Le cahier «Alimentation»

Face au changement climatique, les systèmes alimentaires et agricoles sont exposés à de nombreux risques susceptibles de déstabiliser nos sociétés. Pour réduire leur vulnérabilité et renforcer leur résilience, il est nécessaire de faire évoluer les pratiques et de réinventer nos modes de production et de consommation, de la terre à l’assiette.

En Provence-Alpes-Côte d’Azur, des acteurs régionaux publics et privés se mobilisent pour réduire les émissions de GES, développer des systèmes alimentaires territorialisés favorisant la production et la consommation locales, améliorer la qualité des aliments, privilégier les ré-

gimes alimentaires qui protègent la santé et l’environnement, renforcer le lien social et économique entre toutes les parties prenantes… Pour contribuer à leurs efforts, 46 spécialistes de l’alimentation et de l’agriculture font un état des connaissances actuelles, partagent leurs expériences et apportent des solutions pour changer la donne.

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Sommaire

Sommaire du cahier

  1. Résumé
  2. Introduction générale
  3. Les enjeux de l'alimentation et de l'agriculture
    1. Quels sont les défis de l’agriculture et de l’alimentation de l’échelle mondiale à territoriale ?
    2. Pourquoi la santé publique et la nutrition sont-elles indissociables ?
    3. L’alimentation, l’un des piliers des cultures et des traditions dans le monde
  4. L'alimentation régionale au cœur des problématiques sanitaires et climatiques
    1. Production et consommation alimentaires en région Provence-Alpes-Côte d’Azur
    2. Quelles sont les évolutions générales de nos pratiques alimentaires et agricoles dans les régions françaises ?
    3. La durabilité et la résilience dans les systèmes alimentaires territorialisés
    4. Quelle est l’empreinte carbone de l’alimentation et de l’agriculture régionales ?
  5. Quels sont les régimes alimentaires et recommandations nutritionnelles ?
    1. Quel est aujourd’hui le principal régime alimentaire dans notre région ?
    2. Choisir le régime méditerranéen serait-il bénéfique à la santé, l’environnement et le climat ?
    3. Le régime méditerranéen en phase avec les Objectifs de Développement Durable en région Provence-Alpes-Côte d’Azur ?
  6. Des pistes pour changer nos systèmes agri-alimentaires
    1. Comment réinventer la chaîne alimentaire, du producteur au consommateur ?
    2. Tendre vers la souveraineté alimentaire
    3. Quelles pratiques agricoles pour s’engager dans la transition agroécologique et optimiser la séquestration du carbone ?
    4. Les exploitants agricoles qui s’engagent dans la transition énergétique
    5. Vers une aquaculture fondée sur la durabilité et l'économie circulaire
    6. Plus de repas végétariens à la cantine : double pari pour la nutrition et l’environnement
  7. Les mesures sociales et collectives pour accélérer les transitions alimentaires et agricoles régionales
    1. Vers des systèmes alimentaires et agricoles plus justes
      1. Comment mettre en place des systèmes alimentaires et agricoles durables en luttant contre les inégalités sociales ?
      2. Les défis d’une transition agri-alimentaire socialement juste
    2. Les leviers collectifs pour engager les transitions
      1. Quelles ambitions des projets alimentaires territoriaux en Provence-Alpes-Côte d'Azur ?
      2. Mobiliser les acteurs des filières agricoles et passer à l’action
      3. Quels sont les leviers pour changer les comportements alimentaires ?
  8. Pour conclure...
  9. Contributeurs

  1. Résumé

    Face au changement climatique, et plus largement au changement global, nos systèmes alimentaires et agricoles, complexes et inégalitaires, sont fragiles. Leur robustesse est conditionnée par le type d’agriculture, la consommation et les régimes alimentaires associés, le transport, la transformation et la commercialisation des produits, les pollutions eau-sol-plante-atmosphère, la météorologie, le climat, le portage politique, l’organisation socio-économique... Aujourd’hui, le système « agriculture-alimentation » n’est ni satisfaisant, ni durable, aussi bien à l’échelle mondiale que locale. Nos modèles alimentaires et agricoles, encore dominés par l’agriculture intensive, les spécialisations, les mécanismes et procédés industriels, la mondialisation, sont en danger.

    Ces dernières décennies, en France, la surconsommation de produits transformés, viandes, produits laitiers et œufs, émettrice de gaz à effet de serre (GES), défavorable à la santé humaine et aux équilibres des écosystèmes, a augmenté ou reste élevée, tandis que celle des produits bruts a diminué. Par personne et par an, le régime alimentaire moyen actuel génère entre 1400 à 1800 kg eqCO2 d’émissions de GES, nécessite 4000 à 4500 m2 de surface agricole et une consommation d’énergie de 6000 mégajoules, loin de toute soutenabilité. Par ailleurs, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur exporte 61 % de sa valeur agricole produite, alors que la consommation de produits agricoles et agroalimentaires est principalement issue d’importations.

    Pour éviter des crises majeures et une déstabilisation des chaînes de production ces prochaines années, il est nécessaire de transformer nos systèmes alimentaires et agricoles, aux échelles régionale et territoriale, avec la volonté de répondre aux besoins des habitants, préserver leur santé, valoriser des pratiques agricoles et alimentaires à faible empreinte carbone, protéger les agrosystèmes, stopper l’érosion et la dégradation des sols et de la biodiversité, privilégier la qualité et le goût, réduire les inégalités sociales, contribuer aux efforts des acteurs régionaux publics et privés engagés dans l’amélioration des pratiques au quotidien… Le but est de basculer d’un système destructif de l’humanité et de l’environnement à un système agroécologique et plus juste. Ce dernier passe notamment par :

    • Une alimentation à base végétale, plus saine et durable, respectant les recommandations nutritionnelles ;
    • Des régimes alimentaires moins énergivores et plus équilibrés. En ce sens, le régime méditerranéen « traditionnel » favorable à la santé est vivement recommandé dans notre région : consommation de produits végétaux (céréales peu raffinées, légumes secs, légumes et fruits frais de saison, noix, amandes, huile d’olive), de plantes aromatiques (ail, thym, romarin, marjolaine...), de poissons, de produits laitiers et volailles en quantité raisonnable, charcuteries, viandes rouges et produits sucrés en faible quantité ;
    • Le développement de l’agroécologie, de l’agroforesterie, de l’agriculture biologique, et des circuits courts, même si la région est plutôt plus avancée que d’autres en France ;
    • Une sélection de variétés de cultures résistantes au changement climatique et aux événements climatiques extrêmes ;
    • Des productions diversifiées, avec des rotations réduisant l’apport d’engrais et l’usage de produits phytosanitaires ;
    • Une agriculture locale faiblement émettrice de gaz à effet de serre, préservant les ressources locales au détriment des produits importés subventionnés ;
    • Mettre en place des pratiques agricoles séquestrant davantage de carbone dans les sols ;
    • Produire et consommer des énergies renouvelables ;
    • Privilégier l’économie circulaire et l’innovation pour rendre les systèmes plus durables et résilients (aquaculture par exemple) ;
    • Tendre vers la souveraineté alimentaire pour éviter de subir des systèmes mondialisés incohérents, augmenter nettement l'autosuffisance alimentaire ;
    • Le développement de systèmes alimentaires territoriaux : maintien des petites fermes, reconnexion des citoyens avec la vie et les besoins d’un environnement productif… ;
    • Un accès facilité à la terre pour tous pour éviter les discriminations ;
    • La formation des acteurs des filières alimentaires et agricoles pour accélérer les changements de pratiques ;
    • La sensibilisation des citoyens pour orienter leurs choix alimentaires et élever leur degré d’exigence en matière de nourriture, nutrition, qualité et environnement…

    Cette liste non exhaustive montre combien le chemin à parcourir est encore long, mais des signes encourageants se manifestent. Les critères de choix en faveur de la santé et l’environnement prennent de plus en plus d’importance dans la société, comme en témoignent l’augmentation de la production et de la consommation de produits biologiques, et l’attrait croissant des consommateurs pour les produits locaux et les circuits courts.

    Les ruptures vis-à-vis des systèmes alimentaires et agricoles impliquent une approche territoriale multi-échelles et collective. Rien ne sera possible sans l’adhésion de tous les acteurs des filières alimentaires et agricoles (du paysan à l’industriel, de l’épicerie de quartier aux centres commerciaux), des restaurateurs, des acheteurs… Les décideurs à l’échelle territoriale ont aussi un rôle majeur à jouer pour orienter les politiques locales, tout en s’appuyant sur la réglementation (loi Égalim, projets alimentaires territoriaux, restauration collective…) et les recommandations nutritionnelles françaises et internationales. Rendre les systèmes alimentaires et agricoles régionaux plus attractifs, durables et résilients nécessite une réflexion globale sur les processus qui lient production, distribution, consommation et alimentation, et une adhésion croissante de la société.

    Pour réussir les transitions alimentaires et agricoles, garantir la sécurité alimentaire et lutter contre le changement climatique, il est primordial de réinventer nos systèmes aujourd’hui souvent dépassés. L’alimentation a une dimension sociale, culturelle, symbolique et politique. Son accessibilité dépend de notions complexes qui dépassent la proximité géographique ou le prix. Il faut prendre en compte les contraintes pratiques (absence de cuisine fonctionnelle, mobilité difficile) et les besoins (adéquation des denrées avec les préférences, habitudes et croyances). En ce sens, il est important de soigner les diagnostics territoriaux, en restant à l’écoute des bénéficiaires et participants, en vue d’adapter les initiatives en fonction des perceptions et des attentes. Les démarches de concertation, l’inscription des publics ciblés dans les processus décisionnels et l’implication des usagers bénévoles sur les lieux de vente soutiennent l’implication citoyenne dans les systèmes agri-alimentaires…

    Des mesures fortes sont également à explorer comme la mise en place d’une sécurité sociale de l’alimentation, encouragée par des scientifiques et des politiques, qui, comme la sécurité sociale de la santé, serait financée par la cotisation sociale. Le renforcement des projets alimentaires territoriaux (PAT), qui entrent dans une dynamique collective, a pour ambition de faciliter les interconnexions, les complémentarités et les échanges d’expériences, afin d’améliorer la résilience alimentaire régionale, et doit s’accompagner d’ambitions écologiques qui sont à ce jour limitées.

    Il est temps de mobiliser les acteurs des filières alimentaires et agricoles et de passer à l’action. L’urgence climatique est un obstacle supplémentaire au bon fonctionnement des systèmes, mais il est surmontable, au moins partiellement, si les émissions de gaz à effet de serre sont massivement réduites à court terme, si l’agriculture se tourne vers l’agroécologie, si l’alimentation se végétalise… Les changements d’habitudes alimentaires requièrent l’apprentissage de nouveaux savoirs et de nouvelles pratiques. Les situations collectives offrent des contextes idéaux pour agir sur les leviers disponibles tout en créant des situations conviviales facilitant l’interaction et l’apprentissage entre pairs.

    La région Provence-Alpes-Côte d’Azur est appelée à renforcer ses pratiques agricoles durables. Elle atteindra difficilement l’autosuffisance alimentaire sur l’ensemble des filières d’ici 2050, mais, en prenant des décisions courageuses, elle pourrait davantage couvrir les besoins de la population en valorisant notamment la « modification de l’assiette » et en relocalisant ses débouchés.

  2. Introduction générale

    L’alimentation est certainement la problématique la plus partagée par les êtres vivants sur Terre. Elle est la préoccupation majeure de tous les êtres humains, au quotidien, pour assurer leur survie, leur santé, leur bien-être et leur plaisir. Se nourrir est un besoin naturel, mais, dans nos sociétés, il n’est ni anodin, ni simple à satisfaire. En effet, derrière la production et la consommation d’aliments bruts ou transformés se cachent des systèmes agricoles, environnementaux, économiques, sociaux, culturels et politiques, qui sont complexes et fortement inégalitaires. Selon les pays, les régions, les localités, les quartiers, les foyers et même les individus, l’alimentation peut être synonyme de sous-nutrition, malnutrition, famine, carence, pauvreté, injustice, détresse, pénurie, surconsommation, gaspillage, richesse, confort, partage, égoïsme, solidarité, santé, maladie, pression, risque, tension, conflit, migration… Elle est au cœur de nos organisations mondiales et locales, et détermine notre présent et notre futur.

    Nos systèmes alimentaires et agricoles, de la graine plantée à la bouche, sont fragiles à tous les niveaux, et ce en permanence, même dans les pays les plus riches. Les raisons de cette fragilité sont les suivantes :

    • La robustesse des systèmes est conditionnée par la production agricole, l’organisation sociale, la météo, le climat, la quantité, la qualité, le transport, la transformation des produits, la commercialisation, les régimes alimentaires, la concurrence, les crises économiques et politiques… Ces facteurs évoluent en fonction des contextes, des situations, des choix et des impondérables ;
    • L’agriculture intensive, avec tous ses travers (appauvrissement des sols, utilisation de pesticides et d’engrais chimiques, mécanisation à outrance, mondialisation des échanges, monoculture, recours aux organismes génétiquement modifiés, etc.) altère la santé des êtres vivants, pollue et détruit les écosystèmes agricoles et naturels, provoque une perte de qualité, de saveurs, de goûts, de repères culturels… ;
    • Le changement global (déforestation, modification de l’occupation des sols, pollutions, érosion de la biodiversité…) représente une lourde menace susceptible de déstabiliser sur le long terme nos chaînes de production alimentaire et agricole. Plus spécifiquement, le changement climatique d’origine anthropique, provoqué par les émissions massives de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère, et l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des événements climatiques extrêmes (sécheresses, vagues de chaleur, pluies diluviennes, gels tardifs…), combinés aux mutations de nos pratiques alimentaires et agricoles, notamment dans les pays les plus industrialisés, font peser des risques croissants sur nos sociétés ;
    • Le surpoids et l’obésité se généralisent et s’amplifient, même dans des pays présentant un niveau de vie modeste, au même titre que les maladies cardiovasculaires, les allergies alimentaires, les cancers…

    De manière générale, les enjeux sanitaires et écologiques liés à l’alimentation et l’agriculture sont majeurs. Ils doivent être appréhendés dans leur globalité, de manière transversale, pour éviter des conséquences dramatiques et irréversibles.

    Le contexte alimentaire et agricole en France, et plus particulièrement dans notre région Provence-Alpes-Côte d’Azur, est très contrasté. Les besoins alimentaires sont assurés pour la majorité de la population, mais les inégalités sociales sont très marquées mettant en évidence des cas de détresse, et les contradictions sont nombreuses. Par exemple, la qualité de nos produits emblématiques (vin, huile d’olive, fromages, céréales, riz, fruits, légumes, truffes, plantes à parfums et aromatiques…) est reconnue et recherchée, mais nos agriculteurs rencontrent de grandes difficultés économiques et sociales pour vivre décemment ; l’agriculture biologique représente une part significative de notre production agricole régionale (32 %), et nos pratiques agricoles s’éloignent peu à peu des pratiques intensives, mais l’utilisation des pesticides résiste et continue à empoisonner nos écosystèmes et à nous intoxiquer ; pour des raisons essentiellement économiques et logistiques, les productions régionales sont exportées massivement vers d’autres régions et pays, alors que l’autosuffisance alimentaire locale reste très nettement insuffisante. Notre dépendance des systèmes agricoles et alimentaires, et plus largement de la mondialisation, est ainsi manifeste, alors que nous avons les moyens de partiellement nourrir nos habitants. En outre, nos régimes alimentaires se sont peu à peu éloignés de la diète méditerranéenne si favorable à la santé. En effet, nos habitudes alimentaires ont tendance à s’uniformiser et s’inspirent de pratiques en inadéquation avec la préservation de notre santé, de nos agroécosystèmes, du climat, de la biodiversité…

    Pour faire un point sur la situation en région Provence-Alpes-Côte d’Azur et apporter des pistes d’adaptation au changement climatique et d’atténuation des émissions de GES, 46 spécialistes de l’alimentation et de l’agriculture se sont mobilisés pour participer à cette publication du GREC-SUD. L’objectif est de contribuer aux efforts des institutions, collectivités, associations, coopératives, entreprises, agriculteurs, etc. engagés dans l’amélioration des pratiques, mais aussi d’inspirer les acteurs territoriaux pour rendre les systèmes alimentaires et agricoles plus durables et résilients aujourd’hui et demain, en sécurisant les ressources alimentaires, en proposant une nourriture plus saine et en répondant aux besoins d’une population grandissante. Les enjeux sanitaires et écologiques liés à l’alimentation et l’agriculture sont majeurs. Ils doivent être appréhendés dans leur globalité et de manière transversale.