Par M. TEULE
Les adaptations du cadre bâti aux évolutions climatiques imposent des ruptures dans l’organisation de l’espace, la conception des bâtiments et des procédés constructifs. Les conditions des mutations sont techniques, organisationnelles, socio-économiques et visent un changement culturel, au sens des « formes acquises du comportement » aussi bien de la part des usagers que des producteurs et gestionnaires.
Depuis la fin des années 2000, des avancées techniques et architecturales ont été apportées pour que la construction neuve et la réhabilitation du bâti développent une plus grande maîtrise des dépenses et de moindres impacts environnementaux. Un moteur de l’initiation de ce mouvement en France fut le dispositif « Bâtiment à l’horizon 2010 » porté par le Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA) et l’ADEME.
Or, s’il y a bien un oublié dans ces grandes avancées imposées que l’on peut qualifier de nécessaire révolution écologique et énergétique, c’est l’usager. L’usager est en effet oublié en tant qu’acteur et concepteur de ses espaces de vie et réduit trop souvent à une cible de produits nouveaux qui, parce qu’ils seraient plus performants, moins polluants, devraient être adoptés naturellement sans discernement des diversités sociales, économiques et culturelles. Quant à la vie dans les nouveaux bâtiments à haute qualité environnementale (HQE) ou à basse consommation, leur impact sur l’évolution des comportements n’est pas à la hauteur des
espérances. Dès lors, il convient de s’extraire d’une conception de la production du bâti qui donne la primauté à la technique, pour aller vers une autre qui associe les usagers à la conception des lieux dont ils usent ou useront.
Aujourd’hui, après 30 années de politique de la ville et plus d’une décennie de pénétration sociale, technique et politique de l’idée du développement durable, la concertation avec les habitants ou les usagers est régulièrement convoquée. En matière d’aménagement, elle est inscrite dans la loi. Des méthodologies variées et éprouvées sont disponibles à tout maître d’ouvrage. Mais la notion de concertation reste peu précise et souvent appelée à des moments qui ne sont pas les plus pertinents pour que l’expertise des utilisateurs d’un bâtiment ou d’un espace urbain puissent tenir un rôle dans la coproduction du projet. Un rôle non pas au même titre et de la même manière que le maître d’ouvrage, ses différents assistants et le maître d’œuvre, mais au titre des personnes qui vivent les lieux quotidiennement qui sont porteuses de connaissances spécifiques issues de la pratique de ces lieux. Prendre en compte cette expertise, c’est favoriser la pertinence des innovations et leur appropriation. Pour ce faire, il s’agit de passer d’une approche de concertation à celle d’association de la maîtrise d’usage au processus du projet.
La maîtrise d’usage n’est pas un contre-pouvoir. Il n’appartient pas aux usagers de se substituer aux autres acteurs, mais d’énoncer et expliciter leurs attentes et d’en débattre avec les autres niveaux d’expertise. Ces paroles et analyses d’habitants ou usagers sont constitutives de la définition des besoins et donnent sens au projet tout en éclairant les processus de changement à mettre en place.
Pour favoriser une adhésion par l’instauration d’un dialogue constructif, l’association au processus d’élaboration du projet des habitants et usagers doit être initiée dès l’émergence de l’idée du projet et accompagner les étapes de diagnostic, de programmation et de conception, mais aussi de réalisation et de début de vie des lieux. Plus largement, c’est l’ensemble des partenaires de l’environnement du projet qui est associé au dispositif de discussions à mettre en place tout au long de ce chemin critique. La prise en compte des avis de chacun, non en tant que tels, mais en tant qu’apports à la réflexion d’ensemble, permet d’enrichir le programme de construction, de réhabilitation ou d’aménagement. On peut se rapporter à ce sujet à la recherche collective coordonnée par le CERFISE, « Réhabiliter avec le territoire » publiée en 2013 et réalisée en partenariat avec la Région PACA et l’ADEME.
Un changement de culture de l’acte de bâtir est ainsi proposé, qui doit faire écho à un autre changement de culture et l’intégrer, celui du système des énergies et des communications : directes (le débat public) et électroniques (circulation, échanges et gestion des données). L’association de la maîtrise d’usage au processus de production du projet ouvre sur d’autres façons de concevoir et réaliser des bâtiments et des espaces urbains, tout en acceptant de mettre en débat la technique et d’accompagner les changements cognitifs nécessaires chez les usagers, les producteurs et les gestionnaires. Pour que cela puisse fonctionner, il est nécessaire que le projet soit porteur de sens pour les individus dans leur diversité, un sens qui leur signifie que les changements visés en matière de consommation et de gestion d’énergie, de comportement dans l’habitat et les lieux de vie et de travail sont utiles et pour de bonnes raisons : des raisons personnelles, des raisons économiques, des raisons sociétales. Il est donc indispensable de clarifier, pour tous, les raisons des villes et des bâtiments « intelligents » que l’on propose d’appeler plutôt « obéissants » – ce qui change la perspective et remet l’humain au centre sans le soumettre à la technique, en prenant conscience que nous sommes dorénavant au sein d’un complexe énergétique instable, en recomposition et ouvert. Ce complexe ne peut plus se penser sans les technologies de la communication, ni la socialisation des cultures de l’énergie.
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