 ans, et qui empêche donc de détecter une tendance au réchauffement avec des séries de longueur inférieure à deux cycles. Il est donc important de disposer d’un réseau de mesures dense et efficace, pérenne, assurant une collecte continue de données hydrologiques, hydrographiques et biologiques à une fréquence (journalière, hebdomadaire…) adaptée aux phénomènes étudiés.

      Et c’est là que le bât blesse, en particulier en mer et sur le littoral, car cette collecte de données s’avère très exigeante. En premier lieu se posent des contraintes opérationnelles et techniques : il faut mobiliser du personnel et du matériel dédié (instruments de mesures) par tous les temps et toute l’année. L’observation systématique des événements extrêmes (tempêtes, par exemple) permet de préciser leur fréquence d’occurrence et leur intensité qui évolueront peut-être en fonction des effets du changement climatique. Ce sont ces événements extrêmes qui imposent les plus lourdes contraintes techniques, car la résistance et la fiabilité des instruments de mesure sont mises à rude épreuve. La technologie évolue, mais le matériel s’use vite en mer et doit être régulièrement réparé ou remplacé. Lors de son remplacement, une inter-calibration est indispensable afin que les variations enregistrées ne dépendent pas du type de capteur ou de mesures biaisées. À ces contraintes techniques s’ajoutent les contraintes institutionnelles : le déploiement d’un réseau de mesures nécessite le soutien de financements publics pour assurer la maintenance du matériel, la collecte et la diffusion des données, la pérennité du système, l’indépendance vis-à-vis d’intérêts particuliers. Ce type d’investissement, pourtant indispensable, est difficile à justifier pour une entreprise privée, car il n’apporte pas de bénéfices à court ou moyen terme. Aujourd’hui, c’est malheureusement aussi le cas pour les organismes publics qui hésitent à investir dans des dispositifs qui ne fourniront des données exploitables pour suivre l’évolution du climat qu’après une période de 20 ans de mesures. En conséquence, les sites d’observation du milieu marin sont encore rares. Heureusement, les progrès technologiques permettent maintenant de multiplier les observations autonomes sur plusieurs types de plates-formes : mouillages, gliders (planeurs sous-marins), profileurs ARGO (flotteurs dérivants en subsurface qui permettent une vision 3D de la mer en réalisant des mesures de salinité et de température), navires d’opportunité. En mer Méditerranée, où il est important de surveiller les bassins oriental et occidental pour mieux comprendre les interactions, des sites sont équipés pour effectuer des mesures locales (température de la mer, évolution du pH…). Des observations sont réalisées à Marseille et Villefranche-sur-Mer, deux sites appartenant à des réseaux d’observation nationaux. Sur les 50 dernières années, elles ont permis de détecter sans équivoque une augmentation de la température des eaux superficielles, ainsi qu’un changement de saisonnalité, avec des étés plus précoces et souvent plus longs. Plus récemment, elles semblent suggérer une diminution du pH des eaux de surface. Au niveau biologique, elles sont beaucoup plus variables et donc plus difficiles à interpréter. Elles révèlent des changements dans la composition des communautés de plancton (dérivant au gré des courants marins), mais il ne se dégage pas de tendance nette à l’augmentation ou à la diminution du nombre des organismes.

      ZOOM 4. Plongée scientifique : un développement nécessaire pour le littoral et la zone côtière

      L’exploitation des fonds océaniques s’intensifie aujourd’hui, particulièrement en zone côtière. Les impacts des nouveaux usages (exploitation de granulats, fixations d’éoliennes en mer, développement d’infrastructures de forage, etc.) s’ajoutent aux impacts des effluents, polluants et macro-déchets d’origine terrestre. L’amélioration des connaissances du milieu marin est essentielle pour mettre en place une « économie bleue » (volet maritime de la stratégie Europe 2020), associant la recherche et l’innovation technologique, l’utilisation durable des ressources, la compétitivité et la création d’emplois en faveur d’une croissance intelligente, durable et inclusive.

      Les capteurs installés sur des engins autonomes à large rayon d’action ont permis des progrès significatifs pour cartographier, mesurer et comprendre les environnements marins. Leur utilisation est plus limitée sur le littoral et dans les eaux côtières, zones les plus sensibles aux pressions et aux effets des changements climatiques, et où vit la majeure partie de la biodiversité aujourd’hui menacée. Pour la plongée à caractère scientifique (photo 5), la gamme de profondeur de ces zones est la plus utilisée. Le développement des systèmes de surveillance intelligents s’appuie sur les compétences des chercheurs en matière de plongée et les nouvelles technologies.

      Les méthodes de suivi par télédétection ou réalisées à la surface représentent aussi une part significative de notre connaissance du milieu marin, surtout sur les 15 à 20 premiers mètres. L’utilisation de capteurs immergés apporte aussi un complément de connaissances indispensables à une description plus réaliste de ce milieu en 3D. L’observation, l’expérimentation, la maintenance, la récupération ou le remplacement des capteurs immergés rendent incontournable l’intervention des plongeurs. En effet, ces capteurs ne peuvent pas toujours se substituer à l’homme et une partie complémentaire de l’expertise, principalement dans le domaine des sciences de la vie, s’effectue obligatoirement en plongée : recherche de nouvelles ressources, recensements d’espèces, cartographie d’habitats, expertise de l’état écologique d’un milieu ou de l’effet de mesures compensatoires ou d’évitement d’impacts. Par ailleurs, la taille des objets pertinents en biologie et en écologie est souvent inférieure à la résolution spatiale des images acquises par télédétection.

      En France, le cadre juridique de la plongée scientifique est fixé par la loi (décret n°2011-45 du 11 janvier 2011). Il impose le Certificat d’aptitude à l’hyperbarie. Il définit les matériels, types de plongée, risques, normes de sécurité, rôles, responsabilités, aptitudes et formation pour la pratique de toute plongée réalisée dans le cadre des institutions de recherche. Le décret instaure 4 classes de plongeurs limitées par une profondeur maximale (12, 30, 50 et > 50 m). Tout plongeur scientifique est astreint aux dispositions qui concernent la formation, l’encadrement, les équipements, comme la pratique des opérations de plongée ou le suivi médical. Les standards de formation français ont servi de base à l’établissement des standards européens. La plongée scientifique demande des infrastructures et la mise en place de nouveaux moyens d’investigation en plongée dans des zones plus profondes. Le développement des recycleurs et des mélanges gazeux, tout en augmentant la sécurité permettra des interventions dans la zone des 100 m. Il est intéressant de noter que nous en savons moins sur les fonds marins que sur le sol de la lune : au-delà de 200 m de profondeur, moins de 10 % du relief des fonds marins est connu, selon l’Organisation hydrographique internationale.

      Photo 5. Prélèvement de pontes de gorgones rouges (Paramuricea clavata)
  4. Les effets du changement climatique sur la biodiversité et le risque sanitaire

    Le milieu marin et sa biodiversité sont influencés par l’évolution du climat. Sur la côte méditerranéenne de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, des facteurs, comme, par exemple, la hausse de la température de l’eau, la dégradation de la qualité de l’eau, la surpêche, les aménagements côtiers ou l’eutrophisation, bouleversent la biodiversité (destruction d’habitats, prolifération de microalgues, décalages phénologiques) et augmentent le risque sanitaire pour l’homme (développement de vecteurs de pathologies). Des premiers éléments de compréhension sont présentés dans ce chapitre afin de saisir les enjeux en lien avec le changement climatique sur le littoral et en mer.

    1. Le recul des forêts marines

      Les forêts marines d’algues brunes de l’ordre des Fucales et des Laminariales, les algues les plus complexes et évoluées, sont des peuplements structurés, riches et très productifs. Ils garantissent le maintien de services et fonctions écosystémiques (production primaire, nourricerie et maintien de la biodiversité, par exemple) dans les récifs rocheux des zones tempérées, où les communautés de macroalgues dominent. Ces habitats clés pour les écosystèmes rocheux sont, depuis des décennies, en régression dans la plupart des régions tempérées du globe. Les causes de cette perte d’habitat sont multiples et le changement climatique joue un rôle très important car, d’un côté, il pousse les espèces à affinité froide à migrer vers les hautes latitudes et, de l’autre, il augmente la pression herbivore des poissons en augmentant le métabolisme d’espèces déjà présentes ou en favorisant la migration vers les hautes latitudes d’espèces tropicales.

      En Méditerranée, les forêts marines sont en particulier formées par le genre Cystoseira principalement composé d’espèces endémiques. Leur régression a été enregistrée à plusieurs endroits (en particulier dans les zones continentales), mais la pénurie de données historiques nous empêche de quantifier cette perte qui, d’après les experts, est très importante. Comme pour la majorité des espèces formant les forêts marines, des causes ont été identifiées pour expliquer leur disparition. Elles agissent à l’échelle globale (changement climatique, effets de la surpêche…) et locale (pollution, artificialisation de la côte…), et leurs interactions peuvent avoir des effets synergiques et donc accélérer le processus de déforestation de la Méditerranée.

      Le changement climatique a été suggéré comme cause de régression des forêts marines dans plusieurs îles de Sicile et en mer Adriatique, tandis que l’urbanisation de la côte et la diminution de la qualité de l’eau seraient les causes principales en Méditerranée nord-occidentale. En Adriatique, des habitats ont subi des dégâts irréversibles dus à la pêche destructrice aux dattes de mer (Lithophaga litophaga) qui provoque une véritable désertification des fonds marins. Le phénomène est aussi causé par la surpêche des prédateurs des oursins, herbivores très efficaces dans les fonds rocheux (Figure 11).

      En région Provence-Alpes-Côte d’Azur, des études récentes ont mis en évidence une pression herbivore très importante exercée par des poissons indigènes (Sarpa salpa) capables de réduire la biomasse et le potentiel reproductif des forêts de Cystoseira de plus de 90 %. Le rôle de ces poissons herbivores a été probablement sous-estimé jusqu’à présent et pourrait augmenter, avec leur métabolisme, dans un contexte de réchauffement global. La Région PACA a aussi perdu une partie de ses forêts marines, à cause de l’urbanisation de la côte, de la diminution de la qualité de l’eau et de la surpêche, mais peut encore compter sur la présence de plusieurs espèces de Cystoseira qui forment localement des forêts en très bonne santé. De par sa localisation géographique, face au changement climatique, la région PACA pourrait être considérée comme le dernier refuge pour la plupart des espèces de Cystoseira dont la répartition serait restreinte aux plus hautes latitudes. Il est donc prioritaire de pouvoir garantir aux forêts marines régionales un statut de conservation adéquat, pour que ce lieu de refuge puisse garantir le maintien de la biodiversité marine méditerranéenne pour les générations futures.

      Figure 11. Désertification des fonds marins méditerranéens à cause de la surpêche des prédateurs d’oursins. En haut : écosystème en bonne santé avec une biomasse des prédateurs élevée et des forêts marines luxuriantes. Au centre : l’abondance de prédateurs diminue et les populations d’herbivores ne sont plus régulées. Les oursins commencent à proliférer et forment des parcelles de surpâturage. En bas : en absence (ou presque) de prédateurs, les populations d’oursins explosent et provoquent une véritable désertification des fonds marins. Seuls certains invertébrés (éponges, par exemple) persistent, grâce aux apports de matière organique provenant de la colonne d’eau (source : projet européen MMMPA)
    2. Ostreopsis, une microalgue benthique toxique qui prolifère en Méditerranée

      Depuis une vingtaine d’années, les microalgues benthiques toxiques du genre Ostreopsis (Dinoflagellés), originaires des tropiques, prolifèrent en été dans différentes zones tempérées (bassin méditerranéen, Japon, Nouvelle-Zélande, Brésil). Des études scientifiques mettent en avant le rôle important de la température de l’eau de mer sur l’intensité des efflorescences estivales qui semblent se produire lors des années les plus chaudes. L’implication du changement climatique dans l’extension de ce phénomène en zones tempérées a donc été suggérée, mais aucune preuve scientifique robuste n’a encore été produite. Il pourrait également s’agir d’espèces introduites, dont le développement serait facilité par le réchauffement climatique et les activités anthropiques.

      En Méditerranée, Ostreopsis se développe en période de forte chaleur (juillet, parfois août) à très faible profondeur (0,5 m), principalement sur les zones rocheuses recouvertes de macroalgues. Des mortalités d’invertébrés marins (mollusques, oursins, crabes…) sont observées lors des efflorescences les plus importantes. Les microalgues peuvent se détacher du fond, et se concentrent alors à la surface de l’eau (photo 6). C’est là où se situe est le principal danger : en cas de vent, les microalgues, leurs fragments ou leurs toxines peuvent être transportés par les aérosols, et même les personnes hors de l’eau (sur les plages, les routes ou dans les habitations) peuvent être affectées par simple contact ou inhalation. Les Dinoflagellés benthiques sont connus dans les zones tropicales pour être à l’origine d’intoxications alimentaires sévères, suite à la consommation de crabes ou de poissons. Aucune intoxication alimentaire liée à Ostreopsis n’a été recensée jusqu’à présent en zones tempérées.

      En Méditerranée, les signes les plus fréquents associés à Ostreopsis sont des irritations cutanées ou oculaires, mais des symptômes de type grippal avec des difficultés respiratoires peuvent aussi apparaître. Ces 20 dernières années, trois évènements de symptômes collectifs, impliquant à chaque fois plus de 200 personnes, ont été observés en Italie, Espagne et Algérie. Ces évènements collectifs posent parfois des problèmes d’engorgement des services d’urgence avec le risque de prise en charge retardée de patients atteints d’autres pathologies. Une analyse sociologique exploratoire réalisée en Provence-Alpes-Côte d’Azur en 2014 montre que le phénomène est aujourd’hui largement méconnu du grand public. Les acteurs sociaux interviewés, les usagers et les gestionnaires de plages ne font pas ou peu le lien entre Ostreopsis et les symptômes dont elle peut être à l’origine, quand bien même les ont-ils déjà ressentis.

      Si la fermeture temporaire au coeur de la haute saison touristique (août 2013) d’une des plages de Villefranche-sur-Mer a marqué les mémoires des usagers locaux et des habitués, elle n’est cependant pas associée au bloom d’Ostreopsis pourtant à l’origine de l’arrêté municipal, mais à une pollution momentanée.

    3. L’avenir des posidonies sur le littoral régional

      Photo 7. Une inflorescence de Posidonia oceanica, à Port-Cros (Provence), en octobre 2015. La floraison a lieu en automne, ce qui peut sembler surprenant. La floraison automnale s’observe également chez des végétaux terrestres méditerranéens (©Jean-Georges Harmelin)

      La posidonie Posidonia oceanica est une magnoliophyte (plante à fleurs) endémique de la mer Méditerranée, c’est-à-dire qu’elle ne vit nulle part ailleurs (photo 7). Elle y est présente presque partout, de la surface à 20-40 m de profondeur, sur substrat meuble et plus rarement sur substrat rocheux. Elle n’est absente que dans les eaux trop froides (nord de l’Adriatique), trop chaudes (Liban, Israël) et trop dessalées (les embouchures du Rhône et des fleuves côtiers).

      La posidonie est « ingénieur » de l’écosystème nommé « herbier de posidonie » (photo 8). Ce dernier est à l’origine de services écosystémiques considérables, dont la valeur annuelle par hectare est parmi les plus élevées au monde, terre et mer confondues : frayère et nurserie pour des espèces d’intérêt commercial, fixation des sédiments, protection des plages contre l’érosion, source de matière organique pour les autres écosystèmes côtiers, y compris à plusieurs centaines de mètres de profondeur.

      Photo 8. Un herbier de posidonie (Posidonia oceanica) à Port-Cros (©Sandrine Ruitton)

      La posidonie est sensible à un certain nombre d’activités humaines, principalement les aménagements côtiers, le chalutage, la turbidité et l’eutrophisation. À l’échelle de la Méditerranée, sa régression serait comprise entre 5 et 20 %, ce qui est relativement modeste (par comparaison avec d’autres habitats). En Provence et surtout sur la Côte d’Azur, le taux de régression serait compris entre 4 % (régressions prouvées depuis un siècle) et 16 % (régressions dont l’ancienneté n’est pas connue).

      Le changement climatique menace-t-il directement l’herbier de posidonie ? À première vue, non. La posidonie vit et est dominante dans une large gamme saisonnière de températures, de 10°C (en hiver) à 28-30°C (en été). Dans notre région, les modèles ne prédisent pas, d’ici la fin du XXIe siècle, des températures estivales supérieures à 28-30°C en mer. La posidonie peut même bénéficier du réchauffement dans les régions où les basses températures hivernales constituaient jusqu’ici un facteur limitant (Languedoc, nord de l’Adriatique, mais aussi Provence occidentale), en particulier pour la floraison et la fructification.

      Qu’en est-il des effets indirects ? Les effets de l’augmentation de la teneur en dioxyde de carbone (CO2) et de l’acidification ne sont pas clairs : positifs, neutres ou négatifs ? La montée du niveau marin diminue le bilan lumineux en limite inférieure de l’herbier. Il en résulte la remontée de la profondeur de compensation et la régression de l’herbier. Cela s’observe déjà à Port-Cros et en Corse. Pour le moment, la vitesse de montée de la mer (environ 3 mm par an) est compatible avec la croissance verticale des posidonies, et les pertes (en limite inférieure) sont compensées par des gains (en limite supérieure). Mais la vitesse s’accélère : 40 mm par an sont envisagés à la fin du XXIe siècle, ce qui ne sera plus compatible avec la croissance de la posidonie. Un autre danger les guette : les poissons-lapins du genre Siganus, entrés en Méditerranée par le canal de Suez, qui sont des herbivores voraces. Le réchauffement favorise leur progression vers l’ouest et le nord de la Méditerranée. Dans notre région, ils menaceront sérieusement de surpâturage les herbiers de posidonie (mais aussi les forêts de macroalgues, lire §4.1). D’autres espèces introduites (invasions biologiques) seront aussi impliquées.

      Au total, l’herbier de posidonie ne constitue sans doute pas l’écosystème le plus directement menacé par le changement climatique. D’autres facteurs, liés aux activités humaines, sont plus préoccupants. En revanche, les impacts indirects (montée du niveau de la mer, invasions biologiques) pourraient menacer sérieusement les posidonies de la Provence et de la Côte d’Azur.

      Un aspect important mérite d’être souligné : l’herbier de posidonie, en séquestrant à long terme du carbone dans la « matte » (rhizomes et racines, vivants ou morts, pratiquement imputrescibles, qui s’accumulent au-dessus du fond initial), contribue à atténuer les effets des rejets anthropiques de CO2. Aux Baléares, l’équivalent de 10 % des rejets anthropiques de CO2 est séquestré, chaque année, dans les mattes de posidonies. Inversement, la mort de P. oceanica et l’érosion des mattes remettent en circulation le carbone séquestré pendant des millénaires. La destruction des herbiers à P. oceanica constitue ainsi une sorte de « bombe à retardement » qui peut être comparée à celle des toundras en milieu continental.

      ZOOM 5. Le peuplement des poissons de Méditerranée et le changement climatique

      Sous l’effet du réchauffement des eaux et de la stratification (eau chaude persistante à la surface), le peuplement des poissons en Méditerranée est potentiellement menacé par le changement climatique à court, moyen et long terme. Les principales causes sont :

      • une « méridionalisation » : remontée des espèces méditerranéennes du sud du bassin vers le nord (la girelle paon, par exemple) et déplacement du bassin oriental vers l’occidental (le barracuda). À l’opposé, des espèces d’affinité d’eau froide (le sprat, par exemple) pourraient disparaître ;
      • un milieu plus favorable à l’épanouissement d’espèces d’origine tropicale, en provenance de l’océan Atlantique, de la mer Rouge ou encore de l’océan Indien. Ces espèces invasives peuvent pénétrer seules en Méditerranée par le détroit de Gibraltar, par exemple, ou profiter de l’aide de l’homme pour se déplacer (canal de Suez, transport par bateaux, aquaculture, aquariums…).

      Ces modifications dans la biodiversité se traduisent par un changement de relations entre les espèces. La principale crainte réside dans l’arrivée d’espèces de poissons herbivores (notamment les poissons lapins du genre Siganus, Cf. 2.3) depuis la mer Rouge. Ils pourraient entraîner une régression importante des grandes formations végétales (forêts de Cystoseira, par exemple). Les mers tropicales se différencient également des mers tempérées, comme la Méditerranée, par la présence de nombreuses espèces toxiques (vénéneuses ou venimeuses). Leur introduction pourrait avoir des conséquences socio-économiques importantes : intoxications des pêcheurs ou des consommateurs, plongeurs blessés… En Méditerranée orientale, le poisson-lion (Pterois volitans et Pterois miles), le poisson-pierre (Synanceia verrucosa) et le fugu (Lagocephalus sceleratus) sont déjà arrivés.

    4. Le changement climatique est-il propice au développement des moustiques ?

      L’ensemble des anomalies climatiques envisagées par les scénarios d’émissions du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (horizons 2020, 2050 et 2080) entraîne un élargissement de l’enveloppe bioclimatique vers le nord et l’ouest de la France. L’évolution des éclosions de la principale espèce de moustique très nuisible du littoral méditerranéen, Aedes (Ochlerotatus) caspius, a été étudiée en 2012 dans un contexte de changement climatique. Inféodée aux zones humides d’eau saumâtre à submersions temporaires, cette espèce est active de mars à octobre, passant l’hiver à l’état d’oeufs diapausants (développement en arrêt). Un modèle d’occurrences d’éclosions a été développé à partir de la base de données des interventions quotidiennes de l’Entente interdépartementale pour la démoustication du littoral méditerranéen, sur la période 2004-2009. Les caractéristiques du sol, la température minimale, la photopériode, l’amplitude des températures, et à un degré moindre, les précipitations, les irrigations artificielles à des fins agropastorales ou cynégétiques, ainsi que leur variabilité, constituent les principaux facteurs qui expliquent la dynamique d’Aedes caspius.

      Le scénario intermédiaire, à l’horizon 2050, entraîne l’allongement de la période d’activité qui serait à la fois plus précoce de 15 jours et plus tardive de 26 jours. Comme l’ont montré différentes études sociologiques, les nuisances exprimées par les populations résultent de l’interaction entre la présence de moustiques et certains modes de vie. À ce titre, dans le sud de la France hexagonale, les niveaux de nuisance ressentis les plus élevés sont concentrés pendant la période estivale, durant laquelle les modes de vie et les loisirs tournés vers l’extérieur exposent davantage habitants et touristes aux piqûres de l’insecte anthropophile. L’augmentation des températures allongerait la période d’activité des moustiques, mais aussi la période de vie en plein air des êtres humains, ce qui les exposerait de ce fait à un temps de nuisance accru.

      Les arbovirus transmis par les moustiques, tels que la dengue, le chikungunya et la fièvre jaune, constituent quant à eux des problèmes de santé publique sérieux compliqués par la récente dissémination à l’échelle planétaire. Cette dernière est essentiellement due aux transports intercontinentaux passifs des deux vecteurs d’origine tropicale, bien adaptés au milieu urbain, Aedes aegypti et le moustique tigre Aedes albopictus (photos 9 et 10). L’implantation de ce dernier en zones tempérées résulte de sa capacité à passer l’hiver à l’état d’oeufs diapausants. Les modèles mathématiques, qui extrapolent les effets du changement climatique, indiquent une absence de modifications majeures à l’avenir dans la répartition mondiale de ces vecteurs très nuisibles, mais une évolution des modes de transmission des agents pathogènes.

      Photos 9 et 10. Aedes albopictus, femelles se gorgeant (©Jean-Baptiste Ferré, EID Méditerranée)

      Des travaux scientifiques ont démontré une relation étroite entre la température et la réplication virale chez les moustiques, donnant lieu à un raccourcissement de la période d’incubation extrinsèque (cycle du virus dans le moustique), une augmentation du taux d’infection et une dissémination plus rapide, bien que cela varie selon l’espèce et le virus. Ainsi, Aedes albopictus et Aedes aegypti seraient moins infectés par les virus du chikungunya et de la fièvre jaune à haute température, mais le seraient davantage par le virus de la Dengue.

      L’augmentation de l’aire de répartition d’Aedes albopictus sur le littoral méditerranéen français n’est pas passée inaperçue auprès des acteurs locaux et des populations. Elle expose à une nouvelle nuisance des populations jusqu’alors moins soumises aux moustiques anthropophiles, soit par faible présence d’espèces autochtones, soit du fait de l’efficacité des politiques de démoustication menées dès les années 1960. Les populations font confiance au système de santé français pour gérer d’éventuelles épidémies d’arboviroses. En termes de gestion, l’un des problèmes centraux relatif à la prolifération d’Aedes albopictus est son caractère urbain et domestique qui nécessiterait à l’avenir une prise en compte de la réduction de la formation des gîtes larvaires dès la conception des espaces urbains et du bâti, idéalement dans une logique d’habitat durable et anti-vectoriel.

      Des précipitations abondantes, telles que les épisodes cévenols, peuvent entraîner la mise en eau de nombreux micro-gîtes urbains anthropiques généralement secs, ce qui a pour conséquence une augmentation de l’abondance des populations du moustique tigre. Les modélisations récentes ont montré que sa diffusion et son établissement dans le sud de la France dépendent davantage des activités humaines (transport notamment) et de l’utilisation des sols que du changement climatique.

      En ce qui concerne le paludisme, selon l’origine géographique, la capacité à transmettre les espèces parasitaires, pathogènes pour l’homme (espèces plasmodiales), diffère sensiblement en fonction du type de moustiques adultes (anophèles), seuls vecteurs des agents pathogènes. Jusqu’à récemment, les espèces européennes Anopheles labranchiae et Anopheles sacharovi n’étaient pas considérées aptes à transmettre des souches africaines de Plasmodium falciparum, mais de nouvelles études sur leur compétence vectorielle sont en cours. Actuellement, si le paludisme menace principalement les voyageurs en zone intertropicale, les possibilités d’une résurgence en Europe existent par l’importation de souches plasmodiales transmissibles par des vecteurs autochtones européens ou de vecteurs d’autres continents profitant des modifications climatiques pour augmenter leur zone d’expansion. Les enquêtes sociologiques ont montré que la mémoire collective relative au paludisme est parfois encore vive dans certaines régions, comme la Camargue et la Corse, mais fait en revanche l’objet d’une relative amnésie collective dans d’autres, comme en ex-région Rhône-Alpes. Une éventuelle réémergence paludéenne aurait de ce fait des effets inégaux d’une région à l’autre, autant en termes d’acceptation que de savoir-faire en matière de prévention et de protection.

      ZOOM 6. Interactions entre zones humides et mer dans un contexte de changement climatique

      Photo 11. Reconnexion d’une lagune avec la mer résultant de l’érosion côtière, Camargue (©Marc Thibault, Tour du Valat)

      Situées à l’interface entre les écosystèmes terrestres et marins, les zones humides littorales sont des écosystèmes dynamiques et souvent instables, en particulier le long des plaines côtières bordant la mer Méditerranée. Depuis des siècles, elles ont connu d’importantes transformations notamment pour les besoins de l’agriculture, la saliculture, la pêche, la navigation et plus récemment l’industrie et le tourisme. Le changement climatique vient ainsi s’ajouter aux pressions exercées sur ces espaces. Les cours d’eau, les plans d’eau et les zones humides sont parmi les habitats naturels les plus sensibles au changement climatique. L’augmentation de la température de l’eau menace, par exemple, directement la persistance d’espèces animales et végétales associées aux eaux douces courantes ou stagnantes. Les changements de températures et de précipitations auraient des conséquences complexes sur les cycles biochimiques. Par exemple, la hausse de la température entraînerait des décalages phénologiques dans les cycles de développements phytoplanctoniques et zooplanctoniques, favorisant le développement de marées vertes, avec pour corollaire une demande accrue en oxygène résultant de la décomposition du phytoplancton. Ce processus aurait potentiellement des conséquences sur les concentrations en oxygène à l’interface sédiment-eau, dont l’un des effets augmenterait le relargage du phosphore contenu dans le sédiment. En raison des sécheresses plus accentuées et prolongées, une partie des zones humides littorales devrait connaître des assèchements plus prononcés. Des épisodes orageux plus fréquents augmenteraient l’érosion des bassins-versants et la sédimentation dans les milieux aquatiques. Globalement, des fluctuations plus importantes des niveaux d’eau sont attendues. L’adaptation de la faune et la flore à ces changements dépendra de l’étendue, de la vitesse, des périodes et de la fréquence des fluctuations.

      L’élévation du niveau marin, dont les effets peuvent être localement accentués par la subsidence, va générer des inondations et le déplacement des habitats naturels situés en plaines côtières, accentuer l’érosion littorale (photo 11), augmenter les phénomènes de submersions marines et leurs impacts, et entraîner la salinisation et le rehaussement des nappes côtières. Le recul des lidos sableux, situés entre la mer et les étangs, aura pour conséquence le comblement progressif des lagunes arrière-littorales. L’élévation du niveau marin va d’autre part accentuer les difficultés d’évacuation gravitaire des eaux des lagunes vers la mer, avec pour conséquence une augmentation du risque inondation. Elle aura aussi pour effet d’accroître la part des apports d’eau de mer dans le bilan hydrique des lagunes côtières, avec, selon les étangs considérés, une tendance à la salinisation ou à la « marinisation » (remontée progressive de l’eau de mer dans les terres).

      L’élévation du niveau marin et de la nappe salée affectera aussi certaines zones humides d’eau douce proches du littoral qui deviendront de plus en plus saumâtres, ce qui conduira à un remplacement des communautés animales et végétales, avec la disparition ou le déplacement plus en amont des espèces strictement liées aux eaux douces.

      Les végétations pionnières à salicornes, les fourrés halophiles et les steppes salées, qui sont des habitats naturels situés à une altitude inférieure à 1 m audessus du niveau marin moyen, devraient se déplacer vers des niveaux topographiques plus élevés, si l’aménagement sur le littoral permet cette mobilité. Les prévisions suggèrent qu’après translation, les habitats type prés salés vont régresser, tandis que les gazons à salicornes annuelles et les fourrés halophiles devraient potentiellement progresser pour occuper une superficie plus importante qu’actuellement, d’autant plus si la stratégie adoptée par les pouvoirs publics est celle du recul stratégique.

      Les changements d’usages induits par le changement climatique auront aussi des conséquences importantes sur les zones humides littorales et leurs interactions avec la mer. En Camargue, les salines qui ont été cédées au Conservatoire du littoral, à partir de 2008, incluent en particulier des secteurs sévèrement exposés à l’effet conjugué de l’érosion et de l’élévation du niveau marin. Le nouveau propriétaire a fait le choix du recul stratégique et de la renaturation. La gestion plus souple du trait de côte se traduit par l’arrêt des travaux coûteux de maintenance des ouvrages de défense situés en front de mer, qui pourront être remplacés par des aménagements situés à l’intérieur des terres, plus pérennes et répondant mieux aux enjeux de protection des biens et des personnes contre les submersions marines sur le long terme. Les échanges hydrobiologiques entre la mer et les lagunes s’en retrouvent renforcés. Cet exemple montre comment l’élévation du niveau marin peut constituer une opportunité pour repenser la gestion des territoires littoraux, en redonnant plus de place à la naturalité du fonctionnement des zones humides littorales.

    5. La dérive des gélatineux le long du littoral provençal

      Les méduses et les autres organismes gélatineux (cténaires et tuniciers pélagiques) ont en commun d’être composés à 90 % d’eau et d’avoir des taux d’ingestion, de croissance et de reproduction parmi les plus élevés du règne animal. Ils présentent néanmoins des morphologies différentes, des comportements spécifiques ayant des rôles variés dans la structure et le fonctionnement des écosystèmes. Partie intégrante du plancton, les organismes gélatineux, même lorsqu’ils atteignent 2 m de diamètre, sont transportés par les courants.

      Photo 12. Cténaire invasif, Mnemiopsis leidyi (©B. Belloni)

      De rares espèces ont cependant la capacité de lutter contre les courants et certaines réalisent des migrations journalières entre la surface des océans (ou des mers) et les profondeurs (entre 400 et 600 m), telles que Pelagia noctiluca en mer Méditerranée, alors que d’autres doivent rester en surface la journée, hébergeant dans leurs tissus des organismes photosynthétiques.

      Plusieurs milliers d’espèces de gélatineux sont à ce jour recensées, mais la découverte d’espèces jusqu’ici inconnues se poursuit. En Méditerranée, des méduses, comme les Pelagia noctiluca, Aurelia aurita, Rhizostoma pulmo, Chrysaora hysoscella (toutes plus ou moins urticantes) ou des cténaires (Mnemiopsis leidyi, espèce introduite non urticante, photo 12) sont observées régulièrement, parfois en nombre très impressionnant : en mer Noire, par exemple, l’abondance en Mnemiopsis leidyi atteint jusqu’à 7000 individus par m3, représentant 95 % de la biomasse pélagique. En région Provence-Alpes-Côte d’Azur, les effets de ces proliférations touchent à ce jour principalement les activités balnéaires et la pêche. Sur les plages, Pelagia noctiluca est la principale incriminée. Très urticante, sa présence peut amener les baigneurs à provisoirement et localement déserter les zones les plus touchées. Les impacts économiques demeurent, selon les témoignages des acteurs locaux interrogés, relativement acceptables, car ponctuels. Dans les lagunes côtières (notamment les étangs de Berre et du Vaccarès), les pêcheurs professionnels sont les plus affectés par la prolifération de Mnemiopsis leidyi, espèce exotique invasive qui obstrue leurs filets (photo 13). Ces derniers témoignent de manques à gagner significatifs. Ces proliférations de cténaires perturbent tout particulièrement la pêche à l’anguille soumise à une forte saisonnalité.

      Photo 13. Filet de pêche colmaté suite à la prolifération de Mnemiopsis leidyi dans l’étang de Berre (©D. Nicolas)

      Il demeure cependant difficile d’observer et d’étudier les organismes gélatineux et plus encore, de prévoir leur échouage sur les plages en temps réel. En outre, l’apparente augmentation de leur nombre dans le monde, tout comme en Méditerranée, reste à confirmer. Il existerait une combinaison complexe de facteurs qui favoriserait la prolifération de gélatineux : augmentation de la température de l’eau, force et direction des courants, croissance du plancton, artificialisation du littoral, surpêche de poissons planctonophages (sardine, anchois, harengs) et introduction d’espèces invasives.

  5. Aménagement et gestion du littoral dans un contexte de changement climatique

    Pour limiter les effets du changement climatique, les décideurs et gestionnaires ont à leur disposition des outils et solutions pour aménager et gérer leur territoire ou repenser les espaces publics et privés, cependant, appliquer des stratégies d’atténuation ou d’adaptation, mettre en oeuvre des politiques en faveur des énergies marines renouvelables, de la protection des biens et des personnes, de la régulation des ressources halieutiques soulèvent des questions complexes auxquelles les chercheurs s’efforcent de répondre. Cette dernière partie aborde la problématique du changement climatique sur un plan plus politique, juridique, social et économique.

    1. Changement climatique et aménagement des espaces publics littoraux

      S’intéresser à l’aménagement des espaces publics, dans un contexte de changement climatique et de vulnérabilité croissante des littoraux face aux risques naturels, constitue un enjeu stratégique dans la spatialité de l’appréhension des risques, comme dans la temporalité des politiques de gestion à développer.

      La notion d’espace public, apparue dans les années 1970, bien que complexe et composite, est aujourd’hui devenue quasiment incontournable en aménagement. L’espace public est passé, en un demi-siècle, du statut d’espace résiduel, « en creux », entre les formes bâties, au statut d’espace stratégique avec un enjeu d’attractivité. Les responsables et les concepteurs de l’urbanisme contemporain ont pris conscience que ces espaces, maîtrisés par la puissance publique, sont les vitrines de la ville, en même temps qu’ils participent à l’amélioration du cadre de vie des habitants. En France, la requalification des espaces publics des stations littorales se développe surtout à partir des années 2010, mais elle n’est alors guère liée à l’adaptation au changement climatique. Cette question paraît pourtant essentielle car la souplesse et l’adaptabilité que l’aménagement offre renforcent les politiques d’adaptation et d’atténuation.

      Dans la continuité des travaux de ces dernières années sur la gestion du risque inondation, la conception des espaces publics peut devenir à moyen terme un levier de réduction de la vulnérabilité. À Martigues, par exemple, l’aménagement du parking de la plage du Verdon a été conjointement pensé comme un espace fonctionnel d’accueil des visiteurs et un support à la gestion du ruissellement et des inondations.

      En amont, cette culture de gestion des risques par l’aménagement des espaces publics a vocation à alimenter les modalités de gestion sur le long terme des territoires littoraux, dans la perspective du changement climatique et de la reconfiguration du trait de côte.

      Photo 14. Digue (illustration, ©Antoine Nicault)

      Sous l’angle de l’accessibilité du littoral, trois axes d’aménagement des espaces publics

      En partant de l’hypothèse d’une évolution de l’ordre de +3,4°C des températures de l’air estivales à l’intérieur des terres, comme à Aix-en-Provence à la fin du XXIe siècle, il est possible que la fréquentation de proximité s’accentue sur les espaces littoraux (attrait de la fraîcheur). L’accessibilité constituerait alors un enjeu stratégique pour le territoire métropolitain d’Aix-Marseille Provence. L’aménagement des espaces publics serait un levier pour mieux gérer la fréquentation en privilégiant l’usage des transports en commun et donc la réduction des gaz à effet de serre et de la pollution de l’air.

      Le développement des plages urbaines est également un point stratégique. Par exemple, des plages de proximité ont été aménagées ces dernières années par les communes du pourtour de l’étang de Berre, grâce notamment aux travaux du Gipreb et à l’amélioration de la qualité des eaux. Cette tendance pourrait se poursuivre afin de répondre aux besoins croissants de loisirs de proximité et de rafraîchissement de la population locale. Parallèlement, le maintien ou le retour à l’état naturel ou peu anthropisé de la bande littorale, favorisé par l’aménagement de plages urbaines, permettrait d’anticiper la montée du niveau des eaux (§3.1) et de garantir à terme la sécurité des personnes.

      Un troisième exemple d’enjeu, à la croisée des problématiques d’accessibilité du littoral et de sécurisation des pratiques, a trait à la question de l’aménagement des cheminements en bord de mer et à leur possible fragilisation (risque de chute de falaises…). Cet axe fera d’ailleurs l’objet de réflexions approfondies ces prochaines années.

      Il est important de rappeler la nécessité d’associer les usagers au devenir des espaces publics littoraux dont ils sont les principaux bénéficiaires. Les espaces publics sont avant tout des espaces habitables, des lieux de rencontres et de vie sociale. De nouveaux rapports à « l’habiter » pourraient émerger, dans la mouvance des expériences développées dans le cadre de Marseille-Provence 2013, comme, par exemple, les spectacles sur l’eau réalisés par la compagnie de théâtre Ilotopie sur le territoire martégal. L’étang de Berre a alors été considéré comme un espace public, support de pratiques artistiques et culturelles, mais aussi de rencontres, permettant dans le même temps de sensibiliser les usagers aux questions de changement climatique et de montée du niveau de la mer.

      Créer des espaces publics qui soient à la fois des espaces conçus et des espaces perçus est indispensable. En ce sens, la recherche a développé des dispositifs méthodologiques capables d’identifier les représentations et les attentes que les usagers, habitants permanents et temporaires, confèrent aux espaces publics des territoires littoraux qu’ils fréquentent. Reste désormais à adapter cette démarche à une approche prospective permettant d’intégrer les interrogations relatives aux adaptations des littoraux aux effets du changement climatique.

    2. La gestion du littoral de Provence-Alpes-Côte d’Azur face au changement climatique

      Les effets du changement climatique sur nos littoraux concernent en premier lieu l’intensité des risques naturels : l’élévation du niveau marin aggrave l’aléa de submersion marine et peut avoir des effets majeurs sur l’érosion côtière.

      Les espaces littoraux illustrent également la situation paradoxale du souhait d’habiter un espace d’exception, sans y subir la dynamique naturelle du trait de côte, qui conduit à réclamer la mise en oeuvre de mécanismes de défense contre la mer. Toutefois, face à l’impact des ouvrages de défense sur les milieux naturels côtiers, l’idée d’une acceptation de la mouvance du trait de côte et d’une recomposition spatiale des territoires, par déplacement des enjeux menacés, se fraie un chemin depuis une trentaine d’années. Ces nouvelles stratégies conduisent à repenser l’aménagement du littoral en l’adaptant aux conséquences du changement climatique, en cessant d’urbaniser les zones les plus proches du rivage, donc les plus vulnérables, et en recherchant des solutions intermédiaires à long terme pour les zones déjà bâties qui deviendraient progressivement submersibles (Figure 12) ou vulnérables à l’érosion.

      Dans cette optique, les politiques publiques doivent construire les modalités du choix entre la protection forte du trait de côte, se traduisant par une artificialisation importante et un entretien coûteux des ouvrages de protection, et/ou par la relocalisation des biens et des activités économiques (recul stratégique). Même si les risques en région Provence-Alpes- Côte d’Azur ne sont pas actuellement aussi visibles sur le terrain que dans d’autres régions littorales françaises (côte sableuse aquitaine, falaises de craie de la Manche), certaines collectivités publiques ont commencé à réfléchir à ces enjeux, notamment la ville d’Hyères qui a répondu en 2012 à l’appel à propositions du ministère de l’environnement sur les expérimentations de relocalisation, sans qu’un projet finalisé n’ait pu émerger des réflexions.

      Figure 12. Risque de submersion marine en lien avec le changement climatique au niveau des îlots regroupés pour l’information statistique (IRIS) Vaug, Marina et B-Loup à Villeneuve-Loubet (carte réalisée dans le cadre de la Directive inondation sur le territoire à risque important). En bleu, les surfaces inondables.

      Des recherches pour éclairer les politiques publiques

      Ces choix nécessaires sont aujourd’hui difficiles à démêler, dans un contexte foncier et économique particulièrement sensible. D’une part, les territoires littoraux sont très contraints : avec une pression de construction de logements trois fois plus élevée que la moyenne nationale (98 % du trait de côte des Alpes-Maritimes est déjà urbanisé), leur « capacité d’accueil » doit désormais prendre en compte les submersions marines (loi sur l’économie bleue, 2016). En outre, les espaces non construits sont souvent protégés ou contraints par d’autres risques naturels, comme les feux de forêts ou les inondations fluviales. Il ne sera pas possible de continuer à urbaniser sans limite ces territoires, ni de relocaliser n’importe où les bâtis vulnérables. D’autre part, les politiques publiques en la matière se heurtent à une réticence à anticiper les risques : le déni, les biais d’optimisme faussent souvent la perception. Il s’avère politiquement risqué de traiter cette problématique : des élus locaux n’ont pas été réélus après avoir abordé ces questions (Lacanau, Hyères). Pourtant, les résultats d’enquêtes menées à Hyères démontrent une maturité des habitants, prêts à accepter des solutions de relocalisation.

      Des équipes de chercheurs issues d’universités méditerranéennes travaillent sur le sujet. Les programmes SOLTER-Liteau, VuLiGAM-PIRVE, CamAdapt-LITEAU, AlternaLiVE-Fondation de France ou Inegalitto-Fondation de France font émerger des pistes de solutions, en collaboration avec les acteurs de terrain (Conservatoire du littoral, DREAL, GIP Littoral Aquitain, comité de suivi de la stratégie nationale de gestion du trait de côte). Ces recherches montrent que le maintien ou le retour à l’état naturel ou peu anthropisé de la bande littorale la plus vulnérable constitue, dans bien des cas, le moyen le moins coûteux de garantir la sécurité des personnes, la protection et l’attractivité de l’arrière-pays. Mais les conséquences juridiques, économiques et humaines de cette adaptation sont complexes et les outils, qui empruntent au droit, à l’économie, à l’action foncière et à la psychologie, sont en construction.

      Des pistes juridiques proposées par les chercheurs se sont déjà traduites dans une proposition de loi portant sur l’adaptation des territoires littoraux au changement climatique. Elle prévoit d’intégrer le long terme dans les politiques d’adaptation au recul du trait de côte, notamment par un étalement du recul stratégique dans le temps, tout en maintenant des usages provisoires sur les zones vulnérables. Elle reconnaît aussi la contribution des écosystèmes côtiers à la protection du trait de côte. Ceux-ci sont qualifiés d’« essentiels à la mobilité du trait de côte et à la limitation de son recul » et doivent être protégés.

      Questions de recherche pour l’avenir​​

      D’autres pistes de solutions plus innovantes sont explorées par les chercheurs. Certaines visent à renforcer la protection des espaces naturels littoraux par l’introduction de nouvelles notions juridiques : création d’un statut juridique du « domaine public littoral » qualifiant les espaces qui seront progressivement repris par la mer ; reconnaissance de la notion de « risques inhérents aux espaces naturels ».

      Des spécialistes militent aussi pour un renouvellement du regard sur la gestion adaptative du littoral au prisme de ses enjeux politiques et sociaux. Il s’agit tout d’abord d’envisager l’introduction de critères d’équité sociale dans les politiques de gestion du trait de côte : la spécificité de la propriété privée des biens littoraux (grande valeur monétaire sur le marché, rareté de la vue sur mer, mais vulnérabilité à long terme) implique de renouveler l’évaluation des modalités d’indemnisation des biens à supprimer, ou de financement des ouvrages de défense et de leur entretien. Cette réflexion doit également s’éloigner des modes actuels d’occupation du littoral, marqués par la prévalence des résidences secondaires, en osant imaginer des usages plus adaptables et plus partagés de cet espace littoral mouvant.

      Photo 15. Beauduc (illustration, ©Marie-Laure Lambert)

      En conséquence, l’adaptation du littoral au changement climatique ne pourra faire l’économie d’une réflexion plus poussée sur l’articulation des enjeux publics et privés. L’enchevêtrement de ces intérêts devrait se traduire par une meilleure complémentarité des mesures de prévention publique et des outils assurantiels privés. Une attention plus forte devrait être aussi portée à l’évolution des espaces publics littoraux que constituent les plages et le « sentier du littoral », espaces publics menacés non seulement par l’érosion du littoral, mais surtout par les ouvrages de défense contre la mer protégeant les biens privés. Les pistes proposées par les chercheurs, qu’elles concernent la suppression ou la relocalisation des biens privés sur les littoraux vulnérables ou la gestion et le devenir des espaces publics littoraux, seront à présenter au public afin d’associer les usagers aux réflexions portant sur les enjeux territoriaux du changement climatique et de l’élévation du niveau marin.

      ZOOM 7. L’adaptation n’est-elle qu’un mot ?

      Désormais associée au changement climatique, l’adaptation apparaît comme une évidence, presque une injonction portée par les instances internationales (GIEC, CCNUCC) et nationales (Ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer, ONERC, ADEME, agences de bassin). Elle est souvent présentée comme l’application mécanique d’une méthodologie spécifique ou relevant de la mise en oeuvre de bonnes pratiques. Cependant, le « comment s’adapter » est souvent délaissé au profit de « il faut s’adapter ». Or, l’opérationnalisation de l’adaptation passe par des choix et des arbitrages entre secteurs, acteurs, gagnants et perdants. Ainsi, si l’on doit relocaliser des habitations et des activités, lesquelles choisir ? Qui doit payer ? Quelle est la logique politique associée ? Quelles en sont les conséquences ?

      Les travaux de recherche menés, par exemple, sur le littoral languedocien dans le cadre du programme MAGIC montrent que derrière les actions d’adaptation mises en avant par les acteurs, différentes logiques politiques sont appliquées. Quatre ont été repérées :

      • contrôler et maintenir : il s’agit de résister aux perturbations et protéger le développement de territoires à forts enjeux économiques (infrastructures touristiques prospères, etc.). Des solutions ingénieurales (rehausser les digues, par exemple) sont adoptées, mais engendrent des coûts financiers importants, voire exponentiels dans un contexte de réduction des finances publiques, avec pour conséquence un déplacement spatial (amont-aval ou le long de la côte) et temporel de la problématique ;
      • laisser-faire : en portant les risques à la connaissance de tous, il s’agit de laisser l’action à d’autres, c’est-à-dire aux communes ou aux établissements publics de coopération intercommunale, voire aux individus, et ce, bien que tous les acteurs ne disposent pas des mêmes capacités ou ressources pour s’adapter. Le « tous responsables » peut également conduire à une dilution de la responsabilité ;
      • réguler : des ajustements à la marge (rendre résilient les logements), de nouveaux arbitrages (privilégier l’eau potable à l’eau agricole) poussent à s’accommoder des perturbations et « vivre avec le risque ». Ces actions sont mises en place au niveau local par des acteurs aux capacités financières et institutionnelles qui ne sont pas à l’échelle des enjeux ;
      • reconfigurer : à travers le déplacement d’enjeux (routes, campings) et une réflexion plus globale sur une reconfiguration socio-économique (« sortir de la mono-industrie du tourisme »), il s’agit de réagencer le territoire, en tenant compte des « surprises » climatiques possibles (montée du niveau de la mer plus rapide, etc.). La question de « qui paie quoi et pour quoi faire ? » pose de manière plus saillante encore celles des compromis, des arbitrages et des collaborations.

      Les adaptations ne sont pas neutres, mais mettent en jeu des intérêts contradictoires, des visions du territoire et de sa trajectoire divergentes, voire conflictuelles. Chacune de ces logiques porte en germe des reconfigurations socio-économiques et politiques différentes. Cette typologie réalisée à partir d’un terrain littoral languedocien peut servir de mise en perspective des trajectoires des territoires en région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

    3. La pêche en région Provence-Alpes-Côte d’Azur

      La pêche est l’activité humaine liée à la mer la plus enracinée dans l’histoire et la culture, et la plus partagée par les communautés humaines côtières de la planète. Simple source de protéines à la base pour les populations côtières, elle est devenue une activité socio-économique de grande ampleur. La pêche ? Non, les pêches ! Il faut a minima distinguer la pêche industrielle et la pêche artisanale, dite aussi « pêche aux petits métiers ». La première est plus développée technologiquement et suppose le recours à de grands navires et une véritable stratégie d’investissements financiers. La pêche artisanale en revanche est une activité liée aux traditions locales, opérée par des petits bateaux côtiers, gérée au niveau familial ou par de petites coopératives, dont les produits sont généralement consommés localement.

      En région Provence-Alpes-Côte d’Azur, compte tenu de l’étroitesse du plateau continental, la pêche industrielle est quasi-absente. De tous temps, les pêcheurs ont utilisé des bateaux de taille réduite, pour pêcher en zone littorale (à moins de 100 m de fond le plus souvent), s’adaptant au gré des saisons et des lieux selon l’état des ressources. Cette pêche ne vise pas un stock en particulier, mais de nombreuses espèces, contrairement à la pêche industrielle qui rentabilise ses prises quel que soit l’impact écologique ou le devenir des espèces ciblées. La pêche traditionnelle de subsistance est, par essence, durable : si une proie vient à manquer ou à se raréfier, le pêcheur traditionnel en change.

      Les travaux récents sur la pêche artisanale en Méditerranée ont montré sans ambiguïté que ces pratiques sont parfaitement compatibles avec les politiques de protection de l’environnement, comme les aires marines protégées. Par exemple, en région PACA, le Parc national de Port-Cros est l’un des sites du littoral qui compte les plus riches peuplements de poissons, alors que la pêche artisanale y est autorisée (mais les arts traînants interdits). Le Parc marin de la Côte Bleue a été mis en place à la demande des pêcheurs professionnels, conscients de l’utilité d’un espace protégé pour préserver les ressources, pour eux et leurs descendants. Une gestion raisonnée associant les pêcheurs professionnels aux prises de décision (= cogestion) permet de maintenir

      une activité économique traditionnelle et de préserver la biodiversité littorale. L’Europe ne s’y est pas trompée. À travers son programme Interreg MED, elle a financé un programme international de recherche sur ce sujet pour une année (FishMPABlue) et vient d’accorder 3 années supplémentaires de financement pour tester les outils développés dans le premier programme. Ces derniers doivent permettre aux pêcheurs artisanaux d’améliorer leur subsistance tout en préservant la biodiversité et en mettant en place une véritable cogestion de la ressource en zone littorale.

      La pêche peut également être amateur. Ce qui était un moyen de subsistance est devenu un loisir, un passe-temps. Le développement technologique ces dernières années est tel que cette pêche est désormais redoutablement efficace, débusquant dans les profondeurs des espèces qui n’étaient pas visées auparavant. Les régulations sont minimes, le plus souvent inconnues des pratiquants, et les nombreuses infractions ne sont presque jamais constatées en raison de la quasi-absence d’autorités assermentées en mer. Cette pêche n’est absolument pas durable car c’est l’exploit qui est souvent visé (la plus grosse pièce). La mise en oeuvre de la pêche no-kill à la mode anglo-saxonne n’a rien changé. Des travaux scientifiques récents ont montré que le rejet en mer des poissons une fois décrochés des hameçons entraînait le plus souvent leur mort.

      Dans la gestion des ressources, ces deux formes de pêche, amateur et artisanale, s’opposent dans la majorité des cas. Les professionnels se plaignent à juste titre des incessantes réglementations qui leur sont imposées, alors que les amateurs vivent leur loisir à leur guise, sans contrainte. Une analyse comparée menée sur différents secteurs de PACA a montré qu’une dizaine de bateaux de pêcheurs à la ligne (1 à 2 personnes à bord) pêchait en une saison autant qu’un professionnel. Le défi réel des années à venir en région PACA, et ailleurs en Méditerranée, va résider dans la gestion de cette activité de loisir pour permettre de maintenir une activité traditionnelle, millénaire, ancrée dans le patrimoine marin de la Méditerranée.

      ZOOM 8. Le Pescatourisme, un moyen de limiter la pêche et d’aider les pêcheurs ?

      Le pescatourisme correspond aux opérations de transport de passagers effectuées à bord d’un navire professionnel de pêche (photo 16) ou d’aquaculture à titre d’activité complémentaire rémunérée, dans le but de faire découvrir le métier et le milieu marin. C’est une activité citée dans de nombreux programmes comme mesure de soutien à la pêche et facteur important d’attractivité touristique, générant des retombées positives substantielles pour l’ensemble de l’économie locale.

      Le pescatourisme a été inscrit dans la réglementation italienne dès les années 1980, suite aux premières crises de la ressource halieutique en mer Méditerranée, pour rechercher des solutions en matière de diversification de l’activité. En France, il s’est imposé en Provence-Alpes-Côte d’Azur et en Corse, à partir des années 2000, mais ce n’est que depuis 2012 qu’il a une reconnaissance légale en tant qu’activité de diversification de la pêche. Auparavant, l’embarquement de passagers était plus ou moins toléré selon les régions. Les affaires maritimes l’autorisaient à la condition que cela soit occasionnel et non régulier. Quand un événement tragique a entraîné en 2006 (Bretagne) la mort du président du comité local des pêches d’Audierne et de son passager, Edouard Michelin, l’embarquement de passagers a été interdit.

      La pratique du pescatourisme est donc une activité réglementée et les patrons des navires de pêche doivent être titulaires d’autorisations qui ont été progressivement mises en place depuis 2007. En 2011, un cadre réglementaire pérenne a été institué avec l’arrêté ministériel du 9 mai 2011, suivi de l’arrêté ministériel du 13 mars 2012.

      En Méditerranée, le pescatourisme s’est développé grâce au projet pilote Pescatourisme 83, porté par l’association Marco Polo pendant 3 ans sur un territoire pilote, le département du Var. Ce dernier a été sélectionné pour trois raisons principales :

      • (1) les acteurs clés se sont mobilisés dès le lancement du projet ;
      • (2) ce département est représentatif de la pêche traditionnelle côtière (98 % de navires de moins de 12 mètres);
      • (3) le Var est le premier département touristique de France.

      L’activité de pescatourisme a alors connu un certain essor, mais une fois les projets expérimentaux terminés, une diminution du nombre de navires pratiquant le pescatourisme a été observée. À ce jour, en Méditerranée française cette activité est en perte de vitesse et de moins en moins de pêcheurs la pratiquent de façon régulière en raison, comme pour les autres régions françaises, de la réglementation jugée contraignante et coûteuse par les pêcheurs (formations, compétences médicales, aménagements des bateaux, etc.).

      Le pescatourisme s’inscrit toutefois dans un véritable développement durable local de l’espace maritime et constitue une réelle diversification de l’activité de pêche entraînant des revenus complémentaires pour les pêcheurs et une diminution de l’effort de pêche. À ce titre, cette activité a été récemment reconnue à l’échelle méditerranéenne comme une source sérieuse de soutien à la pêche professionnelle aux petits métiers qui devrait être soutenue en assouplissant la réglementation.

      Lien utile : http://gordon.science.oregonstate.edu/ science-mpa/science-mpas-med

      Photo 16. Le pescatourisme (©Patrice Francour)
    4. Les énergies renouvelables pour lutter contre le changement climatique

      « J’ai besoin de la mer car elle est ma leçon. Je ne sais si elle m’enseigne la musique ou la conscience » (La mer, Pablo Neruda). La mer est source de vie, mais aussi source d’énergie renouvelable et vecteur de la transition énergétique. Cette source d’énergie renouvelable potentielle provient, comme le rappelait le rapport spécial du GIEC sur l’évolution du climat (2011), « de l’énergie potentielle, cinétique, thermique et chimique de l’eau de mer, qui peut servir à produire de l’électricité, de l’énergie thermique ou de l’eau potable, (…) grâce à des technologies très diverses, comme les centrales marémotrices, les turbines sous-marines exploitant les marées ou les courants océaniques (hydroliennes), des échangeurs de chaleur fondés sur la transformation de l’énergie thermique des océans, et divers systèmes qui tirent profit de l’énergie des vagues et des gradients de salinité ». Le rapport ajoute que « l’énergie éolienne se fonde sur l’énergie cinétique de l’air en mouvement. La principale application en matière d’atténuation des effets des changements climatiques consiste à produire de l’électricité grâce à l’implantation de grandes éoliennes implantées à terre ou en mer ou en eau douce au large des côtes ».

      La prise de conscience en France du rôle des énergies marines renouvelables (EMR) dans la lutte contre le changement climatique s’est traduite notamment par la fixation d’objectifs de production d’électricité à partir des forces de la mer dans l’arrêté du 26 avril 2016, à savoir 3000 MW pour l’éolien en mer posé, qui est la technologie la plus mature, et 100 MW pour les autres énergies marines (éolien flottant, hydrolien…), d’ici 2023. L’arrêté prévoit néanmoins des aménagements de ces quotas. En effet, pour l’éolien en mer posé, entre 500 et 6000 MW de plus pourront être installés, en fonction des concertations sur les zones propices, du retour d’expérience de la mise en oeuvre des premiers projets et sous condition de prix. Ainsi, à la suite de différents appels d’offres lancés en 2011 et 2013, une nouvelle zone propice au large de Dunkerque a été identifiée pour laquelle le lancement d’un nouvel appel d’offre a été annoncé par Ségolène Royal le 4 avril 2016.

      Concernant les autres technologies non encore matures, entre 200 et 2000 MW de plus sont envisageables en fonction du retour d’expérience des fermes pilotes et sous condition de prix. Elles font l’objet d’appels à projet, comme celui lancé en 2015 par l’ADEME en éolien flottant sur 4 zones sélectionnées, dont 3 se situent sur la côte méditerranéenne : Leucate, Gruissan et Faraman. En amont, la région Provence- Alpes-Côte d’Azur a été également sélectionnée en tant que site d’essai pour l’éolien flottant, plus précisément au large du golfe de Fos-sur-Mer.

      Quant à l’exploitation des courants océaniques, après l’immersion de l’hydrolienne de Sabella (test) au large de l’île d’Ouessant et celle de DCNS sur le site de Paimpol-Bréhat, deux lauréats ont été retenus suite à l’appel à manifestation d’intérêt lancé en 2013 pour le site du Raz-Blanchard : Engie, dont les 4 hydroliennes développées par Alstom devraient alimenter 5000 foyers en électricité, et EDF Énergies Nouvelles, dont les machines conçues par DCNS permettront à 15000 foyers d’être desservis en électricité. Les projets de thalassothermie peuvent aussi être mentionnés, notamment à Marseille dans le cadre d’Euroméditerranée. Il ne s’agit pas ici de produire de l’électricité, mais de la chaleur et du froid grâce à une boucle à eau de mer.

      Si le développement des EMR contribue sans doute à la lutte contre le changement climatique, il soulève néanmoins de nombreux questionnements juridiques. Parmi ceux-ci, la nécessité d’occupation exclusive d’un espace dont l’usage est commun à tous, même si les développeurs de parcs EMR ne sont pas les premiers à occuper l’espace maritime de façon permanente. L’envergure des parcs EMR, dont la superficie est amplifiée par les zones de sécurité, invite toutefois à s’interroger sur une éventuelle appropriation privative de l’espace maritime et sur la place des droits de propriété en mer.

      Le concept de cadastre marin multifonctionnel (CMM), mis en place et étudié dans nombre de pays (États-Unis, Canada, Australie, Royaume-Uni, Pays-Bas, Suède, Belgique, Israël, etc.), permet de recenser, de répartir et de hiérarchiser les droits de propriété et d’usage de l’espace maritime. Outil complémentaire de la planification de l’espace maritime, le CMM s’adapte au caractère tridimensionnel de l’espace marin et à la superposition d’activités s’exerçant sur le sol de la mer (hydroliennes, éoliennes posées), dans la colonne d’eau, à la surface (houlomoteurs), mais aussi dans l’espace aérien surjacent (exploitation du vent marin par les aérogénérateurs).

      Cette tridimensionnalité se traduit par un régime juridique protéiforme, sur le plan vertical et horizontal. En effet, le régime juridique du sol de la mer territoriale, appartenant au domaine public maritime, diffère de celui de la colonne et de la surface d’eau de mer, ainsi que de l’espace aérien surjacent. Sur le plan horizontal, en partant du littoral vers le large, on distingue le régime applicable à la mer territoriale jusqu’à 12 milles nautiques du régime de la zone économique exclusive jusqu’à 200 milles nautiques, et de la haute mer.

      Outre les questions purement juridiques, les impacts environnementaux et socio-économiques sous-jacents au développement des EMR sont loin d’être négligeables. D’une part, les études scientifiques indépendantes liées aux conséquences de l’implantation et de l’exploitation des EMR sur les écosystèmes marins, bien qu’elles se multiplient, demeurent encore trop peu nombreuses. D’autre part, le développement des EMR, même si ces dernières ont d’une manière générale la faveur de la population, se heurte encore localement à des résistances, que ce soit de la part des pêcheurs ou des riverains soucieux de l’atteinte au « paysage maritime ».

      Aux EMR s’ajoutent les énergies renouvelables (EnR) terrestres qui assurent d’ores et déjà 64 % de la production d’énergie en PACA et couvrent près de 27 % de la consommation d’électricité régionale, selon le Réseau de transport d’électricité (2016). La Région PACA est la 3ème région hydraulique, la 3ème pour le solaire photovoltaïque en termes de puissance raccordée au réseau et la 1ère pour le solaire thermique en puissance installée (source : oreca. regionpaca.fr). La biomasse est également l’un des secteurs énergétiques les plus actifs en PACA. Même si le classement est moins flatteur, la région compte aussi huit parcs éoliens (Port-Saint-Louis-du-Rhône, Fos-sur-Mer, Saint-Martin-de-Crau, etc.).

      Le développement des EnR, notamment l’éolien, est confronté lui aussi à des freins socio-économiques et environnementaux, mais il représente une alternative crédible à l’énergie fossile et donc aux émissions de GES. Malgré l’avance de la PACA sur d’autres régions françaises, les productions d’EnR devraient progresser à l’avenir pour basculer résolument dans la transition énergétique. Le développement des smart grids devrait participer à cette révolution en optimisant le fonctionnement et la gestion des systèmes électriques (nouveaux usages, stockage, intermittence des EnR, etc.).

    5. La notion de coût dans la mise en place des politiques environnementales

      En zone littorale et non littorale, avant de prendre des décisions en matière de gestion environnementale, il faut étudier la relation entre les coûts des services rendus et les bénéfices tirés par la société. L’analyse coûts-bénéfices a pour but d’évaluer les conséquences positives ou négatives d’une décision. Exprimée en unités monétaires, elle permet d’effectuer une comparaison et aide à quantifier les conséquences d’une stratégie ou décision. Le but final est de traduire en termes monétaires les coûts et les bénéfices entre au moins deux stratégies de gestion.

      Il est important de considérer les coûts de la protection (conservation) ou de la restitution contre les risques environnementaux tels que :

      • montée des eaux et des températures : l’élévation accélérée du niveau de la mer menace les infrastructures et les écosystèmes côtiers ;
      • l’acidification des océans : la mise en oeuvre d’actions ou de mesures susceptibles de limiter l’impact de ce phénomène ou de s’y adapter a un coût ;
      • la perte de la biodiversité et de ses services écosystémiques : le coût est ici associé à la perte d’attractivité touristique et à une diminution des espèces comestibles et commerciales ;
      • les espèces invasives : leur introduction cause une modification des écosystèmes et une fragilisation de nombreuses espèces marines dues notamment à la diminution des sites propices à la reproduction. Des moyens coûteux sont indispensables pour restreindre les effets négatifs ;
      • la perte de la protection côtière : la localisation et la quantification des déchets sont nécessaires pour en évaluer les impacts. Cela peut passer par le ramassage des déchets (rejets industriels ou agricoles) sur le littoral, par l’élaboration de mesures océanographiques, par la lutte contre l’urbanisation du littoral et l’érosion côtière, et par la mise en place de mesures de lutte contre la submersion marine. Les coûts de ces mesures sont à estimer afin d’éclairer les décisions ;
      • la pollution : afin de minimiser ses effets sur le littoral et en mer (pollution marine ou pollution de l’air, par exemple), il faut apprécier les coûts d’opportunité de la mise en place de campagnes de sensibilisation du public et de mécanismes de dépollution ou de réduction ;
      • les émissions de gaz à effet de serre : pour les limiter, des dispositifs de production d’énergie renouvelable sont à créer, sachant que la région Provence-Alpes-Côte d’Azur est la 2ème région, après l‘Aquitaine, dotée d’un fort potentiel de production d’énergie renouvelable ;
      • la surpêche : de nos jours, une espèce sur trois disparaît à cause de la pêche industrielle. Ce coût de la surpêche est quantifiable en dénombrant les emplois perdus suite à la disparition des espèces. Pour lutter contre les effets néfastes de la surpêche, des décisions doivent être prises. En effet, une pêche durable peut être encouragée par des exonérations fiscales et la création de récifs artificiels qui abritent les poissons, mais tout cela a un coût.

      Ainsi, les coûts de réduction des impacts environnementaux (diminution des risques, régulation et pilotage, etc.) doivent être appréhendés dans leur globalité. Les coûts directs concernent d’abord la mise en place de projets de protection auxquels il faut ajouter les coûts associés au développement des projets dédiés à la protection de l’environnement, tels que l’obtention des permis, la taxe carbone, les démarches inhérentes à l’évaluation du risque… Ensuite, il faut tenir compte des coûts d’exploitation et de maintenance qui incluent le personnel, les coûts administratifs, les contributions annuelles pour les mesures de contrôle anti-pollution…

      Photo 17. Sormiou (illustration, ©Philippe Rossello)

      Enfin, il existe aussi des coûts externes pour le contrôle des projets avec des analyses de bénéfices, directs ou indirects, et une évaluation des fonctions de régulation, à la fois économique et écologique.

      Le coût de l’inaction est aussi à déterminer, car plus on retarde la (bonne) prise de décision, plus le coût sera important à terme. D’une manière générale, les décisions sont à prendre rapidement, mais le temps de l’analyse des avantages et des inconvénients des actions politiques n’est pas à négliger pour éviter les mauvaises orientations. L’inaction n’implique pas de coûts immédiats, mais les dégradations de l’environnement, dues aux dommages résultant de l’absence de mesures, se paieront à terme au prix fort. Pour fixer les coûts de l’inaction, la procédure la plus utilisée est celle de l’évaluation des incidences environnementales à travers les études d’impact sur l’environnement, dont les conséquences sont traduites en valeur monétaire. Dans les coûts estimés de l’inaction, on cumule les coûts de perte de biodiversité et les coûts liés à la santé humaine. Ceux-ci sont toutefois difficiles à calculer : par exemple, les coûts sanitaires ne peuvent être vérifiés qu’après une longue période de surveillance. La sélection des actions à mettre en oeuvre d’un point de vue environnemental, social et économique est une étape capitale. Chaque stratégie de gestion de risque et de protection de l’environnement est confrontée aux conditions et caractéristiques du milieu afin d’adopter la meilleure solution. Le choix entre les deux stratégies de gestion (prendre les mesures adaptées ou opter pour l’inaction) doit donc être déterminé après l’analyse des coûts et des bénéfices. La décision la plus efficiente découlera du résultat.

      La valeur du dommage est souvent considérée égale au coût de la remise en état initial de l’environnement, or le dommage environnemental n’est pas toujours réparable et son coût difficilement calculable. C’est notamment le cas pour le coût sanitaire. L’exposition à la pollution a des répercussions directes et indirectes sur la santé. Les effets peuvent se manifester à court terme, mais aussi à

      long terme, par une exposition chronique. La méthodologie de l’évaluation de l’impact sanitaire de la pollution se base sur l’exposition et le risque en mettant en relation les indicateurs d’exposition (concentrations de polluants, par exemple) et le risque sanitaire (décès prématurés, maladies ou hospitalisations). Cette approche masque la difficulté à établir un lien direct entre les causes qui peuvent être multifactorielles et les effets.

      La responsabilité environnementale est également une notion très importante pour la protection de l’environnement. Sa reconnaissance facilite la mise en place de mesures susceptibles de prévenir les dommages potentiels ou de réparer ceux réellement causés à l’environnement. On entend par mesures « préventives » toute mesure prise en réponse à un événement, un acte ou une omission qui a créé une menace imminente de dommage environnemental, afin de prévenir ou de limiter au maximum les incidences. Les mesures de « réparation » sont toutes les actions ou combinaisons d’actions, incluant les mesures d’atténuation, les mesures transitoires visant à restaurer, réhabiliter, remplacer les ressources naturelles endommagées ou les services détériorés, et fournir une alternative équivalente à ces ressources ou services. Avant d’envisager toute mesure de réparation, il est nécessaire de prendre des précautions pour pouvoir éliminer tout risque d’impact négatif grave sur l’environnement et la santé humaine, quand cela est possible. La réparation des dommages environnementaux qui affectent les eaux, les espèces et habitats naturels, doit en premier lieu privilégier la remise en état initial de l’environnement et des ressources. Si la réparation est partielle, une compensation pour dommage doit être demandée au responsable. Parmi les mesures compensatoires, la plus utilisée est la compensation financière ou une taxe équivalente à la valeur monétaire du dommage estimé. Il est difficile de chiffrer cette valeur monétaire, car les dommages et pertes sur l’environnement sont souvent impossibles à évaluer. La question qui se pose est : combien coûte la nature et comment évaluer ses dommages ?

  6. Recommandations et perspectives

    Comme le souligne ce cahier thématique du GREC-PACA, la science a établi la réalité du changement climatique. L’évolution rapide du climat a une influence directe sur les écosystèmes et les sociétés méditerranéens qui sont parmi les plus menacés de la planète. Il est aujourd’hui incontestable que les effets des changements climatiques sont perceptibles en Méditerranée. Ils se font sentir à tous les niveaux (santé humaine et animale, ressources en eau et biologiques, qualité de l’environnement et activités économiques) et sont appelés à s’amplifier. Pour limiter les impacts de ces changements qui s’intensifieront à l’avenir, il est urgent de mettre en place des politiques publiques en faveur de l’atténuation et de l’adaptation à l’échelle régionale et locale, particulièrement dans les espaces marins et côtiers.

    Ce cahier donne un certain nombre de recommandations qui concernent majoritairement la gestion des milieux et des territoires :

    • protéger les habitats marins et les espèces, comme, par exemple, les forêts marines ou les herbiers de posidonie et leurs services (séquestration de CO2, frayère et nurserie pour les espèces d’intérêt commercial, fixation des sédiments, protection des plages contre l’érosion, source de matière organique pour les autres écosystèmes côtiers) ;
    • gérer durablement les ressources halieutiques (éviter la surpêche, réglementer la pêche amateur, diversifier les activités des pêcheurs…) ;
    • éviter les pollutions locales et le rejet des déchets en mer ;
    • ne pas bouleverser les écosystèmes des zones humides ;
    • rétablir le fonctionnement naturel du littoral ;
    • développer les bonnes pratiques avec les usagers et associer ces derniers au devenir des espaces publics littoraux ;
    • proposer de nouveaux outils de planification de l’espace maritime ;
    • définir des stratégies de gestion de risque et de protection de l’environnement ;
    • identifier les actions d’adaptation et d’atténuation répondant au contexte local des territoires ;
    • développer les outils juridiques répondant aux contraintes de l’adaptation et de l’atténuation ;
    • évaluer les coûts et les bénéfices des politiques environnementales, y compris l’inaction, mais aussi anticiper les dommages causés à la nature et à l’homme (système de compensation financière et/ou de taxe).

    Ces recommandations, même si elles sont incomplètes, concernent aussi :

    L’aménagement du territoire :

    • ne pas construire en bordure du littoral pour éviter la submersion, le renforcement ou le déplacement de l’érosion ;
    • maîtriser l’urbanisation des côtes et améliorer la qualité de l’eau ;
    • favoriser une gestion du trait de côte plus souple et les aménagements intérieurs pour diminuer les coûts ;
    • concevoir les espaces urbains et le bâti dans une logique d’habitat durable ;
    • repenser l’aménagement et l’urbanisme des espaces publics et privés littoraux.

    L’observation :

    • développer et maintenir le réseau d’observations locales sur le littoral et en mer ;
    • surveiller les courants marins et l’évolution des entrées d’eau de l’océan Atlantique par le détroit de Gibraltar.

    La politique :

    • réduire au maximum les émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère pour limiter le réchauffement climatique, responsable de la hausse de la température de l’air et de surface, de l’élévation du niveau de la mer, de l’acidification de l’eau de mer, d’une érosion plus intensive des côtes, du bouleversement potentiel des courants marins et de la fréquence d’occurrence des événements extrêmes (tempêtes, par exemple) ;
    • favoriser le développement de dispositifs de partage de données et d’expériences ;
    • encourager le développement des EMR qui présentent un fort potentiel.

    La recherche est également au coeur des débats. Dans les contributions, sa place dans les plans d’atténuation et d’adaptation est une question sous-jacente qui met en lumière la nécessité de renforcer le dialogue entre chercheurs, décideurs, gestionnaires et usagers.

    Pour des activités dépendant de la biodiversité marine (secteurs de la pêche, aquaculture, activités récréatives), l’adaptation aux effets du changement climatique sera quasi impossible. Les enjeux à terme seront de réussir à anticiper le devenir de la biodiversité méditerranéenne (composition des pêcheries, nouveaux paysages sous-marins) et d’adapter les usages en conséquence. Pour y parvenir, l’intensification des recherches fondamentales (compartiments physiques et biologiques des océans, évolution des écosystèmes et de la biodiversité, synergies possibles des changements climatiques et d’autres sources de perturbation, étude des modes de vie et des pratiques des habitants) sera nécessaire. Les résultats serviront à l’établissement et à l’amélioration de scénarios prospectifs permettant d’établir des modèles se rapportant aux mécanismes qui régissent les écosystèmes méditerranéens (résistance, résilience). Ces derniers aideront à définir des stratégies pour faire face aux différents scénarios de changements climatiques.

    La fiabilité des modèles est limitée par de nombreuses incertitudes, dont celles des quantités de GES qui seront effectivement émises dans le futur (et qui dépendront des décisions politiques, prises ou non, en faveur des mesures d’atténuation). Les sorties de modèles prédictifs ne sont pas définitives. Elles sont une source importante d’incertitudes pour les décideurs qui n’auront jamais accès à toute la connaissance nécessaire pour appliquer des mesures d’adaptation « idéales » sur une zone côtière donnée. Il y a une distorsion entre l’échelle de temps des climatologues (temps long) et celle des cadres décisionnels (court à moyen terme). À cette difficulté intrinsèque s’ajoute celle de la communication entre la science et la décision publique ou privée. La première appréhende assez mal le type de données directement utiles à la décision, tandis que la seconde peine à saisir la complexité de la modélisation climatique et de ses résultats.

    Photo 18. Plage de l’Almanarre (illustration, ©Philippe Rossello)

    Les écosystèmes se transforment à tous les niveaux trophiques, du phytoplancton aux prédateurs supérieurs. La composition des communautés et les distributions spatiales sont aussi modifiées, et les invasions biologiques s’observent de plus en plus. En conséquence, les écosystèmes marins sont fragilisés, moins résilients et plus instables. Malgré les incertitudes des modèles prédictifs, tous les scénarios indiquent que la biodiversité marine et la production de ressources vivantes sont sérieusement menacées. Le développement de la connaissance, basée sur l’observation à long terme et la recherche transdisciplinaire, doit être favorisé pour donner des moyens innovants d’évaluation et déboucher in fine sur une gestion écosystémique à l’échelle locale, comme à celle du bassin méditerranéen.

    Les décideurs doivent apprendre à gouverner dans l’incertitude et agir en s’appuyant sur des données scientifiques souvent incomplètes, mais qui doivent être prises en compte et actualisées au fur et à mesure. La réponse aux impacts existants ou potentiels des changements climatiques se fera indirectement en réduisant les nuisances sur lesquelles la société a la faculté (et la volonté) d’intervenir. Il faudra opter pour des solutions qui intègrent l’incertitude fondamentale relative au changement climatique qui ne sera pas rapidement levée. En d’autres termes, les décideurs ne doivent pas compter sur les écologues, climatologues, économistes et modélisateurs pour leur éviter de prendre des décisions aussi difficiles que nécessaires dans un contexte incertain.

    Des pistes peuvent cependant conduire vers des décisions adaptées :

    • institutionnaliser une planification de long terme (gestion des zones côtières, par exemple), complétée d’un processus de révision régulier en fonction des nouvelles informations disponibles. L’adaptation est un processus d’apprentissage continu ;
    • promouvoir des stratégies « sans regret », c’est-à-dire des stratégies qui génèrent des bénéfices sociaux nets, même sans considérer les impacts du changement climatique (réhabilitation des dunes côtières qui constituent des zones tampons face aux risques liés à la mer, par exemple) ;
    • initier des solutions pertinentes pour une large gamme d’évolutions futures du climat (prendre des marges « pessimistes » dans la phase de conception d’une infrastructure plutôt que d’intervenir après sa mise en service, par exemple) ;
    • favoriser des stratégies réversibles afin de minimiser le coût d’une mauvaise estimation des évolutions climatiques. Il est parfois préférable de refuser d’urbaniser une portion de côte, car il sera toujours possible de prendre la décision inverse à faible coût si l’information climatique se révèle favorable. Urbaniser malgré l’incertitude fournit a contrario des bénéfices immédiats, mais peut mener à une situation future où le choix se limitera à la protection lourde et au recul, deux options dont le coût s’avère souvent prohibitif et la faisabilité loin d’être garantie ;
    • ne pas se focaliser nécessairement sur les solutions techniques d’adaptation : dans certains cas, des instruments institutionnels ou financiers peuvent se révéler plus appropriés, comme un accès facilité à des systèmes d’assurance ou une mise en place de systèmes d’alerte précoce, au détriment de protections côtières lourdes. Ces options d’adaptation « douces » sont porteuses de beaucoup moins d’inerties et d’irréversibilités. Il est recommandé d’éviter la surenchère sur des ouvrages « protecteurs » qui, en augmentant l’artificialisation, ont forcément un impact écologique.

    Parmi les autres pistes à privilégier, on peut citer la multiplication des aires protégées marines et côtières, l’augmentation des surfaces dédiées, la prise en considération de corridors écologiques, qui renforceraient les capacités de résilience et de résistance des écosystèmes et des espèces, mais aussi celles des activités qui s’y rattachent. L’adoption de plans d’action découlant de concepts, tels que la gestion intégrée ou l’approche écosystémique, sont incontournables, même s’ils nécessitent des mécanismes de gouvernance complexes à cause des différentes échelles spatiales (transnationale, nationale, régionale et locale) ou multithématiques. Pour une mise en oeuvre efficace, il sera également nécessaire de mutualiser les ressources humaines, techniques et financières, et de disposer d’un système permettant la circulation fluide des données et des informations dans des formats appropriés pour chaque groupe cible au niveau national et régional.

    Tout n’est pas à inventer. Des cadres existent : la Méditerranée s’est dotée dans le cadre de la convention de Barcelone signée en 1976 (révisée en 1995) d’un dispositif unique visant à travers différents protocoles la préservation de la biodiversité, la lutte contre la pollution, la gestion intégrée des zones côtières. De fait, cette convention devrait jouer un rôle clé dans l’adaptation au changement climatique. De plus, les politiques et les instruments pertinents de l’Union européenne (UE) pour les zones côtières comprennent la politique maritime intégrée (et le plan d’action) qui permet le développement durable des activités liées à la mer. Son pilier environnemental, la directive-cadre sur la stratégie pour le milieu marin (DCSMM), a pour objectif d’assurer un « bon état écologique » de l’environnement marin d’ici 2020, notamment en Méditerranée. La politique commune de la pêche a été réformée en 2012, dans le but de parvenir à une pêche durable. Chaque État membre, coopérant avec les autres États membres et les pays non membres de l’UE au sein d’une région marine, est tenu d’élaborer des stratégies pour ses propres eaux marines. Dans le cadre de la DCSMM et dans l’élaboration de leurs stratégies marines respectives, les États membres doivent, le cas échéant, mettre en évidence tout impact du changement climatique.

    Pour que l’adaptation au changement climatique soit durable et applicable à grande échelle, elle doit être incorporée, intégrée (mainstreamed) dans l’appareil politique des gouvernements. La plupart des mesures d’adaptation aux changements climatiques sont étroitement liées aux stratégies, politiques et programmes existants (exemples : politiques de pêche et d’aménagement, sécurité alimentaire, entretien des moyens de subsistance, gestion des ressources, gestion des risques). Une situation similaire existe avec l’atténuation du changement climatique. La demande est croissante pour réduire les émissions nettes de GES, même dans les pays en développement qui n’ont historiquement pas contribué aux émissions et aux changements climatiques.

    Dans ce contexte d’évolution du climat, l’intégration se réfère à l’incorporation des considérations liées au changement climatique dans les politiques, les programmes ou les stratégies de gestion établis ou en cours, en évitant de développer séparément des initiatives d’adaptation et d’atténuation. La première étape de l’intégration est de comprendre comment le changement climatique est lié au défi du développement ou au secteur considéré. Des mesures doivent être prises pour accroître la capacité d’adaptation des écosystèmes marins côtiers et des populations qui en dépendent. Parallèlement, les implications inhérentes aux effets des changements climatiques sur l’environnement marin pour les populations côtières doivent être expliquées et gérées. De la même manière, l’interconnexion entre les vulnérabilités des territoires terrestres et marines doit être accompagnée par des stratégies d’adaptation climatique intégrées. Des programmes de sensibilisation et d’éducation, mais aussi des projets associant les populations, les acteurs locaux (pêcheurs, plongeurs, etc.) et les opérateurs touristiques, doivent être mis en oeuvre afin de provoquer une prise de conscience et d’aboutir à un consensus autour de la complexité des changements climatiques et la nécessaire mobilisation de toutes les parties prenantes.

    Les dimensions sociétales émergent des nouvelles demandes d’un public mieux informé et soucieux de sécurité alimentaire, santé, sûreté, durabilité et éthique. Le besoin d’une concertation de l’ensemble des acteurs et d’une capacité d’éclairer les choix de long terme, dans un contexte d’incertitudes et de risques accrus, s’impose. Dans tous les domaines des sciences concernées, la recherche, par l’usage de méthodes partagées et transparentes, peut et doit contribuer à la facilitation des débats entre porteurs d’enjeux, à la sélection collective des mesures inévitables à court comme à long terme, et enfin à l’appropriation par toutes les parties des actions nécessaires à mener en Méditerranée.

    The Mediterranean Region under Climate Change, l’ouvrage publié par l’Alliance nationale de recherche sur l’environnement (AllEnvi), à l’occasion de la 22ème Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies (COP22), offre une riche synthèse scientifique sur les « mécanismes du changement climatique, ses impacts sur l’environnement, l’économie, la santé et les sociétés de la Méditerranée ». Il est intéressant de le lire pour compléter les connaissances diffusées dans ce cahier thématique du GREC-PACA.

  7. Pour aller plus loin

    Ce cahier thématique portant sur la mer et le littoral est destiné aux décideurs et gestionnaires de territoires. Il constitue une première approche pour mieux appréhender les conséquences du changement climatique en Provence-Alpes-Côte d’Azur.

    Nous encourageons vivement les lecteurs, désireux d’en savoir davantage, à se rapprocher du GREC-PACA (contacts@air-climat.org) qui les orientera dans leurs démarches et recherches. Ils ont également la possibilité de s’adresser directement aux contributeurs de cette publication :

    • Angélique BABÈNE (§5.5), Master Analyse politique et économique, option développement durable entreprises et territoires, Université Paris Ouest Nanterre. Contact : babeneangelika@yahoo.fr
    • Rémi BELLIA (Zoom 8), président, CERES Consultant. Contact : remibellia@marcopolo.asso.fr
    • Yves BIDET (§3.1), ingénieur, chef de la division Études et Climatologie de Météo-France Sud-Est, Aix-en-Provence. Contact : yves.bidet@meteo.fr
    • Charles-Francois BOUDOURESQUE (§4.3), professeur émérite, Mediterranean Institute of Oceanography, CNRS, IRD, Aix-Marseille Université et Université de Toulon. Contact : charles.boudouresque@mio.osupytheas.fr
    • Cécilia CLAEYS (§3.3, §4.2, §4.4, §4.5), maître de conférences, LPED, UMR 151 - Aix-Marseille Université. Contact : cecilia.claeys@univ-amu.fr
    • Romain DAVID (Zoom 4), ingénieur systèmes d’observation et systèmes d’information, Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Écologie marine et continentale (IMBE), UMR CNRS/AMU/UAPV 7263, IRD 237. Contact : romain.david@imbe.fr
    • Suzanne de CHEVEIGNÉ (recommandations et perspectives), Centre Norbert Elias, EHESS/CNRS/UAPV/AMU. Contact : suzanne.de-cheveigne@univ-amu.fr
    • Sandrine DHENAIN (Zoom 7), doctorante CIFRE, TEC Conseil/UMR G-EAU Gestion de l’Eau, Acteurs, Usages, IRSTEA. Contact : sandrine.dhenain@irstea.fr
    • Élodie DOZE (§5.2), docteur en droit, Laboratoire interdisciplinaire en environnement et urbanisme (LIEU), EA 889, Aix-Marseille Université. Contact : elodie.doze@gmail.com
    • Jean-Pierre FÉRAL (introduction générale, recommandations et perspectives), directeur de recherche CNRS émérite, Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Écologie marine et continentale (IMBE), UMR CNRS/AMU/UAPV 7263, IRD 237. Contact : jean-pierre.feral@imbe.fr
    • Patrice FRANCOUR (§5.3, Zoom 5, Zoom 8), professeur d’université, Écosystèmes côtiers marins et réponses aux stress (ECOMERS), Université Côte d’Azur, CNRS. Contact : francour@unice.fr
    • Jean-Pierre GATTUSO (§3.2), directeur de recherche, Laboratoire d’Océanographie de Villefranche-sur-Mer, CNRSUPMC-IDDRI. Contact : gattuso@obs-vlfr.fr
    • Fabrizio GIANNI (§4.1), chercheur post-doctorat, Université Côte d’Azur, CNRS, Écosystèmes côtiers marins et réponses aux stress (ECOMERS) ; Sorbonne Universités, UPMC Univ. Paris 06, CNRS, Laboratoire d’Océanographie de Villefranche (LOV), France. Contact : fgianni@unice.fr
    • Jérémy GIULIANO (§3.3), docteur en géologie, Cabinet GeoConseil. Contact : jeremy.giuliano@geoconseil.fr
    • Émeline HATT (§5.1), maître de conférences, Aix-Marseille Université (AMU), Laboratoire interdisciplinaire en environnement et urbanisme (LIEU), EA 889. Contact : emeline.hatt@univ-amu.fr
    • Nathalie HILMI (§5.5), chargée de recherche, Centre scientifique de Monaco, responsable de la section « économie environnementale ». Contact : hilmi@centrescientifique.mc
    • Enisa HIZMAJ (§5.5), doctorante en droit privé, GREDEG UMR 7321 CNRS UNS. Contact : enisa.hizmaj@unice.fr
    • Jean-Olivier IRISSON (§3.4), maître de conférences, Université Pierre et Marie Curie, Laboratoire d’Océanographie de Villefranche-sur-Mer (LOV). Contact : irisson@obs-vlfr.fr
      • Christophe LAGNEAU (§2.4), directeur R&D, EID Méditerranée. Contact: clagneau@eid-med.org
    • Marie-Laure LAMBERT (§5.2), maître de conférences HDR, Laboratoire interdisciplinaire en environnement et urbanisme (LIEU), EA 889, Aix-Marseille Université. Contact : ml.lambert@univ-amu.fr
    • Rodolphe LEMÉE (§4.2), maître de conférences, Sorbonne Universités, UPMC Univ. Paris 06, CNRS, Laboratoire d’Océanographie de Villefranche (LOV). Contact : lemee@obs-vlfr.fr
    • Audrey LEPETIT (§5.3, Zoom 8), doctorante CIFRE, Écosystèmes côtiers marins et réponses aux stress (ECOMERS), Université Côte d’Azur, CNRS/Planète Mer. Contact : audrey.lepetit@planetemer.org
    • Luisa MANGIALAJO (§4.1, §4.2), maître de conférences, Université Côte d’Azur, CNRS, Écosystèmes côtiers marins et réponses aux stress (ECOMERS) ; Sorbonne Universités, UPMC Univ. Paris 06, CNRS, Laboratoire d’Océanographie de Villefranche (LOV). Contact : luisa.passeron-mangialajo@unice.fr
    • Guillaume MARCHESSAUX (§4.5), doctorant, Aix-Marseille Université, Université de Toulon, CNRS, IRD, MIO, Marseille. Contact : guillaume.marchessaux@mio.osupytheas.fr
    • Nathalie MARÇOT (§3.3, Zoom 3), géologue risques naturels, BRGM, Direction Régionale PACA Marseille. Contact : n.marcot@brgm.fr
    • Séverine MICHALAK (§5.4), docteur en droit, spécialisée en énergies marines renouvelables (EMR). Contact : severinemichalak@hotmail.com
    • Laure MOUSSEAU (§3.4), maître de conférences, Université Pierre et Marie Curie, Laboratoire d’Océanographie de Villefranchesur-Mer (LOV). Contact : laure.mousseau@obs-vlfr.fr
    • Vincent REY (§3.3, Zoom 2), professeur des universités, Université de Toulon, Institut Méditerranéen d’Océanologie - MIO (UTLN-AMU-CNRS-IRD). Contact : rey@univ-tln.fr
    • Philippe ROSSELLO (coordination générale, avant-propos, recommandations et perspectives), ingénieur en analyse spatiale et prospective, GeographR/pôle métier Climat & Air du CRIGE-PACA. Contact : geographr@numericable.fr
    • Sandrine RUITTON (§4.3), maître de conférences, Mediterranean Institute of Oceanology (MIO), EMBIO Aix-Marseille University (AMU). Contact : sandrine.ruitton@mio.osupytheas.fr
    • François SABATIER (§3.3), maître de conférences, CEREGE, Aix-Marseille Université, CNRS, IRD, Collège de France. Contact : sabatier@cerege.fr
    • Alain SAFA (§5.5), président, SAS Skill Partners. Contact : direction@skillpartners.fr
    • Damien SOUS (§1.3(1), Zoom 2) : maître de conférences, Université de Toulon, Institut Méditerranéen d’Océanologie - MIO (UTLN-AMU-CNRS-IRD). Contact : sous@univ-tln.fr
    • Alexis STÉPANIAN (Zoom 3), chef de projet littoral, BRGM Provence-Alpes-Côte d’Azur. Contact : a.stepanian@brgm.fr
    • Isabelle TAUPIER-LETAGE (§3.1, Zoom 1, §3.4), chargée de Recherche, CNRS, Mediterranean Institute of Oceanology (MIO, UMR7294, UM110), Aix-Marseille Université-CNRS-IRD-Université de Toulon. Contact : isabelle.taupier.letage@ifremer.fr
    • Delphine THIBAULT (§4.5), maître de conférences, Aix-Marseille Université, Université de Toulon, CNRS, IRD, MIO. Contact : delphine.thibault@mio.osupytheas.fr
    • Marc THIBAULT (Zoom 6), chef de projet, Institut de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes de la Tour du Valat. Contact : thibault@tourduvalat.org
    • Thierry THIBAUT (§4.3), maître de conférences, Mediterranean Institute of Oceanology (MIO), EMBIO Aix-Marseille University (AMU). Contact : thierry.thibaut@mio.osupytheas.fr
    • Julien TOUBOUL (§3.3, Zoom 2), maître de conférences, Université de Toulon, Institut Méditerranéen d’Océanologie - MIO
      (UTLN-AMU-CNRS-IRD). Contact : touboul@univ-tln.fr

    Comment citer cette publication du GREC-PACA ?

    La mer et le littoral de Provence-Alpes-Côte d’Azur face au changement climatique, Les cahiers du GREC-PACA édités par l’Association pour l’innovation et la recherche au service du climat (AIR), mai 2017, 48 pages. ISBN : 9782956006046

    Pour obtenir la liste des références bibliographiques sur lesquelles s’appuie cette synthèse des connaissances, prenez contact avec le GREC-PACA : contacts@air-climat.org

    Ce cahier thématique a été réalisé par le Groupe régional d’experts sur le climat en Provence-Alpes-Côte d’Azur (GREC-PACA).

    Il a été coordonné par l’association A.I.R. Climat (Philippe ROSSELLO) qui a pour mission d’animer le GREC-PACA, avec la contribution éditoriale de Marie LOOTVOET et d’Aurore AUBAIL.

    Le projet bénéficie d’un financement au titre de la Convention État - Région Provence-Alpes-Côte d’Azur - ADEME.

    Un soin tout particulier a été apporté au choix des polices et à la mise en page dans le respect des principes d’éco-conception.

    Avertissement : ce cahier thématique approfondit les notions abordées dans la première publication du GREC-PACA intitulée Provence-Alpes-Côte d’Azur, une région face au changement climatique : http://www.air-climat.org/publications/la-regionpa...

    Réalisation : La Sud Compagnie - Mai 2017

    Crédits photos : tous droits réservés

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