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/ Agriculture et forêt

L’émergence de l’agriculture urbaine en milieu méditerranéen : entre potentiel et illusions (focus sur la métropole d’Aix-Marseille-Provence)

Auteurs

Moussaoui M., Rossello P.

©environnement.marseille.fr

Mots clés

Agriculture urbaine, adaptation au changement climatique, atténuation des gaz à effet de serre, circuits courts, sécurité alimentaire, jardins partagés, résilience urbaine, ressource en eau, métropole Aix-Marseille-Provence

key words

Urban agriculture, climate change adaptation, greenhouse gas mitigation, short circuits, food security, shared gardens, urban resilience, water resource, Aix-Marseille-Provence metropolis

Avant-Propos

Cet article a été rédigé par Myriam Moussaoui, étudiante en 2ème année de licence de géographie à l’Université d’Avignon et du Pays d’Avignon, dans le cadre d’un stage d’observation de trois semaines au sein du bureau d’études GeographR. L’objectif était de réaliser une synthèse thématique sur l’agriculture urbaine en milieu méditerranéen. Le cas de la métropole d’Aix-Marseille-Provence a été choisi afin d’apporter des éléments de réflexion susceptibles d’enrichir le plan climat-air-énergie territorial (PCAET) auquel participe le Groupe régional d’experts sur le climat en Provence-Alpes-Côte d’Azur (GREC-SUD).

Sommaire

  • Avant-propos
  • Contexte local
  • Définition de l’agriculture urbaine
  • Quel rôle de l’agriculture urbaine ?
  • Enjeux du développement de l’agriculture urbaine en milieu méditerranéen
  • Quel avenir de l’agriculture urbaine sur le territoire de la métropole d’Aix-Marseille-Provence ?

Contexte local

La métropole d’Aix-Marseille-Provence est composée de 92 communes qui abritent aujourd’hui près de deux millions d’habitants. Sa surface est proche de 3200 km², ce qui en fait la métropole française la plus étendue, sous l’influence de deux principaux pôles urbains, Marseille et Aix-en-Provence, de pôles urbains secondaires, comme Salon-de-Provence, de villes de taille plus modeste et de villages. Cet espace métropolitain comprend à la fois des zones urbaines denses, des espaces périurbains développés, d’importants centres industriels malgré leur déclin, de grands espaces agricoles et forestiers, des sites remarquables comme le Grand site Sainte-Victoire… L’une des richesses de ce territoire est la diversité de ses paysages entre terres, roches, étangs et mer, vieux villages ceinturés par des lotissements et villes grignoteuses d’espaces… Son économie et son climat en font un territoire attractif et ambitieux, mais fragile d’un point de vue social, environnemental et sanitaire.

Plus de 60 % de la superficie de la métropole est occupée par des espaces dits « naturels », ce qui est remarquable, mais la plupart sont dégradés, et la ville gagne annuellement près de 900 hectares sur les surfaces agricoles qui couvrent malgré tout près d’un quart du territoire.

Les surfaces artificialisées de la métropole Aix-Marseille-Provence (sources : IGN Carto, DREAL PACA, CRIGE-PACA. Réalisation : DREAL PACA)

Toute la métropole est sous l’influence du climat méditerranéen qui distille ses humeurs avec sa douceur et ses extrêmes climatiques. Le territoire dans son intégralité est soumis à des risques naturels et industriels. Sa vulnérabilité est accentuée par l’étalement urbain parfois incontrôlé, la dispersion géographique de la population locale, la présence généralisée d’activités économiques et industrielles, les nombreux aménagements urbains, la forte pollution de l’air, le réseau dense d’axes de communication, l’urbanisation sur le littoral, la fragilité des forêts méditerranéennes, etc.

Le changement climatique multiplie les risques et fait peser une menace sur ce territoire avec des problématiques liées à la ressource en eau, les incendies, les inondations, la santé, la biodiversité… Face au défi climatique, la métropole d’Aix-Marseille-Provence est dans l’obligation de s’engager dans l’adaptation au changement climatique et l’atténuation des gaz à effet de serre pour limiter les impacts et les conséquences de l’évolution rapide du climat. La transition écologique et énergétique, appelée la « transition verte », inclut la thématique de l’alimentation, donc l’agriculture et les circuits courts susceptibles de réduire les émissions de gaz à effet de serre. L’agriculture urbaine qui émerge en milieu méditerranéen est l’une des pistes d’adaptation et d’atténuation, mais aussi de résilience des villes. Son potentiel est toutefois méconnu et la volonté politique d’encourager ce type de pratique agricole est encore timide.

Définition de l’agriculture urbaine

L’agriculture urbaine se définit comme une production de légumes, fruits et autres produits agricoles au cœur des villes, mais aussi dans leur périphérie immédiate. Ainsi, l’agriculture urbaine fournit divers produits alimentaires destinés à la population locale afin de proposer des circuits courts, des aliments de qualité, une réduction des intrants (engrais chimiques ou pesticides par exemple), une végétalisation des cœurs urbains souvent minéraux… La transition verte exige une évolution de nos modes de production et de consommation afin de réduire notamment les gaz à effet de serre et adapter nos territoires au changement climatique. Pour contribuer à cette dynamique, l’agriculture ouvre des pistes à la fois alimentaires, environnementales, sociales, éducatives… Elle peut se décliner sous différentes formes : jardins partagés ou individuels, terres agricoles sur les toits, dans les cours, en lieu et place des surfaces artificialisées rendant un rôle limité ou nul (anciennes friches par exemple)… La localisation de l’agriculture urbaine est donc plurielle et peut prendre des formes originales et inattendues, comme les fermes verticales qui permettent de produire des fruits et légumes sur une surface au sol très réduite. Chaque forme a sa spécificité et ses avantages, mais aussi ses inconvénients, et doit être adaptée au contexte urbain local (structure et organisation spatiale de la ville, type d’aménagements…), au droit, aux plans locaux d’urbanisme… La sélection des cultures est aussi en question : il est inutile de cultiver par exemple une plante gourmande en eau en milieu urbain méditerranéen. En plus d’apporter un souffle de fraîcheur en ville, l’agriculture urbaine représente aussi un moyen de renforcer la sécurité alimentaire en rendant les villes moins dépendantes d’espaces agricoles éloignés.

©environnement.marseille.fr

Au-delà des cœurs de ville, les espaces périurbains représentent un potentiel de production agricole majeur. Les espaces sont plus ouverts et l’implantation de l’agriculture est plus facile qu’en milieu urbain dense. La courte distance qui sépare les lieux de production et de consommation reste un argument de poids pour encourager le développement de l’agriculture périurbaine au service d’une ou plusieurs villes et villages résidentiels. Les zones d’implantation des entreprises offrent aussi des surfaces agricoles utiles susceptibles de servir en parallèle d’espaces verts ou de « décompression » aux salariés.

Quel rôle de l’agriculture urbaine ?

L’agriculture urbaine peut jouer un rôle fondamental si les acteurs urbains se dotent d’une politique agricole ambitieuse et s’appuient sur les ressources locales. Elle peut réconcilier les terres agricoles et la ville, deux espaces qui s’opposent depuis maintenant des décennies. Elle exerce notamment plusieurs fonctions environnementales en réduisant, par exemple, les émissions de gaz à effet de serre, en favorisant la relocalisation de la production alimentaire et donc le développement des espaces verts au cœur des territoires habités, en encourageant les circuits courts, en préservant la biodiversité des villes longtemps négligée… Elle est aussi un instrument d’appropriation de l’espace public urbain par les habitants qui s’investissent dans des projets, tels que les jardins partagés qui renforcent la cohésion sociale. Le citadin impliqué dans un projet de quartier valorisera et protégera l’espace mutualisé. Ainsi, l’agriculture urbaine offre une nouvelle manière de concevoir la vie urbaine et l’habitat. En outre, c’est un moyen de revendication sociale et d’insertion professionnelle des personnes les plus défavorisées qui n’ont souvent pas accès à une nourriture saine et des produits frais. C’est aussi une manière de sensibiliser les populations à la gestion et au recyclage des déchets organiques. Le triangle vertueux de l’agriculture urbaine est illustré dans la figure suivante :

Triangle vertueux de l’agriculture urbaine (réalisation : Myriam Moussaoui)

Ce triangle schématique met en évidence les apports de l’agriculture urbaine et ses interactions environnementales, sociales et économiques. Cette approche systémique montre que les différentes composantes de la société sont liées entre elles.

Un échantillon des services rendus par l’agriculture urbaine est présenté ci-après :

  • Renforcer la sécurité alimentaire et la résilience
  • Les métropoles possèdent une autonomie alimentaire de trois jours : ce constat est dressé par le Grand Paris qui compte près de 7 millions d’habitants. Ce chiffre varie probablement selon les métropoles, mais cet ordre de grandeur reste édifiant et inquiétant. En cas de crises (voies d’acheminement bloquées, crise économique majeure, guerre, etc.), les métropoles deviennent vulnérables en un temps record qu’il est difficile à appréhender quand aucun événement ne perturbe la distribution alimentaire. Avec la croissance de la population urbaine, l’agriculture locale se présente comme l’une des pistes crédibles pour limiter les risques de pénurie alimentaire qui engendrerait des tensions majeures au sein des territoires, amortir les chocs des crises agricoles... Avec les jardins partagés, le citadin crée son propre réseau de production, de distribution et de consommation qui n’est pas ou peu influencé par les facteurs extérieurs. Chaque habitant peut potentiellement posséder son espace de production agricole : balcon, terrasse, toit, jardin… L’exploitation de ces espaces offre la possibilité de développer la résilience des citadins eux-mêmes. Ces derniers deviennent à la fois acteurs et consommateurs. Ilsprennent conscience de leur statut et se réapproprient l’espace urbain qui est dans certains cas totalement délaissé.

    Proposer des espaces agricoles en ville incite les citadins à acheter leurs produits dans un rayon proche de leur domicile ou de leur lieu de travail et/ou de loisirs. L’achat local favorise les circuits courts et change les modes de consommation de la population urbaine qui bénéficie aussi d’un tarif attractif pour un produit agricole de qualité, à condition que les pratiques culturales soient respectueuses de l’environnement.

    Ces habitudes sont déjà répandues en Europe de l’Est, en Amérique du Nord et du Sud. La ville de Rosario en Argentine, par exemple, a longtemps été touchée par la crise économique. La production des denrées agricoles a permis de redresser l’économie locale et d’apporter aux habitants une alternative pour se nourrir à des prix relativement bas. La lutte contre le gaspillage alimentaire doit aussi être au centre du dispositif pour donner de la force aux initiatives agricoles urbaines.

  • Réduire la pollution et l’utilisation des intrants chimiques
  • La qualité sanitaire des produits agricoles qui poussent en ville est souvent source de critiques (pollution des sols, qualité de l’air ambiant…), maisl’agriculture urbaine constitue néanmoins une alternative à la réduction des gaz à effet de serre, de la pollution de l’air et des déchets. Adopter une agriculture urbaine a pour effet de diminuer le volume des importations d’aliments et de favoriser les circuits courts qui limitent la détérioration et la transformation (chaînes de transport et de conditionnement) des aliments. Et le consommateur apprend à se nourrir en fonction dessaisons, ce qui évite d’importer des cerises en plein hiver, par exemple.

    La nature en ville est aussi une ressource accessible à tous qui permet de lutter partiellement contre la pollution de l’air : absorption du dioxyde de carbone, dépôts des particules en suspension sur les feuilles des arbres... Les terres agricoles selon leur surface et les pratiques agricoles peuvent aussi lutter contre les phénomènes d’îlot de chaleur urbain en apportant une relative fraîcheur et humidité en ville. Sur le volet des déchets, l’agriculture urbaine a un effet très positif : le recyclage des déchets organiques (déchets alimentaires, verts et agricoles), au profit des cultures et des bêtes. Par exemple, une poule peut manger 1,5 kg de déchets en une semaine, ce qui équivaut à une réduction d’environ 80 kg de déchets par an. Sur les sols agricoles, les déchets peuvent aussi être valorisés sous forme de biomasse (matière organique) ou compost : ils apportent une source d’énergie supplémentaire aux cultures, qui augmente de surcroît la fertilité. Sachant qu’un français produit en moyenne 590 kg de déchets par an, une seule poule suffit à rabaisserce chiffre à 510 kg, soit une réduction de 13,5 %. Avec le recyclage des déchets organiques destinés à l’agriculture, il est possible d’atteindre 11 % supplémentaires (chiffres : Planetoscope). En complément de la réduction des déchets, il est essentiel de diminuer les intrants chimiques, tels que les pesticides ou les produits phytosanitaires, et d’utiliser des engrais provenant du recyclage des déchets. Cette pratique améliore le rendement et la qualité des cultures sans détériorer et contaminer les sols.

    Recycler les déchets organiques. ©Antrania, CCO
  • Préserver la biodiversité et limiter les coûts
  • Les villes ne sont pas uniquement occupées par des êtres humains : même si elle se présente à nous timidement, la biodiversité en milieu urbain est riche. L’agriculture urbaine permet d’accueillir cette faune et flore, de la nourrir et de lui offrir un espace où se reproduire et se reposer. C’est aussi un excellent moyen pour rendre cette biodiversité plus résistante et robuste à l’avenir. Les espaces urbains agricoles sont des espaces essentiels pour les abeilles et autres insectes pollinisateurs par exemple. Avec l’homogénéisation des paysages ruraux et la pollution des terres agricoles dans les campagnes, les milieux urbains attirent de plus en plus les insectes. Encourager l’agriculture en ville, c’est donc contribuer à la préservation de la biodiversité grandement menacée.

    Par ailleurs, comme mentionné ci-dessus, l’agriculture urbaine a la capacité de limiter les îlots de chaleur urbains. Produite par l’évapotranspiration des plantes, la fraîcheur joue un rôle considérable au niveau de la consommation énergétique. Un arbre qui stocke du carbone équivaut à l’action de cinq climatiseurs. Le rafraîchissement de l’atmosphère des villes par les plantes ferait gagner 4,5 milliards d’euros. La végétalisation horizontale en ville permet aussi de réduire l’imperméabilité des sols et absorbe l’excès d’eau. Ce rôle de tampon limite les impacts des pluies intenses et donc le risque d’inondations. Économiquement, des côtés bénéfiques sont également observés : en réduisant le transport des marchandises, près de 125 milliards d’euros en électricité et carburant seraient économisés. Au total, l’agriculture urbaine rapporterait jusqu’à 150 milliards d’euros par an aux villes.

    Abeille récoltant le pollen sur une fleur. ©Gérard Thérin

    Enjeux du développement de l’agriculture urbaine en milieu méditerranéen

    L’agriculture urbaine est donc une solution potentielle face à la pollution, les pénuries alimentaires, la production exponentielle des déchets... En milieu méditerranéen, l’agriculture fait partie de l’histoire des territoires. Des villes comme Aix-en-Provence sont très attachées à leurs paysages agricoles et semi-naturels (sachant que l’empreinte humaine est omniprésente). Le développement de l’agriculture dans les espaces urbains et périurbains est une piste d’adaptation à l’échelle métropolitaine, mais soulève aussi des questions. En effet, la ressource en eau en région méditerranéenne, la qualité des sols ou encore les impacts du changement climatique contraignent les acteurs locaux à des choix stratégiques.

  • Accès à l’eau
  • La métropole d’Aix-Marseille-Provence est caractérisée par son climat méditerranéen, chaud et sec en été et doux et relativement humide en hiver. Les conditions climatiques sont favorables à l’agriculture si l’accès à l’eau est assuré. Le changement climatique bouleverse les caractères climatiques locaux (répétitions des périodes de sécheresse, augmentation de la température de l’air, probable évolution à la hausse des événements extrêmes comme les canicules, régime pluviométrique perturbé, etc.). Si la saison estivale tend à s’allonger à l’avenir, l’évapotranspiration sera renforcée, les sols plus secs, les étiages des cours d’eau et des nappes phréatiques plus prononcés… Dans ces conditions, les ressources en eau se feront plus rares. Comment pratiquer l’agriculture urbaine dans un environnement qui deviendra plus contraint année après année, avec en prime la variabilité climatique interannuelle qui continuera à sévir ? Il est primordial de sélectionner le type de cultures, d’adapter les pratiques agricoles, d’optimiser les réseaux et les modes d’irrigation… Les plantes succulentes, légumineuses ou aromatiques sont à privilégier dans la mesure où elles consomment peu d’eau. Il existe aussi des solutions pour économiser l’eau : récupérer et stocker l’eau de pluie, traiter les eaux usées, dessaler l’eau de mer si nécessaire… Certaines techniques exigent un investissement important, mais elles apportent des pistes potentielles.

  • Facteurs économiques
  • Si l’agriculture urbaine est un excellent moyen de réduire l’empreinte carbone, elle possède également une dimension économique. Elle est par exemple source de création d’emplois. Pour sa mise en œuvre, il faut faire appel à des employés qualifiés capables d’accompagner son développement à toutes les échelles spatiales. Dans les jardins partagés, des conseillers pourront être appelés pour aider les porteurs de projet. Embaucher des agriculteurs ou d’anciens agriculteurs afin de leur permettre de garder une activité économique et de gagner un revenu supplémentaire est possible.

    Par ailleurs, comme l’agriculture urbaine favorise les circuits courts, elle renforce l’économie locale. L’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) affirme qu’elle est un moyen de créer un espace « d’échange et de production qui, à tous les stades du cycle de vie des produits (biens et services), vise à augmenter l'efficacité de l'utilisation des ressources et à diminuer l'impact sur l'environnement tout en développant le bien-être des individus ».

  • Enjeux sanitaires et éducatifs
  • Les enfants ont une méconnaissance desfruits et légumes. Cela est dû à nos modes de consommation et d’achat, notamment dans les grandes surfaces commerciales. L’agriculture urbaine constitue un enjeu alimentaire et nutritionnel important : en introduisant des jardins urbains et des terres agricoles, le goût et les qualités nutritionnels des alimentsseront conservés, et le citadin aura tendance à préférer les produits frais aux produits transformés. Dans certains quartiers sensibles, l’accès à une alimentation saine est aujourd’hui difficile. Les revenus bas ne permettent pas de se fournir en produits agricoles de qualité. Implanter l’agriculture dans les quartiers défavorisés permettrait aux ménages les plus pauvres d’enrichir leur alimentation. Tous niveaux sociauxconfondus, ce changement de pratiques valoriserait, auprès du jeune public, l’entraide, le respect ou le partage. Ce serait aussi l’occasion d’apprendre à tous à manger plus sainement. En France, près de 4 % des enfants de moins de 6 ans sont atteints d’obésité, ce chiffre ne cessant pas de croître. Impliquer les enfants dans l’agriculture urbaine leur donnerait vraisemblablement envie de manger plus sainement. Des initiatives émergent d’ailleurs en ce sens dans de nombreuses fermes urbaines. En Italie, par exemple, la ferme urbaine « Fattoria urbana » a pour objectif d’éduquer les papilles des plus jeunes, mais aussi de leur transmettre la volonté de respecter l’environnement et de le préserver. Ces projets fonctionnent, avec sur le long terme des résultats encourageants. D’un point de vue sanitaire, la production agricole locale facilite également la traçabilité des produits.

  • Enjeux structurels et financiers
  • L’agriculture urbaine est reconnue comme un vecteur de développement productif, cependant elle nécessite des fonds de la part des institutions. Dans certains cas, les acteurs locaux prennent en charge le financement des projets agricoles dans les villes avec le soutien de fondations privées et des autorités municipales. Mais les démarches en faveur de l’agriculture sont encore trop souvent portées par les citoyens qui financent les matériaux, les engrais, les clôtures, etc. Il conviendrait donc de proposer des financements innovants et participatifs impliquant tous les acteurs des espaces urbains.

    Mais l’un des principaux freins est le foncier. En ville, les espaces disponibles, qui plus est ouverts à l’agriculture, sont rares. La concurrence des promoteurs immobiliers est rude. Il est important d’être créatifs et inventifs pour exploiter tous les espaces propices comme les terrasses ou balcons par exemple. Mais identifier les lieux propices n’est pas la seule difficulté car des règles d’usage, le droit, les contraintes urbanistiques, etc. sont à respecter. Les plans locaux d’urbanisme (PLU) exigent par exemple des mises aux normes (arrivées et évacuation des eaux, construction de dalles, de garde-corps…). Les toits peuvent s’avérer de bons supports selon la construction du bâtiment et leur forme. En région méditerranéenne, à l’exception de certaines constructions modernes, les maisons sont caractérisées dans la grande majorité des cas par une architecture traditionnelle, en pignon, ne permettant pas d’installer des supports pour l’agriculture. Cependant, il existe des espaces avec un réel potentiel, comme les friches industrielles, les parkings, les jardins publics, les zones délaissées... Les sols sont souvent pollués, ce qui pose la question de la qualité de la terre et représente un frein au développement des projets. Les solutions de dépollution peuvent toutefois être envisagées si les coûts ne sont pas excessifs.

    Composteur libre et potager urbain, Marseille. ©Compost Gambetta Marseille

  • Lien social en toile de fond
  • L’agriculture urbaine est un générateur de lien social. Même si elle est considérée comme un facteur de résilience, d’économie locale, de réduction de la pollution, l’agriculture urbaine est avant tout une source de partage. Dans les quartiers les plus riches, l’appropriation urbaine est relativement facile, mais dans les espaces marqués par la pauvreté, ce n’est pas le cas. L’agriculture urbaine peut offrir un cadre idéal pour dynamiser l’insertion professionnelle et aider les personnes en difficulté. Dans certains quartiers pauvres des espaces urbains et semi-urbains, une main d’œuvre agricole souvent issue de l’immigration se retrouve parfois délaissée, alors qu’elle possède une riche expérience utile à tous. Les jardins partagés et l’aménagement de parcelles agricoles peuvent être un prétexte pour réinventer un espace de vie et d’échanges, faciliter le transfert des connaissances, rétablir la confiance entre les citoyens et assurer aux personnes les plus vulnérables l’accès à des produits sains, respectueux de l’environnement et de la santé.

    L’agriculture urbaine peut être déclinée en outil de consolidation sociale : le projet « Made in Fontbarlettes » change la vision des quartiers sensibles. À Valence dans la Drôme, un quartier défavorisé a ouvert ses portes à l’agriculture urbaine avec 350 m² de surface exploitée. Les productions de légumes et plantes aromatiques sont distribuées sur les marchés, dans les épiceries et autres commerces. Les acteurs souvent plus favorisés socialement sont venus à la rencontre des petits producteurs de la cité. Ces rencontres impossibles dans un autre contexte contribuent à dissiper l’image négative de certains quartiers et les préjugés. Ainsi, même si elle propose des pistes contre le gaspillage, la pollution, l’insécurité alimentaire, l’agriculture urbaine est avant tout un outil de solidarité sociale et urbaine. Les populations réapprennent à se connaître et à se mélanger au profit de tous.

    Quel avenir de l’agriculture urbaine sur le territoire de la métropole d’Aix-Marseille-Provence ?

    L’agriculture urbaine au sein de la métropole d’Aix-Marseille-Provence joue aujourd’hui un rôle marginal et principalement social. Des projets émergent sous l’impulsion des collectivités et d’initiatives citoyennes, mais l’agriculture urbaine n’est aucunement en mesure d’assurer les besoins alimentaires, même partiels, des habitants. Malgré la communication dans les médias, tout reste à mettre en œuvre. Avec l’appui des institutions publiques et privées, et des citoyens, le potentiel de l’agriculture urbaine est réel : favoriser les circuits courts, proposer des produits frais toute l’année, assurer la sécurité alimentaire, réduire la pollution et les émissions de gaz à effet de serre, limiter les îlots de chaleur urbains et les effets du changement climatique, tisser et renforcer le lien social entre les habitants, encourager l’insertion professionnelle, éduquer la population aux valeurs gustatives… La structure urbaine de la métropole permet d’envisager des espaces agricoles mixtes à la fois en zones urbaines et périurbaines, et en périphérie dans les zones rurales. Les espaces forestiers métropolitains offrent aussi des conditions idéales pour l’agroforesterie. Le développement de la permaculture est aussi une option.

    En région méditerranéenne et dans un contexte de changement climatique, l’accès à l’eau est une contrainte forte, mais les canaux d’irrigation, le savoir-faire des agriculteurs et les compétences techniques sont des atouts pour surmonter les obstacles et les difficultés. Dans un territoire très marqué par la pollution, le mitage urbain, le recul des espaces naturels et agricoles, le développement de l’agriculture urbaine et de l’économie circulaire est une alternative crédible à condition de faire converger les forces et les intérêts, de faire évoluer les PLU, les contraintes d’usage et réglementaires, le droit, les mentalités, etc., ce qui n’est jamais facile en France et dans les territoires de la métropole d’Aix-Marseille-Provence. Mais vu les enjeux sociaux, environnementaux et économiques, la solidarité l’emportera peut-être. Une vision globale et partagée saura peut-être faire émerger des projets ambitieux qui réuniront tous les acteurs territoriaux à court, moyen et long terme.

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