Ce deuxième cahier diffuse des connaissances scientifiques (non exhaustives) sur les effets du changement climatique sur l’agriculture et la forêt en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Les cultures (vergers, céréales, riz, maraîchage…) et les forêts (feuillus, conifères) bénéficient des bienfaits du climat méditerranéen qui offre des conditions favorables au développement des plantes sous certaines conditions, mais souffrent aussi des événements extrêmes qui le ponctuent à intervalles irréguliers.
Le climat méditerranéen qui sévit en région PACA pourrait se résumer par Toulourenc (« tout ou rien » en provençal), du nom du cours d’eau à caractère torrentiel qui coule dans la vallée étroite située au pied du versant nord du mont Ventoux. Avec le changement climatique actuel, les aspects négatifs de notre climat sont appelés à se renforcer et font déjà peser sur les terroirs agricoles et les forêts emblématiques de la région de nouvelles contraintes auxquelles il est nécessaire de faire face pour éviter des conséquences trop néfastes. Mais la pérennité et le développement des systèmes agricoles et forestiers ne dépendent pas seulement de l’évolution du climat.
L’urbanisation, l’occupation des sols, les pollutions locales (sol, air, eau), les incendies, mais aussi les pratiques culturales et la gestion forestière, jouent un rôle fondamental. Il convient donc de privilégier une approche transversale.
Cette publication souligne les conséquences du changement climatique sur l’agriculture et la forêt en prenant soin d’identifier les enjeux environnementaux, économiques et sociaux, les risques à l’échelle régionale et locale, mais aussi les solutions susceptibles de réduire les impacts (atténuation, adaptation) et les éventuelles opportunités à saisir. Comme dans le précédent cahier, la contribution des chercheurs et experts, exerçant leur métier en région PACA et dans les territoires limitrophes, sous forme d’articles et de zooms, apporte des éléments de compréhension afin de mieux cerner les problématiques liées au changement climatique.
Sommaire
Sommaire du cahier
Pour approfondir les connaissances diffusées dans la publication générale du Groupe régional d’experts sur le climat en Provence-Alpes-Côte d’Azur (GRECPACA), animé par A.I.R. Climat, et apporter des réponses spécifiques, le comité régional d’orientations (CRO) a constitué des groupes de travail thématiques (GTT). Ces derniers sont composés de chercheurs de toutes les disciplines et de spécialistes du climat, qui contribuent à la rédaction de cahiers thématiques destinés aux décideurs et gestionnaires de territoires de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur : élus, ingénieurs et techniciens des collectivités locales, des espaces protégés et des grands équipements, associations, entreprises… L’objectif est de décrypter les résultats scientifiques et les enjeux du changement climatique pour informer et sensibiliser le public visé à l’échelle régionale et locale. Par thème, une synthèse de travaux scientifiques est proposée afin d’aider les acteurs territoriaux à évaluer les impacts du changement climatique sur leur territoire et de découvrir des innovations.
Le premier cahier thématique abordait l’évolution du climat en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Les fluctuations du climat à travers l’histoire de la Terre étaient mises en évidence, tout comme les scénarios du climat futur issus des projections du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) à l’échelle globale, régionale et locale (descente d’échelles).
Ce deuxième cahier diffuse des connaissances scientifiques (non exhaustives) sur les effets du changement climatique sur l’agriculture et la forêt en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Les cultures (vergers, céréales, riz, maraîchage…) et les forêts (feuillus, conifères) bénéficient des bienfaits du climat méditerranéen qui offre des conditions favorables au développement des plantes sous certaines conditions, mais souffrent aussi des événements extrêmes qui le ponctuent à intervalles irréguliers. Le climat méditerranéen qui sévit en région PACA pourrait se résumer par Toulourenc (« tout ou rien » en provençal), du nom du cours d’eau à caractère torrentiel qui coule dans la vallée étroite située au pied du versant nord du mont Ventoux. Avec le changement climatique actuel, les aspects négatifs de notre climat sont appelés à se renforcer et font déjà peser sur les terroirs agricoles et les forêts emblématiques de la région de nouvelles contraintes auxquelles il est nécessaire de faire face pour éviter des conséquences trop néfastes. Mais la pérennité et le développement des systèmes agricoles et forestiers ne dépendent pas seulement de l’évolution du climat. L’urbanisation, l’occupation des sols, les pollutions locales (sol, air, eau), les incendies, mais aussi les pratiques culturales et la gestion forestière, jouent un rôle fondamental. Il convient donc de privilégier une approche transversale.
Cette publication souligne les conséquences du changement climatique sur l’agriculture et la forêt en prenant soin d’identifier les enjeux environnementaux, économiques et sociaux, les risques à l’échelle régionale et locale, mais aussi les solutions susceptibles de réduire les impacts (atténuation, adaptation) et les éventuelles opportunités à saisir. Comme dans le précédent cahier, la contribution des chercheurs et experts, exerçant leur métier en région PACA et dans les territoires limitrophes, sous forme d’articles et de zooms, apporte des éléments de compréhension afin de mieux cerner les problématiques liées au changement climatique.
Le climat méditerranéen est une chance pour l’agriculture de notre région caractérisée par un relief complexe, mais impose de fortes contraintes en plaine, sur les plateaux, dans les vallées ou en montagne. Ses températures clémentes et son ensoleillement, mais aussi la richesse des sols et les apports en eau (souvent au prix d’aménagement), favorisent le développement de cultures diversifiées, comme les arbres fruitiers, les vignes, le maraîchage ou encore les céréales, mais ses excès (sécheresse, pluies diluviennes, vent violent, gel, grêle…) sont autant de risques et de menaces qui pèsent sur le secteur agricole qui est de fait vulnérable. Les agriculteurs ont appris à maîtriser les techniques culturales les plus adaptées aux conditions climatiques régionales et locales, mais le changement climatique implique une adaptation qui passe par une évolution rapide des pratiques.
Cette première partie axée sur l’agriculture, l’une des activités consommatrices de produits fossiles et émettrices de gaz à effet de serre (GES) à l’échelle mondiale, nationale, régionale et locale, qui contribue donc partiellement au changement climatique, permet d’appréhender les conséquences du changement climatique, d’apporter des réponses en termes d’atténuation et d’adaptation aux élus, gestionnaires des territoires et agriculteurs régionaux. Avant d’évoquer les démarches et initiatives qui visent à réduire les impacts du changement climatique en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, il est important de décrire les cycles végétatifs annuels des plantes face au changement climatique.
Le cycle annuel d’une plante pérenne, comme un arbre fruitier ou un cep de vigne, est rythmé par des évènements, dits « phénologiques », qui sont successifs, observables et en lien avec les conditions météorologiques de l’année en cours. Il existe plusieurs types d’évènements phénologiques se produisant à différentes périodes de l’année. Ainsi, pendant l’automne et l’hiver, les basses températures de l’air qui satisfont le besoin en froid des plantes vont permettre aux bourgeons de sortir progressivement de leur état de dormance. La date à laquelle la levée de dormance se produit (stade non observable à l’œil nu) marque le début de la phase pendant laquelle les bourgeons vont grossir sous les effets de températures plus chaudes (besoin en chaleur). Cette croissance des bourgeons, au début invisible, va donner lieu au printemps au débourrement végétatif et/ou la floraison. Ces stades sont fondamentaux pour décrire la distribution et la capacité de survie des espèces, car ils vont définir la sensibilité des espèces (ou variétés) face notamment au risque de gel de printemps. Au cours du printemps et de l’été, se mettent en place la formation et la maturation du fruit qui sont également caractérisées par des stades phénologiques. Enfin, et avec le raccourcissement des jours et la baisse des températures à la fin de l’été et au début de l’automne, on observe les premiers signes de la sénescence (changement de couleur de la feuille), puis la chute de feuilles.
Observer la phénologie, c’est noter chaque année ces évènements successifs. Depuis quelques années, des bases de données permettent d’enregistrer ces observations réalisées sur différents sites. Elles servent aux scientifiques à caractériser l’évolution de la phénologie de leurs espèces d’intérêt, mais aussi à étudier l’impact du climat sur ces événements. Les automnes et hivers trop doux, les printemps particulièrement chauds, les étés très chauds et secs, etc., conséquences directes du réchauffement
climatique, sont de plus en plus fréquents. Ces phénomènes extrêmes, loin d’être anecdotiques, comme l’hiver 2015-2016 par exemple, vont affecter le développementdes végétaux.
En effet, l’« horloge » principale contrôlant la succession des évènements phénologiques est la température de l’air. Le besoin en chaleur est le facteur qui contrôle tous les évènements phénologiques mentionnés ci-dessus, hormis la levée de dormance qui se déclenche sous le contrôle d’un besoin en froid à satisfaire. Classiquement, on considère comme spécifique d’une espèce sa manière de répondre à la température. Ensuite, on peut décrire le niveau de précocité des variétés au sein d’une espèce donnée en fonction de ses besoins en froid et de chaleur nécessaires pour atteindre les différents stades phénologiques.
Un suivi annuel à long terme des stades phénologiques renseigne sur la manière dont les plantes répondent au changement climatique. La phénologie constitue ainsi le
premier indicateur directement observable de l’impact du changement climatique sur le développement des espèces végétales. À titre d’exemple, dans le sud-est de la France, jusqu’au début des années 2000, il a été observé une avancée de la floraison du pommier d’environ 7 jours en moyenne. Cette avancée a complètement disparu par la suite à cause d’une plus grande lenteur à satisfaire le besoin en froid induisant des levées de dormance plus tardives. Pour la vigne, l’accélération générale du calendrier phénologique est la cause directe de l’avancée des dates de vendange dans les différents vignobles (environ 30 jours en 50 ans pour le vignoble de Châteauneuf-du-Pape), même si les conditions climatiques estivales des dernières années ont provoqué une stagnation de cette
évolution.
Par ailleurs, certains producteurs ont constaté que l’évolution de la phénologie des espèces était parfois accompagnée d’une modification de la qualité du fruit.
Ces changements vont soulever des questions sur l’adaptation de leurs espèces (variétés) et le type de production si la tendance se poursuit à l’avenir.
À l’heure où le changement climatique ne fait plus aucun doute, des chercheurs de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) s’intéressent aux modifications phénologiques auxquelles les plantes pérennes sont soumises dans différents sites, ainsi qu’aux différentes réponses suivant les espèces et les variétés cultivées. En utilisant les scénarios climatiques proposés par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) comme données d’entrée des modèles numériques de prévision de la phénologie,les chercheurs imaginent le futur jusqu’à l’horizon 2100.
Les simulations révèlent ainsi des tendances futures contrastées selon les espèces et les zones d’étude. Pour certaines espèces fruitières comme l’abricotier et le pommier, on peut s’attendre à un certain retard de la date de floraison dans les zones méridionales de la région et à une avancée importante (notamment jusqu’à 2050) dans les zones plus septentrionales et de montagne. Pour la vigne, on s’attend à une avancée d’environ 10 jours pour les différents stades à l’horizon 2050, et celle-ci pourrait atteindre environ 20 jours à la fin du siècle si le rythme actuel des émissions de gaz à effet de serre (GES) se maintient. Tous ces changements vont certainement modifier la qualité des produits récoltés et dans certains cas, il est probable que les producteurs soient obligés de changer leurs variétés, espèces ou même zones de production.
Pour les aider, des chercheurs de l’INRA notamment contribuent à :
De cette manière, ils espèrent pouvoir identifier les espèces les plus résistantes et prédire leur comportement ces prochaines décennies. En effet, qu’elle concerne les cultures forestières, fruitières ou viticoles, l’adaptation au climat représente des enjeux socio-économiques très importants en région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Il est donc capital d’anticiper dès maintenant la probable évolution de la phénologie pour assurer la survie des cultures pérennes telles que nous les connaissons aujourd’hui.
Le changement climatique est planétaire, mais les signes de ce bouleversement sont perçus à différentes échelles spatiales. La région Provence-Alpes-Côte d’Azur fait partie intégrante du bassin méditerranéen dont les régions sont confrontées à des risques climatiques similaires, sachant que l’intensité des événements et les impacts associés varient d’un territoire à un autre. Pour mieux saisir les effets du changement climatique sur le secteur agricole, mais aussi les enjeux de l’atténuation et de l’adaptation, il est important de replacer la région Provence-Alpes-Côte d’Azur dans le contexte méditerranéen où le changement climatique est logiquement perçu comme une menace pour la nature et l’homme, mais il existe toutefois quelques opportunités à ne pas négliger. Le but est d’accéder ici à une vue synoptique, de penser globalement tout en agissant localement.
Le changement climatique affecte les rendements agricoles et les besoins en eau par une interaction complexe entre les effets physiologiques spécifiques aux cultures et la disponibilité des ressources en eau à court, moyen et long terme. La probabilité que les étés et les printemps en région PACA deviennent à l’avenir plus chauds et plus secs est forte. Cette tendance sera accompagnée d’une diminution des volumes d’eau de surface, principalement due aux changements de la saisonnalité et des stocks d’eau liés aux précipitations et à la fonte des neiges. Ces plus faibles apports de surface peuvent avoir un impact direct sur la recharge des nappes phréatiques, limitant ainsi la quantité des eaux souterraines.
La fréquence des événements extrêmes, comme les sécheresses prolongées et les tempêtes intenses, est susceptible d’augmenter. Une élévation du niveau de la mer favorisera l’intrusion d’eau salée dans les aquifères d’eau douce et les sols agricoles, ce qui diminuera de manière significative leur productivité. Les cultures seront directement touchées par le bouleversement climatique : le stress thermique, les besoins en irrigation plus importants, les perturbations dans les périodes de croissance et l’absence de températures froides propices au repos des arbres fruitiers peuvent conduire à une production plus faible. Bien que les résultats des différents modèles agronomiques soient cohérents, un certain degré d’incertitude demeure. En effet, les impacts diffèrent en fonction des cultures, selon le potentiel de certaines plantes à devenir plus productives et plus efficaces dans leur consommation d’eau (grâce à des concentrations atmosphériques en dioxyde de carbone plus élevées), et en fonction de la gestion des exploitations et des pratiques agricoles. Ces dernières peuvent contribuer à l’adaptation (modification du calendrier agricole, par exemple) ou compenser des impacts négatifs (par une meilleure conservation de l’eau dans le sol, par exemple).
La région PACA présente des particularités dans le contexte méditerranéen : ressources en eau plutôt abondantes, infrastructures hydrauliques bien développées (canaux, aqueducs, exploitation des eaux souterraines, etc.) et un secteur ovin important dans les territoires de montagne. Elle présente également des similitudes avec d’autres régions méditerranéennes, avec un fort secteur viticole (40% des exploitations sont dédiées à la viticulture, surtout dans le Var et le Vaucluse), arboricole et maraîcher (20% des exploitations).
Les effets du changement climatique décrits précédemment touchent la région PACA, mais aussi l’ensemble du bassin méditerranéen. Dans ce contexte, la combinaison planifiée de deux stratégies est peut-être l’une des clés pour lutter contre le changement climatique et faciliter l’adaptation.
Tout d’abord, la région PACA pourrait profiter de son caractère particulier afin de maintenir et développer les exploitations gérées de manière durable, et permettre de couvrir la demande régionale et internationale pour ses produits de terroirs. Comme certaines régions méditerranéennes seront plus sévèrement touchées par le changement climatique, en matière de pénurie d’eau, la Région PACA aura « l’opportunité » de s’adapter aux marchés par l’exportation de produits nécessitant une consommation d’eau modérée ou forte (tout étant relatif). Par ailleurs, promouvoir l’adoption de modèles, technologies ou pratiques mis en place dans d’autres régions agricoles du bassin méditerranéen, peut aussi constituer une stratégie positive en faveur d’une adaptation plus rapide et plus intelligente. La région PACA peut choisir d’implanter des cultures adaptées à un climat plus chaud et plus sec, comme c’est le cas aujourd’hui dans le sud de l’Espagne et la Tunisie. Privilégier les oliviers, les orangers et les amandiers irrigués au goutte-à-goutte, par exemple, serait une solution pour l’agriculture régionale. L’analyse du potentiel de remplacement des cultures pluviales, sensibles à la sécheresse, par ces cultures arboricoles est pertinente. En outre, si l’irrigation de nouvelles plantations passe par des systèmes de goutte-à-goutte similaires aux pratiques dominantes en Israël et en Libye, les besoins en eau d’irrigation peuvent s’avérer relativement faibles et même être couverts par la réutilisation des eaux usées. Suivre l’exemple du Maroc qui soutient les fermes utilisant l’énergie solaire peut aussi représenter une option d’atténuation et d’adaptation précieuse.
Il est nécessaire d’avoir une vue d’ensemble ! L’atténuation et l’adaptation dans l’agriculture peuvent s’appuyer sur des leviers efficaces aptes à limiter les impacts du changement climatique. Encourager les synergies et une plus grande résilience, valoriser le savoir-faire et les technologies intelligentes, éviter les compromis à risques qui mettent en péril la sécurité des populations, par exemple, sont autant de moyens d’actions pour prendre en main la problématique du changement climatique. Un cadre conceptuel (Figure 1) illustre l’importance d’une prise en compte intégrée des différents leviers qui contribuent à une démarche responsable et partagée.
Ce cadre conceptuel est un dispositif théorique pour répondre au défi climatique en région méditerranéenne et plus particulièrement en région PACA. Le changement climatique n’est pas un processus isolé. Il est étroitement lié à d’autres problèmes, notamment les préjudices environnementaux, comme la pollution, l’érosion, la perte de la biodiversité et de terres agricoles causée par l’urbanisation croissante et l’homogénéisation de certains paysages ruraux. Il est indispensable de rechercher des solutions intégrées : des pratiques agro-écologiques, comme par exemple la technologie du labour zéro, peuvent à la fois réduire la pollution, éviter l’érosion, promouvoir la conservation de la biodiversité et permettre une meilleure résistance aux aléas météorologiques. Les différents effets du changement climatique se traduisent à différentes échelles (de locale à globale) : le champ, l’exploitation, le bassin versant, la
région, le bassin méditerranéen et le monde entier. Il est primordial de rechercher des solutions qui tiennent compte de cette dimension et d’éviter des compromis déséquilibrés interscalaires. Une augmentation de l’irrigation par inondation dans l’agriculture intensive, par exemple, peut augmenter localement les rendements, mais peut aussi lessiver les sels et infiltrer des produits chimiques dans les aquifères, ce qui pose un problème pour l’approvisionnement en eau potable de la région qui sera obligée d’investir plus d’argent pour la purification et le traitement. La considération des échelles implique également une réflexion sur les délimitations géographiques de la région PACA et la façon dont l’adaptation au changement climatique doit être coordonnée avec les régions françaises et italiennes adjacentes. Par exemple, la gestion du bassin du Rhône est, par définition, une tâche suprarégionale.
L’agriculture ne doit pas être considérée comme un secteur cloisonné. Les impacts du changement climatique sur les rendements et les mesures d’adaptation régionale peuvent potentiellement affecter le niveau d’emploi dans les exploitations agricoles, mais aussi dans les industries agroalimentaires et dans le secteur en amont des fournisseurs d’intrants agricoles ou de matériel. Le lien avec d’autres secteurs n’est pas toujours négatif : un couplage de l’écotourisme avec les activités agricoles (« accueil à la ferme ») peut aider à financer l’atténuation et l’adaptation.
Par ailleurs, les normes environnementales étant moins strictes et les subsides d’État plus importants dans certains pays, les prix finaux des produits agricoles peuvent varier largement. Il est important de travailler sur la coordination des politiques à l’échelle méditerranéenne pour aller vers des normes environnementales élevées, de partager les expériences, tout en protégeant les producteurs agricoles installés dans notre région qui sont confrontés à un dumping commercial, résultant de l’exploitation des travailleurs agricoles dans certaines régions et du manque d’internalisation des coûts environnementaux. Ce dernier exemple montre que la flexibilité du secteur agricole en région PACA est essentielle pour limiter sa vulnérabilité et tirer profit de l’intégration nationale et internationale.
Pour éviter de faire chuter le rendement du blé, des démarches participatives se mettent en place. L’objectif est ici d’encourager le suivi de la plante à différents stades de son développement et d’engager les acteurs agricoles dans une démarche participative.
Depuis 1990, le rendement du blé dur dans le sud-est de la France (courbe orange, Figure 2) stagne en raison du changement climatique, et plus précisément de trois facteurs climatiques : le déficit hydrique de printemps, l’inondation hivernale des sols (en Camargue, dans les Cévennes…) et les températures de l’air élevées en mai et juin pendant la formation du grain.
En l’absence de ces facteurs défavorables (si l’on prolongeait le climat des années 1980), le rendement du blé continuerait à progresser sur une tendance linéaire (courbe bleue). La seconde conséquence du changement climatique sur la culture du blé est le caractère de plus en plus chaotique et « en dents de scie » selon les années. Par exemple, entre 2013 (printemps historiquement le plus arrosé) et 2015 (printemps historiquement le plus sec), les producteurs de Provence ont vécu leur meilleure et leur pire année climatique pour le blé.
Il est évident que, dans ce contexte, une conduite « habituelle » des cultures (calée sur un rendement moyen dont la valeur est aujourd’hui peu significative), sans tenir compte du potentiel de production de l’année, est vouée à l’échec : gaspillage, perte économique et risques pour l’environnement les années défavorables ; manque de nutrition et/ou de protection des cultures les années favorables. Pour y remédier et fournir des clefs de décision aux agriculteurs pour leurs choix techniques, ARVALIS a développé une méthode d’évaluation du potentiel de rendement de l’année, et de réévaluation de ce potentiel en fonction du climat vécu et prévisible.
Évaluer le potentiel de rendement très tôt en saison est une étape déterminante pour ajuster la conduite du blé dur. Pour parvenir à l’estimation de ce potentiel, une méthode, qui consiste à calculer les pénalités de rendement prévisibles en fonction du niveau de la réserve hydrique disponible et du climat attendu, est appliquée pour permettre aux agriculteurs d’adapter leur conduite ou leurs pratiques culturales en fonction du potentiel annuel. L’objectif est d’accompagner les agriculteurs afin de les aider à mieux gérer les rendements et la qualité du grain, et limiter les frais en fonction des années favorables ou défavorables, appelées aussi « bonnes années » ou « mauvaises années ».
Lorsque la méthode fonctionne (absence de problèmes parasitaires majeurs non maîtrisés), la rentabilité de la culture est augmentée, car l’efficience des intrants est améliorée. Cette technique est adaptable à toutes zones agricoles en région PACA où la variabilité interannuelle des rendements, due au déficit hydrique, est forte.
L’examen du potentiel de rendement précoce est renforcé par une ré-estimation à des stades clés en vue d’une adaptation de l’itinéraire technique. Au début et à la fin de la montaison, deux phases qui correspondent respectivement à la sortie d’hiver du blé et à la sortie des barbes au niveau des épis, un examen du peuplement (plantes/m², puis épis/m²), de l’enracinement et des facteurs limitants de type parasitaire ou climatique (pression d’adventices, viroses, ravageurs, maladies…) est réalisé. En fonction des résultats, un recalage du potentiel, et donc du niveau d’apport d’azote, est effectué, et la stratégie de lutte contre les mauvaises herbes et les maladies ajustée.
Pour optimiser la conduite culturale du blé en fonction du potentiel de production, un dispositif de surveillance est mis en place. Selon le type de sol et le climat, il est possible de définir le « potentiel climatique » qui a une influence sur l’état de la culture et la prévision de rendement. Pour agir de manière positive sur la rentabilité, la qualité du produit et l’environnement, il est possible d’ajuster les intrants.
Le système, qui réunit tous les acteurs (Figure 3), repose sur quatre leviers :
Si l’itinéraire technique suivi sur la parcelle est enregistré, il est aussi possible de suivre les indicateurs de bilan énergétique et bilan carbone, qui peuvent aussi être améliorés par la méthode de pilotage.
En Provence et de manière générale en zone méditerranéenne où, en raison des à-coups climatiques, l’amplitude de la variation des rendements du blé dur est très élevée, une méthode de suivi de culture développée par ARVALIS permet au producteur et à ses partenaires de disposer d’éléments tangibles pour ajuster l’itinéraire technique au potentiel de l’année. Ceci constitue un progrès tant sur le plan économique que technique et environnemental.
Cette démarche générale est positive et reproductible (hors conduite culturale du blé), à condition de l’adapter aux spécificités culturales et aux pratiques des différents protagonistes impliqués dans son élaboration et son application.
ZOOM 1. Un réseau agricole de conseil pour maîtriser la consommation énergétique et les émissions de gaz à effet de serre
Pour accompagner le secteur agricole dans la réduction de ses consommations énergétiques et de ses émissions de gaz à effet de serre (GES), l’Inter-Réseau Régional Agriculture Énergie et Environnement (IRAEE), un réseau de conseil, se mobilise en région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Avec la participation financière de l’ADEME et de la Région PACA, neuf têtes de réseau de la filière agriculture se sont organisées en inter-réseau, courant 2013, avec pour objectif de conseiller, accompagner et développer des projets d’adaptation au changement climatique.
Les principales missions de ce réseau sont de :
Les publics visés sont :
L’accomplissement de ces missions passe notamment par la communication pour encourager les agriculteurs à adopter de bonnes pratiques énergétiques. Pour ce faire, le réseau s’appuie sur :
Ce réseau IRAEE permet de faire travailler collectivement des structures agricoles qui ont des compétences complémentaires. Il en résulte notamment le montage de projets communs. De plus, un lien fort entre le réseau et les lycées agricoles offre une diffusion des bonnes pratiques énergétiques auprès des élèves et apprentis en formation. L’enseignement agricole régional participe activement à cette dynamique en travaillant avec l’ensemble des partenaires, ce qui assure une dimension transversale au projet.
Comme le changement climatique est un défi pour la survie des cultures en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, il est important de faire appel à l’innovation afin d’ouvrir des voies prometteuses en faveur du maintien et du développement des systèmes agricoles.
Les risques associés aux pratiques agricoles conventionnelles dans les régions méditerranéennes Pendant des millénaires, la région méditerranéenne a été caractérisée par la présence d’une agriculture très diversifiée et intégrée aux écosystèmes naturels. Les différentes pratiques agricoles ont façonné des agroécosystèmes pourvoyeurs de nombreux services : productions agricoles et forestières, tourisme, valeur patrimoniale et culturelle… La pérennité de ces systèmes est actuellement menacée par une accumulation de pressions liées au changement climatique, mais surtout au changement global. En effet, le changement climatique, qui génère en Méditerranée des stress thermiques, hydriques et halins, affecte des agro-écosystèmes déjà partiellement fragilisés, voire fortement dégradés par les pressions anthropiques. L’urbanisation et l’abandon des terres, dans certaines zones isolées et montagneuses, ont réduit les surfaces agricoles concentrées dans les secteurs les plus favorables à l’agriculture où la majorité des systèmes de production sont aujourd’hui intensifs et spécialisés. Il en résulte des phénomènes de dégradation et d’érosion des sols, de pollution (sol, eau, air), ainsi qu’une perte de biodiversité de nature multiple (impacts sur la richesse des paysages et des espèces, la diversité génétique et fonctionnelle…).
L’usage intensif de pesticides et d’herbicides perturbe les organismes vivant dans le sol (micro-organismes, principalement les bactéries et les champignons, micro et macro-faune comme les microarthropodes, collemboles, vers de terre…) et bouleverse la structure, l’aération, la compacité, le pH et la texture du sol. Le fonctionnement de ce dernier est également modifié par l’apport insuffisant de matière organique, des labours trop profonds, le compactage et des périodes prolongées de sol nu. L’une des conséquences de l’altération des propriétés physico-chimiques des sols est leur moindre capacité à absorber et retenir l’eau. Sur ces sols, dans un contexte de changement climatique qui se traduit notamment par un risque accru de sécheresse estivale (projections du GIEC), la vulnérabilité des cultures augmente.
Par ailleurs, les plantes souffrent d’un accès restreint aux nutriments du fait de la perte de vie biologique des sols. En surface, la faible présence d’infrastructures agro-écologiques (arbres isolés, haies, etc.) dans les paysages de monocultures diminue la protection contre le vent, accroît les pertes d’eau par évaporation, aggrave les effets des canicules et limite les habitats potentiels pour les auxiliaires utiles des cultures (pollinisateurs, biopesticides…). Les bases écologiques du fonctionnement de tels agro-écosystèmes sont réduites et leur capacité productrice dépend principalement d’apports d’intrants exogènes (irrigation, engrais, pesticides) dont la production et l’utilisation contribuent aux émissions de gaz à effet de serre (GES).
Les pratiques innovantes sont de « nouvelles » pratiques agricoles pour lesquelles les intérêts agronomiques et les fonctions écologiques ont été découverts récemment, et qui se distinguent de celles de l’agriculture conventionnelle. Dans certains cas, il s’agit de pratiques traditionnelles remises en service, comme l’agroforesterie par exemple. Ces pratiques culturales sont encore minoritaires, même si leur développement tend à augmenter avec la diffusion d’informations portant sur leur efficacité et leurs limites auprès de tous les acteurs concernés.
Dans les régions méditerranéennes, les pratiques innovantes qui présentent un intérêt pour la durabilité des agro-écosystèmes sont les suivantes :
Un enjeu majeur de l’agriculture consiste donc à identifier et mettre en œuvre des pratiques adaptées au changement global, garantissant la production tout en maintenant une biodiversité riche et fonctionnelle au sein d’agro-écosystèmes durables. La gestion rationnelle de ces espaces peut constituer un facteur déterminant dans l’atténuation de ces profonds bouleversements environnementaux. Dans ce contexte, il est également important de souligner que des contraintes environnementales sont plus marquées dans certaines zones géographiques, notamment les milieux littoraux (dessiccation renforcée par le régime des vents, ensoleillement, stress halin, forte anthropisation…) qui tendraient à devenir particulièrement vulnérables. Pour réduire cette vulnérabilité, il est important d’intégrer, dans les recommandations et la mise en œuvre des nouvelles pratiques agricoles, une approche spatiale (en fonction de la distance à la mer, par exemple) afin de maximiser la démarche alternative visant à préserver ces agro-écosystèmes et leur diversité.
ZOOM 2. Le soutien des pratiques agricoles innovantes en Provence-Alpes-Côte d’Azur
Le Ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et de la Forêt présente le projet agro-écologique en 12 clés, dont certaines se rapportent aux pratiques innovantes (Cf. §2.4). Au vu de leur intérêt pour faire face aux conséquences du changement climatique, différentes institutions soutiennent les agriculteurs développant de telles pratiques et des recherches pilotes sont conduites par des groupements d’associations, d’instituts de recherches et d’acteurs locaux :
Le climat a toujours été un enjeu majeur pour le monde agricole et le changement climatique actuel ne fait que renforcer le lien qui les unit. Sur une majorité d’espèces cultivées, en particulier les céréales à paille, le changement climatique provoque depuis 1995 une stagnation des rendements nationaux et régionaux, limitant ainsi la contribution de la France au nécessaire doublement de la production alimentaire mondiale d’ici 2050. L’augmentation des températures de l’air, induisant un effet de plus grande sécheresse subie par les plantes, est l’un des facteurs incriminés dans cette stagnation. Dans ce contexte de changement climatique global, l’agriculture doit aussi réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES), sachant que la fertilisation azotée minérale fait partie des postes d’émissions les plus importants. Concernant la sécheresse et la fertilisation azotée, contrairement à une idée reçue, les études montrent que les variétés actuelles sont plus performantes que dans le passé en situation de restriction d’eau ou de fertilisation. Il suffit de remonter 25 ans en arrière pour en faire le constat. Ce progrès n’est toutefois pas assez rapide, car il ne permet pas de compenser les effets croissants des événements climatiques, parfois extrêmes, néfastes à la performance des cultures.
En région Provence-Alpes-Côte d’Azur, plusieurs projets d’envergure nationale et européenne permettent de lever des verrous existants et d’accélérer le progrès. La sélection variétale passe par plusieurs étapes clés : choisir des parents variés, les croiser et les trier.
Ce processus nécessite du temps, 6 à 10 ans, mais il permet de désigner un ou deux « élus » sur des centaines de milliers de « candidats ». Évaluer autant de variétés candidates n’est toutefois pas un travail aisé. Le site d’expérimentation d’ARVALIS - Institut du végétal, situé à Gréoux-les-Bains, est devenu un site pilote pour mettre au point des techniques permettant d’observer le comportement des variétés de blé en cas de sécheresse. Il s’agit de développer des systèmes de mesure permettant de déterminer les variétés capables de supporter des conditions climatiques difficiles. À l’instar de l’imagerie médicale, la seule observation extérieure des individus ne suffit pas à poser un bon diagnostic et mesurer des phénomènes physiologiques, invisibles à l’œil nu. ARVALIS et l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) d’Avignon ont ainsi créé un robot autonome, la PhénoMobile qui permet de scanner un millier de petites parcelles d’expérimentation d’une surface de 10 à 20 m² et de mesurer leur réflectance (interaction avec la lumière) et leur structure en 3D. ARVALIS a, par exemple, montré que la réflectance permettait d’identifier rapidement les variétés aptes à recevoir une fertilisation azotée réduite. Ces mêmes technologies sont également développées à partir de plates-formes aériennes (drones). HIPHEN, une société privée implantée à Avignon, a été créée pour déployer ces technologies auprès des entreprises de sélection : en une année, plus de 70 vols ont permis de caractériser des phénomènes importants comme la couverture du sol de la betterave ou l’enroulement des feuilles du maïs. La société, créée fin 2014, a ainsi réalisé plus de 220 K€ de chiffre d’affaires en un an.
Toujours par analogie avec la médecine, l’environnement des individus a un fort impact sur leur état de santé. Pour la sécheresse, la quantité d’eau que peut contenir le sol va déterminer si une plante est ou non en état de stress. Or, les sols agricoles sur lesquels les expérimentations sont conduites sont forcément variables. On peut donc parfois conclure qu’une variété est meilleure qu’une autre, alors qu’elle a simplement eu la chance d’être semée dans une zone où les caractéristiques du sol sont plus favorables. Pour remédier à cet artifice, sur le site de Gréoux-les-Bains, les pédologues d’ARVALIS ont réussi à définir la capacité de rétention d’eau du sol à l’échelle du mètre carré (Figure 4). Une fois cette information prise en compte, la précision de la comparaison des variétés est quasiment doublée
En conclusion, le changement climatique requiert une accélération du progrès génétique pour limiter ses effets négatifs. Une approche très interdisciplinaire est conduite grâce aux équipes mobilisées à Avignon (ARVALIS, INRA, HIPHEN) et au site expérimental de Gréoux-lesBains. Cette alliance de compétences agronomiques, physiologiques, robotiques, informatiques et génétiques montre qu’il sera possible demain d’accélérer de manière significative l’obtention de variétés plus tolérantes à la sécheresse, par exemple. Le déploiement à large échelle auprès de l’ensemble des sociétés semencières reste maintenant à faire.
Pour éviter de subir les effets du changement climatique, des scénarios d’évolution des systèmes agricoles peuvent être déclinés. Ils permettent d’anticiper les mesures à prendre, de créer une dynamique locale et de mutualiser les efforts. Les riziculteurs de Camargue agissent collectivement pour conserver leur richesse agricole.
Le riz est une culture emblématique de la Camargue et donc de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Grâce à la submersion des parcelles, pratiquée entre avril (début des semis) et septembre (début des récoltes), la salinité des sols est maintenue à un niveau acceptable pour obtenir des rendements satisfaisants et permettre la rotation avec des cultures pluviales, telles que le blé dur ou encore la luzerne. La rizière constitue toutefois un milieu à fort potentiel d’émissions de gaz à effet de serre (GES), qui favorise notamment les émissions directes de dioxyde de carbone (CO2) dues au brûlage des pailles, mais aussi la production de méthane (CH4) par décomposition anaérobie des matières organiques. Ces émissions de GES s’ajoutent à celles liées à la consommation des carburants et à celles indirectes provenant de l’usage d’intrants chimiques et plus particulièrement d’engrais azotés.
Après l’évaluation de la contribution des différentes cultures aux émissions de GES et, pour chacune d’entre elles, l’identification des pratiques culturales les plus émettrices, des scénarios d’évolution des systèmes agricoles ont été élaborés avec les parties prenantes de l’agriculture camarguaise. Ces scénarios tiennent compte (i) du mode de gestion des pailles de riz (hypothèse d’une interdiction future du brûlage), (ii) d’un renforcement du changement climatique qui réduirait la ressource en eau douce du Rhône et augmenterait la salinisation des sols (évapotranspiration accrue du fait de plus fortes températures), et (iii) de l’impact du réchauffement climatique sur les futurs rendements de riz. Quatre scénarios d’évolution des systèmes agricoles, construits de manière participative avec les acteurs locaux, croisent ainsi les projections climatiques avec deux situations économiques et réglementaires contrastées : l’une favorable au riz et l’autre défavorable. Des scénarios où le climat ne ferait pas l’objet d’un changement majeur servent de référence (situation actuelle).
Pour adapter les systèmes agricoles à ces futurs possibles, les acteurs camarguais ont été mobilisés pour proposer de nouveaux systèmes culturaux. Parmi ceux-ci figurent :
Ces scénarios ont été évalués grâce à des modèles de fermes, dont la diversité a été prise en compte, qui permettent de calculer les valeurs d’indicateurs de performances (marges économiques, émissions de GES, usage de produits phytosanitaires, dépendance aux intrants, etc.) aux échelles de l’exploitation agricole et de l’ensemble du territoire. Ces résultats ont ensuite été soumis aux acteurs agricoles du territoire pour correction et validation. Le scénario de réchauffement climatique
serait plutôt favorable aux rendements du riz moyennant l’usage de variétés à cycle plus long et de semis plus précoces. La diversification des cultures et des modes de production rendrait par ailleurs les systèmes plus économes et limiterait leurs impacts sur le plan environnemental, avec des rotations plus longues et la présence de légumineuses. Des investissements et innovations technologiques (barrage anti-sel, modification des systèmes de pompage) permettraient aussi de lutter contre la remontée de la langue d’eau salée dans le cours inférieur du Rhône. Des incertitudes demeurent toutefois quant à l’impact d’une montée générale du niveau de la mer. Celle-ci pourrait conduire à la non-culture des terres les plus basses. La montée des eaux maritimes, combinée à l’inondation hivernale des parcelles rizicoles qui pourrait s’étendre à cause du non-brulage des pailles de riz, favoriserait l’accueil des oiseaux d’eau pendant l’hiver. Mais cette submersion accrue des terres basses serait productrice d’un surplus d’émissions de GES qui réduirait les avantages de la pratique des riz à sec sur les terres hautes (les riz à sec étant moins submergés, la production de GES et notamment de méthane serait réduite). Enfin, des enquêtes conduites auprès d’un échantillon de riziculteurs révèlent un faible ressenti des agriculteurs vis-à-vis des enjeux du changement climatique, car ils mettent davantage l’accent sur une variabilité interannuelle forte, non vécue comme tendancielle.
ZOOM 3. Changement d’usage des sols et climat
Selon Jonathan Foley (2005), les besoins de l’humanité en nourriture, fibres, eau et abris déterminent l’usage du sol sur la planète.
Aux échelles globales, les interactions entre les milieux naturels et l’histoire longue des sociétés ont fortement orienté la répartition des usages des sols : les sociétés se sont sédentarisées dans les zones où les techniques maîtrisées ont permis de tirer profit de la fertilité naturelle, générant de manière très schématique une prédominance des terres agricoles dans les zones tempérées, et laissant les espaces forestiers aux zones humides et boréales.
À l’échelle locale, l’homme a développé des techniques pour se soustraire aux contraintes naturelles. L’action des individus et des sociétés explique la forme précise de chaque usage des sols : les préférences pour un type d’habitat discriminent les villes denses et l’habitat diffus ; les aménagements anthropiques (accessibilité, disponibilité en eau…) favorisent l’installation d’activités ; la structure économique du territoire (emplois, richesse des ménages…) prévaut sur la dynamique des systèmes spatiaux…
Dans ce cadre, les relations entre changement d’usage des sols et climat sont à la fois fortes et mal connues :
Les sciences de l’usage des sols produisent des modèles unifiés qui ont pour vocation de rendre compte de la relation entre changement des usages et climat, mais ces outils sont encore perfectibles, eu égard notamment à la dimension multiscalaire du phénomène.
Corrélativement, les effets du changement climatique sur l’usage des sols sont également méconnus (IPCC, 2014). De nombreuses études ont mesuré ou anticipé des effets sur les usages : que ce soient les espaces naturels avec des migrations attendues d’espèces ou les espaces anthropisés dans lesquels les villes ou l’agriculture auront à évoluer. Jusqu’à présent, la principale réponse aux contraintes climatiques a été technologique (irrigation, fertilisation, génétique des plantes, climatisation…). Or, cette réponse n’est pas suffisante car elle est contingente à des seuils de connaissances ou économiques, et non pérenne puisque son expression dans les systèmes productifs accroît les émissions unitaires de gaz à effet de serre (à titre d’exemple, +14% en agriculture entre 2001 et 2011).
Pour résumer, dès lors que les aptitudes des milieux déterminent les usages du sol et que les changements climatiques sont à même de les modifier, des phénomènes de déplacements de producteurs ou d’habitants sont prévisibles, y compris en Provence pour laquelle les évolutions climatiques annoncées pourraient, par exemple, provoquer des relocalisations de productions agricoles. Sauf si les sociétés humaines changent drastiquement leur relation à la nature, au-delà des solutions technicistes habituellement envisagées…
Les impacts du changement climatique sont encore plus perceptibles et visibles en montagne. Les acteurs alpins (collectivités locales, parcs nationaux, parcs naturels régionaux, associations, entreprises…) sont actifs et expérimentent des dispositifs régionaux et locaux qui ont le mérite d’enrichir les connaissances et de faire évoluer, de manière concertée et collective, les pratiques culturales.
Le programme Alpages sentinelles associe, depuis une dizaine d’années, éleveurs et bergers, techniciens agricoles et pastoralistes, gestionnaires d’espaces protégés et chercheurs (climatologues, écologues, agronomes, sociologues). Son objectif est de mieux comprendre la façon dont se traduit le changement climatique dans les alpages, d’anticiper ainsi les impacts potentiels sur les milieux et les pratiques pastorales, et d’identifier les leviers d’action mobilisables sur l’alpage ou à l’interaction alpage-exploitation, tout en gérant durablement les milieux.
Alpages sentinelles a vu le jour dans le Parc national des Écrins, suite à la canicule de 2003 et aux épisodes de sécheresse des années suivantes. Dispositif étendu depuis à l’échelle du massif alpin, il regroupe aujourd’hui 31 alpages et 37 exploitations utilisatrices de ces derniers répartis sur les territoires suivants : Écrins, Vanoise, Mercantour, Ubaye, Chartreuse, Vercors, Luberon, Ventoux. Il comprend également les alpages gérés par les fermes expérimentales de Carmejane (Le Chaffaut-SaintJurson) et du Merle (Salon-de-Provence). Le programme vise la production de références techniques sur les dynamiques qui se nouent entre climat, milieux, pratiques pastorales et systèmes d’élevage. Il a aussi pour objectif de percevoir les signaux d’alerte sur des évolutions, des changements affectant les alpages et les exploitations qui les utilisent.
Des protocoles de mesures, robustes et reproductibles, ont été conçus et mis en œuvre sur le terrain : analyse d’images satellites pour l’étude de l’enneigement et del’évolution de la phénologie des espèces végétales, pluviomètres relevés en alpage par les bergers, observations directes de la hauteur de la végétation pour estimer les variations de la ressource pastorale, analyse des changements des végétations (composition et richesse spécifique), tournées de fin d’estive pour évaluer le niveau de consommation de la ressource et la gestion pastorale, suivis d’exploitations pour évaluer la place de l’alpage dans les systèmes d’élevage et comprendre les choix stratégiques des éleveurs pour l’évolution de leur exploitation. Les observations des bergers (sur la météo de la saison, la réaction des différentes variétés végétales, le comportement des bêtes…) et l’analyse qu’ils en font pour ajuster, si besoin, leurs pratiques pastorales sont également prises en compte et permettent d’enrichir la compréhension des processus. Les marges d’ajustement des conduites pastorales face à un printemps tardif (2013) ou à un épisode de sécheresse et/ou de canicule (juillet 2015) ont ainsi été plus particulièrement étudiées et discutées de manière collective.
La force et l’originalité de ce dispositif est l’apprentissage collectif face à la dynamique du changement climatique en croisant les regards et en s’appuyant sur des constats partagés sur le terrain, notamment lors de tournées de fin d’estive, d’entretiens avec les éleveurs ou d’échanges collectifs. Des rencontres annuelles permettent de débattre des résultats et des hypothèses, et d’intervenir si un dysfonctionnement pouvant compromettre une gestion durable des milieux pastoraux est détecté sur un alpage. Le programme Alpages sentinelles vise ainsi à anticiper et à trouver des marges d’adaptation face aux aléas climatiques, selon les flexibilités relatives offertes par les alpages et en fonction des capacités d’ajustement inhérentes aux exploitations.
Même si la réduction des émissions de gaz à effet de serre devenait massive à l’échelle globale ces vingt prochaines années, permettant ainsi une hausse limitée
de la température de l’air (+2°C), les effets du changement climatique pénaliseront, en l’absence de mesures d’adaptation, l’agriculture régionale pendant encore des décennies. Les incertitudes relatives aux projections climatiques demeurent grandes pour les précipitations, même si des tendances se dégagent, mais, pour la température de l’air, les modèles climatiques régionaux convergent. Il est donc urgent d’agir à tous les niveaux et durablement. Les acteurs agricoles locaux et régionaux se mobilisent d’ores et déjà, un signe fort et très encourageant, mais les actions d’atténuation et d’adaptation sont encore insuffisantes pour lutter efficacement contre le changement climatique, et assurer le maintien et le développement des systèmes agricoles qui font la richesse des terroirs de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Les initiatives doivent se multiplier, à l’échelle régionale et locale, afin de proposer des démarches rationnelles, concertées et partagées, qui mettent les agriculteurs au cœur des dispositifs expérimentaux.
En région Provence-Alpes-Côte d’Azur, les contraintes climatiques pèsent lourdement sur l’agriculture, mais aussi sur les forêts qui s’étirent du littoral à la montagne. La forêt couvre près de la moitié du territoire régional avec la présence d’essences très variées. En fonction du climat à l’échelle régionale, des conditions physico-environnementales locales (microclimats), mais aussi de l’urbanisation et des incendies, les conifères (pins d’Alep, pins sylvestres, mélèzes d’Europe…) et les feuillus (chênes verts, chênes pubescents, hêtres…) prospèrent, résistent ou disparaissent. Les événements climatiques extrêmes (sécheresse, canicule, pluies torrentielles…) ont un impact direct sur la santé des arbres et des forêts (dépérissements, par exemple) encore jeunes dans la région. Avec le changement climatique, ces événements extrêmes risquent de s’intensifier à court, moyen et long terme, ce qui aura une incidence environnementale,
terme, ce qui aura une incidence environnementale, sociale et économique encore plus grande qu’aujourd’hui. La survie de certaines espèces passe notamment par une adaptation des pratiques forestières des gestionnaires. Considérée comme un espace de vie et d’activités, à la fois source d’équilibre écologique, de revenus (filière bois, par exemple) et symboles paysagers (patrimoine, tourisme), la forêt joue un rôle principal dans la nature et l’économie régionale.
Cette seconde partie met en évidence les conséquences du changement climatique sur les systèmes forestiers et les risques associés, présente des mesures d’adaptation et souligne le lien encore méconnu entre la pollution de l’air et la santé des arbres. L’objectif est d’évaluer les impacts du changement climatique à travers la compréhension des processus qui interagissent dans les systèmes forestiers.
Le fonctionnement des écosystèmes forestiers et agroforestiers est par nature complexe du fait de leur structure (stratification, dynamique, etc.) et des réseaux d’interactions entre végétaux, animaux et micro-organismes qui participent aux cycles de matière et d’énergie. Le sol, milieu vivant, même s’il ne constitue pas la partie la plus visible de l’écosystème, joue un rôle majeur dans les cycles biogéochimiques pour lesquels les relations entre biodiversité et fonctionnement sont fondamentales.
Les forêts méditerranéennes étant localisées dans des régions à la géomorphologie tourmentée, où les effets des activités humaines se manifestent depuis près de cinq millénaires et où la sécheresse estivale impose à la végétation une contrainte sévère, leur fonctionnement, structure et dynamique résultent de conditions de non-équilibre. Dans ce contexte, plusieurs éléments peuvent être mis en exergue :
Parallèlement à l’augmentation de la température de l’air, l’allongement annoncé de la saison sèche et l’accroissement des épisodes de canicule attendus pour le siècle à venir vont augmenter le stress hydrique auquel l’écosystème forestier est déjà soumis. Ce dernier peut faire face, jusqu’à une certaine limite, à ces nouvelles et brutales contraintes. Son adaptation passe notamment par une accommodation des individus, mais aussi une modification de son fonctionnement et de sa biodiversité.
Dès le stade de la régénération, les effets de l’augmentation de la température de l’air et de l’allongement de la saison sèche vont apparaître : diminution du nombre et de la taille des fruits et des graines ; températures hivernales trop élevées pour provoquer l’éclatement et la désarticulation des cônes, mais aussi pour lever convenablement la dormance des graines ; sécheresse trop précoce au printemps ou trop tardive en automne ne laissant pas le temps au jeune plant de développer profondément son pivot avant la période sèche ou de s’endurcir avant l’hiver. Des substitutions risquent d’être nécessaires pour les essences en difficulté, que ce soit par des réorientations de la gestion ou des plantations, comme, par exemple, l’introduction du cèdre en lieu et place du sapin ou du pin sylvestre. Mais il convient de prendre une large marge de sécurité par rapport aux limites inférieures de pluviométrie ou d’altitude qui prévalaient jusqu’alors pour toutes les espèces ou provenances envisagées.
On observe aussi, suite à la répétition de sécheresses et plus généralement d’évènements extrêmes, une réduction durable de la surface foliaire des arbres et arbustes via des modifications architecturales : moins de branches, moins de feuilles ou aiguilles qui sont aussi plus petites. La phénologie est aussi affectée : le réchauffement permet normalement un démarrage plus
précoce de la croissance au printemps et un arrêt plus tardif en automne. Certaines plantes ont désormais une croissance ininterrompue en hiver (pin d’Alep, par exemple) à cause du manque de froid. Mais ces accommodations ont des limites : un excès de chaleur et de sécheresse réduit au contraire la longueur de la saison de croissance, comme l’ont démontré les dispositifs expérimentaux, et des dépérissements avec mortalités à court terme sont aussi possibles et même déjà observés (cas du sapin, du pin sylvestre, du chêne liège et du chêne blanc après les sécheresses répétées entre 2003 et 2007). Le dépérissement de nombreuses espèces d’arbres et du sous-bois, partiel ou total, augmente de façon importante la combustibilité du milieu et donc le risque d’incendie : accumulation de biomasse sèche sur pied et dans les litières, transparence du couvert arboré qui se traduit par davantage de lumière, de chaleur et de vent en sous-bois, et parfois accroissement du sousbois à la fois en couvert et en volume. Et les branches qui se développent en hiver, lors d’un débourrement très précoce, peuvent aussi être endommagées par le gel.
L’impact du changement climatique n’est cependant pas limité au comportement des seuls arbres, mais affecte l’ensemble de l’écosystème. Il se traduit par une plus grande virulence de certains pathogènes fongiques et entomologiques, qui se développent plus facilement avec le réchauffement. Ceux-ci augmentent le nombre de générations par an qui ne sont parfois plus régulées par le froid en hiver (développement de la chenille processionnaire, par exemple). De plus, le changement climatique joue dès à présent un rôle néfaste sur la composition floristique des forêts, avec une montée en puissance des espèces xéro-thermophiles et une diminution d’espèces mésophiles. Par une sécheresse accrue du sol notamment, il touche aussi l’ensemble des communautés biotiques du sol (mésofaune et microorganismes) dont l’importance dans le fonctionnement du système et le cycle du carbone est fondamentale.
La connaissance de l’impact du changement climatique sur le fonctionnement des écosystèmes forestiers est encore trop parcellaire. La région PACA a mis en place deux plates-formes expérimentales, l’O3HP (Oak Observatory à l’Observatoire de Haute-Provence) et le site de Font-Blanche, qui apportent déjà des éléments de compréhension sur la réponse fonctionnelle du chêne pubescent et du mélange pin d’Alep-chêne vert face à une sécheresse sévère.
Dans les peuplements gérés, dans l’optique de les rendre moins vulnérables, il est important d’anticiper les bouleversements en choisissant de manière judicieuse des essences dans l’optimum de leurs conditions stationnelles et en privilégiant les essences les plus résistantes au climat futur.
L’éclaircie partielle de peuplements (Cf. §3.2) en vue de limiter la concurrence est dans certains cas une préconisation à valoriser avec la filière bois-énergie. La protection contre le feu de certains peuplements dégradés, risquant de basculer dans la désertification, est recommandée. L’utilisation de la biomasse, issue des travaux d’éclaircie et de débroussaillement, est possible pour les composts de boues provenant des stations d’épuration. Ces derniers peuvent protéger et reconstituer les sols après dépérissement ou incendie.
Le changement climatique nécessite un effort permanent dans les programmes de sélection et de conservation afin d’assurer une large base génétique aux espèces forestières. Le but est de renforcer la résistance de la forêt, tout en satisfaisant les besoins des populations en termes écologique, économique et social.
Les pratiques sylvicoles et leur adaptation au changement climatique représentent l’une des clefs du développement actuel et futur des systèmes forestiers. Le changement climatique se traduit par une augmentation des températures de l’air et une probable détérioration du bilan hydrique des végétaux, via l’augmentation de leur consommation en eau. En effet, l’élévation de la température entraîne simultanément celle de la demande en eau due au climat (évapotranspiration potentielle).
De plus, les formations végétales seront soumises à un risque accru d’incendie lié au déficit hydrique.
Contrairement aux cultures, les forêts méditerranéennes ne sont pas irriguées. Le sylviculteur n’a pas d’autre choix que de tenter de limiter la consommation en eau des peuplements pour les aider à résister à l’augmentation
de l’intensité et de la fréquence des sécheresses prédite par les modèles d’évolution du climat. Il peut aussi contrôler la structure des peuplements qui influe sur leur sensibilité au risque de feu. Nous n’aborderons pas ici la question du choix de l’espèce qui est déterminant dans l’adaptation des forêts au changement climatique, mais uniquement les mesures applicables aux peuplements en place.
On peut examiner les pratiques sylvicoles usuelles et leurs conséquences sur le bilan hydrique et la vulnérabilité au feu des arbres et des peuplements :
Ces interventions, en réduisant la surface foliaire des arbres et des peuplements, diminuent leur demande en eau. En revanche, leurs effets sur le système racinaire sont moins connus et dépendent aussi du type de sol concerné. En modifiant les répartitions des combustibles (étage dominant et sous-bois), elles influencent aussi la sensibilité des arbres et des peuplements au risque de feu. Selon le risque considéré et le terme envisagé, plus ou moins long, les effets peuvent se révéler antagonistes.
Imaginons trois itinéraires sylvicoles (Figures 5 à 7) bien distincts, appliqués à un peuplement régulier de résineux et schématisés sur les figures suivantes, et
examinons leurs conséquences sur l’adaptation au stress hydrique et leur vulnérabilité au risque incendie.
En termes hydriques, cette approche est surtout valable pour les conifères qui adaptent moins facilement leur surface foliaire aux conditions environnementales que les feuillus.
Figure 5. Itinéraire 1 : une sylviculture à base d’éclaircies fortes et précoces au profit d’arbres dominants aurait un effet favorable à court terme sur la réduction de la demande en eau du peuplement. La reconstitution rapide du couvert rétablit ensuite une forte demande en eau que le système racinaire pourrait ne pas satisfaire en cas de sécheresse, si son développement, vers des horizons plus profonds et donc moins sensibles aux variations hydriques, est limité. A contrario, cette sylviculture, en permettant d’atteindre le diamètre objectif des arbres plus rapidement, limite le risque d’exposition à des évènements climatiques extrêmes. Elle produit aussi des arbres plus gros avec une épaisseur d’écorce plus importante offrant une meilleure protection contre le feu. En revanche, les éclaircies intenses stimulent le développement du sous-bois, consommateur d’eau et combustible, créant une continuité entre les strates hautes et basses, et favorisant ainsi le risque de propagation du feu en cime.
Figure 6. Itinéraire 2 : à l’échelle de l’arbre, le sylviculteur peut façonner des houppiers moins développés que dans le cas 1 et donc moins consommateurs d’eau. Une sylviculture à base d’éclaircies plus tardives laisse la compétition s’installer pour favoriser la remontée du houppier par mortalité des branches basses. Pour autant, la surface foliaire au niveau du peuplement reste maximale et donc la sensibilité du peuplement demeure forte. Le couvert fermé diminue le risque de dommage par le feu en limitant le développement du sous-bois et en créant une discontinuité verticale très marquée qui peut être accentuée par l’élagage. Diminuer ensuite la densité des arbres en seconde partie de cycle, quand le couvert forestier met plus de temps à se reconstituer, conduit à limiter plus durablement la consommation en eau, mais, en contrepartie, la vulnérabilité au feu augmente. Les peuplements maintenus plus longtemps pour atteindre leur diamètre objectif sont plus exposés au risque d’évènements extrêmes.
Figure 7. Itinéraire 3 : à un stade intermédiaire entre les éclaircies des cas 1 et 2, on pratique simultanément un élagage artificiel de branches vertes et une éclaircie. On supprime ainsi la partie basse du houppier ayant l’efficience d’utilisation de l’eau la plus faible. L’élagage présente aussi l’intérêt de créer un déséquilibre entre la partie aérienne et les racines, favorable au bilan hydrique de l’arbre élagué, pour peu que la partie aérienne préservée soit suffisante pour assurer la maintenance du système racinaire et satisfaire ses besoins en carbone. Sur le plan de l’autoprotection des peuplements vis-à-vis du feu, cet itinéraire est intermédiaire par rapport aux deux précédents. Le choix d’une sylviculture qui tiendrait compte des effets du changement climatique dépend donc à la fois des objectifs assignés au peuplement (production vs protection), du risque considéré (dépérissement vs incendie), du contexte économique (état du marché, intérêt à produire ou non de gros arbres, élagués ou pas), de l’échéance de renouvellement du peuplement… Sachant que les effets d’une intervention peuvent être antagonistes selon les critères considérés, l’enjeu des recherches est de pouvoir quantifier ces effets et de les intégrer sous forme de modèles multicritères dont les simulations permettront d’évaluer objectivement, voire d’optimiser, la sylviculture envisagée vis-à-vis des risques encourus.
Le changement climatique est une problématique majeure, car il affecte notamment la santé des êtres vivants : les arbres et les forêts ne font pas exception. D’après les projections climatiques du dernier rapport du GIEC, le bassin méditerranéen sera l’une des zones les plus impactées par le changement climatique, avec une hausse des températures de l’air et une possible intensification des sécheresses estivales. La région Provence-Alpes-Côte d’Azur présente une diversité d’écosystèmes forestiers et préforestiers. Leur dynamique (composition, structure) et leur fonctionnement (cycles du carbone et de l’eau, éléments minéraux) sont directement conditionnés par le climat, et indirectement par des perturbations comme les incendies ou les attaques d’insectes. Les sécheresses extrêmes sont aussi considérées comme une perturbation. La sécheresse s’entend comme un déficit de précipitations, mais aussi comme un déficit d’eau dans le sol qui s’accroît avec la hausse de la température (évapotranspiration). Prédire sur le long terme le devenir de ces écosystèmes, sous l’effet du changement climatique, est extrêmement complexe.
Toutefois, l’observation des événements passés, la connaissance des processus biophysiques impliqués et l’utilisation de modèles ou d’indicateurs dépendant de variables climatiques permettent de dégager des tendances.
La sécheresse peut provoquer des dépérissements caractérisés par une défoliation (mortalité des organes) ou la mort des arbres (mortalité de l’individu). L’étage méditerranéen est caractérisé par la présence d’espèces adaptées à la sécheresse et aux fortes températures de l’air, comme le chêne vert et le pin d’Alep qui sont peu vulnérables aux sécheresses estivales, mais dont le fonctionnement peut être altéré par des printemps plus secs. Des défoliations ont ainsi été enregistrées sur des peuplements de l’étage méditerranéen, suite aux années sèches de la période s’étirant de 2003 à 2007. De son côté, l’étage montagnard est caractérisé par la présence d’espèces sensibles à la sécheresse et aux températures élevées comme le sapin, le hêtre ou le pin sylvestre. Des dépérissements massifs de sapins et de pins sylvestres ont été observés dans les Alpes du Sud et l’arrière-pays méditerranéen au cours de la dernière décennie. L’étage supra-méditerranéen est lui caractérisé par des espèces aux comportements intermédiaires vis-à-vis de la sécheresse, comme le cèdre de l’Atlas ou le chêne blanc. La défoliation du chêne blanc s’est accentuée au cours des deux dernières décennies. Outre les dépérissements directement liés au climat, les forêts sont aussi menacées par des agents biotiques (insectes, pathogènes) qui aggravent la défoliation ou la mort des arbres. À la sécheresse et aux agents biotiques s’ajoute la pollution atmosphérique (ozone, dépôts azotés) qui est aussi un facteur d’affaiblissement des écosystèmes forestiers. Globalement, la prévalence des dépérissements a augmenté au cours des dernières décennies pour les forêts méditerranéennes. Il n’est cependant pas toujours possible d’attribuer les dépérissements observés à une cause précise.
Les incendies constituent également une perturbation majeure des écosystèmes forestiers méditerranéens. Ils engendrent le plus souvent une très forte mortalité des arbres, généralement proche de 100% en conditions estivales sévères, alors que les effets de la sécheresse ou des agents biotiques sont souvent plus diffus. Les incendies favorisent l’érosion des sols, particulièrement en zone de montagne, et ont un impact négatif sur la qualité de l’air et la séquestration du carbone. Le feu est néanmoins une perturbation compatible avec le maintien de certains écosystèmes présentant une forte biodiversité, voire nécessaire à leur maintien, comme les garrigues, par exemple. Les incendies sont fréquents au niveau de l’étage méditerranéen et proche du littoral, où les écosystèmes présentent une bonne résilience au feu du fait de l’adaptation des espèces dominantes qui peuvent se régénérer par rejets ou par graines après incendie. Ils sont par contre peu fréquents ou rares dans les étages supra-méditerranéen et montagnard, mais leurs écosystèmes sont généralement vulnérables au feu à cause de la moindre adaptation des espèces forestières dominantes au passage du feu.
En région PACA, 75% des communes ont été touchées au moins une fois par des incendies au cours des 50 dernières années : certaines communes constituent d’ailleurs des « points chauds » incendiés jusqu’à 5 fois. La région regroupe plusieurs facteurs prédisposant à l’éclosion, puis à la propagation du feu : climat sec, chaud et venté, végétation abondante et souvent inflammable. La forte pression anthropique génère 90% des départs de feux. La région comprend aussi une forte concentration d’enjeux humains et technologiques qui désorganisent les stratégies de lutte et augmentent fortement le risque. La tendance à la baisse des surfaces brûlées observées lors des quatre dernières décennies indique néanmoins que les politiques de prévention et de lutte ont été efficaces jusqu’à présent, même si le dispositif de lutte a montré ses limites dans des conditions de sécheresse extrême, comme en 2003.
Malgré les incertitudes liées aux projections climatiques, les décideurs publics et les gestionnaires devront probablement faire face à une augmentation du nombre et de l’intensité des incendies de forêt, avec un allongement de la saison à risque. L’évolution des surfaces brûlées dépendra des capacités à prévenir et lutter contre le feu. Dans la zone littorale où les enjeux soumis au risque sont déjà forts (densité de la population, des constructions et des infrastructures), la pression des incendies sera multipliée, mettant à l’épreuve les moyens de prévention et de lutte. L’occurrence de grands incendies, à fort impact humain, économique et écologique, est probable dans cette zone, notamment lors des années météorologiques exceptionnelles qui deviendraient plus fréquentes à l’avenir. Dans les zones de l’arrière-pays, les feux aujourd’hui rares seraient assez fréquents, nécessitant la mise en œuvre de moyens sur des territoires moins accessibles et encore peu équipés. Les enjeux humains peuvent être considérés moindres dans l’arrière-pays, mais les enjeux écologiques sont forts : faible résilience des peuplements affectés et problèmes d’érosion sur les reliefs. La forêt joue en effet un rôle important de protection des sols et de régulation du cycle de l’eau. Les forêts de l’arrière-pays détenant l’essentiel de la ressource en bois de la région, l’enjeu économique n’est pas négligeable.
La prédiction des pullulations d’insectes ou de pathogènes est très difficile, mais on sait que la hausse de la température de l’air est propice au développement des agents biotiques. Les dépérissements dont ils sont responsables pourraient donc être plus importants, comme c’est le cas sur le continent nord-américain. Le climat aura aussi un impact direct sur les peuplements avec l’augmentation de la fréquence des sécheresses. L’arrière-pays sera certainement le plus affecté. Par ailleurs, des conditions sanitaires dégradées conduisent à des peuplements plus sensibles au feu. Lors de dépérissements massifs, la quantité de combustible disponible peut s’accroître pendant plusieurs années (feuillage mort et sec des arbres, sous étage dense), favorisant des feux plus intenses pouvant ensuite se propager à des peuplements sains.
ZOOM 4. Les actions des Communes forestières pour lutter contre le changement climatique en Provence-Alpes-Côte d’Azur
Le réseau des Communes forestières représente et accompagne les collectivités dans la valorisation et la préservation de leur patrimoine forestier. Son but est
de favoriser une gestion durable et de positionner la forêt au cœur du développement local. En Provence-Alpes-Côte d’Azur, il réunit près de cinq cents collectivités
adhérentes.
À travers les politiques qu’elles mettent en œuvre et les projets des collectivités qu’elles appuient, les Communes forestières contribuent à la lutte contre le changement climatique par l’intermédiaire de :
Contact : paca@communesforestieres.org –
Pour les gestionnaires forestiers (Office national des forêts) œuvrant sur le littoral méditerranéen situé à l’est de Marseille, il est aujourd’hui encore difficile d’évaluer les impacts du changement climatique sur les peuplements forestiers. En effet, les observations et les constats effectués sur le terrain, ces 40 dernières années, ne permettent pas de dresser un bilan alarmant, ni de dégager une nette tendance générale.
L’état sanitaire des peuplements forestiers, vis-à-vis d’un stress hydrique lié au déficit des précipitations et/ou à l’augmentation de la température de l’air, en est une illustration. Les essences forestières en place présentent régulièrement des signes de dessèchement (extrémités des branches et bourgeons terminaux qui, visuellement, se traduisent souvent par des descentes de cime), mais ceux-ci s’étendent rarement à la totalité d’un peuplement forestier : ils sont plutôt circonscrits à des zones localisées et ne se manifestent donc pas à l’échelle de massifs. Une mortalité plus importante des arbres a été constatée entre 2003 et 2007, période marquée par des sécheresses hivernales et printanières atypiques. Des pinèdes littorales de pin d’Alep dans le massif des Calanques, ou de pin sylvestre sur les pentes plus élevées du massif de l’Étoile au nord-est de Marseille, ont notamment été affectées, mais sans atteindre des proportions significatives. Ces dégâts ponctuels relevés par les forestiers, qui pourraient être associés au changement climatique, ne remettent pas encore en cause la dynamique globale de reconquête forestière
amorcée depuis la fin du XIXème siècle sur l’ensemble de la région méditerranéenne française. Par exemple, les pinèdes de pin d’Alep ont colonisé plus de 200 000 hectares en un siècle en région PACA, avec une progression encore plus rapide ces dernières décennies (recensements de l’IFN). L’extension du pin d’Alep, grâce à son adaptation phénologique, est peut-être l’une des conséquences du changement climatique, mais sur le terrain, il n’est pas évident de corréler cette évolution à celle du climat, d’autant que la déprise agricole et le comportement pionnier et frugal de l’espèce ont favorisé son développement.
Il faut garder à l’esprit que la première cause de mortalité des forêts à grande échelle reste, dans le sud de la France, les incendies qui détruisent chaque année des milliers d’hectares d’espaces naturels. Au niveau national, en 40 ans, l’amélioration des dispositifs de prévention et de lutte contre les incendies ont permis de diminuer par quatre les surfaces forestières annuelles brulées (de 40 000 à moins de 10 000 ha ces dernières années). Les scénarios d’évolution du climat futur tendent toutefois à renforcer les facteurs de déclenchement et de propagation des feux de forêts (risque accru), à l’image de l’incendie de grande ampleur (18 000 ha) qui a touché les Maures lors de l’été caniculaire de 2003. Pour les forestiers, les événements climatiques extrêmes, comme ceux des étés 2003 et 2016, même s’ils ne présentent pas les mêmes caractéristiques, restent difficiles à appréhender et à anticiper.
La variabilité naturelle du climat méditerranéen complique l’analyse des données relevées sur le terrain. Par exemple, à la période sèche de 2003 à 2007 a succédé une période plus humide de 2008 à 2014, avec des précipitations plus importantes que la moyenne des 40 dernières années et mieux réparties sur l’année. Si les tendances climatiques se confirment à moyen et long terme au niveau local (baisse constatée des précipitations moyennes annuelles de 50 mm en 50 ans et augmentation sensible de la température moyenne annuelle de l’air de 0,2°C en 20 ans), l’analyse deviendra encore plus complexe et problématique, avec des impacts durables sur les forêts du littoral.
Les gestionnaires forestiers du littoral marseillais ne disposent pas aujourd’hui d’indicateurs pertinents pour déterminer de manière précise les conséquences du changement climatique sur l’évolution de la forêt méditerranéenne. Une réflexion commune avec les scientifiques mériterait d’être engagée afin de cibler et construire des indicateurs de suivi susceptibles de corréler observations de terrain et données climatiques à différentes échelles temporelles et spatiales.
La forêt future sera, comme dans le passé, fonction du climat et de l’action de l’homme. Mais comment composer avec un climat qui évolue trop vite et dont l’ampleur du changement est encore incertaine ? Le forestier bénéficie des résultats de la recherche et se base aussi sur ses propres observations.
À l’étage montagnard inférieur et moyen, jusqu’à 1600 mètres d’altitude environ, les forêts des Alpes du Sud sont majoritairement constituées d’essences qui atteignent leur limite méridionale. Ces dernières ont été très affectées par les sécheresses successives entre 2003 et 2007, avec des mortalités et des dépérissements observés sur le terrain. Ainsi, le pin sylvestre et le sapin pectiné ont subi des dégâts spectaculaires en 2004 et 2005, dans l’ensemble des Préalpes pour le premier, et principalement dans les Alpes-Maritimes pour le second. Depuis, la mortalité est plus diffuse, mais un grand nombre d’arbres restent affaiblis, surtout s’ils sont infestés par le gui. Le dépérissement du hêtre se concrétise par des descentes de cime et une mortalité, et celui-ci a été aggravé localement par les effets de l’ozone (Cf. §3.6) au cours de l’été 2007. Au-dessus de 1600 mètres d’altitude, le sapin se porte mieux, tout comme le mélèze et le pin à crochets. À l’échelle régionale, les mortalités restent toutefois limitées. Elles ont touché préférentiellement des peuplements âgés, trop denses ou enracinés dans un sol mince. Ces atteintes à la forêt ont un impact économique et paysager, mais ne remettent pas (encore) en cause la fonction de protection physique que la forêt assure souvent.
Ce constat confirme globalement les résultats des modèles d’évolution de la répartition des essences. On s’attend donc à des déstabilisations de la composition des forêts dans les décennies à venir. Aux effets directs du changement climatique pourraient s’ajouter des attaques d’insectes ravageurs favorisés par le réchauffement, comme les scolytes qui ont décimé les épicéas à basse altitude dans les Alpes du Nord. La régression des espèces sciaphiles auxquelles appartiennent le sapin et le hêtre semble inéluctable sur leur frange inférieure et sur les sols superficiels. L’avenir du pin sylvestre est très incertain tandis que le pin noir d’Autriche des forêts exploitées par les services de Restauration des terrains en montagne (RTM) est plus résilient.
Dans l’étage subalpin, on mise sur la grande plasticité du mélèze et du pin à crochets, malgré quelques premières alertes. Quant à l’épicéa commun qui occupe des surfaces réduites, il n’aura bientôt plus sa place dans les Alpes du Sud. Ces retraits libéreront des surfaces au profit d’essences plus méditerranéennes et seront partiellement compensés par une lente progression en limite supérieure.
Face à ce scénario, le gestionnaire forestier en montagne tente d’adapter les forêts, avec des leviers d’action limités. Il peut conforter les peuplements existants en réduisant la densité et l’âge d’exploitabilité, et en préservant les essences d’accompagnement. Il a aussi recours au changement d’essence, en remplaçant, par exemple, le sapin par le cèdre de l’Atlas.
Les forêts méditerranéennes sont également tributaires de phénomènes physico-chimiques moins connus, comme la pollution de l’air. L’ozone troposphérique, dont les concentrations peuvent atteindre des niveaux records en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, est un polluant atmosphérique qui altère la santé des végétaux, mais aussi de la faune et de l’homme. Il est très dépendant des émissions des polluants primaires et des conditions météorologiques. Le changement climatique pourrait renforcer son impact, si des mesures efficaces ne sont pas prises.
Dans la troposphère, l’ozone (O3) est un polluant produit principalement par la transformation, sous l’effet du rayonnement solaire et de la température de l’air, des oxydes d’azote (NOx) et des composés organiques volatils (COV) émis majoritairement par les activités humaines. Le transport de l’O3 et de ses précurseurs émis en zones urbaines, les émissions plus importantes de COV biogéniques (terpènes par exemple) et la faible destruction de l’O3 par le NO essentiellement émis par les véhicules, expliquent le fait que les concentrations en O3 soient plus élevées en zone rurale qu’en zone urbaine. Le changement climatique et la pollution à l’O3, gaz à effet de serre, sont liés. L’augmentation de la température moyenne de l’air et de l’intensité du rayonnement solaire engendre une augmentation des concentrations en O3.
Le pourtour méditerranéen est l’une des régions les plus fortement touchées dans le monde par le changement climatique actuel (IPCC, 2013) et réunit les conditions
idéales de formation de l’O3 : zone densément urbanisée, ensoleillement important et fortes températures (EEA, 2005). Les politiques de réduction des émissions de précurseurs d’O3, au sein de l’Union européenne depuis le début des années 1990, sont plutôt efficaces en zone rurale, alors que les concentrations en O3 augmentent en ville. L’O3 devient donc un enjeu majeur dans les zones urbaines, périurbaines et rurales. Le sud-est de la France, où les concentrations en O3 excèdent largement les seuils de protection pour la santé humaine et la santé des forêts (Figure 8), peut être considéré comme un cas d’étude pour évaluer les impacts du changement global sur les forêts. Les concentrations importantes en ozone provoquent des symptômes spécifiques sur les arbres et arbustes, et les précédentes observations du Groupe International d’Etudes des Forêts Sud-européennes (G.I.E.F.S) ont permis de mettre en évidence la forte sensibilité de certaines espèces arborées. Dans le contexte actuel, une détérioration (symptômes spécifiques à l’ozone : défoliation, décoloration) de la couronne d’espèces omniprésentes de pins (Pinus halepensis, Pinus sylvestris, Pinus nigra, Pinus cembra) est observée. Comme les conifères et les mélèzes, certains feuillus (hêtres, saules et tilleuls) sont très sensibles. De toute évidence, si de tels bouleversements écologiques sont observés de nos jours alors que le climat, dans le sud-est de la France, s’est réchauffé au cours des 20 dernières années de +0,5 à +1,1°C, on peut s’attendre, avec l’augmentation des températures de l’air de +1,9 à +4,6°C, et une diminution des précipitations comprise entre -13 à -47%, à l’horizon 2100, à une détérioration des essences sensibles.
À certaines concentrations (supérieures à 40 ppb), l’O3 troposphérique a des effets nocifs sur la santé humaine et la végétation. À ce jour, l’O3 est le polluant atmosphérique le plus préoccupant pour les forêts. L’O3 pénètre dans les feuilles, à travers les stomates, et se dégrade instantanément au contact des cellules, entraînant des réactions en chaîne pouvant aboutir à la mort de celles-ci. Les niveaux actuels d’O3 sont suffisamment élevés pour affecter les arbres en induisant des nécroses foliaires (taches de couleur jaune), une chute prématurée des feuilles, une diminution de la teneur en chlorophylle des feuilles (chlorose), une modification de l’ouverture des stomates et donc une réduction du taux d’activité photosynthétique. L’expression (intensité, positionnement, couleur, forme) des symptômes spécifiques à l’O3 est différente entre les conifères et les feuillus (Figure 9). Les dommages entraînent une diminution de la croissance et un affaiblissement des plantes, les rendant plus sensibles aux attaques parasitaires et aux aléas climatiques (sécheresse par exemple). D’un point de vue microscopique, l’O3 affecte principalement les chloroplastes avec une incidence sur leur taille et leur nombre (réduction), mais aussi sur la structure des thylacoïdes et l’accumulation de plastoglobules. Des études ont démontré que les effets de l’O3 sur la végétation ne dépendent pas seulement de la concentration en O3 dans l’air ambiant, mais plutôt de la quantité d’O3 pénétrant dans le feuillage (flux stomatique). Alors que les taches chlorotiques sont spécifiques à l’O3 , la défoliation et la décoloration sont causées par un ensemble de facteurs (teneur en eau des sols, température, humidité relative…). Le changement climatique devrait réduire les avantages des politiques de réduction des émissions de précurseurs d’O3, conduisant à une augmentation des concentrations en O3 dans l’air ambiant, et de ce fait à une absorption plus importante de l’O3 par les végétaux.
À l’échelle globale, les niveaux de fond d’O3 troposphérique pourraient tripler d’ici 2100. Toutefois, le climat plus sec et plus chaud en milieu méditerranéen devrait provoquer une sécheresse des sols menant à une plus faible absorption de l’O3. Ces deux effets, agissant en parallèle, mais de manière opposée, pourraient atténuer les effets nocifs de l’O3 sur les forêts. Le changement climatique va multiplier les difficultés pour la gestion forestière avec des impacts importants sur la biodiversité et le secteur socio-économique. Cependant, l’élaboration de politiques coordonnées de réduction des émissions est utile pour atténuer les effets dus à la fois au changement climatique et à la pollution à l’O3. Le Livre vert de la Commission européenne sur la protection des forêts stipule qu’il faut préparer les forêts au changement climatique (7060/10- COM(2010)66) et prendre conscience que ce dernier peut modifier la dynamique forestière naturelle et la capacité d’adaptation. Ainsi, il est nécessaire d’enrichir les connaissances sur les réponses des écosystèmes forestiers face au changement climatique afin de proposer des mesures techniquement et politiquement acceptables.
Le constat n’est pas évident pour le public non averti, mais, en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, les récents épisodes climatiques à caractère extrême ont eu une incidence directe sur la santé des forêts. Les impacts constatés sur le terrain sont des premiers indicateurs, mais l’évolution des forêts à long terme dépendra surtout de la répétition de ces événements et de leur intensité. Le changement climatique en cours perturbe les écosystèmes forestiers et agroforestiers en intervenant dans leur fonctionnement. Il interagit dans leurs processus et a donc un impact sur les cycles, les flux et les interactions propres au système forestier. Les canicules, notamment celle de l’été 2003 qui ne sera plus considérée comme un événement météorologique exceptionnel dans la seconde partie du XXIème siècle, ont provoqué des dépérissements en plaine, comme en montagne. Cela montre que, malgré leur capacité d’adaptation et de résilience, les forêts méditerranéennes restent des environnements fragiles à préserver. Leur devenir dépendra du climat de demain et des pratiques sylvicoles d’aujourd’hui, même s’il est impossible de maîtriser l’ensemble des espaces forestiers privés et publics régionaux, dont la vulnérabilité augmentera avec la hausse de la température de l’air et un stress hydrique accru. Selon les dernières campagnes de l’Inventaire forestier national, près des deux tiers des forêts de production de la région ont une « exploitabilité difficile ou très difficile » (soit environ le double de la moyenne nationale). Comme pour l’agriculture, les enjeux du changement climatique liés aux systèmes forestiers sont grands, puisque les forêts méditerranéennes jouent un rôle environnemental, social et économique majeur.
Le climat méditerranéen offre des avantages et des contraintes pour l’agriculture et la forêt, mais ses effets pénalisants augmentent déjà en région Provence-Alpes-Côte d’Azur et cette tendance s’aggravera dans le futur selon le dernier rapport du GIEC. Il est donc nécessaire d’agir, réagir pour compenser les effets actuels du changement climatique, ou encore proagir par anticipation, tout en tenant compte des incertitudes qui sont malheureusement nombreuses. Adopter des stratégies de gestion adaptative qui s’appuient sur différentes formes d’innovation est aujourd’hui une priorité. Dans les politiques ou les actions d’adaptation, la notion de risque devient prégnante avec la conjugaison d’effets directs du climat et d’effets indirects liés, comme la pollution de l’air par exemple. Il est important d’y associer les pratiques agricoles et forestières qui jouent un rôle non négligeable.
Depuis 50 ans, le changement climatique avance régulièrement les dates de vendanges, même si l’évolution n’est pas linéaire avec la variabilité naturelle du climat. Il avance ou retarde ainsi les dates de floraison de certaines espèces fruitières selon les étages altitudinaux. Il en est de même pour les forêts en fonction des étages bioclimatiques. Mais la région Provence-Alpes-Côte d’Azur se caractérise par une grande diversité des filières et des territoires, ce qui est une chance, même si la situation demeure préoccupante. Elle présente aussi des avantages par rapport à d’autres régions méditerranéennes, notamment en termes de ressources en eau et d’infrastructures hydrauliques. La pluralité des compétences locales déjà mobilisées pour explorer et promouvoir différentes formes d’innovation est remarquable. Des pratiques innovantes se développent en PACA pour garantir une bonne production en préservant le potentiel fonctionnel des écosystèmes. On peut citer l’agriculture de conservation, l’agroforesterie, l’agro-biodiversité fonctionnelle ou les nouveaux itinéraires de gestion de peuplements forestiers. L’innovation technologique se distingue avec la création variétale qui s’appuie sur des technologies de génotypage et de phénotypage à haut débit. L’innovation sociale est également à l’œuvre favorisant la réactivité des filières, comme l’approche participative qui vise un ajustement infra-annuel des pratiques culturales sur blé dur, ou l’élaboration de scénarios par et pour les acteurs de la riziculture camarguaise allant jusqu’à la proposition de mesures adaptatives, voire transformatives, ou encore les Alpages sentinelles qui permettent un apprentissage collectif de la dynamique des effets du changement climatique en montagne.
Soutenues par des politiques régionales et nationales, ces innovations reçoivent l’appui de structures d’encadrement, comme la chambre régionale d’agriculture, le réseau de conseil agricole pour la maîtrise de la consommation énergétique et des émissions de gaz à effet de serre, les Communes forestières qui promeuvent des filières de chaufferies à bois en circuit court et la performance énergétique par l’utilisation du bois dans les constructions. Il est primordial de renforcer cette dynamique encore fragile, de multiplier, diversifier et partager les expériences dans une stratégie de gestion adaptative.
Face à ces défis, la recherche offre des clefs de lecture des observations empiriques et permet l’élaboration de scénarios pour anticiper les réponses des systèmes agricoles et forestiers, et proposer des pratiques innovantes expérimentales.
Ce cahier thématique sur les effets du changement climatique sur l’agriculture et la forêt en Provence-Alpes-Côte d’Azur est destiné aux décideurs et gestionnaires de territoires (élus, ingénieurs techniciens des collectivités locales, des espaces protégés, des grands équipements…). Il constitue une première approche pour mieux appréhender les effets du changement climatique sur l’agriculture et la forêt en région PACA.
Nous encourageons vivement les lecteurs, désireux d’en savoir davantage, à se rapprocher du GREC-PACA (contacts@air-climat.org) qui les orientera dans leurs démarches et recherches. Ils ont également la possibilité de s’adresser directement aux contributeurs de cette publication :
Comment citer cette publication du GREC-PACA ?
Les effets du changement climatique sur l’agriculture et la forêt en Provence-Alpes-Côte d’Azur, Les cahiers du GREC-PACA édités par l’Association pour l’innovation et la recherche au service du climat (AIR), novembre 2016, 40 pages. ISBN : 9782956006022
Pour obtenir la liste des références bibliographiques sur lesquelles s’appuie cette synthèse des connaissances, prenez contact avec le GREC-PACA : contacts@airclimat.org
A SAVOIR
Ce cahier thématique a été réalisé par le Groupe régional d’experts sur le climat en Provence-Alpes-Côte d’Azur (GREC-PACA). Il a été coordonné par l’association A.I.R. Climat (Philippe ROSSELLO) qui a pour mission d’animer le GREC-PACA.
Le projet bénéficie d’un financement au titre de la Convention État - Région Provence-Alpes-Côte d’Azur - ADEME.
Un soin tout particulier a été apporté au choix des polices et à la mise en page dans le respect des principes d’éco-conception.
Avertissement : ce cahier thématique approfondit les notions abordées dans la première publication du GREC-PACA intitulée Provence-Alpes-Côte d’Azur, une région face au changement climatique : http://www.air-climat.org/publications/la-regionpa...
Réalisation : La Sud Compagnie - Novembre 2016
Crédits photos : tous droits réservés.